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D’après Alternatives Economiques du 27 Mai 2022

Le programme de la Nupes manque de priorités

Par Bruno Bourgeon

jeudi 9 juin 2022, par JMT

Le programme de la Nupes manque de priorités

Henri Sterdyniak, corédacteur du Manifeste des économistes atterrés

Bonne nouvelle : la naissance de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes). Les électeurs diront en juin s’ils souhaitent voir l’alliance de gauche gouverner le pays avec Jean-Luc Mélenchon à Matignon. Celui-ci affirme dans nos colonnes vouloir un changement spectaculaire et le programme de la Nupes contient effectivement de quoi réorienter le cours de l’économie…

Faut-il pour autant considérer ces 650 propositions comme une nouvelle Bible, alors qu’elles sont un compromis politique passé dans l’urgence ? Henri Sterdyniak, corédacteur du Manifeste des économistes atterrés, défend de larges pans du programme de la Nupes, mais lui adresse aussi plusieurs critiques.

650 mesures, pour 250 milliards d’euros de dépenses. La Nupes se brisera-t-elle les dents sur le mur du déficit et de la dette ?

Henri Sterdyniak : Il n’y a que les programmes politiques qui ne changent rien à rien pour lesquels la question de la faisabilité ne se pose pas ! La plupart des 650 propositions sont justifiées et nécessaires, même si elles posent des questions de financement. Nous avons besoin d’une rupture dans l’évolution économique. Nous avons besoin d’aller vers une société écologique, sobre et égalitaire.

Le programme de la Nupes reprend les diverses revendications syndicales et populaires, mais sans aucun arbitrage : hausse du Smic, des retraites, des salaires des fonctionnaires, hausse et extension du RSA, égalité des salaires femmes/hommes, hausse des emplois publics, baisse de l’âge de départ à la retraite. Le programme semble vouloir tout faire « en même temps ». Nous ne disposons pas d’un chiffrage sérieux : quelles priorités, quel calendrier, quel équilibre extérieur, quel équilibre des comptes des entreprises ?Quelles urgences faudrait-il afficher ?

H.S. : Le plus urgent, car fondamental, c’est d’engager la transition écologique, la réindustrialisation, la prise de contrôle démocratique des entreprises par les travailleurs. Or ce qui est mis en avant, c’est le pouvoir d’achat, les retraites, qui sont des réformes populaires, mais coûteuses. Un gouvernement Nupes se heurterait vite à des obstacles comme le déficit extérieur, qui est déjà relativement important, la France avait déjà un besoin de financement de 45 milliards d’euros en 2021. La Nupes aurait dû plus mettre l’accent sur les transformations structurelles, car ce sont elles qui permettront de dégager des marges de manœuvre pour augmenter le pouvoir d’achat. De même, il aurait fallu insister sur la nécessité de modifier les modes de vie, de réduire les consommations ostentatoires. Compte tenu des contraintes écologiques, la marche vers une société égalitaire devra passer par la baisse du niveau de vie des classes supérieures…

Un programme de gauche peut-il reporter la question des inégalités ou du pouvoir d’achat ?

H.S. : Non, mais les contraintes économiques existent, et la planification écologique qui permettrait de les réduire demandera du temps. Si on débute en disant qu’on va augmenter massivement le pouvoir d’achat des classes populaires alors qu’on n’a pas encore mis en œuvre les réformes structurelles nécessaires (en particulier, mise en cause de la distribution des pouvoirs et des revenus dans les entreprises), on risque de se heurter à des difficultés en termes de déficits extérieurs et d’inflation ou de nourrir des illusions.

Cela rappelle l’expérience de la gauche entre 1981 et 1983…

H.S. : Oui, bien sûr. Un gouvernement de gauche aura vite le choix entre trahir ses engagements : se retrouver en face de déséquilibres importants en termes de situation financière des entreprises et surtout de solde extérieur, assumer frontalement la lutte des classes en réduisant fortement le niveau de vie des classes supérieures, en prenant le contrôle des entreprises et du secteur financier, en se heurtant aux règles de la zone euro et de l’UE.

Une partie de la solution passerait par la BCE qui rachèterait la dette publique de la France, puis la transformerait en « dette perpétuelle à taux nul ». Est-ce une solution miracle ?

H.S. : Il y a environ un an, ce débat animait les économistes hétérodoxes entre ceux qui affirmaient la possibilité de l’annulation de la dette publique par la BCE, et ceux, dont j’étais, qui estimaient qu’il s’agissait d’une utopie dangereuse. La dette publique de la France n’est pas détenue par la BCE, mais par la Banque de France, filiale de l’État français. En conséquence, si la banque de France annule les obligations d’État qu’elle détient, elle deviendra déficitaire et ce déficit fera partie du déficit public. Cette mesure n’aura aucun impact au niveau économique et aucun intérêt au niveau politique, puisqu’une telle opération de dissimulation de la dette ne trompera personne et surtout pas les institutions européennes ou les marchés financiers. Les responsables du Parti communiste et de La France insoumise ont cru faire disparaître la dette publique dans les comptes de la Banque de France. Ils en oublient la mesure indispensable, à savoir que la BCE garantisse les dettes publiques, de façon à annuler les écarts de taux d’intérêt dans la zone euro et à mettre au chômage les spéculateurs.

Pas moyen d’échapper à la dette ?

