AID Association Initiatives Dionysiennes

Ouv zot zié !

Accueil > Ecologie > Transition > Financer la planification écologique : l’heure de vérité

D’après Alternatives Economiques du 02 Janvier 2024

Financer la planification écologique : l’heure de vérité

Par Bruno BOURGEON

mercredi 31 janvier 2024, par JMT

Financer la planification écologique : l’heure de vérité

Les membres Oxfam, Cler, FNE, 350.org, GreenPeace, entourent la représentante du RAC

2024 marque le début de la mise en œuvre de la planification écologique. Objectif : réduire d’un tiers les émissions nationales de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Une gageure. Promesse d’Emmanuel Macron pour son second mandat : placer la transition écologique sous la responsabilité du Premier ministre et planifier pour accélérer.

Selon les directives européennes, la France va devoir réaliser en sept ans la même baisse qu’au cours des trente dernières années, puis tenir le rythme. Une telle révolution est impossible sans pilotage de l’Etat et sans mise en cohérence des politiques publiques et des arbitrages interministériels.

Sitôt élu, le président a tenu sa promesse. Un Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), directement rattaché au Premier Ministre, a été institué. Au terme d’un an de travaux, l’équipe dirigée par Antoine Pellion a présenté un plan d’action inscrivant dans tous les secteurs (transports, agriculture, bâtiment, industrie, énergie) une batterie d’objectifs avec les baisses d’émissions associées.

Emmanuel Macron a validé la copie du SGPE à l’issue d’un Conseil ministériel de planification écologique. Selon ce programme, 15% des autos seront 100% électriques en 2030, contre 1% en 2022, et le réseau de pistes cyclables passera de 57000 à 150000 kilomètres.

Les rénovations performantes de logements devront atteindre les 900000 par an en 2030, une multiplication par neuf par rapport au rythme actuel. La part des résidences principales chauffées au fioul tombera de 9,5% à 3,6% et, conformément à la loi climat et résilience, l’interdiction de mise en location des logements étiquetés G et F (les passoires thermiques) sera effective respectivement en 2025 et 2028.

Côté agriculture, les surfaces en bio devront doubler, de 11% à 21% de la surface agricole totale. S’agissant des énergies décarbonées, la chaleur livrée par les réseaux devra également doubler par rapport à 2022 et la puissance installée solaire et éolienne terrestre devra être multipliée par 2,5…

Mis bout à bout, tous ces objectifs sectoriels permettraient de ramener les émissions hexagonales de 408 MtéqCO2 en 2022 à 270M en 2030, indique le SGPE. Une baisse (138 MtéqCO2) toutefois insuffisante pour réaliser l’objectif de –55% en 2030.

Cet objectif est exprimé en émissions nettes, soit la différence entre les émissions de GES et les absorptions annuelles de CO2 atmosphérique, par la forêt essentiellement, ce qu’on appelle le puits de carbone.

Or, depuis quelques années, la mortalité accrue des arbres du fait de sécheresses à répétition et d’attaques d’insectes et maladies a fait s’effondrer le puits de carbone.

Ce serait plutôt une baisse de 155 MtéqCO2 qu’il faudrait viser pour réaliser l’objectif de –55% en 2030, un chiffre déjà trop faible selon certaines analyses pour que la France arrive ensuite à la neutralité de ses émissions en 2050.

Plus préoccupante est la question de la cohérence des différentes mesures sectorielles par rapport à l’objectif 2030 lui-même.

« Ce plan minore les leviers de la sobriété et de l’efficacité, et mise massivement sur la substitution des énergies fossiles par des sources décarbonées, principalement via l’électrification. Sauf qu’on risque de ne pas atteindre les objectifs de substitution d’énergie pour 2030 », analyse Christian Couturier, directeur de l’association Solagro.

Il pointe les difficultés persistantes à accélérer le déploiement de l’éolien (terrestre comme marin) et des installations solaires au sol. Il exprime également des doutes sur la capacité d’EDF à accroître la production de son parc nucléaire ancien (passer de 300-330TWh actuellement à 360TWh en 2030), le relais du nouveau nucléaire n’étant pas attendu avant 2035.

Et déplore le sous-investissement dans les filières de chaleur renouvelable, le biométhane et les carburants de seconde génération notamment, car l’électricité décarbonée ne fera pas tout.

Face aux incertitudes sur le niveau de la production d’énergie décarbonée dans sept ans, nombre d’experts plaident pour actionner plus vigoureusement le levier de la sobriété. C’est « le plus rapide et économique », écrit une note du Réseau action climat (RAC) à l’attention des parlementaires.

Ce collectif d’associations réclame, par exemple, la revalorisation du malus au poids sur les voitures neuves, qui ne concerne aujourd’hui que 2% des ventes, et son extension aux véhicules électriques, qui n’échappent pas, eux non plus, à la mode SUV.

