La sortie du nucléaire en Allemagne nuit-elle au climat ?

La sortie du nucléaire en Allemagne nuit-elle au climat ?

Clap de fin sur le nucléaire allemand

Contre-exemple de la transition énergétique avec ses mines de lignite à ciel ouvert ou égérie des renouvelables avec ses dizaines de milliers d’éoliennes ? Les choix énergétiques allemands ne manquent jamais d’alimenter les débats en France.

Forcément, lorsque les trois derniers réacteurs nucléaires que comptait le pays ont été débranchés le 15 avril dernier, critiques et louanges ont été ravivés en deçà du Rhin. La décision allemande de sortir du nucléaire se fait-elle au détriment de la lutte contre le réchauffement climatique ?

Rappelons d’abord que ce choix est ancien. Il date d’une vaste loi de transition énergétique adoptée en 2000 sous Gerhard Schroeder. Ensuite, les réacteurs n’ont jamais eu en Allemagne la place qu’ils ont occupée dans l’Hexagone. Loin d’atteindre 75% du mix électrique, comme c’était le cas récemment en France, le nucléaire ne pesait que 25% du mix électrique allemand en 2010. Une proportion qui est tombée à 13-15% à partir de 2015 puis à 6% en 2022.

Il est donc utile d’observer sur le temps long de quelle manière ces centrales nucléaires ont été remplacées. Or, contrairement à ce qui a été trop répété, c’est par les EnR que ce changement s’est opéré. Entre 2010 et 2022, la production d’électricité d’origine renouvelable a été multipliée par près de 2,5, compensant entièrement la réduction de celle issue du nucléaire.

Quant aux électrons sortis des centrales à charbon, ils ont diminué d’un tiers. Ce sont les renouvelables qui ont remplacé les réacteurs fermés et permis une réduction du charbon. La critique qui peut néanmoins être formulée à l’Allemagne est d’avoir privilégié la fin du nucléaire à celle du charbon.

Le nucléaire est en effet une technologie qui n’émet pas de CO2 pour produire de l’électricité contrairement au charbon qui est l’une des pires énergies pour le climat. En résumé, la sortie du nucléaire n’a donc pas augmenté les émissions de CO2. Pour autant, si d’autres priorités avaient été privilégiées, les émissions auraient sûrement davantage diminué.

La fermeture des trois dernières centrales nucléaires du pays ne va donc pas bousculer le réseau électrique allemand, puisque, d’une part, le nucléaire ne représente plus que 6% du mix, et, d’autre part, car les renouvelables continuent d’être déployés à un rythme soutenu et devraient donc venir remplacer l’atome. Comment expliquer alors que la production d’électricité à partir de charbon soit repartie à la hausse en 2022 ?

Il faut revenir sur le rôle des centrales pilotables dans le réseau électrique pour faire face à l’intermittence du solaire ou de l’éolien. En effet, un système électrique impose que la production doive à chaque instant être égale à la consommation, et le caractère intermittent de la disponibilité en vent et en soleil rend cet équilibre complexe.

Afin d’y répondre, la stratégie de l’Allemagne est de s’appuyer sur les centrales à gaz, qui sont pilotables et peuvent s’activer à n’importe quel moment en fonction des besoins d’équilibre du réseau. Le gaz est une énergie fossile, avec certes un bilan carbone moins élevé que celui du charbon mais loin d’être nul.

La transition énergétique allemande ambitionne de construire davantage de centrales à gaz pour avoir davantage de capacité pilotable. Il faut cependant distinguer le nombre de centrales à gaz, c’est-à-dire la puissance installée, et la production effective de celles-ci, qui déterminera la quantité de carburant consommée. Les deux n’étant pas corrélées.

Pour le dire simplement, l’Allemagne comptera certes davantage de centrales à gaz, mais celles-ci tourneront très peu, uniquement aux moments où la consommation est à sa pointe pour équilibrer le réseau. Le pays peut espérer ainsi une réduction de la consommation de cette énergie fossile, qui serait d’autant plus forte voire complète si une part plus élevée et croissante de biogaz la remplace.

Mais la guerre en Ukraine est venue déstabiliser cette stratégie, Berlin étant au début du conflit très dépendant de la Russie pour sa livraison en gaz. D’une part, les tensions sur la ressource étaient très vives avec une concurrence des autres secteurs consommateurs de gaz dans le pays réduisant la quantité disponible de ce carburant pour la production électrique.

D’autre part, la flambée du prix de cette énergie a rendu plus compétitives les centrales à charbon vis-à-vis de celles à gaz. Ce qui s’est opéré n’est donc pas une augmentation de la production d’électricité d’origine fossile, puisque la part des renouvelables a continué à croître, mais plutôt un rééquilibrage entre les différentes énergies fossiles pour la production d’électricité, au détriment de la lutte contre le réchauffement climatique.

La retombée des cours du gaz, doublée du renforcement du marché carbone européen, qui rend le charbon moins compétitif du fait de ses émissions plus importantes, pourrait cependant inverser cette tendance. Le défi pour l’Allemagne reste surtout de continuer à déployer à un rythme très soutenu les énergies renouvelables.

Qu’il s’agisse des éoliennes, terrestres et en mer, des panneaux photovoltaïques ou encore de la biomasse, l’ambition est d’installer en quelques années d’ici 2030 l’équivalent de ce qui a été raccordé au réseau en plus d’une décennie. Or si cette cadence s’avère trop faible dans la réalité, l’électricité qui ne sera pas produite avec des renouvelables le sera via des fossiles.

Il s’agira donc certainement du gaz étant donné que le pays a pris l’engagement de sortir du charbon en 2030. Ce qui compte n’est pas uniquement la photo à l’instant T mais la tendance à l’œuvre. La France a un mix électrique qui émet bien moins de CO2 que l’Allemagne, mais l’Hexagone n’a pas atteint ses objectifs en matière de déploiement des énergies renouvelables.

Bruno Bourgeon, président d’AID http://www.aid97400.re

D’après Alternatives Economiques du 26 Avril 2023

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