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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2019-141

Comment sauver la planète et nous sauver nous mêmes ?

Par Craig Murray , traduit par Jocelyne le Boulicaut

mercredi 25 décembre 2019, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Comment sauver la planète et nous sauver nous mêmes ?

18 Novembre 2019 par Chris Hedges

Roger Hallam, chef de file dans la lutte internationale contre les changements climatiques. (M. Fish / Truthdig)

”Si vous ne lisez qu’un seul livre cette année, alors ce doit être celui de Roger Hallam "Common Sense For The 21st Century : Only Nonviolent Rebellion Can Now Stop Climate Breakdown And Social Collapse" [Le sens commun pour le XXIème Siècle : Seule la rébellion non-violente peut mettre fin à la dégradation du climat et à l’effondrement social NdT]

Le livre de Hallam, limpide et concis, qui fait écho à l’ouvrage "Le sens commun" de Thomas Paine, dit ce qu’une grande partie d’entre nous sait maintenant être vrai mais ne prononce jamais : Si nous ne remplaçons pas rapidement les élites dirigeantes, ça en sera fini de nous en tant qu’espèce.

C’est un argument convaincant et bien argumenté en faveur de la rébellion mondiale - la seule forme de résistance qui peut nous sauver de l’effondrement des écosystèmes et du génocide dus à l’activité humaine.

Il analyse correctement l’incapacité des militants écologistes de groupes comme 350.org à comprendre et affronter le pouvoir mondial des entreprises et avoir ainsi un impact significatif alors que nous nous acheminons vers un écocide. "Le sens commun pour le 21ème siècle" est un manuel de survie pour l’espèce humaine.

"Le système corrompu va tous nous tuer si nous ne nous révoltons pas", prévient sans détour Hallam, cofondateur de Extinction Rebellion.

Le militantisme, les manifestations, le lobbying, les pétitions, les appels aux Nations Unies et la confiance malencontreuse dans des politiciens "libéraux" tels que Barack Obama et Al Gore, ainsi que le travail de nombreuses ONG, se sont en fait traduits depuis 1990 par une augmentation des émissions mondiales de gaz carbonique de 60%.

Les Nations Unies estiment qu’il y aura une augmentation de 40 % des émissions de CO2 au cours des 10 prochaines années. Hallam, qui fait partie depuis longtemps du mouvement environnemental, dit pour parler de son activisme passé : "Je perdais mon temps."

Selon un rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publié l’an dernier, nous devons réduire nos émissions de carbone de 40 % au cours des 12 prochaines années pour avoir 50 % de chances d’éviter une catastrophe.

Mais les élites au pouvoir, comme on pouvait s’y attendre, ont ignoré l’avertissement ou ont proféré des platitudes vides de sens. Les émissions de CO2 ont augmenté de 1.6 % en 2017 et de 2.7 % en 2018. Les niveaux de dioxyde de carbone ont augmenté de 3,5 parts par million (ppm) l’an dernier, pour atteindre 415 ppm. Nous n’en sommes qu’à une dizaine d’années d’atteindre les 450 ppm, prévient Hallam, ce qui correspond à une augmentation moyenne de 2 degrés Celsius de la température.

"Soyons honnêtes à propos de ce que le mot ’catastrophe’ signifie réellement dans ce contexte ", écrit Hallam. "Nous sommes ici face à la lente et atroce souffrance et à la mort de milliards de gens. Voici ce que pourrait être une analyse morale : un récent avis scientifique a déclaré qu’à 5°C au-dessus de la température moyenne préindustrielle, le système écologique ne sera capable de subvenir qu’aux besoins de 1 milliard de personnes. Cela signifie que 6 à 7 milliards de personnes seront mortes d’ici une ou deux générations. Même si ce chiffre est inexact dans une proportion de 90 %, cela signifie que 600 millions de personnes risquent la famine et la mort au cours des 40 prochaines années. C’est 12 fois pire que le tribut des morts (civils et militaires) de la Seconde Guerre mondiale et plusieurs fois le tribut de chaque génocide connu dans l’histoire. C’est 12 fois pire que l’horreur du nazisme et du fascisme au XXe siècle. C’est ce que nos gouvernements génocidaires dans le monde entier laissent se produire avec leur plein accord . Le mot ’génocide ’ peut paraître ici hors contexte. Ce mot est souvent associé au nettoyage ethnique ou à des atrocités majeures comme l’Holocauste. Cependant, la définition du dictionnaire Merriam-Webster est la suivante : " ’la destruction délibérée et systématique d’un groupe racial, politique ou culturel’ ".