H.S. : La dette publique intérieure n’est pas un problème. Lorsqu’en 2020 le gouvernement a creusé son déficit en maintenant le revenu des ménages, ceux qui ne pouvaient pas consommer ont stocké le surplus sur leurs comptes en banques. Les banques ont confié cet argent à la Banque de France qui a acheté les titres publics. Le circuit s’est bouclé sans aucun problème.
La contrepartie des emprunts que fait l’Etat, ce sont les dépôts des Français dans les banques commerciales ou leurs avoirs en assurance-vie, ce qui rend la dette non annulable, sauf à expliquer aux épargnants qu’ils ne seront pas remboursés ! Le problème, c’est la dette extérieure, si la BCE refuse de refinancer trop de titres français, comme elle l’a fait pour la Grèce.

33 mesures font débat comme l’abandon du nucléaire, la désobéissance à l’UE ou la sortie de l’Otan. D’autres pas, comme le retour à la retraite à 60 ans et 40 années de cotisation, comme si cela ne se discutait plus.

H.S. : La retraite à 60 ans est devenue le symbole de la politique que la Nupes mettra en œuvre si elle parvient au pouvoir. C’est une mesure coûteuse. Il faut se rappeler que le Conseil d’orientation des retraites ne prévoit un équilibre à moyen terme des régimes de retraite que parce que la trajectoire actuelle comporte une baisse relative du niveau des pensions par rapport aux salaires de 25%. Si l’on veut à la fois refuser la baisse du niveau des retraites par rapport aux salaires et ramener l’âge de la retraite à 60 ans, on arrive à des dépenses supplémentaires de l’ordre de 5% du PIB. Difficile… Ce n’est peut-être pas la priorité. Il aurait été plus avisé de favoriser des dispositifs de fin de carrières précoces pour les salariés qui ont eu des conditions de travail pénibles et d’introduire des dispositifs pour ceux qui à un certain âge n’ont plus aucune chance de retrouver un emploi : soit une retraite précoce à taux plein ou soit un emploi de dernier recours.

La Nupes pense financer cet effort par une augmentation de 0,25pt de cotisation/année…

H.S. : Cette hausse permettra d’éviter de dégrader le niveau des retraites par rapport aux salaires, mais pas de ramener l’âge de départ à 60 ans. Il n’est guère possible d’aller beaucoup plus au-delà : augmenter les cotisations pour les salariés éroderait le pouvoir d’achat ; augmenter les cotisations employeurs devient incompatible avec un niveau minimal de profit, si en même temps on revalorise massivement les bas salaires et si on supprime les exonérations de cotisations. On ne pourrait pas mettre une cotisation sur les dividendes, puisque celle-ci n’ouvrirait pas de droits à pensions. Il s’agirait d’un impôt, qui s’ajouterait à ce qui est déjà prévu dans le programme, à savoir l’alignement sur les niveaux d’imposition du travail, l’impôt sur le revenu, la CSG et les prélèvements sociaux.

Le programme prévoit aussi la « déconjugalisation » de l’impôt sur le revenu, qui permettrait aux couples mariés et pacsés de payer séparément l’impôt sur le revenu. Est-ce si simple ?

H.S. : Le programme prévoit surtout la suppression du quotient familial, donc la « défamilialisation » de la fiscalité. Le système français actuel taxe les familles et considère que le revenu de la famille est partagé entre tous ses membres, parents et enfants. Refuser ce système revient à considérer qu’il n’y a pas de partage du revenu à l’intérieur de la famille. On augmenterait arbitrairement l’imposition des couples de revenus inégaux et l’imposition des familles avec enfants des couches moyennes. On oublierait que les parents ont une obligation alimentaire. C’est une réforme « anti-famille ». Elle est dans l’air du temps, mais faut-il accentuer la baisse de la natalité ? Est-ce une priorité ? Il faut en voir quelques conséquences : si les couples ne mettent pas leurs revenus en commun, comment justifier les pensions de réversion ? Comment calculerait-on le RSA et toutes les prestations d’assistance (allocation logement, bourses scolaires) familialisées ? Qui prend en charge les enfants ? Si la société considère que ce ne sont plus les parents, alors elle doit prendre le relais. Pour garantir aux enfants un niveau de vie médian, elle devrait verser 550 euros d’allocations familiales par enfants à charge. Chiche ! Dans le programme Nupes, il n’y a rien pour les enfants. Fâcheux.
Autre lacune : le programme prévoit que le RSA sera établi à 1063 euros par adulte. Dans quel cadre : familialisé ou défamilialisé ?
Un autre point : il existe actuellement une prime d’activité, qui peut atteindre 200€ au niveau du Smic pour un célibataire, 400€ pour une famille. C’est une trappe à bas salaires, parce qu’elle diminue lorsque les salaires augmentent, mais elle aide fortement les familles de travailleurs pauvres. Que va-t-elle devenir si le Smic passe à 1500 euros ? La Nupes n’en dit rien.

Comment interprétez-vous ces lacunes ?

H.S. : Cela veut dire que certains points du programme de la Nupes doivent être éclaircis : faire l’objet d’un débat démocratique ouvert, pour que les priorités soient réfléchies. La mise en œuvre d’un programme de transition écologique et sociale n’en est pas moins urgente.

Bruno Bourgeon http://www.aid97400.re

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