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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-067

Assange : une lueur au bout du tunnel

Par Chip Gibbons, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

mardi 20 juin 2023, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Assange : une lueur au bout du tunnel

Le 13 Avril 2023 par Chip Gibbons

Chip Gibbons est directeur politique de Defending Rights & Dissent. Il a animé le podcast Still Spying, qui retrace l’histoire de la surveillance politique exercée par le FBI. Il travaille actuellement à la rédaction d’un livre sur l’histoire du FBI, dans lequel il analyse la relation entre la surveillance politique nationale et l’émergence de l’État de sécurité nationale aux États-Unis.

Julian Assange s’adresse aux médias depuis le balcon de l’ambassade d’Équateur à Londres, en Angleterre, le 19 mai 2017 (Jack Taylor / Getty Images)

Des législateurs du monde entier demandent à nouveau aux États-Unis de mettre fin aux poursuites sans précédent engagées contre le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange. Pour la première fois, ils sont rejoints par des membres du Congrès américain, Rashida Tlaib en tête.

Il y a quatre ans, le 11 avril 2019, la police métropolitaine pénétrait dans l’ambassade d’Équateur à Londres et s’emparait du journaliste australien Julian Assange. Officiellement, la police britannique arrêtait le fondateur de WikiLeaks pour le délit de fuite alors qu’il était sous caution. Mais la véritable raison de cette arrestation était que les États-Unis souhaitaient l’extradition de Julian Assange.

Assange vivait dans les murs de l’ambassade depuis que le gouvernement du président équatorien Rafael Correa, craignant à juste titre qu’il soit poursuivi aux États-Unis pour ses activités journalistiques, lui avait accordé l’asile.

Il n’a jamais pu se rendre en Équateur, le gouvernement britannique ayant organisé le siège de l’ambassade, le gardant captif dans une situation qu’un groupe de travail des Nations unies a jugée arbitraire .

Mais le successeur de Correa, le président Lenín Moreno, a fait volte-face, révoquant l’asile de Assange et autorisant la police britannique à pénétrer dans l’ambassade. « Le plus grand traître de l’histoire de l’Équateur et de l’Amérique latine, Lenín Moreno, a permis à la police britannique d’entrer dans notre ambassade à Londres pour arrêter Assange », a déclaré Correa par la suite. « Ce qu’il a fait est un crime que l’humanité n’oubliera jamais »

Lettre et signatures des parlementaires brésiliens

Le même jour, les États-Unis ont rendu public un acte d’accusation contre Assange pour « conspiration en vue de commettre une intrusion informatique ». Il s’avérera plus tard que les accusations concernant sa liberté sous caution ont été portées par le Royaume-Uni à la demande de la Maison Blanche dans le cadre d’un plan visant à l’arrêter.

Un mois plus tard, les États-Unis ont retenu dix-sept autres chefs d’accusation, en raison du rôle joué par Assange dans la publication d’informations sur les crimes de guerre et les abus de pouvoir commis par les États-Unis. Bien que la situation d’Assange soit désastreuse, il y a des raisons d’espérer.

À l’occasion de l’anniversaire de son arrestation, des législateurs du monde entier ont manifesté leur soutien à Assange. Ce n’est pas la première fois que des législateurs internationaux demandent aux États-Unis de mettre fin aux poursuites engagées contre Assange. Mais pour la première fois, ils ont été rejoints par certains membres du Congrès américain.

L’indignation internationale

Quatre ans plus tard, Assange est toujours emprisonné à la prison de Belmarsh. Il s’agit de l’une des prisons les plus dures de Grande-Bretagne. Son utilisation pendant la « guerre contre le terrorisme » lui a valu d’être comparée à Guantanamo Bay. L’état de santé d’Assange est de plus en plus précaire, ce qui a conduit sa famille à l’accuser d’être la victime d’un « meurtre au ralenti ».

Heureusement, les législateurs d’un certain nombre de pays s’unissent aujourd’hui pour protester contre les poursuites engagées contre Assange. Au Royaume-Uni, une lettre s’opposant à son extradition, rédigée par Richard Burgon, député travailliste et membre du Socialist Campaign Group, arecueilli le soutien de trente-cinq députés et lords. Il s’agit non seulement de travaillistes, mais aussi de membres du Parti national écossais, de Plaid Cymru, des Démocrates libéraux, d’un Vert et même d’un Conservateur.

Des centaines de partisans de Julian Assange forment une chaîne humaine autour du Parlement, entre les ponts de Westminster et de Lambeth, des deux côtés de la Tamise, pour demander la libération du lanceur d’alerte emprisonné, le 8 octobre 2022 à Londres, au Royaume-Uni (Mark Kerrison / In Pictures via Getty Images)

En Australie, une lettre à l’initiative du député indépendant Andrew Wilkie a recueilli quarante-huit signatures, chaque parti au Parlement étant représenté, cela constitue plus de 20% de l’ensemble du Parlement. Au Mexique, Citlalli Hernández, sénateur de Morena, et Manuel Vázquez, membre de la Chambre des députés de Morena et survivant du massacre d’Ayotzinapa, ont recueilli les signatures de quatre-vingt-dix-sept législateurs.

Au Brésil, quatre-vingt-dix-neuf membres du Parlement et du Sénat ont envoyé une lettre à l’ambassade des États-Unis.

Contrairement aux années précédentes, les législateurs américains se sont joints à leurs homologues étrangers pour exiger la libération d’Assange. La représentante Rashida Tlaib (Démocrate, Michigan) a pris l’initiative d’une lettre à laquelle se sont joints les membres du Congrès Jamaal Bowman (Démocrate, New York), Cori Bush (Démocrate, Missouri), Greg Casar (Démocrate, Texas), Alexandria Ocasio-Cortez (Démocrate, New York), Ilhan Omar (Démocrate, Nouveau Mexique) et Ayanna Pressley (Démocrate, Massachusetts).