"Il est temps de devenir adulte et de voir le monde tel qu’il est", écrit Hallam. "Il y a des choses qui sont indéniablement réelles, il y a des choses que nous ne pouvons pas changer, et l’une d`entre elles est la loi de la physique. La glace fond lorsque la température augmente. Les cultures meurent en période de sécheresse. Les arbres brûlent pendant les feux de forêt. Parce que ces choses sont réelles, nous pouvons aussi être certains de ce que l’avenir nous réserve. Nous nous dirigeons maintenant vers une période d’effondrement écologique extrême. La question de savoir si cela conduira ou non à l’extinction de l’espèce humaine dépendra en grande partie des changements révolutionnaires qui se produiront dans nos sociétés au cours de la prochaine décennie. Ce n’est pas une question d’idéologie, mais de mathématiques et de physique." Hallam souligne que la plupart des prévisions des climatologues se sont révélées extrêmement optimistes. "Les découvertes scientifiques les plus récentes montrent que le permafrost fond 90 ans plus tôt que prévu et que les glaciers de l’Himalaya fondent deux fois plus vite que prévu," écrit-il. "Les retours d’information et le réchauffement enclenché nous amèneront à plus de 2°C avant même que nous ne prenions en compte les augmentations de température supplémentaires dues aux émissions d’origine humaine au cours des dix prochaines années."

" En bref, on est baisés - la seule question est de combien et dans combien de temps ?" Hallam poursuit : "Acceptons-nous ce destin ? Je ne crois pas que ce soit le cas. Beaucoup de gens qui se respectent et qui peuvent surmonter l’incapacité de l’être humain à ne pas croire ce qui lui déplaît, acceptent maintenant ce qui est évident si l’on regarde la science de la nature. Mais ils n’en ont pas encore compris les implications politiques et sociales."

Hallam comprend que même avec les réformistes au pouvoir - et les mutations politiques engendrées par le néolibéralisme n’ont pas favorisé la montée des réformateurs mais plutôt celle de démagogues de droite, tels Donald Trump et Jair Bolssonaro au Brésil, qui accélèrent les écocides - tout changement, quel que soit son rythme sera trop progressif et trop lent pour nous épargner une catastrophe.

Extinction Rebellion a pour objectif déclaré de faire tomber les élites dirigeantes. Ce mouvement a organisé la série de manifestations coordonnées du mois dernier dans 60 villes du monde entier. Quelque 1 832 personnes ont été arrêtées rien qu’à Londres. En outre, en avril, plus de 1 000 personnes ont été arrêtées au cours de 11 jours de désobéissance civile dans les rues de Londres. Vous pouvez voir ici, ici et ici les entretiens que j’ai eus avec Hallam.

"Ce n’est pas une question de préférence pour tel ou tel parti politique, écrit Hallam. "C’est une question de sociologie structurelle de base. Les institutions, comme les espèces animales, ont des limites quant à la vitesse à laquelle elles peuvent changer. Pour obtenir des changements rapides, elles doivent être remplacées par de nouveaux systèmes sociaux de politique, de pratique et de culture. C’est un terrible et douloureux constat, mais il est temps d’accepter notre réalité."

Rebelle pour la vie

Ce n’est qu’en jetant des dizaines de milliers de personnes dans les rues pour perturber et paralyser le fonctionnement de l’état et le capitalisme financier, bref une rébellion, que nous pouvons nous en sortir, estime-t-il. Il est conscient du fait que les manifestations doivent être non-violentes et se focaliser sur les gouvernements.

"Après une ou deux semaines de mise en œuvre de ce plan, l’histoire montre qu’il est fort probable qu’un régime s’effondre ou qu’il soit contraint d’opérer des changements structurels majeurs", écrit-il. "Cela est dû à une dynamique bien établie de combat politique non-violent. Les autorités sont confrontées à un dilemme impossible. D’une part, ils peuvent permettre à l’occupation quotidienne des rues de la ville de se poursuivre.

Cela ne fera qu’encourager une plus grande participation et miner leur autorité. Par contre, s’ils choisissent de réprimer les manifestants, ils risquent un effet de retour de flamme. C’est alors que plus de gens se retrouvent dans la rue en réponse aux sacrifices de ceux que les autorités ont retirés de la rue. Dans les situations de drame politique extrême, les gens oublient leur peur et décident de se porter aux côtés de ceux qui se sacrifient pour le bien commun."

"La seule façon de s’en sortir, c’est de faire en sorte que les négociations aient lieu, écrit-il. "Ce n’est qu’alors qu’une opportunité structurelle s’ouvrira pour la transformation impérieuse de l’économie dont nous avons besoin. Bien sûr, il n’est pas certain que cette proposition fonctionnera, mais elle est en grande partie réalisable. Ce qui est certain, cependant, c’est que les campagnes réformistes et le lobbying échoueront totalement comme c’est le cas depuis des décennies. Le changement structurel dont nous avons actuellement objectivement besoin doit se dérouler trop rapidement pour se satisfaire de quelque stratégie conventionnelle."

Aucune rébellion ne réussit, selon Hallam, à moins qu’elle ne s’adresse à un secteur de l’élite au pouvoir. Une fois qu’il y a des divisions dans la classe dirigeante, la paralysie s’ensuit et, en fin de compte, des éléments de plus en plus importants de l’élite font défaut pour rejoindre ceux qui sont rebelles ou refusent de défendre une classe dominante discréditée.

