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D’après Alternatives économiques du 11 Août 2022

Pouvoir d’achat : la Sécu et le climat sacrifiés sur l’autel du court terme

Par Bruno BOURGEON

samedi 29 octobre 2022, par JMT

Pouvoir d’achat : la Sécu et le climat sacrifiés sur l’autel du court terme

Hausse du prix du chariot

A force de ne plus en voir la couleur, on la croyait disparue. Puis elle surgit au détour de l’année 2022, se hissant tout en haut de l’agenda politique. Qui ? L’inflation, bien sûr. Balayés, les plans de relance pour préparer « le monde d’après ». Dorénavant, la priorité : sauver les porte-monnaie. C’est donc une loi d’urgence sur le pouvoir d’achat qui, au cœur de l’été, a constitué la première pierre du deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron. En 2017, l’acte de naissance du premier mandat – les ordonnances travail – avait envoyé un message politique très clair : il fallait déverrouiller un pays sclérosé par les normes pour libérer le potentiel de croissance de l’économie.

Cinq ans plus tard, le texte sur le pouvoir d’achat et le projet de loi de finances rectificative (PLFR), adoptés par le Parlement début août, montrent que Macron II garde le même logiciel : face à l’inflation et aux crises que traverse la France, c’est de l’activité économique et du travail que viendra le salut. « On doit réussir à ouvrir tout ce qui peut être ouvert », indiquait le président de la République. A quel prix ? Elevé. Notamment pour la Sécu et le climat.

La Sécurité sociale d’abord. Pour augmenter un salarié, un patron peut jouer sur plusieurs lignes de la fiche de paye. Première possibilité : augmenter le salaire brut, tout en haut de la feuille. Ce qui a un triple avantage pour le salarié : constituer un nouveau salaire plancher en dessous duquel le patron ne pourra plus descendre, cotiser davantage aux caisses sociales et donc bénéficier à terme de prestations (retraite, chômage…) plus élevées et, bien sûr, toucher un salaire net plus élevé.

L’autre grande option se situe plus bas sur la fiche de paye, au niveau des primes. Avantage pour le patron : une prime n’est pas durable, elle peut être réduite, voire disparaître. Un salarié dont les fins de mois sont difficiles se laissera probablement tenter, car les primes sont généralement moins taxées (sous forme de cotisations et d’impôts) que les augmentations de salaire. Résultat : une prime rapporte plus, à court terme, qu’une hausse du brut. Avec la loi pouvoir d’achat, le gouvernement poursuit sa politique consistant à favoriser les primes au détriment des salaires de base, au grand bonheur des employeurs.

Ainsi, la « prime Macron », mise en place au moment des gilets jaunes, « prime pour le partage de la valeur », est désormais pérennisée et son plafond triplé. Les employeurs peuvent verser jusqu’à 3000 euros/an sous cette forme, contre 1000 auparavant, sans verser de cotisations patronales. Jusque-là réservée aux salariés payés moins de trois fois le Smic, la mesure est désormais possible pour tous les niveaux de rémunération. Seule limite : la prime sera un peu moins défiscalisée. Les employeurs devront s’acquitter du forfait social et les salariés verront trois impôts la frapper. Ceux payés moins de trois Smic en seront exonérés jusqu’à fin 2023.

Cette prime pourra même monter à 6000 euros pour les entreprises disposant d’un mécanisme d’intéressement. Largement exonéré de cotisations sociales lui aussi, il permet aux patrons de verser des primes à leurs salariés lorsque les comptes de l’entreprise sont dans le vert.

La loi pouvoir d’achat facilite au passage la mise en place de dispositifs d’intéressement dans les entreprises de moins de 50 salariés, dans lesquelles leur existence reste optionnelle. Ces choix font 2 perdants : le salarié qui, à terme, risque de toucher des primes plutôt que des hausses durables de salaire ; et le second perdant de cette politique des primes est la Sécurité sociale, car ces exonérations coûtent cher. D’autant que d’autres dispositifs contenus dans les deux lois estivales vont également l’appauvrir. Tout d’abord, les cotisations qui pèsent sur les indépendants vont baisser. 2,2 millions de professionnels devraient y gagner environ 550 euros annuels. Mais cela privera la Sécu de 500 millions d’euros/an.

