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D’après Alternatives Economiques du 16 Avril 2022

L’écologie a plus besoin de politique que de technique

Par Bruno Bourgeon

jeudi 5 mai 2022, par JMT

L’écologie a plus besoin de politique que de technique

Ecologie,politique et technique

La sociologue Sophie Dubuisson-Quellier, membre du Haut Conseil pour le climat, analyse, au-delà de l’actualité de la guerre en Ukraine, les raisons de la grande absence de la question écologique dans le débat électoral. La crise écologique reste trop souvent présentée comme un problème qui appelle des réponses techniciennes, alors que ce sujet est fondamentalement politique et devrait être l’objet d’une renégociation du pacte social.

Les questions écologiques restent perçues comme un sujet spécifique à une partie du spectre politique. Cela peut donner l’impression aux autres candidats que parler d’écologie, c’est faire le jeu de leurs concurrents. Cette situation appauvrit bien entendu le débat.

La première raison est que le changement climatique, en particulier, est un enjeu central et transversal. Il devrait faire l’objet d’une discussion large et démocratique, portée par tous les partis. Le contexte de la présidentielle et des législatives pouvait rendre ce débat légitime. Hélas, il est absent, ce qu’on pouvait déplorer déjà avant le déclenchement de la guerre en Ukraine.

Le 1er février 2022, une tribune signée par 1400 scientifiques appelait ainsi les candidats et les médias à s’emparer de ces sujets décisifs pour l’avenir.

La baisse des émissions de gaz à effet de serre– dont il faudrait tripler le rythme avant 2024 pour être en phase avec l’objectif de neutralité carbone en 2050 inscrit dans la législation française– signifie des transformations structurelles, qui touchent à l’organisation de la société et de l’économie, à l’emploi, au partage des richesses, etc.

Ces questions de fond ne sont pas abordées, tout comme la manière dont on organise le débat sur celles-ci. La question écologique renvoie au partage de la valeur, elle est éminemment politique. Rien ne devrait s’opposer à ce qu’elle soit mise sur la table et débattue par tous, dans les termes propres à chaque espace partisan.

Il y a deux autres raisons. Il y a le fait que les problèmes climatiques restent très largement présentés sous des angles scientifiques et techniques. Les sciences sociales– histoire, anthropologie, sociologie, sciences politiques, géographie, etc.– ont pourtant largement montré que notre crise écologique est le produit des trajectoires de nos sociétés, devenues extrêmement dépendantes aux énergies fossiles.

La vision dominante du climat comme une problématique scientifique, nous empêche à la fois de comprendre comment nous en sommes arrivés là et comment nous pouvons nous sortir de cette situation. Il paraît important de revenir sur les options qui ont été prises par les sociétés.

Typiquement, l’usage débridé que nous avons fait d’une énergie fossile abondante sans trop nous inquiéter de la question des externalités environnementales a permis des gains de productivité très élevés. Ces gains ont été reconvertis dans des stratégies de volume, la création de valeur repose sur un accroissement sans fin de la production, qu’il devient nécessaire de convertir ensuite en consommation.

Les régimes de consommation élevés, soutenus par des politiques publiques et des stratégies commerciales, sont d’abord le fruit de ces choix collectifs. L’écologie, ce n’est pas un contexte ou un sujet, c’est la manière dont nos sociétés sont organisées, y compris dans leurs liens avec la nature. Nous avons besoin d’une vision plus politique des enjeux climatiques.

La troisième raison pour laquelle l’écologie existe si peu dans la campagne est la faible formation des élites sur ces sujets. Je ne pointe pas tant le fait d’être informé sur le changement climatique, ses mécanismes et ses causes, ce que l’on appelle la « climate literacy », que le manque de formation à la prise en charge des enjeux sociaux, économiques, politiques de la crise climatique.

Le sujet n’est pas seulement que les décideurs comprennent le changement climatique dans ses aspects géophysiques, mais qu’ils apprennent comment décider en contexte de changement climatique. Comment redéfinir nos choix collectifs ? C’est bien de cela qu’il faut débattre.

Cependant la gauche semble plus encline à dégager les questions écologiques, le fait d’articuler ou non les questions écologiques et socio-économiques. On voit de façon récurrente des acteurs politiques de tous bords opposer enjeux écologiques et enjeux économiques, comme s’il fallait choisir son camp. Cette opposition gauche-droite est absurde, précisément parce que la crise écologique est le produit d’une organisation économique particulière.

La question posée par l’écologie, c’est : comment faire l’économie autrement, comment vivre sur une planète dont les ressources sont finies ? Qu’est-ce qui compte, et comment on compte ? Il est évident que les instruments et les savoirs économiques dont nous disposons sont actuellement défaillants pour la vision écologique dont nous avons besoin pour survivre.