La lettre revendiquait une opposition quasi unanime aux poursuites de la part des groupes de défense de la liberté de la presse, ainsi que l’opposition de journaux comme le New York Times et le Guardian. Nombre de ces journaux ont collaboré avec WikiLeaks concernant certaines des publications pour lesquelles Assange est inculpé.

Sur Twitter, Tlaib n’a pas mâché ses mots : « Il y a quatre ans aujourd’hui, Julian Assange a été arrêté pour avoir publié la vérité ».

Holden Triplett, ancien fonctionnaire du FBI et intervenant lors de l’événement "Case of Julian Assange" organisé par le Michael V. Hayden Center le 5 décembre 2022 (Source TheDissenter)

Lorsque Julian Assange a été inculpé pour la première fois, le groupe pour lequel je travaille, Defending Rights & Dissent, a immédiatement commencé à se rendre dans les bureaux du Congrès pour informer les membres du congrès de l’inculpation d’Assange et de la menace plus large que représente la loi sur l’espionnage (Espionage Act).

Il y avait (et il y a toujours) une quantité incroyable d’informations erronées sur cette question au Congrès. En outre, de nombreuses personnes qui, en privé, sont conscientes du problème ont peur de s’exprimer contre l’acte d’accusation.

Bien qu’il soit impossible de ne pas noter le nombre plus modeste de signataires de la lettre américaine par rapport à celui d’autres parties du monde, le courage de ceux qui l’ont signée et son importance historique doivent être reconnus.

Cette lettre a été rendue possible, en grande partie, grâce au travail de groupes de défense des libertés civiles tels que Defending Rights & Dissent, qui ont sensibilisé le Congrès, à la décision de Progressive International d’organiser une session du tribunal de Belmarsh à Washington, et au travail inlassable des militants de base qui ont fait pression sur leurs représentants au congrès pour qu’ils portent leurs convictions.

On ne peut qu’espérer que ce n’est là que le début. Il suffit de parcourir les discussions sur Assange sur les réseaux sociaux pour constater que ceux qui s’opposent le plus fermement à sa liberté sont ceux qui ont le moins à dire sur le contenu de l’acte d’accusation. C’est également le cas dans les sphères gouvernementales.

Lorsque j’ai rendu compte d’une table ronde au sujet d’Assange organisée par le Michael V. Hayden Center (du nom de l’ancien directeur de la NSA et de la CIA), les panélistes anti-Assange ont clairement indiqué qu’ils ne voulaient pas discuter du contenu de l’acte d’accusation à l’encontre d’Assange.

La représentante Rashida Tlaib, Démocrate-Michigan, s’exprime lors d’une conférence de presse le 18 juillet 2022 à Washington, D.C.(Photo : Getty Images)

Les allégations d’atteinte à la sécurité nationale, aussi fallacieuses soient-elles, sont toujours un bon moyen de pression. Mais dans le cas d’Assange, ce ne sont pas seulement les allégations d’atteinte à la sécurité nationale qui animent ses détracteurs les plus véhéments. WikiLeaks a publié une série de courriels internes du Comité national démocrate (DNC) très peu flatteurs, qui témoignaient d’un parti pris contre la campagne de Bernie Sanders profondément ancré.

En conséquence, un certain nombre de partisans d’Hillary Clinton ont tenté de faire de WikiLeaks le bouc émissaire de sa défaite. En 2019, le DNC a tenté de poursuivre WikiLeaks pour la publication de ces courriels, mais un juge a rejeté la plainte en invoquant le Premier amendement .

Robert Mueller s’est également penché sur la question et a refusé d’engager des poursuites pénales en raison de l’absence de preuves liant WikiLeaks à un quelconque piratage et en soulignant que la publication des courriels du DNC était protégée par le Premier Amendement.

L’acte d’accusation contre Assange ne concerne que les informations publiées entre 2010 et 2011 concernant les guerres en Irak et en Afghanistan, le camp de prisonniers de Guantanamo Bay, à Cuba, et la corruption du département d’État américain.

Et pourtant, il semblerait que certains, dans le but de se venger de l’élection de 2016, soient prêts à soutenir les persécutions et les tortures dont il est victime parce qu’il a révélé des crimes de guerre.

Dans une lettre interne adressée à ses collègues et publiée par The Intercept, Tlaib écrit : « Je sais que beaucoup d’entre nous sont très remontés contre Assange, mais ce que nous pensons de lui et de ses actions n’est vraiment pas le sujet ici. La réalité, c’est que la manière dont Assange est poursuivi en vertu de la loi sur l’espionnage, loi notoirement antidémocratique, porte gravement atteinte à la liberté de la presse et au Premier amendement »

Les Mémos Mueller (BuzzFeed News ; Getty Images)

Tlaib a raison d’exhorter ses collègues à mettre de côté leurs sentiments vis-à-vis d’Assange. Même si je suis convaincue que WikiLeaks est l’une des entreprises journalistiques les plus audacieuses et les plus importantes de ce siècle, les enjeux sont bien plus importants que le sort d’un seul individu : il ne s’agit de rien de moins que de l’avenir du premier amendement.

Le monde entier se mobilise depuis longtemps pour dénoncer la persécution dont Assange fait l’objet de la part des États-Unis, et les membres du Congrès se joignent enfin à ce mouvement. Nous sommes encore loin du compte, mais nous commençons à gagner du terrain. La Gauche doit se tenir aux côtés de ceux qui sont prêts à dénoncer cette persécution.

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