AID Association Initiatives Dionysiennes

Ouv zot zié !

Accueil > Ecologie > Agriculture-Alimentation-OGM > Les revendications des agriculteurs sont-elles défendables ...ou pas (...)

D’après Alternatives Economiques du 26 Janvier 2024

Les revendications des agriculteurs sont-elles défendables ...ou pas ?

Par Bruno BOURGEON

mercredi 21 février 2024, par JMT

Les revendications des agriculteurs sont-elles défendables ...ou pas ?

La liste des revendications présentée mercredi 24 janvier 2024 par la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs, à la tête de la fronde agricole, mêle demandes fondées et exigences écologiquement insoutenables.

La sympathie de la majorité des Français à l’égard des agriculteurs en colère est-elle inconditionnelle ? Jusqu’où vont-ils approuver les blocages sur la voirie, les déversements de lisiers, pneus et autres déchets, éventuellement incendiés, devant des préfectures ?

Trouveront-ils légitime l’ultimatum adressé au gouvernement, sommé de donner satisfaction aux manifestants sur leurs revendications, sous la pression maximale des tracteurs, pour les premières annonces de Gabriel Attal ?

Arnaud Rousseau, le président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) a prévenu : les demandes présentées le 24 janvier 2024 par son organisation et par sa branche jeunes, les Jeunes Agriculteurs (JA), ne sont pas négociables. Et dans cette liste, « pas question que l’on fasse ses courses ». C’est de l’esbroufe.

Il y aura nécessairement, au-delà des mesures d’urgence qui étaient attendues du gouvernement pour dénouer la crise et faire revenir les tracteurs dans les fermes, des négociations avec la profession.

Et des discussions au niveau du Parlement pour prendre en compte ses revendications dans le cadre législatif, notamment dans le projet de loi d’orientation agricole dont la validation en Conseil des ministres a été reportée sine die.

Pas sûr, en revanche, qu’à la fin du spectacle, la population applaudisse et salue le texte. A la lecture des 24 doléances, on se demande si le syndicalisme agricole majoritaire va conquérir l’opinion.

C’est du reste, peut-être, la raison pour laquelle, dans le préambule, le spectateur est mis en garde : « Si en période de crise, les agriculteurs obtiennent souvent le soutien du grand public, ils font généralement l’objet de vives critiques. Cela provoque un sentiment de mal-être généralisé et de manque de considération de la profession qui ne peut rester ignoré ».

Nous sommes prévenus : ne critiquez pas nos revendications car c’est porter atteinte à notre dignité et à notre moral, nous qui vous nourrissons. Du chantage et une stratégie d’évitement du débat.

Des demandes légitimes

Après le préambule, les revendications, les unes de court terme, les autres législatives. Une partie d’entre elles feront consensus. C’est en particulier le cas du premier point, qui demande le « respect absolu des lois Egalim ».

Adoptées en 2018 et 2021 à la suite des Etats généraux de l’agriculture de 2017, elles visent principalement à redonner du pouvoir aux agriculteurs dans la négociation des prix avec les transformateurs et les distributeurs.

Alors que l’indice des prix alimentaires s’est stabilisé en 2023, le revenu agricole a connu une forte chute l’an dernier, une cause des revendications actuelles. C’est un signe du déséquilibre de la répartition de la valeur entre amont et aval que les lois Egalim 1 et 2 devaient corriger.

Ces lois fixaient aussi, entre autres sujets, que dès 2022, la restauration collective publique propose au moins 50% de produits durables, dont au moins 20% de bio. Une mesure loin d’être appliquée.

De même, les agriculteurs exigent très légitimement que l’administration mette fin aux retards de paiement des aides de la Politique agricole commune (PAC), qui peuvent atteindre plusieurs mois.

Brice Guyau, président de la FDSEA Vendée et producteur bio, cite le cas d’un de ses voisins qui a reçu le 24 Janvier 2024 un acompte de 70% sur un paiement attendu… le 16 Octobre 2023.

De tels exemples sont légion. Ce qui se traduit souvent par l’impossibilité de payer des factures à l’échéance et des problèmes vis-à-vis des fournisseurs pour obtenir des semences, engrais et autres intrants ou vis-à-vis des banques pour obtenir un prêt de campagne.

