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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2024-039

Les États Unis exportent la mort

Par Norman Solomon, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

mardi 16 avril 2024, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Les États Unis exportent la mort

Le 2 avril 2024 par Norman Solomon

Norman Solomon est directeur national de RootsAction.org, il est aussi directeur exécutif de l’Institute for Public Accuracy. Son dernier livre, War Made Invisible : How America Hides the Human Toll of Its Military Machine (La guerre rendue invisible : comment l’Amérique cache le bilan humain de sa machine militaire), a été publié en juin 2023 par The New Press.

Gaza (Cagle Cartoons : Emad Hajjaj )

Le dernier transfert massif de bombes, des munitions de type Mark 84 des États-Unis vers Israël n’est apparemment pas digne d’intérêt pour le New York Times.

Alors que le Washington Post a révélé vendredi après-midi que « l’administration Biden a dans le plus grand silence a autorisé ces derniers jours le transfert vers Israël de bombes et d’avions de combat valant des milliards de dollars », énormément de gens s’en sont émus.

Les lecteurs de l’article ont posté plus de 10 000 commentaires sur sa page web. Common Dreams, l’un des principaux sites progressistes de nouvelles de dernière minute, a rapidement embrayé le pas en publiant un article dont le titre commençait par le mot "obscène".

Les réactions sur les médias sociaux ont été immédiates et vives ; un tweet de notre équipe de RootsAction suite au scoop du Post a été vu plus de 600 000 fois.

Mais au New York Times - le journal prétendument de référence du pays - les jours se suivent et pourtant les équipes éditoriales ont décidé que cette information concernant le nouveau transfert massif d’armes à Israël ne valait absolument pas la peine d’être publiée.

Et pourtant, l’information est fiable. Une dépêche (https://www.reuters.com/world/middle-east/us-has-signed-off-more-bombs-warplanes-israel-washington-post-reports-2024-03-29/) de Reuters a indiqué que deux sources « confirmaient » le communiqué du Post.

En omettant de relayer l’information, le New York Times a donné un coup de pouce au processus de normalisation du massacre à Gaza, comme si le fait d’expédier d’énormes quantités de ce type de bombes pour les utiliser afin d’ôter la vie à des civils palestiniens ne présentait aucun intérêt et ne méritait pas d’être signalé.

Des Palestiniens inspectent le site d’une frappe israélienne sur une maison, dans le cadre du conflit actuel entre Israël et le Hamas, à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, le 29 mars 2024 (REUTERS/Ahmed Zakot)

Une énième journée consacrée au génocide. En omettant intentionnellement de publier cette information d’une importance capitale concernant ces nouvelles livraisons d’armements, le Times a tacitement indiqué que la volonté flagrante de l’Oncle Sam de tenir un double langage - en contribuant à un nouveau carnage à une échelle qui relève d’esprits dépravés - n’était pas un problème majeur.

À la fin du week-end, j’ai envoyé un courriel à la rédactrice en chef du Times, Carolyn Ryan, pour lui demander pourquoi le journal ne couvrait pas du tout cette information. Elle a transmis ma question au responsable des relations publiques du Times, qui, le lundi soir s’est contenté d’une non-réponse.

La voici dans son intégralité : « Le New York Times s’est investi plus que tout autre journal américain au cours de la dernière décennie pour aider les lecteurs à comprendre les complexités du conflit entre Israël et le Hamas. Nous continuons à rendre compte des événements au fur et à mesure qu’ils se produisent, à la fois dans la région, au niveau international et au sein du gouvernement américain ».

Cette dérobade complète, teintée d’autosatisfaction, reflète l’arrogance du pouvoir médiatique de l’organe d’information le plus influent et le plus diffusé des États-Unis. Plutôt que de donner de la visibilité à ce sujet crucial auprès de toute la communauté médiatique du pays, le Times a choisi de l’étouffer.

L’adage selon lequel « justice différée est justice niée » s’applique également aux médias et à la guerre : le journalisme différé est du journalisme nié.

Le refus du Times de couvrir le sujet alors qu’il a éclaté est une faute professionnelle journalistique, qui contribue à faire de cette affaire à peine plus qu’un sujet éphémère d’un jour au lieu du sujet de débat national précis qu’il aurait dû être.

L’article du Post avait mis à nu, à un moment historique crucial, une contradiction mortifère dans le comportement des hauts responsables du gouvernement américain - aidant et encourageant directement le massacre méthodique de civils à Gaza par Israël tout en débitant des platitudes simplistes les concernant.

Dans sa phrase d’accroche, l’article indique que la Maison Blanche a approuvé les nouvelles livraisons de bombes et d’avions à réaction « même si Washington exprime des inquiétudes quant à une offensive militaire anticipée dans le sud de Gaza, offensive qui pourrait menacer la vie de centaines de milliers de civils palestiniens ». Cette incohérence montre à quel point les « inquiétudes de Washington » sont bidons.

Des Palestiniens inspectent le site d’une frappe israélienne, dans le cadre du conflit entre Israël et le groupe islamiste palestinien Hamas, à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 27 mars 2024 (REUTERS/Bassam Masoud)

« Les nouveaux lots d’armes envoyés comprennent plus de 1800 bombes MK84 de 2000 livres et 500 bombes MK82 de 500 livres, selon des fonctionnaires du Pentagone et du département d’État au fait de la question », a rapporté le Post.

« Il existe des liens établis entre les bombes de 2000 livres et de précédentes tueries de masse perpétrées dans le cadre de la campagne militaire israélienne à Gaza ».

L’article cite un fonctionnaire non identifié de la Maison Blanche qui, de fait, souligne que tout le discours sur la prétendue détresse qu’éprouverait le président Biden face aux massacres de civils à Gaza n’est qu’un cruel exercice d’enfumage de relations publiques :

« Nous continuons de soutenir le droit d’Israël à se défendre. Conditionner l’aide ne fait pas partie de notre politique ». Traduction : Nous continuons de soutenir, via une aide militaire massive, la prérogative d’Israël de continuer à massacrer les civils palestiniens.

Si les rédacteurs du Times souhaitent comprendre à quel point les bombes de 900 kg actuellement en route pour Israël sont absolument abominables, ils pourraient relire quelques articles de leur propre journal.

En décembre, ce dernier décrivait ces bombes comme « l’une des munitions les plus destructrices figurant dans les arsenaux militaires occidentaux » - une arme qui « libère une onde de souffle et des fragments de métal à des milliers de mètres dans toutes les directions ».

À l’époque, le Times indiquait qu’à « au moins à 200 reprises, Israël a utilisé ces munitions dans la zone qu’il désignait comme sûre pour les civils » et que ces bombes de 2000 livres constituaient « une menace persistante pour les civils cherchant à se mettre en sécurité dans le sud de la bande de Gaza ».

Des personnes se tiennent au bord d’un cratère causé par une frappe aérienne israélienne, dans le sud de la bande de Gaza, décembre 2023 (Credit : Mahmud Hams / AFP)

Il y a fort à parier que le nouvel envoi de bombes de 900 kg vers Israël semblerait davantage digne d’intérêt pour les rédacteurs du New York Times si c’était la vie de leurs proches qui était en jeu.

NORMAN SOLOMON

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