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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2020-58

Le SAGEGATE ou comment le gouvernement a ignoré la science pour sauver l’économie et promouvoir le mythe de l’immunité collective

Par Nafeez Ahmed, traduit par Jocelyne le Boulicaut

mardi 11 août 2020, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Le SAGEGATE ou comment le gouvernement a ignoré la science pour sauver l’économie et promouvoir le mythe de l’immunité collective

Par Nafeez Ahmed, Le 3 juillet 2020

Groupe consultatif scientifique sur les urgences

Après une enquête approfondie de cinq mois concernant des documents du SAGE, Nafeez Ahmed arrive à des conclusions choquantes. Le Royaume-Uni présente maintenant des résultats qui sont parmi les pires au monde.

Avec près de 70 000 décès de surmortalité dus au coronavirus, le taux de mortalité du pays pour la COVID-19 est le pire de tous les pays du G7. Simultanément, son économie est susceptible de subir les pires dommages de tous les pays développés, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Comment en sommes-nous arrivés là ? Pour le savoir, j’ai examiné les documents récemment publiés par le Government’s Scientific Advisory Group on Emergencies (SAGE) [Groupe consultatif scientifique sur les urgences, NdT] pour voir si le processus de prise de décision qui a conduit le pays dans cette situation désastreuse pouvait être expliqué.

Ce que j’ai trouvé, ce sont en fait des échecs majeurs - qui ont été largement ignorés par la presse grand public. Les procès-verbaux des réunions du SAGE mettent en lumière trois défaillances majeures dans le processus décisionnel du gouvernement et celles-ci doivent impérativement être corrigées.

La première est l’obsession idéologique qui consiste à protéger l’économie au prix de vies humaines - enracinée dans une hypothèse inébranlable selon laquelle protéger la santé publique signifie automatiquement mettre l’économie en danger. Il existe une préoccupation implicite et constante selon laquelle la santé publique et la prospérité économique fonctionnent à contre courant, dans une sorte de jeu à résultat nul.

La deuxième, c’est le refus catégorique d’envisager sérieusement de mettre fin au Coronavirus, ce qui semble correspondre à l’hypothèse selon laquelle le fait de le laisser circuler dans la population faciliterait l’"immunité collective", bien que cette idée ne repose sur aucune preuve scientifique. Pendant des mois, le gouvernement a semblé prêt à accepter qu’au moins 500 000 personnes puissent être sacrifiées en conséquence de cette stratégie, mais n’était pas disposé à reconsidérer son approche. Le stratège en chef du Premier ministre, Dominic Cummings, était présent lors des réunions du SAGE.

La troisième est à trouver dans l’insistance à se précipiter pour lever les restrictions de confinement prématurément et au hasard, contre l’avis rationnel des scientifiques - une décision qui semble avoir été prise avec l’avis du Ministère des Finances. Deux semaines seulement après la mise en place des restrictions, le gouvernement a commencé à faire pression sur le SAGE pour qu’il identifie les moyens de les lever. Bien que le SAGE ait averti à plusieurs reprises que la levée des restrictions trop tôt sans un programme intensif de tests et de traçage entraînerait une recrudescence de l’épidémie et de nouveaux décès, le gouvernement a tout de même poursuivi sans en tenir compte.

Pas un seul grand média n’a fait d’enquête en détail concernant les documents du SAGE, de sorte que le tableau général de la crise du coronavirus au Royaume-Uni reste peu connu.

Mais une analyse détaillée des documents du SAGE allant de février à juin jette un nouvel éclairage inquiétant sur la façon dont un cocktail fatal d’idéologie économique, de spéculations scientifiquement infondées sur l’immunité collective et un refus orgueilleux de considérer les stratégies les meilleures et les plus efficaces dans le monde entier ont conduit à des résultats catastrophiques.