Il est fréquent que des agriculteurs doivent céder à l’avance aux coopératives ou aux banques leurs aides non encore perçues pour pouvoir acheter leurs intrants ou avoir de la trésorerie. C’est du reste l’une des causes du suicide en agriculture identifiées par le rapport Lenoir, remis au début de l’été dernier et dont les préconisations sur le sujet sont restées lettre morte…

La FNSEA et les JA demandent également des mesures immédiates pour venir en aide au secteur de l’agriculture biologique, qui connaît actuellement une crise sans précédent. Une demande bien légitime alors que la France vise officiellement un doublement des surfaces d’ici à 2030.

Simplification

Ils dénoncent encore les accords de libre-échange signés par l’Union européenne ou en passe de l’être en raison de l’absence, dans les pays partenaires, de normes sociales et environnementales équivalentes à celles des Etats européens. De quoi ruiner les conditions de la concurrence.

Très mal vécues aussi sont les interventions souvent humiliantes des agents assermentés de l’Office français de la biodiversité (OFB), qui se rendent armés sur les fermes pour contrôler ou dresser des constats d’infractions à la législation environnementale. Les agriculteurs peuvent commettre des erreurs, cela n’en fait pas des criminels.

Brice Guyau évoque l’histoire d’un collègue irriguant qui avait pompé dans un étang alors que celui-ci aurait dû être déconnecté d’un autre étang. Il a reçu un samedi un PV à aller signer le lendemain à 100 kilomètres. On aurait peut-être pu lui préserver son dimanche…

Les agriculteurs demandent, souvent à juste titre, un allègement de la paperasse administrative et la simplification des normes. Producteur bio, Brice Guyau présente comme un exemple parmi d’autres le casse-tête de la réglementation sur les haies. « Elles sont régies par 14 lois différentes, code de l’urbanisme, rural, réglementation PAC… Difficile de se tenir au courant ! »

L’interdiction de toucher à une haie pour cause de nidification, très précisément entre le 31 mars et le 31 août, fait que l’agriculteur peut se retrouver à ne disposer que d’une fenêtre de quelques jours pour effectuer un débroussaillage après la récolte d’un champ et le semis suivant.

Un peu de souplesse entre la lettre et l’esprit de la loi pourrait apaiser la situation. Cela implique de faire confiance à ceux qui sont les mieux au fait des réalités du terrain pour appliquer un cadre normatif général.

Détricotage des mesures écologiques

Si la volonté d’alléger certaines normes est audible et légitime, la « simplification » exigée par la FNSEA et les JA va bien au-delà du bon sens. Le syndicat inscrit ni plus ni moins un programme politique de détricotage des mesures environnementales qui contrarient la bonne marche des affaires.

La 21e demande est limpide : « Revenir sur la non-régression du droit de l’environnement ». Autrement dit, abroger un principe fondamental du droit de l’environnement qui prévoit que la protection de l’environnement ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante.

Autre demande que le syndicat majoritaire souhaite inscrire dans la loi : « Limiter les recours et les durées d’instruction » de manière à assurer la « sécurisation de tous les projets ». Y compris les fermes à 10000 vaches ?

Le plan en 24 points décline dans la même logique régressive toute une série de mesures dont la FNSEA estime qu’elles relèvent du réglementaire et non du débat démocratique.

Ainsi la « compensation intégrale pour tous » du modeste coup de rabot en 2024 sur la niche fiscale accordée au gazole agricole (2e demande) alors que beaucoup d’agriculteurs gagnent largement assez pour pouvoir assumer cette éco-contribution.

Pire, le point n°7 exige le « rejet d’Ecophyto et moratoire sur les interdictions ». Ce plan, lancé en 2009, visait une division par deux de l’usage des pesticides à l’horizon 2020. Toujours différé, jamais mis en œuvre car basé uniquement sur le volontariat, Ecophyto a échoué, l’usage de ces pesticides ayant entre-temps progressé.

L’objectif national a donc été reporté à 2025. Puis, un nouveau plan, que le gouvernement devait publier en ce début d’année, se proposait d’y parvenir en 2030. La FNSEA et les JA exigent à présent son rejet pur et simple et l’arrêt de toute interdiction de substance.

