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D’après Alternatives Economiques du 21 Avril 2023

Les superprofits ne connaissent pas la crise

Par Bruno BOURGEON

lundi 12 juin 2023, par JMT

Les superprofits ne connaissent pas la crise

Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, ignore ce que sont les superprofits

Superprofits : un mot qui a rapidement conquis les esprits. Les superprofits n’ont pas de définition, mais leur signification est établie : bénéfice exceptionnel réalisé par une entreprise sans que cela ne résulte d’effort particulier de sa part. En temps de crise, une firme profite de son pouvoir pour engranger des résultats gigantesques, des superprofits, alors même qu’elle n’a pas spécifiquement changé ou innové sur son produit ou son service. D’où les autres noms qu’on lui donne : profit d’aubaine ou rente de situation.

Dans le cas français, le nom de TotalEnergies est celui qu’on associe immédiatement à cette situation. En 2022, le pétrolier a affiché un bénéfice de 20,5 milliards de dollars, record historique ! En 2021, la major avait déjà affiché un résultat net de 16 milliards de dollars. A titre de comparaison, la compagnie affichait des bénéfices annuels compris entre 4 et 11 milliards de dollars sur la période 2013-2019.

Pour se rendre compte de l’immensité d’une telle somme, c’est l’équivalent d’un peu plus de la moitié des allocations chômage en France ou de quatre à cinq fois de ce que rapportait l’ancien impôt sur la fortune (ISF). L’autre entreprise régulièrement citée est Engie. L’ex Gaz-de-France a, elle, engrangé 5,2 milliards d’euros l’année dernière. Alors que le niveau de ce dernier oscillait aux alentours de 2,5 milliards d’euros depuis des années, soit un doublement.

Autre entreprise moins connue du grand public, mais qui n’est pas en reste : CMA-CGM. Le transporteur marseillais de conteneurs est l’entreprise française qui gagne le plus d’argent. Son bénéfice s’élève à 24,9 milliards de dollars en 2022. Un profit qui a avait flambé en 2021, avec 17,9 milliards engrangés, alors que l’entreprise affichait des profits aux alentours de quelques centaines voire dizaines de millions dans les années 2010. Un bénéfice multiplié par près de… 100 !

Mais comment ces entreprises ont réussi à augmenter à ce point leurs bénéfices ? Pour les énergéticiens, à l’instar d’Engie ou TotalEnergies, rappelons que la crise des prix de l’énergie qui dure depuis plus d’un an n’est pas provoquée par une rareté de la ressource, ni par une hausse de son coût d’extraction, mais par une demande en hausse et des pays producteurs jouant avec le degré d’ouverture du robinet.

Schématiquement, les Etats ayant pétrole et gaz dans leurs sous-sols sont les premiers gagnants de cette crise. Mais les entreprises énergétiques se sont aussi bien servies. TotalEnergies n’est pas un cas isolé : les bénéfices des majors pétrolières ExxonMobil, BP ou Shell enregistrent les mêmes variations.

D’accord pour l’énergie, mais quid d’un CMA-CGM qui ne fait que transporter un conteneur d’un port à un autre ? Pour le marseillais la raison est différente. Il s’agit d’une inversion du rapport de force entre les transporteurs et les industriels demandant à charger leurs marchandises.

Lors des premiers confinements, empêchés de sortir, les habitants des pays riches ont acheté en biens matériels ce qu’ils dépensaient en loisirs, déclenchant une demande accrue de conteneurs. Ensuite, sous l’effet de la désorganisation des flux de production avec les confinements successifs en Chine fermant terminaux portuaires et usines, la demande s’est encore accrue. Si bien que le prix d’un conteneur pour une distance donnée a enregistré des pics plus de dix fois supérieur au niveau d’avant Covid. Pourtant en face les coûts de production du service ont peu changé.

Une preuve : l’augmentation du taux de marge de ces secteurs a bondi, contrairement au reste de l’économie. L’Insee regroupe le secteur énergétique avec celui de l’eau et les déchets, mais l’évolution de la marge brute de ce secteur variant habituellement entre 53% et 60% a augmenté fin 2020 pour atteindre jusque 72% en 2022. Idem pour le secteur des transports qui englobe le fret maritime avec une marge de 50% en 2022, 15 points au-dessus de son niveau d’avant crise !

