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D’après Alternatives Economiques du 18 Octobre 2023

La voiture électrique n’est pas la solution

Par Bruno BOURGEON

vendredi 24 novembre 2023, par JMT

La voiture électrique n’est pas la solution

Aéroréfrigérants de centrales nucléaires et voiture électrique

Contresens écologique pour certains, solution verte pour d’autres : le choix technologique de l’électrique n’en a pas fini de susciter des controverses. Il est pourtant bel et bien acté. Néanmoins, la voiture électrique est gourmande en métaux rares, pas totalement propre, et ne dispensera pas d’une réduction de la place de la voiture dans nos sociétés.

A partir de 2035, la vente de voitures neuves thermiques, c’est-à-dire fonctionnant à l’essence ou au diesel, sera tout bonnement interdite en Europe. La bascule est déjà en cours, puisque l’électrique représente 15% des ventes automobiles en France sur les 9 premiers mois de 2023.

Une part qui devrait croître d’année en année puisque la réglementation bruxelloise pousse à ce que chaque constructeur ait une proportion croissante d’électrique dans ses ventes sous peine d’amende. Alors que cette transition va être de plus en plus visible sur les routes, ses fondements mêmes sont questionnés : des batteries polluantes ? Une voiture pour les riches ? Une aubaine pour les Chinois ?

Sur l’aspect écolo, il n’y a pas photo : non, la voiture électrique n’est pas verte en soi, car sa production est polluante. Surtout celle de sa batterie, l’extraction comme le raffinage des métaux qui la composent (nickel, cobalt, lithium, graphite) étant des processus énergivores et polluants pour les sols et les eaux. La production d’un véhicule électrique émet deux à trois fois plus de GES que son équivalent thermique, selon l’ADEME.

Là où le véhicule à batterie change la donne, c’est durant sa phase de fonctionnement, car il peut être rechargé via une électricité « décarbonée ». Dans ce cas, la substitution du pétrole par de l’électricité permet de réduire considérablement les émissions de carbone à l’usage (d’un facteur dix pour une recharge à partir d’électricité à faible contenu carbone comme c’est le cas en France), toujours selon l’ADEME.

Sur l’ensemble de son cycle de vie, production et usage, la voiture électrique a donc un impact carbone deux à trois fois inférieur à son équivalent thermique. C’est son principal intérêt. Mais cela implique de décarboner les mix électriques de chaque pays. Tout le monde n’habite pas en France, avec le nucléaire, l’hydraulique ou les éoliennes : c’est loin de l’être pour la plupart des autres pays européens.

De plus, toutes les voitures électriques ne se valent pas. Le poids du véhicule et la puissance de sa batterie ont un impact majeur sur son bilan écologique. En effet, plus le véhicule est lourd et faiblement aérodynamique, plus sa batterie doit être puissante (cas des Tesla).

De même, vouloir une grande autonomie implique une batterie plus puissante et un véhicule plus imposant pour l’embarquer. Avec un résultat identique dans les deux cas : une consommation accrue de métaux et une empreinte carbone du véhicule plus importante. Celle d’un SUV électrique est ainsi trois fois plus élevée que celle d’une citadine à batterie.

D’où l’intérêt de privilégier des petites voitures conçues pour répondre aux trajets quotidiens, soit l’immense majorité des usages, mais pas aux longs trajets, qui ne représentent qu’un usage marginal. La voiture électrique réduit l’empreinte carbone par rapport au véhicule thermique, mais comme elle n’est pas neutre en carbone, la substituer au second n’est pas suffisant pour nos engagements climatiques.

Nous devons interroger et modifier notre rapport à la mobilité, toujours selon l’Ademe. En effet, l’électrique permet juste à l’automobile de s’affranchir du pétrole, mais cela ne règle en rien les nombreux autres reproches formulés à l’égard de la voiture, comme la quantité d’énergie utilisée pour transporter une personne.

Au-delà du seul carbone, quid des autres impacts environnementaux ? Certes, l’électrique peut atténuer certaines pollutions. En premier lieu celle de l’air. Comme les particules dégagées par la combustion du carburant sont supprimées, la contribution de l’automobile à la pollution de l’air est réduite. Mais les polluants générés par le freinage ou les pneus ne disparaissent pas pour autant.

En revanche, la mobilité électrique va accroître nettement la demande de certains métaux : cobalt, lithium, etc. Rendant d’autant plus sensibles toutes les problématiques écologiques, sociales et de dépendance aux pays producteurs liées à leur extraction et leur raffinage. Le recyclage des batteries est souvent mis en avant pour réduire cette demande en métaux.

Encore une promesse reposant sur d’illusoires progrès techniques ? Ou existe-t-il un véritable levier potentiel d’économie circulaire ? « Les technologies de recyclage des batteries existent et sont déjà développées à une échelle industrielle », note Aurélien Bigo, spécialiste de la transition énergétique des transports et chercheur à la chaire Energie & prospérité de l’Institut Louis Bachelier.

Des sites de recyclage sont actifs en France, mais traitent pour le moment des volumes très faibles étant donné le peu de véhicules électriques en fin de vie. La législation européenne impose un taux croissant de recyclage et d’incorporation de métaux recyclés. « Toute la question est celle du coût, afin de rendre le recyclage compétitif comparativement à l’extraction, et il y a évidemment des limites financières et énergétiques pour s’approcher des100% de recyclage », pondère Aurélien Bigo.

