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D’après Alternatives Economiques du 18 Avril 2024

L’Europe ne croît pas aussi vite que les Etats-Unis

Par Bruno BOURGEON

mercredi 1er mai 2024, par JMT

L’Europe ne croît pas aussi vite que les Etats-Unis

Des tortues européennes et le lièvre US

Comme après chaque crise, l’économie redémarre plus vite aux Etats-Unis que dans l’Union européenne. Cette fois, après la Covid, le décrochage est encore plus marqué. Comment l’expliquer ?

C’est une adaptation de la fable de Jean de La Fontaine, Le Lièvre et la tortue. Avec les Etats-Unis dans le rôle du lièvre et l’Union européenne (UE) dans celui de la tortue. A vos marques, prêts, partez !

Sur la ligne de départ de l’année 2000, Américains et Européens démarrent en trombe. Point d’étape dans les années 2010 : l’Europe laisse filer le peloton de tête. La ligne d’arrivée n’est pas encore en vue, mais la course est-elle déjà jouée d’avance ?

L’Union européenne est-elle condamnée à se faire distancer par les Etats-Unis, ou peut-elle encore rattraper l’écart et, si oui, à quelles conditions ?Le PIB/habitant des Etats-Unis a progressé de 36,8% depuis 2000.

Celui de l’Union européenne de 30,1%. Le constat d’un Vieux Continent ronronnant face à un Oncle Sam éveillé n’est pas récent.

« Il y a un écart structurel de la capacité de croître entre les Etats-Unis et l’UE, explique Christophe Blot, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Cette différence de croissance potentielle s’explique par une démographie moins dynamique en Europe et par une meilleure productivité américaine, stimulée par les innovations notamment ».

A cela s’ajoute le fait que l’UE ne prend pas toujours les décisions qui pourraient l’aider à rester dans la course. Résultat, l’écart entre les deux zones se creuse à chaque crise, dont les Etats-Unis se relèvent toujours avec plus de dynamisme.

En 2023, onze pays de l’UE étaient en récession et la croissance de la zone euro n’était que de 0,5 %, contre 2,5 % outre-Atlantique.

Avec la guerre en Ukraine, la dépendance de l’Union aux hydrocarbures russes a fortement ralenti la foulée européenne en raison des contraintes d’approvisionnement apparues lorsqu’il a fallu réduire la dépendance à Moscou, et de la hausse des prix qui en a résulté – dont les conséquences ont atteint à la fois les ménages et les entreprises.

Une raison de plus, s’il en fallait, pour accélérer les investissements publics en faveur de la transition énergétique. Autre problème : début 2020, le pacte de stabilité et de croissance, qui limite les dettes et les déficits en Europe, a été suspendu afin d’éviter un effondrement à cause de la pandémie.

Or le soutien budgétaire a été plus massif aux Etats-Unis qu’en zone euro en 2020-2021 (20% du PIB vs 10%). Sous Donald Trump puis Joe Biden, les chèques de soutien et la hausse des allocations destinées aux chômeurs ainsi qu’aux familles ont bénéficié davantage aux Américains les plus pauvres, dont la propension à consommer est supérieure à celle des plus riches.

Résultat : la consommation des ménages a augmenté de plus de 4% aux Etats-Unis entre le troisième trimestre 2021 et le troisième trimestre 2023, quand celle de la zone euro – où le choix a été fait de maintenir les emplois plutôt que de verser des aides directes – ne progressait que de 2%.

La réforme des règles budgétaires européennes, qui doit encore être votée au Parlement européen avant d’entrer en vigueur l’année prochaine dans leur nouvelle version, accorde un peu plus de flexibilité aux Etats, mais a maintenu des objectifs ambitieux de réduction de la dette et des déficits.

« L’austérité budgétaire du début des années 2010, c’est surtout ce qu’il ne faut pas faire », rappelle François Geerolf, économiste à l’OFCE. Pourtant, l’Europe s’apprête à reproduire la même erreur, comme si elle s’imposait à elle-même de courir un 100 mètres haies plutôt qu’un simple sprint.

« On part du principe que le problème est toujours un déficit excessif. Mais il faudrait des règles budgétaires symétriques qui imposent aussi des politiques de relance aux Etats qui ont les marges de manœuvre pour le faire », préconise François Geerolf.

La Commission européenne pourrait s’inspirer, pour y parvenir, des textes qui limitent l’excédent de la balance commerciale à 6 % en moyenne sur trois ans, même si cette norme n’est pas toujours appliquée.

De l’autre côté de l’Atlantique, la politique budgétaire a été largement expansionniste depuis 2021, faisant grimper le déficit public à 6,3 % du PIB en 2023. Joe Biden a misé sur l’Inflation Reduction Act (IRA), qui subventionne l’industrie verte sur dix ans par des crédits d’impôts, et le Chips Act, qui finance l’implantation d’usines de semi-conducteurs sur le territoire états-unien.