Cela montre ainsi que leurs prix ont davantage évolué que leurs coûts, et donc que nous sommes bien face à des superprofits : sous fond de crise, ces entreprises profitent de leur pouvoir de marché pour dicter leurs prix et améliorent leur rentabilité. Alors que faire ? Le gouvernement a longtemps feint d’ignorer le sujet : « les superprofits, je ne sais pas ce que c’est », répétait à l’été dernier Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie.

Le discours a quelque peu changé à l’automne, puisque le même déclarait : « Je ne veux pas qu’il y ait des énergéticiens […] qui puissent profiter de la situation, vendre à prix d’or de l’électricité, sans qu’il y ait à un moment donné l’Etat qui leur dise "là, vous prenez trop, on reprend cette rente qui est excessive et on la redistribue" ». En réalité l’exécutif français a été poussé à intervenir par Bruxelles pour mettre en place une « contribution temporaire de solidarité » en deux dispositifs :

- Le premier concerne le secteur électrique. Il impose un plafonnement de revenus aux entreprises productrices. Sans entrer dans les détails du fonctionnement du réseau électrique, l’idée est d’éviter que les opérateurs de centrale nucléaire, barrage hydraulique ou éolienne ne profitent de l’envolée du cours du gaz. Un mécanisme qui n’a que peu d’effets en France car le prix d’une grande partie du nucléaire et des renouvelables est déjà vendue à prix régulé.

- L’autre mécanisme imaginé par Bruxelles ressemble à une taxe sur les superprofits. Est défini comme bénéfice exceptionnel, ce qui dépasse de 20% la moyenne des profits des quatre dernières années. C’est sur ce surplus que la nouvelle taxe est basée, avec un taux de 33% puisque Paris a retenu le minimum proposé par la Commission.

Ne sont concernées que les entreprises énergétiques et, en leur sein, l’activité des filiales sur le sol national. Or le gros des profits dans l’énergie provient principalement des activités d’extraction, qui n’ont pas lieu en France. Dans l’Hexagone s’exerce le raffinage, dont la profitabilité était faible mais a explosé ces dernières années, et la distribution, qui a de faibles marges.

Combien ces contributions exceptionnelles ont-elles rapporté ? Dans ses comptes TotalEnergies indique à 1,1 milliard de dollars le montant de la facture des deux mécanismes européens sur tout le continent. De son côté, Engie a estimé à 900 millions d’euros le coût de ces mesures exceptionnelles en Europe. L’Italie, la France et la Belgique en sont les principaux bénéficiaires.

Le chiffre global des recettes supplémentaires pour le fisc français n’est pas connu, et fait l’objet de plusieurs estimations divergentes, dont l’ordre de grandeur semble toutefois se situer autour de quelques centaines de millions d’euros. S’il est confirmé, l’effet de ces dispositifs apparaîtrait comme faible. A titre de comparaison, le coût du seul bouclier tarifaire pour limiter la hausse du prix de l’électricité et du gaz en 2022 est de 24 milliards d’euros.

Surtout ces mécanismes sont parcellaires, car l’entreprise qui enregistre le plus de bénéfice, CMA-CGM, n’est pas concernée. Le secteur du transport maritime n’est d’ailleurs tout simplement pas soumis à l’impôt sur les sociétés : elle paie la seule taxe de tonnage, un impôt fixé sur la capacité de transport de la compagnie qui ne tient pas compte de sa rentabilité. Avant même de parler de taxation des superprofits, le manque à gagner fiscal engendré par ce dispositif est de 3,8 milliards d’euros pour 2022.

Alors que l’inflation s’installe dans la durée dans le pays, ceux qui en profitent vont donc pouvoir continuer à en profiter sans être véritablement inquiétés.

Bruno Bourgeon, président d’AID http://www.aid97400.re

D’après Alternatives Economiques du 21 Avril 2023

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