SAGEGATE : PREMIÈRE PARTIE : Les conseillers du Trésor et de Downing Street sont intervenus pour retarder le confinement lié à la COVID-19

Par Nafeez Ahmed, le 3 juillet 2020

Nafeez Ahmed révèle comment la pression extérieure a pesé sur le SAGE pour qu’il donne la priorité aux "chaînes d’approvisionnement", à l’"économie au sens large", à la "main-d’œuvre" et aux " affaires".

Les documents publiés par le groupe consultatif scientifique sur les situations d’urgence (SAGE) du gouvernement britannique mettent en lumière la manière dont les préoccupations générales concernant l’économie ont fait dérailler les efforts de maîtrise du coronavirus, entraînant le scénario le pire au monde : des taux maximum de mortalité combinés à la pire performance économique.

L’un des thèmes les plus récurrents qui ressort des comptes-rendus des réunions du SAGE est la façon dont le gouvernement a constamment attendu de ses scientifiques qu’ils tiennent compte de l’impact économique des restrictions en matière de confinement, bien que le SAGE n’ait fait aucune modélisation économique.

Les compte-rendus révèlent que la modélisation économique des conséquences potentielles des mesures de distanciation physique était menée par d’autres départements du gouvernement tels que le Trésor et le département actuarial [Le Government Actuary’s Department est un service du gouvernement du Royaume-Uni chargé de fournir des conseils actuariels aux clients du secteur public, NdT]. Cette preuve est évidente dans le contexte de la décision du gouvernement, dès le départ, de refuser de considérer l’objectif d’éradication du Coronavirus comme une option réaliste.

Éviter l’inévitable

Les compte-rendus du SAGE confirment que le gouvernement n’a à aucun moment envisagé de tenter d’empêcher le Coronavirus de devenir endémique au Royaume-Uni. Ils montrent également comment les mesures de distanciation physique ont été constamment et à plusieurs reprises opposées à des considérations économiques.

En fait, le 3 février, la principale préoccupation était de protéger les "chaînes d’approvisionnement" du Royaume-Uni plutôt que d’appliquer des restrictions précoces qui auraient pu contribuer à empêcher le virus d’entrer dans le pays. Les rapports de l’époque du SAGE indiquaient que la prévention des "infections importées" aurait nécessité "des mesures draconiennes et coordonnées" à la frontière et que "l’arrêt des voyages aurait également d’autres impacts, notamment sur les chaînes d’approvisionnement".

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Presque toutes les mesures de distanciation physique qui ont été adoptées par la suite avaient alors été rejetées d’emblée.

Le lendemain, les conseillers scientifiques du gouvernement ont semblé admettre que la propagation de la COVID-19 au Royaume-Uni serait inévitable et que l’objectif n’était pas d’empêcher cette propagation, mais simplement de la "retarder" afin d’améliorer "l’état de préparation du système de santé et sa capacité à traiter les cas".

Entre-temps, presque toutes les mesures de distanciation physique adoptées par la suite avaient été rejetées d’emblée. Les fermetures d’écoles, l’interdiction des rassemblements publics, l’arrêt des transports publics et d’autres mesures ont été décrites comme "probablement relativement inefficaces". Mais les documents du SAGE indiquent que ce rejet était moins d’ordre scientifique que né d’une contrainte du gouvernement à tenir compte de facteurs économiques.

Pas de modélisation de la distanciation physique

Les documents du SAGE publiés antérieurement concernant les fermetures d’écoles ont montré que le SAGE avait apporté de nombreuses preuves de leur efficacité en se basant sur des analyses préliminaires de la littérature scientifique existante. Il a été reconnu qu’une action précoce pouvait potentiellement réduire une épidémie jusqu’à 60%. Mais, d’une manière ou d’une autre, ces données ont fini par être écartées des recommandations finales que le SAGE a fait au gouvernement.

Le rapport du SAGE laisse entendre que cela est dû à l’insistance permanente du gouvernement pour que les "conséquences économiques" de ces mesures d’éloignement physique soient prises en compte. Ce n’est que bien plus tard que le gouvernement a demandé au SAGE de procéder à une modélisation précise des mesures de distanciation physique.

