Une histoire bordelaise

Une histoire bordelaise

Une histoire tristement banale : des pesticides, un mort, une association, un lobby, une plainte. Devinez qui trinque, devinez qui gagne ?

Le père de Valérie Murat, vigneron, est mort d’un cancer broncho-pulmonaire en 2012, dont le lien avec un pesticide qu’il avait beaucoup utilisé, l’arsénite de sodium, a été reconnu. Valérie a créé l’association Alerte aux toxiques  ! pour rappeler une évidence : « les pesticides de synthèse sont toxiques ».

Valérie Murat

Elle vit dans le Bordelais, dans cette région où l’on gagne énormément d’argent en vendant un vin de réputation mondiale. Là-bas comme ailleurs, le vent a tourné, et la question des pesticides est devenue incontournable. L’industrie du vin, dont la réputation décide les profits, craint la moindre révélation sur ses pratiques, potentiellement dévastatrices sur les marchés internationaux.

Valérie, elle, s’en fiche comme de l’an quarante. Pendant des années, elle informe, et le 15 septembre 2020 rend public le résultat d’analyses de 22 bouteilles de vin de Bordeaux, dont la plupart affichent fièrement le logo « Haute valeur environnementale » (HVE). Elles contiennent des pesticides, dont certains sont classés cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques (CMR).

Certes il ne s’agit « que » de résidus, très au-dessous des normes officielles. Valérie se demande s’il est bien normal qu’un vin HVE contienne de telles traces, et le tout serait passé à peu près inaperçu si le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) n’était entré dans le jeu. Le CIVB, c’est le lobby, du lourd : plusieurs dizaines de millions d’euros de budget annuel, et du personnel.

Saisissant son marteau pour écraser la mouche, le CIVB este Valérie en justice, et l’affaire est jugée promptement le 25 février 2021, au tribunal de Libourne. Le lobby ruse, qui n’a pas porté plainte pour diffamation, mais pour « dénigrement collectif » des châtelains du vin et de leur si rentable filière.

Le CIVB triomphe, car Valérie est alors condamnée à l’invraisemblable amende de 125 000 euros, qui la voue à une sorte de mort sociale. Elle fait appel, cependant le jugement ne suspend pas son versement, et le CIVB adresse le 23 avril 2021 à Valérie une mise en demeure. Elle n’a à ce moment payé que 324 euros, et ses adversaires le lui rappellent, exigeant, de manière plus policée, qu’elle ferme sa gueule.

Un commentaire  ? Tant qu’on y est.

* Un, l’effet cocktail. On a retrouvé dans les 22 bouteilles entre 4 et 14 pesticides (substances actives) différents. Personne au monde ne sait ce que peuvent créer ces mélanges.

* Deux, la toxicologie a bien changé depuis Paracelse (1493–1541), dont on a surtout retenu « la dose fait le poison ». On sait avec certitude qu’il existe des effets dits « non monotones », par exemple avec les perturbateurs endocriniens. Une plus faible dose toxique peut avoir plus d’effet délétère.

* Trois, il n’existe pas d’effet de seuil pour certains produits. Dès le premier contact avec la première molécule, il peut naître un enchaînement, éventuellement néfaste.

Les normes officielles, souvent manipulées par les lobbies, sont partout remises en cause. Pas seulement par des lanceurs d’alerte consciencieux, mais aussi par des centaines de scientifiques. Le sort de Valérie n’est pas encore scellé.

Le CIVB, qui veut écraser, pas gagner, tente en ce moment d’obtenir la radiation de l’appel interjeté, car, disent ses avocats, elle n’a pas payé les 125 000 euros auxquels elle a été condamnée en première instance. Le 13 octobre 2021 à 10 heures, la cour d’appel de Bordeaux décidera si oui ou non l’appel doit être jugé.

Bien qu’amateur de bordeaux, je sais de quel côté je suis. Et vous ?

Bruno Bourgeon, http://aid97400.re

D’après Charlie-Hebdo 1522

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