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D’après Reporterre du 1er Février 2023

La mise en place de zones à faibles émissions n’est pas si écologique

Par Bruno BOURGEON

vendredi 12 mai 2023, par JMT

La mise en place de zones à faibles émissions n’est pas si écologique

À Toulouse, le 2 janvier 2023. - © Frederic Scheiber / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Des millions de voitures polluantes seront bientôt interdites avec les règles des zones à faibles émissions (ZFE). Mais cette mesure va surtout promouvoir les voitures électriques, chères et peu écologiques. « Encore une mesure pro-automobile ! »

L’économiste et urbaniste Frédéric Héran ne décolère pas. Avec l’instauration des zones à faibles émissions (ZFE), le gouvernement prône une « mobilité fondée sur le tout-voiture et le tout-camion ».

Ces ZFE visent pourtant à réduire drastiquement l’usage de la voiture thermique dans les grands centres urbains. 43 agglomérations sont concernées et devront progressivement interdire, suivant le calendrier de leur choix, l’accès du centre-ville aux véhicules les plus polluants.

La mesure détaillée dans les lois d’Orientation et de Mobilité et Climat & Résilience a un motif sanitaire : la réduction de la circulation doit améliorer la qualité de l’air de nos villes. Car la France n’est pas bonne élève.

Selon l’UE, les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 — deux composés principalement émis lors de la combustion du diesel — ne doivent pas dépasser respectivement 40 µg/m³ de moyenne sur l’année et 30 µg/m³.

Or, en 2021, 27 villes françaises ont dépassé les seuils réglementaires, dont Paris, Rouen, Lyon, Marseille et Toulouse pour le NO2 et la Guadeloupe, la Martinique et Mayotte pour les PM10.

Pour faire baisser cette pollution urbaine, le gouvernement mise donc sur la mise en place des ZFE. Le calendrier est serré, les critères stricts. Près de 15 millions de Crit’air 3, 4, 5 et NC seront concernés.Pour aider les Français à s’adapter au plus vite, et répondre au mécontentement croissant, le gouvernement multiplie les dispositifs d’accompagnement à l’achat d’une voiture « propre » : aides à la conversion, bonus écologique, prêt à taux zéro.

L’objectif : passer d’un parc automobile thermique à un parc auto électrique le plus vite possible. Au risque de délocaliser les émissions de gaz à effet de serre associées à la production d’une flotte conséquente de véhicules neufs, de mettre au rebut quantité de véhicules devenues obsolètes et d’exacerber les fractures sociales qui ont fait naître les Gilets jaunes il y a quatre ans.

Devant cette stratégie du tout-voiture, Frédéric Héran dénonce l’absence de réflexion générale sur l’avenir de nos mobilités. Quid des transports collectifs et des mobilités douces ? Et d’une manière générale, devra-t-on se déplacer autant dans un monde en proie au chaos climatique ?

Ne peut-on pas imaginer une ville plus résiliente, plus inclusive qui rénove notre façon de vivre et réduit les distances que nous parcourons chaque jour ? En France, 13,3 millions de personnes sont en précarité mobilité, soit le quart de la population française (27,6%). Parmi eux, 3,7 millions ne gagnent pas suffisamment d’argent pour couvrir leurs frais d’essence.

4,3 millions de personnes ont de longues distances à parcourir, ne disposent pas d’alternatives à la voiture ou possèdent des véhicules vieillissants. Et 4,3 millions ne possèdent ni moyen de transport individuel (deux-roues ou voiture) ni abonnement aux transports en commun.

« La voiture électrique reste un mode de transport élitiste », confirme Camille Defard, de l’institut Jacques Delors. Le reste à charge — de l’ordre de plusieurs dizaines de milliers d’euros — reste inabordable pour de nombreux ménages ». En outre, les modèles électriques sont souvent volumineux.

Conséquence : leur pertinence environnementale est à relativiser car, sur l’ensemble de leur cycle de vie, seuls les modèles de taille modeste sont plus écologiques que les véhicules thermiques. « La situation des ZFE est paradoxale : la pollution diminue localement, mais la pression climatique augmente ailleurs », résume la porte-parole d’Alternatiba Marseille, Florence Joly.

Pour les constructeurs automobiles en revanche, la mesure est une aubaine. Bien sûr. D’ici 2025, « un quart à un tiers des véhicules particuliers ne pourra plus entrer dans la ZFE du Grand Paris — la plus exigeante en termes de calendrier — et devra être remplacée », a évalué Louis-Pierre Geffray.

Avec 1,5 à 2 millions de véhicules neufs vendus chaque année, l’industrie automobile française a au moins cinq belles années devant elle. Une perspective largement soutenue par l’État qui prévoit de dépenser 1,3 milliard d’euros en 2023 pour l’aide à la conversion thermique vers électrique. Une subvention qui s’ajoute aux 8 milliards perçus en 2020 pour soutenir le secteur lors de la crise sanitaire.

