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D’après Alternatives Economiques du 03 Avril 2024

Le Cadmium est un poison

Par Bruno BOURGEON

lundi 22 avril 2024, par JMT

Le Cadmium est un poison

L’émission de France 5 « Vert de rage » dénonce le scandale du cadmium présent dans nos pommes de terre

Rappelez-vous : cet accident industriel au Japon (1998). La maladie Itai-Itai (maladie aïe-aïe) est un cas d’intoxication massive au cadmium survenu dans la préfecture de Toyama, au Japon.

L’intoxication provoque un ramollissement des os et une insuffisance rénale. Vous comprenez pourquoi le néphrologue que je suis se sent particulièrement concerné.
La maladie est ainsi nommée à cause des violentes douleurs localisées aux vertèbres et aux articulations.

Le terme de maladie Itai-Itai a été inventé par la population locale. Le cadmium a été déversé dans les cours d’eau des montagnes par les industries minières. Les compagnies minières ont été poursuivies. La maladie Itai-Itai est l’une des quatre grandes maladies provoquées par la pollution au Japon.

Cadmium (Cd) : un métal que l’on pense être confiné au tréfonds des batteries des voitures électriques. Pas seulement. Ce métal est également à l’origine d’un empoisonnement général de la population française. Une intoxication en grande partie imputable à certaines pratiques agricoles.

Bien connu des plasturgistes, des fabricants de textiles ou des producteurs de batteries ou de pigments, ce métal blanc-bleu, mou et lourd, l’est moins des agriculteurs. Normal. Le Cd est souvent associé à d’autres minerais : zinc, plomb et… phosphates.

Certains gisements de phosphate, comme ceux de Khouribga et de Bou Craa au Maroc, contiennent d’importantes concentrations de Cd (1). Ces roches phosphatées constituent la matière première des engrais épandus par les agriculteurs français.

En 2021, les exploitants de grandes cultures ont apporté, en moyenne, 56 kg de phosphates par hectare fertilisé. Notamment dans les régions productrices de maïs grain, destiné à l’alimentation animale.

Les champs de Nouvelle-Aquitaine et d’Alsace représentent plus de 80% des surfaces enrichies au phosphate. Premiers consommateurs européens, les ­paysans français utilisent 16% des engrais phosphatés de l’Union européenne, estime l’Union des industries de la fertilisation (Unifa).

La France achète principalement ce type d’engrais à l’Office chérifien des phosphates (Maroc), premier exportateur mondial. Ces produits sont plus riches en Cd que la moyenne de ceux utilisés dans l’Union européenne : 51 mg/kg d’engrais phosphatés, contre 36 mg/kg (2). Ils contribuent donc davantage à contaminer les terres.

« Les engrais phosphatés sont à l’origine d’environ 75% des entrées de Cd dans les sols. Si les pratiques culturales actuelles sont maintenues, la teneur en Cd dans les sols français augmentera de 3 à 5% au bout d’un siècle », explique Thibault Sterckeman, ingénieur de recherche Inrae-université de Lorraine.

Stable et peu lessivable par les pluies, le Cd est fort bien absorbé par les plantes et, conséquemment, par les animaux herbivores. Ce qui lui ouvre les voies de la chaîne alimentaire humaine. Certes, les niveaux de contamination varient en fonction de la nature du sol et des variétés de végétaux.

« Les aliments qui contribuent le plus à l’exposition au Cd sont les pains et produits de panification sèche, les pommes de terre et dérivés, les légumes, les mollusques et crustacés – les aliments les plus contaminés –, les végétaux à feuillage vert (salades, choux, épinards…), les céréales (blé) ou encore le riz », indique-t-on au centre de lutte contre le cancer Léon-Bérard de Lyon.

« Avec la chute des émissions industrielles et la relative diminution du nombre de fumeurs, l’alimentation est devenue la première source de contamination par le Cd », souligne le docteur Pierre Souvet, président de l’Association santé environnement France.

Les Français sont très concernés. Plusieurs études établissent le bilan de l’imprégnation de la population hexagonale par le Cd. La dernière en date a été publiée par Santé publique France en juillet 2021 et repose sur ­l’exploitation des données produites par « Esteban » (3).

Fruit du Grenelle de l’environnement, cette étude transversale, initiée par l’Institut national de veille sanitaire, ancêtre de Santé publique France, évalue le niveau d’imprégnation par plusieurs contaminants sur 4 000 adultes et 1 000 enfants. Dans le lot, le Cd a été particulièrement suivi.

Ce toxique a une fâcheuse tendance à s’accumuler dans l’organisme tout au long de notre vie. En 2012, le Centre international de recherche sur le cancer a classé le Cd cancérogène du groupe 1 (cancérogène certain pour l’homme).

Entré en vigueur en 2009, le règlement européen CLP (classification, étiquetage et emballage des substances chimiques et des mélanges) le considère comme un cancérogène, un mutagène et un reprotoxique.

Une étude italienne, publiée en novembre 2023 par Endocrine, démontre ses capacités à perturber notre système endocrinien. Ce qui pourrait favoriser la survenue de cancers du sein. Les résultats d’Esteban s’avèrent particulièrement mauvais.

Tous les enfants et les adultes surveillés étaient contaminés au Cd. Les « cadmiuries » moyennes sont de 0,28 µg/l et de 0,43 μg/l chez les enfants et les adultes. Nous ne sommes plus très loin des valeurs toxicologiques établies par la commission allemande de biosurveillance : 0,5 µg/l pour les enfants et 1 µg/l pour leurs aînés.

Ce n’est pas la première fois que les scientifiques s’alarment d’une telle cadmiurie généralisée. L’étude nationale nutrition santé (ENNS), réalisée entre 2006 et 2007, révélait déjà cette contamination (4).