Étant donné que le gouvernement s’est appuyé sur la modélisation pour définir sa stratégie, l’absence de modélisation détaillée des stratégies de distanciation physique trois mois après le début de la crise est accablante et montre que ces mesures préventives n’ont pas été sérieusement prises en considération. Comme l’a fait remarquer le journaliste Stefan Simonowitz, "l’absence de modélisation épidémiologique pour le confinement jusqu’à la mi-mars" signifie que le gouvernement avait certifié qu’il n’envisagerait "aucune autre " solution alternative ".

Le gouvernement avait anticipé plus plus d’un million de morts par la COVID-19, mais pendant trois semaines a refusé de prendre des mesures Nafeez Ahmed

Entre-temps, plusieurs autres documents du SAGE antérieurs à mars faisaient explicitement référence à la manière dont les mesures de distanciation physique auraient des effets négatifs sur l’économie.

Le 11 février, les personnes assistant aux réunions du SAGE ont clairement indiqué qu’elles s’attendaient à une "contamination généralisée" au Royaume-Uni et que le virus atteindrait un pic deux à trois mois plus tard.Cependant, à cette époque, le gouvernement envisageait déjà de mettre fin au traçage des contacts.

Le procès-verbal montre que Public Health England (PHE) travaillerait avec un sous-groupe du SAGE, l’équipe de modélisation des infections (SPI-M), pour "élaborer des critères permettant de déterminer quand la recherche des contacts n’est plus utile".

Le même document montre que le SAGE conseillait au gouvernement de "prévoir les impacts sur le système de santé et aussi sur la main-d’œuvre britannique en général". En d’autres termes, le gouvernement mettait en balance la santé publique et des préoccupations économiques plus larges.

Blâmer le confinement pour les décès

Deux jours plus tard, le compte-rendu du SAGE était encore plus explicite quant au le rôle qu’ont joué les considérations économiques dans la réticence du gouvernement à mettre en œuvre une distanciation sociale à un stade précoce.

Après une discussion sur les raisons pour lesquelles il n’était pas utile de tenter d’empêcher la transmission du virus à travers le Royaume-Uni, le document fait référence à l’option que représentait la fermeture des écoles pour retarder soit la première vague de l’épidémie, soit son pic. Il ajoutait ensuite : "Quel que soit le choix, cela aurait des répercussions sur les écoles, les autres services et l’économie en général".

Le rapport demande ensuite que lors de la réunion suivante, le SAGE réexamine les effets des fermetures d’écoles, notamment en ce qui concerne les "conséquences sur la main-d’œuvre".Il est à remarquer que Ben Warner, conseiller principal à Downing street de Dominic Cummings, le conseiller principal du Premier ministre, a assisté à cette réunion du SAGE.

Ces préoccupations ont été réitérées le 23 mars, le procès-verbal du SAGE ayant révélé que l’analyse des "conséquences économiques" des interventions sociales et comportementales allait devenir un programme de recherche gouvernemental distinct en soi. "Étant donné les liens évidents entre la pauvreté et la mauvaise santé à long terme, les impacts sur la santé associés aux conséquences économiques, des mesures doivent également être étudiés", a indiqué le compte rendu de SAGE.

Le gouvernement a tenu à trouver des preuves que le confinement lui-même serait une cause majeure de décès. Dans une section intitulée "Excess Deaths Planning"(étude sur la surmortalité), le rapport du SAGE indique : "Une analyse actuarialle est nécessaire pour estimer le nombre de décès causés indirectement, y compris ceux causés par les interventions sociales ... En temps utile, une analyse des effets des mesures sur les autres causes de décès devrait être envisagée."

Vers la fin du mois, cet objectif a été réaffirmé alors même que le SAGE était déjà sous pression pour étudier comment lever les restrictions qui venaient d’être mises en place.Le 26 mars - trois jours après le début du confinement - le SAGE a été chargé de porter son attention sur les "futures phases de l’épidémie" au cours desquelles le gouvernement "publierait les mesures en cours en toute sécurité et donnerait des conseils sur les aspects à long terme".