Outre le bilan écolo, l’autre question est celle de l’équipement en bornes de recharge. La France peine à tenir ses propres objectifs, comme celui d’atteindre 100.000 bornes fin 2021, qui n’a été respecté qu’en mai 2023. Fin septembre dernier, le pays en comptait ainsi 109.000, mais le rythme de déploiement s’accroît, puisque plus de 20.000 bornes ont été installées dans les huit premiers mois de l’année.

Le nombre de bornes suit l’évolution du parc avec un taux stable depuis des années de sept ou huit bornes pour 100 véhicules électriques en circulation. Mais dans une France où plus de moitié de la population vit dans une maison individuelle, la recharge se pratique surtout à domicile et en entreprise, l’infrastructure publique est surtout là pour lever la peur de la panne.

L’autre enjeu pour que la voiture électrique se massifie est son prix. Il reste aujourd’hui de plusieurs milliers d’euros plus élevé que pour le véhicule thermique, même après les aides gouvernementales. Cette transition va-t-elle être réservée aux riches ? Recharger sa batterie est environ trois fois moins coûteux que de faire son plein pour un même trajet.

Mais cela ne couvre pas forcément le surcoût de l’investissement au moment de l’achat. De quoi décourager nombre de ménages modestes…Les industriels promettent un alignement du prix des véhicules électriques sur les modèles thermiques dans le courant de la décennie. La recette pour faire baisser leur prix est vieille comme l’industrie : progrès technologique et économies d’échelle permises par l’envolée des ventes.

Tommaso Pardi est sociologue au CNRS et pense que si les constructeurs annoncent une parité des prix du thermique et de l’électrique pour 2026-2027, il est en fait probable que cela arrivera un peu plus tard dans la décennie. Surtout, dans le même temps, le marché de l’automobile thermique est en train de monter en gamme, et donc de devenir plus cher.

Si cette tendance se poursuit, l’alignement du prix de l’électrique sur le thermique se fera à un niveau plus élevé. Cette montée en gamme est en partie l’effet des SUV, ces 4x4 urbains qui représentent environ la moitié des ventes. Un mouvement qui concerne l’ensemble du secteur, donc pour l’instant principalement les véhicules thermiques, encore majoritaires dans les ventes.

Avec une traduction concrète : de tels véhicules plus lourds et moins aérodynamiques nécessitent un moteur ou une batterie plus puissante. Et plus les véhicules sont massifs et puissants, plus ils sont onéreux. « A chaque fois qu’on augmente de 100 kg le poids d’un véhicule, son prix est rehaussé de 3.000 euros », schématise Aurélien Bigo. Les constructeurs poussent leurs offres vers des véhicules plus haut de gamme, avec davantage d’options et de confort, car c’est là que leur marge est la plus importante
Et la réglementation ne les incite nullement à produire des voitures plus petites et sobres. « Pour la législation environnementale européenne, une Audi e-Tron de 2,3 tonnes et une Renault Zoé de 1,3 tonne sont équivalentes puisque toutes deux électriques, alors que la première émet deux fois plus de carbone que la seconde », explique Tommaso Pardi.

Parmi les solutions envisagées pour y remédier : des réglementations prenant en compte la puissance de la batterie, le contenu carbone de sa fabrication, ou encore l’énergie consommée au km afin de réorienter le marché vers plus de sobriété. Le bilan carbone des batteries dépend fortement de leur lieu de fabrication et du mix électrique de l’endroit où est implantée la gigafactory, c’est-à-dire l’usine qui les fabrique.

Or, la Chine, qui a un mix très carboné, domine largement le secteur, avec 77% des capacités de production mondiale. La voiture électrique de demain sera-t-elle chinoise ? En Europe, les gigafactories sont encore majoritairement contrôlées par des Asiatiques et implantées à l’est : Pologne, Hongrie…, des pays avec des mix électriques très dépendants du charbon.

Cela renvoie à la dimension industrielle de cette transition avec la question : la voiture électrique de demain sera-t-elle chinoise ? La probabilité que cela soit le cas est forte, vu l’avance prise par Pékin dans tous les maillons de la filière. Surtout, la Chine sait aujourd’hui fabriquer des petites voitures électriques à des prix abordables, alors que les industriels européens se concentrent sur des véhicules haut de gamme et plus chers.

Les industriels chinois ont ainsi un boulevard pour proposer aux classes moyennes et modestes européennes des petits véhicules électriques à 10.000-15.000 euros. Que ce soit pour des raisons écologiques, sociales ou industrielles, la transition vers l’électrique nécessite une réorientation de notre conception de l’automobile, au risque de s’apercevoir dans une grosse décennie que les promesses de cette technologie ne sont pas au rendez-vous. Vraisemblablement pas.

Bruno Bourgeon, président d’AID http://www.aid97400.re

D’après Alternatives Economiques du 18 Octobre 2023 https://www.alternatives-economiques.fr/voiture-electrique-nest-quune-petite-partie-de-solution/00108414

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