De son côté, NégaWatt avait calculé au moment de l’invasion de l’Ukraine que l’application des 110 km/h sur autoroute naguère préconisée par la Convention citoyenne sur le climat réduirait la demande de carburant d’un volume comparable aux importations françaises de pétrole russe avant la guerre.

Solagro rappelle aussi que pour ramener au niveau du puits de carbone les émissions incompressibles de gaz à effet de serre, pour l’essentiel liées à l’alimentation, il faut à terme diviser par deux les élevages en France.

Ces discours sont ignorés. Le plan de sobriété présenté le 12 octobre 2023 par la ministre de l’Energie rejette les normes et les interdictions, jugées « pas nécessaires ». Il faut s’en tenir à une approche « sans contrainte, sans sanction » : Agnès Pannier-Runacher a brandi comme une victoire la baisse constatée de 10% en un an de la consommation de gaz et d’électricité.

Difficile pourtant d’imputer ce gain aux seuls messages visant à responsabiliser les individus et les entreprises. C’est largement le résultat d’une hausse des prix dont les moins aisés sont les victimes.

« S’il faut questionner les objectifs, il faut aussi, et surtout, s’interroger sur les mesures concrètes pour les atteindre », ajoute Anne Bringault, directrice des programmes au RAC.

Le plan français 2030, dont les orientations doivent encore trouver, en principe en 2024 – soit plus de trois ans après la décision européenne – leur traduction juridique et réglementaire, laisse le sujet des moyens en suspens.

Or une petite moitié (45%) des baisses d’émissions visées est permise par les mesures déjà engagées ou en cours de déploiement. La grosse moitié nécessite des mesures nouvelles soumises à concertation.

Si l’objectif en 2015 était de réduire de 40% les émissions en 2030 par rapport à 1990 avait été respectée, la marche à franchir pour 55% aurait été beaucoup moins haute.

« Le gros sujet, c’est la traduction de ce plan en politiques publiques, confirme Damien Demailly, directeur adjoint d’I4CE. Or, le gouvernement n’a pas envie de toucher au réglementaire ni à la fiscalité ».

Les mesures prises par le passé et dont la date d’effet se rapproche, comme le « zéro artificialisation nette » ou l’interdiction de location des passoires thermiques, suscitent déjà une crispation et bien des politiques veulent faire machine arrière.

Le « backlash environnemental ambiant montre bien que nous sommes entrés dans le dur de la transition », observe l’économiste Patrick Criqui.

Si on ne veut ni du réglementaire ni de la fiscalité, ne reste que l’incitation, par la subvention et l’investissement public, poursuit Damien Demailly. « Mais alors il faut assumer la conclusion : la transition devient un énorme problème de financement public ».

Un rapport d’I4CE le montre bien : malgré l’augmentation des aides et leur meilleur ciblage, celles-ci restent beaucoup trop insuffisantes pour entraîner les ménages modestes vers les solutions bas carbone. Le problème est d’autant plus énorme que le gouvernement ne présente pas de solution.

La hausse de 10 milliards d’engagements de dépenses de l’Etat en 2024 en faveur de la transition est permise par la décision de mettre fin au bouclier tarifaire, cet ensemble de subventions provisoires à la consommation d’énergie décidées dans le contexte de flambée des prix. C’est un fusil à un coup.

Par ailleurs, ces 10 milliards ne représentent que le tiers des dépenses publiques additionnelles qu’il faudrait consacrer annuellement à la transition d’ici à 2030, selon le rapport Pisani-Mahfouz remis en mai dernier au gouvernement.

Pour les financer, ce rapport recommandait, entre autres leviers, de mettre davantage à contribution les plus riches. La proposition a été immédiatement rejetée, mais elle n’en flotte pas moins dans le débat public.

Il faut aller chercher l’argent où il est et sortir des dépenses fiscales néfastes pour le climat. Pour l’heure, l’exécutif botte en touche. Pour boucler le financement, il compte beaucoup sur les collectivités territoriales.

Leur contribution devrait être l’un des gros enjeux des discussions lancées cet automne et censées aboutir avant l’été 2024 à l’établissement de feuilles de route régionales pour mettre en œuvre la planification écologique. Qui, sans plus de moyens, ratera son objectif.

Bruno Bourgeon, président d’AID http://www.aid97400.re

D’après Alternatives Economiques du 02 Janvier 2024

Version imprimable :

PUBLICATIONS

* Courrier des lecteurs Zinfos974 du

* Tribune libre d’Imaz-Press Réunion du

* Courrier des lecteurs de Témoignages du

* Tribune libre de Clicanoo.re du

* Libre Expression sur Parallèle Sud du