Par rapport à l’étude ENNS, Esteban montre des concentrations en progression, pour une raison non encore déterminée. De plus, les Français sont surcontaminés par rapport à des cohortes de pays comparables.

Les niveaux de Cd mesurés dans les urines des Britanniques sont 1/3 moins importants que ceux des Français. Pour les enfants, les différences sont encore plus impressionnantes. Des études menées au Mexique ou en Allemagne affichent des niveaux de contamination deux à quatre fois inférieurs aux données françaises.

« Parmi les facteurs de risques qui déterminaient le niveau de Cd dans les urines chez les enfants de l’étude Esteban, seule la consommation des céréales du petit-déjeuner ressortait comme facteur de risque. En effet, une association positive a été observée entre le Cd mesuré dans les urines des enfants et la consommation de céréales du petit-déjeuner. Les enfants qui en consommaient presque 20 grammes par jour ont une imprégnation par le Cd augmentée de 8,63 % par rapport aux enfants qui en consomment très peu », notent les auteurs.

Les autorités politiques et sanitaires ne sont pas restées les bras croisés. En juin 2018, l’Agence nationale de ­sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) recommande, en conclusion d’un rapport de près de 300 pages, de limiter à 20 mg la teneur en Cd par kg d’engrais phosphaté : quatre fois moins que la limite en vigueur (5).

Message entendu à Bruxelles. Un an plus tard, l’Union européenne adopte un projet de règlement encadrant enfin les teneurs en polluants des fertilisants porteurs du marquage CE. Une première européenne !

Entré en vigueur en juillet 2022, le texte limite cependant à 60 mg/kg la teneur en Cd, soit 4,8 g de Cd par hectare et par an. Or la France n’a pas été très rapide à la détente. Ce n’est qu’en octobre 2023 que le gouvernement a mis en consultation un projet d’arrêté (non encore publié) réduisant de 60 à 40 mg/kg d’engrais phosphaté.

Cette nouvelle règle n’aura force de loi qu’en juillet 2026. Faut-il s’en féliciter ? Certes cela va dans le bon sens. Mais la limite reste supérieure aux recommandations de l’Anses. Pour certains observateurs, l’explication – officieuse – est à chercher du côté de la politique étrangère de la France, qui veut réchauffer les relations avec Rabat.

Quoi qu’il en soit, l’institution française rappelle que pour limiter l’accumulation de Cd dans les sols et éviter « une évolution à la hausse du pourcentage de la population exposée au Cd par l’alimentation », l’apport annuel de Cd dans le sol agricole ne doit pas excéder 2 g/hectare/an.

Ce qui restreint la teneur en Cd à 20 mg/kilo d’engrais phosphatés. Faute d’indication sur les sacs d’engrais, les agriculteurs seront bien en peine de respecter cette limite. Dans ces conditions, comment réduire la pollution des sols agricoles ?

La solution est l’agriculture biologique, dont le cahier des charges exclut le recours aux engrais de synthèse. En moyenne, les produits bio sont moitié moins contaminés que leurs équivalents industriels, confirme une méta-analyse de 2014 par le British Journal of Nutrition.

Les tenants de l’agriculture conventionnelle peuvent aussi se tourner vers des engrais produits à partir de roches phosphatées peu chargées en Cd, comme celles d’Al Hasa et d’Eshidiya (Jordanie), de Floride, d’Araxá (Brésil) et de Siilinjärvi (Finlande).

Les industriels peuvent aussi « décadmier » leurs productions. Différents procédés, à base de calcination de la roche, de résines échangeuses d’ions ou de neutralisation chimique existent.

Selon Thibault Sterckeman, leur coût se situe entre 30 et 100 $/t. En ne prenant que le haut de cette fourchette, le coût de la décadmiation n’augmenterait le prix du blé que de 0,2 %. Négligeable.

Hors l’exposition professionnelle, l’alimentation est la principale source de contamination au Cd. Fort heureusement, les denrées les plus problématiques sont bien identifiées.

En adaptant notre régime alimentaire, nous pouvons réduire cette contamination. Imputable aux émissions industrielles et aux fleuves, la pollution de la mer au Cd est une réalité.

D’où la nécessité de limiter sa consommation de fruits de mer, notamment ceux en provenance du sud de la mer du Nord où les concentrations augmentent régulièrement, indique l’Opsar.

Les céréales (non bio) du petit-déjeuner sont aussi une source de contamination bien documentée. De même que les légumes feuilles et racines. A noter aussi que les régimes carencés en protéines, en calcium, en fer, en cuivre ou en zinc « facilitent l’absorption du Cd », souligne Santé publique France. A l’inverse, les menus riches en fibres la diminuent.

Références

1 : « Investigation of Heavy Metal Contamination and Ecological and Health Risks in Farmland Soils from Southeastern Phosphate Plateaus of Khouribga (Morocco) », par Ahmed Barakat, Rida Khellouk, Widad Ennaji et Hassan Mosaid, Ecological Questions vol. 33, n° 4, août 2022.

2 : « Inputs of Trace Elements in Agricultural Soils via Phosphate Fertilizers in European Countries », par Generose Nziguheba et Erik Smolders, Science of the Total Environment vol. 390, n° 1, février 2008.

3 : Pour « Etude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition ». Voir, pour l’étude publiée par Santé publique France : cutt.ly/Dw1pXaXA

4 : Réalisée sur les adultes, cette étude montre une contamination moyenne de 0,28 μg /l.

5 : A l’époque, la norme française est fixée à 90 mg/kg d’engrais.

Dr Bruno Bourgeon, président d’AID http://www.aid97400.re

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