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D’après Alternatives économiques du 08 Août 2022

La taxe carbone suédoise est la plus élevée au monde

Par Bruno BOURGEON

mardi 1er novembre 2022, par JMT

La taxe carbone suédoise est la plus élevée au monde

Drapeau suédois

Deux pays, deux ambiances. A la fin de l’année 2018, la France vivait au rythme du mouvement des gilets jaunes, déclenché par la hausse du prix des carburants et par la décision, prise au début du premier mandat d’Emmanuel Macron, d’accélérer l’augmentation de la taxe carbone. Celle-ci atteignait alors 44,60 € par tonne de CO2. Gelée depuis. Et d’entendre les concerts de pleureuses sur la taxe carbone française, la France « le pays le plus taxé au monde », et patin-couffin.

Au même moment, en Suède, pas d’occupation de ronds-points ni de blocage des infrastructures. Pourtant, la taxe carbone s’élevait déjà à 113 euros par tonne de CO2. Instaurée dès 1991 pour un prix de 27euros par tonne, elle a dépassé les 100 euros dès le début des années 2000, et atteint 120 euros en 2022. Ça oui, c’est le niveau le plus élevé au monde.

La tarification des émissions de CO2, qui repose sur le principe pollueur-payeur, est devenue l’un des piliers de la politique climatique suédoise. Avec quelques réussites : les émissions de GES/habitant en Suède sont les plus faibles de l’UE (5,2 tonnes/an en 2019). Le pays a diminué ses émissions domestiques de 30% depuis 1990. Plus que la moyenne européenne (24%) et la France (16%).

La Suède « ouvre la voie vers une économie mondiale bas-carbone », estime l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans un rapport de 2019. Au sein de cette organisation, la Suède affiche la plus basse part de combustibles fossiles dans son approvisionnement en énergie primaire : 30% seulement en 2017. Aucun des autres pays membres ne descend sous les 45% et, pour leur grande majorité, ils se situent plutôt entre 60% et 90%.

Ces performances ne sont pas le fruit de la seule taxe carbone, même si celle-ci « s’est avérée efficace pour entraîner la décarbonation de nombreux secteurs », assure l’AIE. Mais comment la Suède, où les hivers sont si rigoureux, a-t-elle réussi à instaurer une tarification ? La prouesse tient moins au dispositif de taxe carbone en lui-même qu’au contexte de mise en place, ainsi que la méthode de son adoption.

Plusieurs éléments historiques ont favorisé son acceptation en Suède. Dépourvu de ressources énergétiques fossiles, le pays conduit, depuis les chocs pétroliers, une politique visant à réduire leur consommation. Par exemple en mettant en place un vaste programme nucléaire dans les années 1970 et 1980. L’Etat s’appuie aussi de longue date sur deux atouts géographiques pour se passer des fossiles : un fort potentiel hydraulique et un territoire recouvert aux deux tiers de forêts.
De plus, « la Suède a une longue histoire de taxation de l’énergie », analyse le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) français en 2019. L’essence y est taxée depuis 1924 et le diesel depuis 1937. Depuis les années 1950, une taxe énergétique sur l’électricité, ainsi que sur le pétrole et le charbon utilisés pour le chauffage, est appliquée ».

Dans ce contexte la question climatique fait irruption dans la politique suédoise. Elle est prise au sérieux : dès 1989, trois ans avant le Sommet de la Terre de Rio qui amorcera l’action intergouvernementale pour le climat, le Parlement suédois réclame un plan de réduction des émissions de CO2. Il viendra, mais pas seul.

Si la taxe carbone s’est facilement imposée au début des années 1990, c’est qu’elle a été incluse dans une réforme fiscale bien plus vaste, qui a fait l’objet d’un large consensus politique. Cette « réforme du siècle », comme elle a été surnommée, a conduit à diminuer de nombreux impôts : le taux marginal de la plus haute tranche de l’impôt sur le revenu est passé de 87% à 57% et l’impôt sur les sociétés de 58% à 30%. Elle a également instauré un prélèvement forfaitaire de 30% sur les revenus du capital, autrefois soumis à un impôt progressif. La taxe carbone suédoise est donc arrivée comme un point de détail dans le grand débat de la réforme du modèle suédois, qui a conduit à remplacer une partie de la taxation du travail par la taxe carbone. Avec l’accord de toute la classe politique.

La recherche du consensus transpartisan fait partie intégrante de la culture politique suédoise, et permet aux grandes réformes de survivre à d’éventuelles alternances. Partenaires sociaux et représentants de la société civile ont aussi voix au chapitre. Dès 1988, une commission visant à étudier l’usage d’instruments fiscaux dans les politiques environnementales réunissait à une même table représentants de l’industrie, agriculteurs, syndicats, experts et agences de l’environnement.

