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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2024-015

Corps électoral et élu.es absolument pas d’accord aux Etats Unis

Par Branko Marcetic, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

jeudi 8 février 2024, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Corps électoral et élu.es absolument pas d’accord aux Etats Unis

Le 20 Janvier 2024 par Branko Marcetic

Branko Marcetic est un des rédacteurs de Jacobin, il est aussi l’auteur de Yesterday’s Man : The Case Against Joe Biden (L’homme du passé, le dossier contre Joe Biden, NdT). Il vit à Chicago, dans l’Illinois.

Des manifestants pro-palestiniens interrompent la séance du 31 octobre 2023 au Sénat, au cours de laquelle le secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, et le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, témoignaient. (Drew Angerer / Getty Images)

Le Congrès américain est déconnecté de ses électeurs quant au soutien qu’il apporte à Israël. Les sondages réalisés auprès des électeurs américains montrent une sympathie grandissante pour les Palestiniens. Mais cette semaine, une simple mesure visant à vérifier si Israël utilise l’aide américaine pour violer les droits humains n’a même pas pu être votée par le Sénat.

En 2024, les États-Unis d’Amérique continuent d’être un pays pro-israélien, même si une frange importante et croissante de la population est sensible à la cause palestinienne - en particulier chez les jeunes, les Démocrates et les progressistes.

Au Congrès américain, le soutien à Israël est quasi systématique et inconditionnel, et le soutien aux Palestiniens est minoritaire, au point d’être marginal. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le dernier vote du Sénat concernant la destruction quasi sans précédent de Gaza par Israël.

Le mois dernier, le sénateur Bernie Sanders (Indépendant-Vermont) a proposé une modeste mesure qui ferait appel à une loi américaine existante qui oblige le département d’État à vérifier si un pays recevant une aide américaine respecte ou non les lois de la guerre, et à l’appliquer à Israël. La mesure de Sanders a finalement été soumise au vote en début de semaine.

La résolution n’aurait pas stoppé l’aide américaine à Israël, même si le robinet de l’aide se serait automatiquement fermé dans le cas où le Département d’Etat se serait trouvé dans l’incapacité de produire un rapport dans un délai de 30 jours.

Le résultat le plus probable aurait été que le rapport soit présenté, et que le Congrès vote alors sur la poursuite de l’aide à Israël, un vote qui, avouons-le, aurait probablement été favorable à Israël, quelle que soit la conclusion du département d’État sur la campagne militaire du pays.

Rassemblement en faveur d’un cessez-le-feu à San Francisco le 6 janvier 2024 (Tayfun Coskun / Anadolu Images)

Néanmoins, le projet de loi a été rejeté au Sénat par une majorité écrasante de 72 à 11, 17 sénateurs s’étant abstenus. Tous les sénateurs qui ont voté en faveur de la mesure étaient des Démocrates, à l’exception de deux d’entre eux- Sanders lui-même et le sénateur Républicain Rand Paul. Des opposants comme le sénateur Ben Cardin (Démocrate-Maryland) ont affirmé que le projet de loi « afficherait une dissension entre Israël et les États-Unis ».

Si on traduit cela en pourcentage, cela veut dire que 72% des membres du Sénat sont opposés à ce que le gouvernement américain ne fasse, ne serait-ce que vérifier si son aide est utilisée pour commettre des violations des droits humains, une accusation que Washington brandit régulièrement contre ses adversaires pour justifier l’escalade des hostilités ou une action militaire à leur encontre, et dont les politiciens américains se targuent en permanence au nom de la protection du monde entier.

Seuls 11% des sénateurs pensent que les États-Unis devraient s’assurer qu’ils ne sont pas en train de faciliter les crimes de guerre israéliens.

Si l’on en revient à des lignes partisanes, seuls 19% des Démocrates du Sénat ont voté en faveur de ce contrôle modéré des crimes de guerre israéliens, et 77% ont voté contre. Pour les Républicains, ces chiffres n’étaient que de 2% et 67%, respectivement.

Comparons maintenant ces chiffres aux récents sondages de l’opinion américaine concernant la guerre de Gaza, cette enquête, par exemple, commanditée par l’American Arab Institute (AAI) et la Rainbow PUSH Coalition et réalisée au début de ce mois.

Ce sondage révèle qu’une majorité de 42% des personnes interrogées pensent que la politique américaine devrait respecter un équilibre entre les besoins israéliens et ceux concernant les palestiniens, et pour la population américaine, selon ce sondage, les États-Unis devraient s’efforcer d’être un intermédiaire honnête entre les deux parties, dans un rapport de 57% à 26%.

Quiconque s’assurerait que l’aide apportée à l’une des parties à un conflit n’est pas utilisée pour violer les droits humains de l’autre partie pourrait considérer qu’il s’agit là d’une approche « équilibrée » et d’un « honnête intermédiaire ».

Par ailleurs, le sondage demandait très précisément si l’assistance militaire américaine à Israël devait être absolument sans conditions alors que les civils palestiniens sont mis en danger. La réponse à cette question ? Non, par 51% contre 26.

La même proportion de personnes interrogées a également approuvé les objections formulées à l’encontre du président Joe Biden, qui a court-circuité le Congrès pour envoyer des armes à Israël en décembre, tandis qu’une autre fraction, cette fois de 41%, a déclaré que les États-Unis devraient envisager de réduire ou de soumettre à des conditions les milliards de dollars d’aide américaine qu’Israël reçoit chaque année.