A cela s’ajoute un renforcement de la défiscalisation et de la désocialisation des heures supplémentaires, avec un plafond d’exonération fiscale plus haut pour les salariés et des cotisations patronales encore réduites. De plus, les salariés pourront plus facilement transformer des jours de RTT en salaires, ces revenus étant défiscalisés et désocialisés au même niveau que les heures sup. En 2020, 59,9 milliards d’euros de revenus salariés échappaient ainsi à la taxation normale (épargne salariale, mutuelles d’entreprise, chèques restaurants…). Cette assiette, qui va progresser, accentuera le manque à gagner, qui s’élèvera à plusieurs milliards d’euros par an. En 2019, la première vague de défiscalisation des heures supplémentaires avait coûté 3 milliards d’euros.

Enfin, la prime d’activité, une prestation sociale versée aux travailleurs pauvres, sera réévaluée. Cette fois, il ne s’agit pas d’une perte directe pour la Sécu mais, de fait, les patrons seront moins incités à augmenter leurs employés à faibles salaires, puisque l’Etat donne un coup de main. En théorie, tous ces manques à gagner seront compensés par l’Etat, qui y affectera d’autres ressources budgétaires (taxes sur le tabac, TVA…). En 2018, pour la première fois, le gouvernement avait fait une entorse à cette règle, laissant un trou à la Sécu de plus de 2,8 milliards d’euros.

De quoi faire redouter à l’opposition de gauche le scénario « d’une politique des caisses vides », consistant à réduire volontairement les recettes, puis s’alarmer du déficit, avant de se dire contraint de baisser les dépenses publiques. Ceci étant, en matière d’exonérations de cotisations, le gouvernement n’est pas responsable de tout : nombre de ces mesures ont été poussées par Les Républicains (LR), notamment au Sénat, où la droite est majoritaire.

Voilà pour la Sécu. Un second bien commun est également menacé : la planète. Pour lutter contre l’explosion des prix de l’énergie, le gouvernement a sorti le chéquier. Logique, tant les ménages précaires se sont retrouvés étranglés par la hausse des prix. Mais les options choisies font débat.

La mesure : le blocage des prix du gaz et de l’électricité pour le consommateur, compensé par l’Etat auprès des fournisseurs. Ce « bouclier tarifaire » a coûté plusieurs dizaines de milliards d’€ depuis octobre 2021. Le gouvernement a aussi consenti, sous la pression des députés LR, à augmenter et prolonger la remise sur les carburants. La subvention passe de 18 à 30 centimes/litre du 1er septembre au 31 octobre, puis redescendra à 10 centimes/litre en novembre et décembre, avant de s’éteindre.

Le plafond de la prime transport va doubler, passant de 200 à 400 €. Elle permet aux entreprises de verser une aide défiscalisée à leurs salariés pour leurs déplacements domicile/travail. En plus de subventionner la consommation d’énergies fossiles, donc les émissions de GES, ces aides ne sont pas ciblées pour les plus pauvres. Elles sont non distributives, les riches roulant plus que les pauvres…

Enfin, face à la menace russe sur les livraisons de gaz, la loi pouvoir d’achat prévoit une relance des énergies fossiles. La centrale à charbon de Saint-Avold (Moselle), qui avait fermé ses portes en mars, en théorie définitivement, pourra être réactivée cet hiver. Le gouvernement a aussi autorisé un allègement des règles environnementales pour permettre au groupe Total de construire un terminal méthanier flottant de gaz naturel liquéfié (GNL) au Havre, afin de pouvoir importer le gaz de schiste américain.

Au global donc, les dizaines de milliards d’euros consacrés à la lutte contre l’inflation depuis le début de l’année ne répondent pas aux enjeux sociaux et écologiques. Bien sûr, d’autres mesures sont positives, comme les revalorisations anticipées des minima sociaux et des retraites, la prime de rentrée exceptionnelle pour les plus pauvres, ou encore la hausse du point d’indice des fonctionnaires, qui, contrairement aux primes dans le privé, est durable.

Mais Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, a reconnu début août que l’inflation continuera d’augmenter jusqu’à fin 2022 au moins. Autrement dit : la plupart de ces revalorisations seront insuffisantes pour ceux qui ne peuvent pas facilement « travailler plus pour gagner plus » dans le privé (fonctionnaires, retraités, bénéficiaires des minima sociaux…).
L’automne va libérer la France des canicules. Mais le climat social restera bouillant.

Bruno Bourgeon http://www.aid97400.re

D’après Alternatives économiques du 11 Août 2022 (https://www.alternatives-economiques.fr/pouvoir-dachat-secu-climat-sacrifies-lautel-court-terme/00104145)

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