"L’action de masse ne peut se limiter à la non-violence au sens physique du terme, elle doit aussi impliquer un respect effectif de la population et de l’opposition, quelles que soient leurs réactions répressives", note Hallam.

Concernant la police, il écrit en particulier : Une démarche volontariste vers la police est un moyen efficace de faciliter la désobéissance civile de masse dans le contexte actuel. Cela signifie qu’il faut rencontrer les policiers dès leur arrivée sur les lieux et leur dire clairement deux choses : "C’est une action pacifique non violente" et "Nous respectons le fait que vous devez faire votre travail ici". Nous avons maintes fois démontré que cela calme les policiers et ouvre la voie à des interactions civiles par la suite.

Les activités de Extinction Rebellion se sont toujours déroulées poliment vis à vis de la police lorsque nous sommes arrêtés et dans les postes de police, en nous engageant dans de petites discussions et assez souvent dans des discussions politiques et autres sujets où ils ont peut être avec les militants un point commun (inégalités, salaire injuste). Si les policiers se montrent réticents au début, ils peuvent devenir plus ouverts en étant prêts à s’engager avec eux et à les écouter.

Cet échange peut commencer avant une action. Souvent, une rencontre en face à face avec la police est efficace, parce que les policiers sont alors en mesure de comprendre que les personnes avec qui ils traitent sont raisonnables et constructives.

Rebellion [ Extinction Rebellion NT] exigera aussi d’enfreindre la loi à maintes reprises. Cela signifiera du temps passé dans les établissements pénitentiaires et les prisons.

"Il serait positif pour Rebellion que les gens soient en détention avant le grand événement de résistance civile pour créer un écho national", écrit Hallam, qui a été emprisonné pendant six semaines cet automne à Londres." La meilleure façon d’y parvenir est que les gens commettent des actes répétés de désobéissance civile pacifique, puis lisent des déclarations dès qu’ils sont devant le tribunal, en ignorant le juge et le personnel judiciaire ".

D’une voix forte, ils pourraient dire : " Je suis tenu d’informer cette cour qu’en m’amenant ici, elle est complice du "plus grand de tous les crimes" à savoir, la destruction de notre planète et des enfants en raison de l’inaction perverse du régime au pouvoir aux volontés duquel vous avez choisi de vous soumettre. Je ne respecterai pas les règles de ce tribunal et je vais maintenant expliquer la menace existentielle qui pèse sur toute vie, nos familles, nos communautés et notre nation..." et ensuite commencer un long discours sur la crise écologique.

"Il en découlera probablement un outrage au tribunal et la personne arrêtée sera placée en détention provisoire ou condamnée à une peine d’emprisonnement. Ce sera un dilemme pour les autorités (selon le régime) quant à la durée de la détention provisoire ou de la peine. Si la période d’emprisonnement est courte, les gens seront bientôt libérés et pourront continuer la désobéissance civile pacifique. Si la sentence est longue, cela créera un drame médiatique national qui alimentera la rébellion générale."

Des assemblées populaires devront être constituées pour prendre le pouvoir et assurer une réduction spectaculaire et rapide des émissions de CO2.

La science est sans équivoque. L’augmentation de la température doit être maintenue entre 1 degré C et 1,5 degré C au-dessus des niveaux préindustriels, et les niveaux de CO2 doivent être stabilisés à environ 350 ppm. Nous devons trouver des moyens d’éliminer en grande partie les émissions de gaz à effet de serre de toutes sortes engendrées par l’homme d’ici une décennie, deux au plus, et mettre en place des programmes pour refroidir la terre, notamment en plantant des trillions d’arbres pour absorber le CO2.

L’un des moyens les plus faciles et les plus significatifs pour un individu de réduire directement son impact environnemental sur la planète est de se nourrir sans produits animaux. L’industrie de l’élevage rivalise avec l’industrie des combustibles fossiles comme l’une des causes multifactorielles les plus importantes de la catastrophe climatique.

Le danger, souligne Hallam, est que si nous n’agissons pas rapidement, nous déclencherons des rafales de réactions climatiques ou des points de basculement où aucun effort pour réduire les émissions ne sera fructueux. Les combustibles fossiles doivent être rapidement éliminés de l’économie, notamment par l’interdiction de tout nouvel investissement dans l’exploration et le développement des combustibles fossiles. Les centrales au charbon et au gaz doivent être fermées d’ici dix ans. Ce processus nécessitera une réduction massive de la consommation d’énergie, ce qui pourrait nécessiter un rationnement.

Hallam est tout à fait conscient du fait que nous pourrions échouer. Il est peut-être déjà trop tard, admet-il. Mais ne pas résister, c’est être complice de cet acte de génocide. Hallam comprend le pouvoir mondial des entreprises. Il sait comment le combattre. Le reste dépend de nous.

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