Penchons-nous sur ces chiffres. L’opinion publique américaine pense que les États-Unis doivent conditionner l’aide qu’ils accordent à Israël dans une proportion de près de deux contre un.

Le Sénat américain de son côté pense à sept contre un, que les États-Unis n’ont pas besoin de vérifier que leurs armes ne servent pas à commettre des atrocités. Le Congrès semble tout aussi peu représentatif, même si on le met en parallèle avec des sondages qui montrent un public plus favorable à la guerre d’Israël.

L’administration Biden contourne le Congrès, pour la deuxième fois ce mois-ci, 30 décembre 2023 afin d’approuver une vente d’armes d’urgence à Israël (Evan Vucci-AP)

Un sondage CBS News/YouGov réalisé au début du mois de décembre, par exemple, demandait si les « récentes déclarations et actions de Biden vis à vis d’Israël » avaient montré trop ou pas assez de soutien pour le pays.

Au total, 69% des personnes interrogées ont estimé qu’il avait fait preuve d’un soutien suffisant (41%) ou insuffisant (28%), ce qui ne correspond pas exactement au contenu du vote du Sénat de cette semaine, mais montre qu’il existait (du moins au début du mois de décembre) une solide majorité de l’opinion publique en faveur du soutien à Israël.

Mais ce sondage a également révélé que pas moins de 31% des Américains estimaient que Biden avait trop soutenu Israël, ce qui contraste fortement avec les 11% seulement de sénateurs qui ont voté en faveur du projet de loi de Sanders et ce sondage a été réalisé avant les événements du mois et demi écoulé, dont l’explosion de la famine à Gaza, la barre des 20 000 morts palestiniens franchie et le procès pour génocide intenté contre Israël devant la Cour internationale de justice.

Ce même sondage, d’ailleurs, montrait que 38% des Démocrates et 23% des Républicains estimaient que Biden accordait trop de soutien à Israël, soit bien plus que les 19% de sénateurs Démocrates et les 2% de sénateurs Républicains qui venaient de voter pour le strict minimum en matière de contrôle de l’aide à ce pays.

Mais puisque le vote du Sénat porte sur une question assez spécifique qui ne correspond pas exactement à ce que les sondeurs ont demandé aux électeurs américains, intéressons-nous à quelque chose qui y correspond : le soutien des membres du Congrès en faveur d’un cessez-le-feu, la principale demande mondiale du mouvement de solidarité avec la Palestine, des organisations de défense des droits humains et des États atterrés par la guerre.

Selon le décompte de Win Without War, 59 membres de la Chambre des représentants et quatre sénateurs - tous Démocrates - ont jusqu’à présent soutenu les appels au cessez-le-feu.

Cela signifie qu’un cessez-le-feu n’est soutenu que par 13,6% de la Chambre des représentants, 4% du Sénat, 24% de l’ensemble des Démocrates du Congrès, 0% de l’ensemble des Républicains du Congrès.

Ces chiffres sont en décalage flagrant avec le reste du pays, toutes tendances confondues. Prenons l’exemple du sondage AAI/Rainbow PUSH, qui demandait aux électeurs s’ils seraient « plus enclins » ou « moins enclins » à soutenir un candidat à la Chambre des représentants qui soutiendrait un cessez-le-feu.

Des milliers de personnes se rassemblent pour la marche "Palestine libre" à Washington, D.C. Novembre 2023 (Photo par Win McNamee/Getty Images)

Par une marge de plus de deux contre un, soit 51 contre 23, les électeurs ont déclaré qu’ils y seraient plus enclins, y compris une grande majorité de sondés Démocrates, qui se sont prononcé par 61 contre 17.

Même la marge Républicaine en faveur d’un cessez-le-feu, beaucoup plus faible (39 contre 30), est nettement plus favorable à l’idée que le nombre de Républicains au Congrès qui la soutiennent actuellement (zéro).

On retrouve cette même tendance dans d’autres enquêtes. Selon un sondage de Morning Consult réalisé à la mi-décembre, les électeurs sont tous favorables à un cessez-le-feu par une marge de 59-19, soit trois contre un, y compris une majorité des Démocrates (68-13, soit plus de cinq contre un) et de Républicains (53-24, soit plus de deux contre un).

Un sondage réalisé par Data for Progress au début du mois de décembre indique que ces mêmes chiffres sont respectivement de 61-28, 76-16 et 49-41.

Même un sondage New York Times/Sienna College au cours du même mois, qui montrait une approbation moins catégorique d’un cessez-le-feu, révélait un électorat américain largement favorable à cette idée, quel que soit son parti, avec des marges respectives de 44-39, 61-22 et 24-60 - là encore, très éloignées du niveau de soutien au Congrès.

On remarquera que tous ces chiffres, qu’il s’agisse des Démocrates ou des Républicains, sont loin de correspondre à l’opposition quasi universelle à un cessez-le-feu au sein du Congrès américain et au soutien apporté par les membres du Congrès des deux partis à Israël, quelque soit la manière dont sont utilisées les armes américaines.

On sait depuis longtemps que le Congrès ne représente pas les opinions et les besoins de la population américaine. On a la preuve que c’est vrai, qu’il s’agisse de l’assurance-maladie pour tous ou, semble-t-il, de l’arrêt des massacres des Palestiniens par Israël.

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