Pour tenter de convaincre du bien-fondé de son soutien au secteur, le gouvernement planche avec les constructeurs sur une offre de voiture électrique en location que les Français pourraient utiliser pour une centaine d’euros par mois. Problème : le secteur rechigne à développer ces petits modèles, moins rentables, mais pas leurs concurrents chinois.

Face à ces mesures, Frédéric Héran appelle au développement de politiques des transports plus cohérentes : « Il faut réduire les déplacements des autos et en même temps encourager les modes alternatifs à la voiture, insiste-t-il. La ZFE est une mesure sectorielle qui n’incite qu’à l’amélioration technique des véhicules et passe sous silence tout le reste ».

Pour que la mesure soit juste, les alternatives et la concertation locale sont indispensables. Une fois les besoins identifiés, charge aux collectivités d’adapter l’offre (TER, tram, bus, métro, pistes cyclables, trottinettes, etc.) et les mesures d’accompagnement (dérogations, financements des transports en commun).

Au niveau régional, le Conseil d’orientation des infrastructures recommande le développement du ferroviaire sur lequel un « effort conséquent est impératif » alors que les moyens prévus dans le budget de l’État sont insuffisants. À l’échelle locale, la densification et la diversification des offres de transports collectifs sont primordiales.

Selon l’historien à l’université Paris-La Sorbonne Mathieu Flonneau, spécialiste de l’automobilisme, les collectivités territoriales ont eu tendance à délaisser les transports publics dans leur planification urbaine. De ce fait, faute d’investissements, les bus et les métros sont souvent vieillissants, les incidents techniques récurrents et les fréquences insuffisantes pour satisfaire les usagers. Résultat : ils souffrent « d’une image négative ». Mais « ils existent déjà et sont les seuls à pouvoir proposer une alternative au tout voiture, avec la capacité de transporter au moins autant de personnes, insiste-t-il.

En outre, la crise sanitaire a détourné les usagers vers d’autres modes de transport ou les a poussés au télétravail. Résultat : le secteur est aujourd’hui moins concurrentiel et rentable et les aides de l’État restent faibles, la main étant laissée aux métropoles.

« Il y a une exaltation de l’hyperindividualisme des transports. On cherche à faire croire que le bus ou le métro sont dépassés », déplore l’historien. Les villes misent aujourd’hui sur de nouveaux modes de transports alternatifs « plus ludiques » : le vélo en libre partage et les trottinettes électriques.

Le vélo représente une « offre de mobilité active » judicieuse alors que plus de la moitié des Français utilisent leur véhicule pour aller travailler à moins de deux kilomètres de chez eux. Paris par exemple a pérennisé les pistes cyclables provisoires destinées à désengorger les transports en commun lors de la crise sanitaire.

Bordeaux a développé de nouveaux parcours, et en 2022, le trafic à vélo y a bondi de 75% sur les grands boulevards. Mais globalement, les moyens sont insuffisants. En fait, il faudrait investir plus d’un milliard d’euros supplémentaires par an pour atteindre une part de 9% de mobilité par vélo à l’horizon 2024, comme préconisé par la Stratégie nationale bas carbone.

Annoncé avec force communication à l’automne, le plan vélo doté d’une enveloppe de 250 millions avance lui aussi au ralenti, ont récemment dénoncé les associations du secteur. Dans les grandes métropoles, il existe un risque d’exclusion des populations rurales ou périurbaines, car les villes se sont développées au XXᵉ siècle en fonction de la voiture.

« Il y a un problème d’accès au travail, aux loisirs, aux commerces alimentaires, aux services publics ou ceux essentiels de santé tout simplement, sans voiture, explique Camille Defard. Les Gilets jaunes n’étaient pas opposés au prix du carbone ou à l’action climatique en soi, mais ils refusaient une politique climatique socialement injuste ».

Il faudrait donc aussi envisager le problème en sens inverse, et repenser la ville pour redynamiser les lieux d’habitation : réintégrer les commerces, les entreprises, les services au cœur de la ville. Frédéric Héran est confiant : la situation pourrait s’inverser.

En outre, il faut réinterroger notre usage intensif des transports et envisager de moins se déplacer. Yves Crozet, professeur émérite à Sciences-Po Lyon, estime que les objectifs de réduction des émissions de carbone du secteur des transports imposent de revoir le modèle du « droit individuel à la mobilité » et, en particulier, les habitudes de déplacement automobile.

Pour le spécialiste, se déplacer librement et facilement est aujourd’hui considéré comme un bien commun. Cependant, la mobilité ne restera une liberté individuelle qu’à la condition que toute la population y ait un accès égalitaire, et que celle-ci ne grève pas l’avenir des générations futures. Ce qui à l’évidence n’est pas le cas.

Bruno Bourgeon, président d’AID http://www.aid97400.re

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