Or la classe politique semble figée. Mais la société bouge. En premier lieu, les choses évoluent dans le monde économique. L’opposition entre écologie et économie y est moins frontale que naguère. Non seulement les dirigeants d’entreprise sont de plus en plus confrontés à toute une série de risques, qu’il s’agisse d’accès aux ressources et de débouchés, d’emploi et de reconversion des outils de travail, de réputation, et ils se posent également de plus en plus souvent la question de la pérennité de leurs activités ainsi que de l’utilité sociale de leur entreprise.

Ces interrogations sont d’autant plus fortes que décideurs publics et privés sont bousculés par des mobilisations collectives, dont il ne faut pas minorer le rôle dans le changement social. Des formes nouvelles de mobilisation ont émergé sur l’écologie, et particulièrement parmi les jeunes qui interpellent les générations qui les précèdent sur leurs responsabilités.

On peut aussi citer les jeunes diplômés de grandes écoles qui imposent un rapport de force sur le marché de l’emploi qui leur est assez favorable faisant valoir, dans des secteurs particulièrement corrélés à la crise climatique– la finance, l’aéronautique, l’énergie– qu’ils ne sont pas prêts à travailler dans des entreprises dont les décisions ne seraient pas en phase avec les enjeux écologiques.

Certains grands patrons prennent ce sujet très au sérieux : comment faire perdurer un modèle d’activité à partir du moment où ceux qui sont censés le faire vivre n’y croient plus vraiment ? Ces lignes de force, qui bousculent les entreprises depuis l’intérieur, pourraient faire bouger un milieu qui reste bien trop figé par rapport aux enjeux écologiques.

La demande de changement s’inscrit également au niveau des territoires et il faut constater qu’elle est de plus en plus portée par ceux qui sont touchés de manière disproportionnée par les crises écologiques : les plus modestes, les plus vulnérables comme les jeunes, les mères célibataires, les personnes âgées ou encore ceux qui ont des problèmes de santé.

Il serait faux de dire qu’ils n’ont pas en tête ces sujets, car ils les touchent directement, que ce soit par l’exposition aux canicules en ville, aux contaminations et aux pollutions, à la précarité énergétique, par la dépendance à la voiture thermique ou encore par les inégalités d’accès aux transports en commun, le prix du foncier qui éloigne le domicile du travail, etc. On ne peut pas réduire un mouvement comme celui des gilets jaunes à une mobilisation anti-écologique, et l’écologie n’est évidemment pas un souci de riches, car pour certains ce sont des enjeux de survie.

Ces réalités rappellent combien la transition écologique ne peut être pensée sans intégrer les conditions sociales du changement. C’est encore une fois ce qui manque dans le débat politique.

Il y a aussi la nécessité d’associer davantage les sciences sociales à l’expertise sur le climat. Cette expertise mobilise beaucoup les climatologues et les économistes, et pas assez les sociologues, les politistes, les géographes ou les historiens.
Puisqu’on s’accorde pour dire que la crise climatique est sociale et politique, il paraît logique de faire appel aux sciences du social pour y répondre. Quand on regarde la manière dont sont fabriqués les scenarii de décarbonation proposés aujourd’hui au débat public, il est frappant de constater que les sciences sociales y sont encore très peu mobilisées.

Et de fait, ces scenarii, qui dessinent des trajectoires visant à atteindre la neutralité carbone en 2050 et préserver l’environnement, abordent peu la question des conditions politiques et sociales à réunir pour les mettre en œuvre. La grande question n’est pas de savoir s’il faut diminuer nos consommations d’énergie et de ressources, mais bien de comprendre comment y parvenir.

Il est très difficile de faire intégrer ces dimensions sociales dans la réflexion sur les politiques de transition. Et quand c’est le cas, c’est en bout de chaîne. Une fois que tout est ficelé, on demande aux sociologues une expertise sur la manière dont les individus vont recevoir les décisions. On leur pose la question de « l’acceptabilité sociale ».

Ces démarches ignorent le social dans les options envisagées, produites par des individus socialisés dans des espaces particuliers et qui vont « bricoler » en intégrant leurs propres visions du social.

Le système des grands corps d’Etat conforte l’approche technocratique. Sur les questions d’énergie notamment, il y a une fermeture des espaces de discussion. Ce constat vaut dans d’autres secteurs. « L’agriculture, c’est une question d’agriculteurs », répète souvent la profession. Or, c’est aussi un sujet de territoires et de bassins d’emploi, d’alimentation, de biodiversité, d’usage du foncier, etc.

Le confinement de l’espace du débat est un réflexe puissant en France, fondé sur l’idée que cela restera toujours la meilleure façon de procéder : l’expertise. Or, ce modèle technocratique n’a pas tenu ses promesses et c’est bien l’une des leçons de la crise écologique actuelle. Cette crise du modèle technocratique renvoie à l’ouverture du débat public sur les questions écologiques.

Décarboner, ce n’est pas seulement trouver des solutions techniques, c’est discuter ensemble de la manière dont on va s’organiser collectivement pour utiliser moins d’énergie fossile, sans laisser personne sur le bord du chemin. C’est repenser nos institutions démocratiques et notre contrat social : c’est donc faire de la politique.

Bruno Bourgeon http://www.aid97400.re/

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