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Le document du SAGE du 31 mars confirme en outre que la modélisation économique alimentait bien les décisions du gouvernement et la planification des scénarios - et qu’elle continuera de le faire.En ce qui concerne les futures priorités de recherche du SAGE, le rapport indique que "[le Trésor] a fait le point sur les travaux économiques envisagés ailleurs".

Le rapport note également que parmi les autres questions à étudier par le SAGE figure la question des "impacts à long terme des interventions sur la santé, y compris leurs effets socio-économiques". La tentative de modélisation des impacts économiques délétères des mesures de distanciation physique est constamment présent au cours des semaines suivantes.

Le 2 avril, alors même que le SAGE mettait le gouvernement en garde en termes très clairs contre "le danger qu’une levée précoce des mesures qui pourrait provoquer une seconde vague de croissance exponentielle de l’épidémie", le procès-verbal fait référence à un programme de modélisation économique du gouvernement qui était mené indépendamment du SAGE.

L’intégration de cette modélisation semble avoir été discutée lors de cette réunion. Le rapport fait état des résultats de cette discussion : "Le SAGE a convenu qu’il n’est pas conseillé de combiner l’analyse épidémiologique et économique ou l’analyse des effets secondaires sur la santé dans un seul modèle".

Modélisation économique de Vote Leave [Vote Leave est une organisation de campagne fondée par Cummings qui a soutenu un vote « Leave » lors du référendum sur l’adhésion à l’Union européenne au Royaume-Uni en 2016, NdT]

Il faut reconnaître, et c’est tout à leur honneur, que les scientifiques du SAGE ont résisté à l’idée proposée lors de la réunion selon laquelle le gouvernement devrait prendre ses décisions de santé publique en utilisant un modèle unique qui combinerait les questions de santé publique et la modélisation économique.

Néanmoins, cette modélisation allait se poursuivre ailleurs, notamment avec le soutien du département de l’actuaire : "Un groupe dirigé par Ian Diamond et John Aston - et comprenant le NHS, le HO [Home Office], le département actuarial du gouvernement - étudie les impacts à long terme des interventions sur la santé globale dans le cadre de son travail sur la surmortalité."

Un ancien membre de l’équipe scientifique de la campagne "Vote Leave", Ben Warner avait assisté à cette réunion et à d’autres où cette dimension économique était explicitement mentionnée. Lors de la dernière réunion, Warner avait été rejoint par une autre haute fonctionnaire du gouvernement, Vanessa MacDougall, du Trésor.

MacDougall est directrice de l’économie et conseillère économique en chef adjointe au Trésor. Elle conseille les ministres sur "les perspectives de l’économie britannique et la base factuelle pour l’élaboration de politiques macroéconomiques et microéconomiques visant à soutenir la croissance et la productivité du Royaume-Uni".

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Moins d’une semaine plus tard, le SAGE a de nouveau été invité à "se pencher sur les impacts directs et indirects des mesures sur la santé, concernant tant les cas de COVID-19 que plus largement (par exemple, l’ajournement d’autres soins dans le cadre du NHS, et ses effets socio-économiques)".

Conformément aux compte-rendus précédents, ce travail ne serait pas effectué par le SAGE, mais par un "sous-groupe formé de participants du SAGE ainsi que d’autres experts". À ce jour, le gouvernement n’a pas publié ces modèles économiques. Mais il semble difficile d’éviter d’arriver à la conclusion que ceux-ci ont joué un rôle clé dans sa stratégie COVID-19.

Le procès-verbal du SAGE confirme que le gouvernement n’a pas "suivi la science". Jusqu’à la mi-mars, ni la distanciation sociale, ni les tests, ni le traçage n’ont été modélisés par le SAGE afin d’en connaître leurs implications sur la santé publique. Les données sur les capacités du service de santé ne sont parvenues aux oreilles du gouvernement qu’à cette époque. Pourquoi cette recherche scientifique a-t-elle été paralysée pendant des mois alors que le gouvernement regardait la COVID-19 balayer le pays ?