En face, l’UE s’est bien dotée elle aussi de son propre Chips Act et d’un plan industriel pour relancer la compétitivité de l’industrie verte, dans le cadre du Pacte vert.

Mais ce dernier contient principalement des réglementations, et le milliard et demi d’euros débloqué ne fait pas le poids face aux 400 milliards prévus par l’IRA.

D’autant que, selon de récentes estimations, le montant pourrait être en réalité bien supérieur (entre 800 et 1 200 milliards).

En l’absence d’un budget commun, l’Union européenne souffre aussi d’un manque de coordination, car en parallèle de l’échelon européen, les Etats membres gèrent leurs propres subventions et plans d’investissements.

Même les projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC) reposent sur des financements nationaux.

Conséquence : les investissements publics sont insuffisants, certains projets industriels européens se font parfois concurrence, et les effets d’agglomération se renforcent au sein de la zone euro, en faveur des pays déjà les mieux portants et au détriment des autres.

La spécialisation technologique européenne ne permet pas, par ailleurs, de rallier l’allure des Américains. Un rapport de la Commission Européenne indique que l’UE est davantage spécialisée dans les technologies les moins sophistiquées et les moins rares.

Elle dépend donc de ses partenaires comme la Chine ou les Etats-Unis pour les technologies complexes. L’Europe reste néanmoins plus industrialisée que le pays de l’oncle Sam.

L’industrie manufacturière américaine ne représente que 10% de l’emploi et 11% de la valeur ajoutée des Etats-Unis. Dans l’UE, elle pèse 15% de l’emploi et de la valeur ajoutée, même si cette part tend à décroître.

Rappelons-nous toutefois le dénouement de la fable : l’industrie européenne, cette fois dans le rôle du lièvre, risque de se faire rattraper par la tortue américaine, notamment à cause d’un manque d’investissements privés dans l’innovation.

En 2022, les entreprises américaines concentraient 42.1% des investissements en R&D des 2 500 premiers investisseurs au monde, qui représentent à eux seuls 80 % des dépenses privées en R&D. L’UE se trouve derrière la Chine avec 17,5% des investissements. Cela s’explique par divers facteurs, à commencer par la structure de l’épargne. 

« Depuis quinze ans, le secteur privé européen dépense quatre points de PIB de moins par rapport à ce qu’il gagne. Cela crée un excédent d’épargne qui freine notre croissance », explique Florence Pisani, cheffe économiste chez Candriam Investors Group.

D’autant que les Américains ont moins d’aversion pour le risque, ce qui facilite le financement d’innovations de rupture, par nature plus incertaines. A cela s’ajoute le fait que l’Europe investit une grande partie de son excédent commercial à l’étranger.

L’UE ne reçoit qu’un peu plus de la moitié de la capacité d’investissement des entreprises européennes et les investissements étrangers en Europe ne permettent pas de compenser.

En février, Isabel Schnabel, membre du directoire de la Banque centrale européenne (BCE), déplorait le manque de mobilité des capitaux en Europe : « L’intégration financière dans la zone euro n’a pas progressé par rapport à ce qu’elle était dans les premières années de l’union monétaire. Cela contribue à une mauvaise allocation du capital ».

Le marché unique n’est pas non plus totalement intégré dans les services, qui représentent pourtant près des trois quarts du PIB de l’UE. « Seules 25% des grandes entreprises proposent des ventes en ligne transfrontalières dans l’UE », constate l’économiste allemande.

De ces faiblesses résulte la difficulté d’ériger de puissantes firmes européennes. Le secteur de l’intelligence artificielle (IA) générative en est un exemple. Plusieurs entreprises émergent en Europe, comme le Français Mistral AI ou l’Allemand Aleph Alpha.

Mais ce ne sont que des champions nationaux, loin derrière leur concurrent américain Open AI. Isabel Schnabel pointe aussi une « allocation inefficace des ressources » dans l’économie européenne.

Un constat partagé par Anthony Morlet-Lavidalie, économiste chez Rexecode : « Pendant la Covid, il y a eu une vague de licenciement massif aux Etats-Unis. Mais dès que l’activité a repris, le mouvement inverse d’embauches s’est produit, permettant ainsi de réallouer la main-d’œuvre dans les secteurs les plus porteurs. En Europe, les emplois ont été plus protégés, limitant la mobilité du capital humain ».

Cette ultra-flexibilité a été une aubaine pour la productivité et la croissance, mais correspond-elle au modèle souhaité en Europe ? Bien que les inégalités de revenus et de patrimoine croissent des deux côtés de l’Atlantique, elles sont supérieures aux Etats-Unis, tout comme le taux de pauvreté (18% en 2022 selon l’OCDE, soit plus que dans tous les pays membres de l’UE).

Si l’on juge l’issue de la course sous ce prisme-là, la tortue européenne pourrait l’emporter sur le lièvre américain.

Bruno Bourgeon, président d’AID http://www.aid97400.re

D’après Alternatives Economiques du 18 Avril 2024

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