Pour aboutir à un tel consensus, il a fallu compenser l’arrivée de la nouvelle taxe carbone en amputant d’autant la taxe sur l’énergie qui portait sur les carburants. Si bien que le prix de ces derniers n’a pas augmenté lors des premières années d’application du dispositif. Il n’y a pas eu de signal-prix majeur pour les consommateurs, notamment sur les carburants, le dispositif ayant plutôt incité les producteurs à choisir des biocombustibles qui devenaient plus compétitifs que les combustibles fossiles.

Cette politique du « signal prix » est d’inspiration libérale : elle consiste à renchérir le prix de l’émission de carbone, mais laisse aux acteurs économiques le soin de choisir comment éviter ces émissions. En agissant sur les coûts, la société ne sélectionne pas un gagnant ; elle permet aux ménages et aux entreprises de choisir les mesures qui leur conviennent le mieux (les moins coûteuses).

Pour que ce « signal prix » fonctionne, il faut néanmoins que les alternatives à l’énergie fossile soient stimulées. Ce fut en partie le cas. La Suède a d’abord renforcé sa politique d’efficacité énergétique, en structurant les actions de terrain par une agence nationale et des relais dans les collectivités locales, pour aider techniquement et économiquement les consommateurs, particuliers ou industriels.

Trois décennies après son adoption, le principal succès de la taxe carbone suédoise est d’avoir presque entièrement décarboné le chauffage domestique en rehaussant le prix du gaz et du fioul. Leur coût est deux fois plus élevé en Suède qu’en France pour les ménages et les services, ce qui est une des causes de la conversion des modes de chauffage au profit de la géothermie et de réseaux de chaleur urbaine alimentés désormais essentiellement par des biocombustibles. Les logements suédois sont actuellement chauffés à 2% seulement par des combustibles fossiles, contre 42% en 1990. En France, c’est environ 50%.

Dans les transports, en revanche, la réussite est moins marquée. Certes, la Suède a vu naître le phénomène du « flygskam » (la honte de l’avion), et les voitures électriques y représentent près de 20% des nouvelles immatriculations, mais les émissions de CO2 des transports sont restées quasi stables entre 1990 et 2017, et représentent plus de la moitié des émissions du pays. Le gouvernement compte abaisser les émissions des transports de 70% d’ici à 2030 par rapport à leur niveau de 2010, mais il ne peut plus s’appuyer sur la seule taxe carbone, et a donc décidé de durcir la réglementation, en interdisant la vente de voitures thermiques en 2030.

Du côté industriel, les effets de la tarification du CO2 se sont révélés très progressifs. Culture du compromis oblige, les représentants de l’industrie et de l’agriculture suédoise ont obtenu que ces secteurs soient longuement épargnés par la taxe carbone pour préserver leur compétitivité. Ainsi, en 2004, quand l’émission d’une tonne de carbone coûtait 90 euros pour les ménages, elle ne coûtait que 19 euros pour le secteur industriel. Cette exemption a été progressivement levée dans les années 2010, et a disparu en 2018. Mais les installations soumises au marché européen du carbone, où s’échangent des droits à polluer depuis 2005, restent exemptées de taxe.

Cette montée en puissance progressive de la taxe carbone s’inscrit dans une gouvernance de long terme, qui est la clé du succès du dispositif : l’Etat s’engage à suivre une trajectoire claire, et cet engagement permet aux entreprises de prendre de l’avance en ayant confiance dans l’avenir.

Longtemps soumise à une taxe carbone réduite, l’industrie a vu ses émissions de CO2 augmenter au début des années 1990, avant de légèrement diminuer au cours de la décennie 2000. Grâce notamment aux progrès réalisés dans l’efficacité énergétique, et à de multiples exonérations de taxes en faveur de la biomasse. La puissante industrie papetière suédoise est ainsi devenue presque autosuffisante grâce à l’utilisation de ses sous-produits et déchets de bois pour la production de chaleur et d’électricité, note l’AIE. Malgré ses atouts, la taxe carbone n’aurait donc « pas réussi à réorienter les consommations sans politiques complémentaires, et elle trouve ses limites d’une part, dans la nécessité de préserver la compétitivité des secteurs en compétition internationale, d’autre part, face aux situations sans alternative satisfaisante, comme le transport ou certaines industries ».

L’ultime limite de la taxe carbone, et non la moindre, est qu’elle ne concerne que les émissions domestiques, et pas celles des biens importés : deux tiers des émissions liées à la consommation des Suédois. En les prenant en compte, l’empreinte carbone/habitant du pays est égale à celle de la France.
Pour taxer ces émissions importées, la Suède ne compte pas étendre sa taxe carbone nationale. Cette extension est actuellement en discussion au niveau européen. En attendant, les partis suédois se sont accordés début 2022 pour que le pays soit le premier au monde à inclure les émissions importées dans son objectif de neutralité climatique en 2045.

Bruno Bourgeon http://www.aid97400.re

D’après Alternatives économiques du 08 Août 2022

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