On lit encore dans le programme une demande « d’accélération des projets de stockage d’eau (les mégabassines) », « d’autorisations uniques pluriannuelles de prélèvements d’eau » – au risque de pomper l’eau au-delà des capacités et d’aggraver des conflits en cours –, ou encore « un rejet en bloc des ZNT » (zones non traitées), qui maintiennent une distance de sécurité entre les parcelles et les zones d’habitation ou les points de prélèvement d’eau potable, dont l’appréciation reste polémique).

Pas de changement de régime

Ce projet régressif s’attaque aussi au volet agricole du Green Deal européen et à sa stratégie dite « De la ferme à la table ». Présenté en mars 2021, ce projet de la Commission européenne visait à transformer en profondeur le système agricole et alimentaire européen pour le rendre compatible avec les objectifs globaux de l’Union (neutralisation des émissions de GES d’ici 2050, bonne santé des écosystèmes et celle de la population).

En cohérence avec ces objectifs, la Commission recommandait une réduction de la consommation de produits animaux et d’usage des pesticides. De ce programme « De la ferme à la table », qui a déjà fait l’objet d’une attaque intense du lobby agro-industriel à Bruxelles (dont la FNSEA), il ne reste plus grand-chose.

Pierre-Marie Aubert, directeur du programme agricole et alimentaire à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), l’explique : « Parmi les 27 projets de révision ou de nouveaux textes législatifs, seuls neuf ont été adoptés au 1er janvier 2024, dont huit communications et une modification du règlement sur les produits phytopharmaceutiques de portée relativement mineure ».

Mais alors qu’il faudrait remettre sur le métier la discussion d’une stratégie agricole et alimentaire européenne cohérente pour répondre aux urgences écologiques et sociales, un projet difficile tant les divergences d’intérêts sont fortes, reconnaît Pierre-Marie Aubert, la FNSEA s’oppose à toute politique de limitation de la consommation de produits animaux et de la production agricole.

Ce serait une « décroissance » inadmissible, alors que la recherche académique estime que la préservation du climat et de la biodiversité passe nécessairement par une réduction des consommations carnées (avec effets bénéfiques sur la santé publique) et donc des surfaces agricoles pour l’élevage (2/3 en France).

Dans un tel scénario, l’Hexagone ne perdrait pourtant ni sa souveraineté alimentaire, ni ses capacités à fournir en céréales des pays pauvres structurellement importateurs. En réalité, du fait du poids de ses importations de soja pour nourrir ses élevages, la France est en train de devenir plus dépendante du monde que le monde ne dépend d’elle pour sa sécurité alimentaire.

Silence sur les inégalités

Une très grande partie des revendications de la FNSEA et des JA sont opposées à l’intérêt commun. L’exigence de « placer l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) sous l’autorité politique » (22e demande) en est peut-être la manifestation la plus choquante.

Est-ce au gouvernement de dire qu’un médicament est inoffensif pour faire plaisir à un laboratoire pharmaceutique ? Ou que l’exploitation d’une installation industrielle dangereuse doit se poursuivre pour satisfaire son propriétaire ?

Dans les 24 doléances de la FNSEA et des JA, il y a celles qui sont légitimes et celles qui le sont beaucoup moins, ou qui en tout cas appellent un débat démocratique sur des choix de société.

Mais ce catalogue frappe aussi par ses silences. A aucun moment, il n’est question de réviser la répartition des aides agricoles, alors que l’extrême dispersion des revenus agricoles est un facteur explicatif de la crise actuelle. Derrière le « on » du « on vous nourrit et on en crève », certains crèvent moins que d’autres.

Ce refus de rebattre le jeu de la distribution des aides, sachant qu’il est difficile de les accroître dans un contexte de fortes contraintes budgétaires, est aussi ce qui explique l’immobilisme écologique du syndicat majoritaire. Les besoins ne sont pourtant pas si importants.

Le député PS Dominique Potier estime ainsi que « les objectifs agroécologiques de la France représentent des besoins de financement public de l’ordre de 5% de l’ensemble des soutiens publics à l’agriculture, nationaux et d’origine européenne ». Il y a là aussi débat.

Bruno Bourgeon, président d’AID http://www.aid97400.re

D’après Alternatives Economiques du 26 Janvier 2024

Version imprimable :

PUBLICATIONS

* Courrier des lecteurs Zinfos974 du

* Tribune libre d’Imaz-Press Réunion du

* Courrier des lecteurs de Témoignages du

* Tribune libre de Clicanoo.re du

* Libre Expression sur Parallèle Sud du