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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2019-135

Selon Andriy Derkach, parlementaire ukrainien : les "Fuites NABU" sont l’élément clef pour relancer les relations Ukraine-USA

Par Interfax-Ukraine, traduit par Jocelyne le Boulicaut

mardi 3 décembre 2019, par JMT

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Selon Andriy Derkach, parlementaire ukrainien : les "Fuites NABU" sont l’élément clef pour relancer les relations Ukraine-USA

Le 11 Octobre 2019 Entretien avec Andriy Derkach, membre du parlement, pour Interfax-Ukraine

Andriy Derkach, membre du parlement

Q : Vous avez été à l’origine de l’affaire d’ingérence de dignitaires Ukrainiens dans les élections américaines, en particulier concernant le "livre noir" du Parti des régions [parti politique ukrainien pro-russe NdT]. Voici maintenant qu’on en arrive au Bureau national anti-corruption de l’Ukraine (NABU), à l’ambassade des États-Unis et à Biden. Pourquoi avoir besoin de cela ?

R : Depuis 2016, l’Ukraine est au centre de la politique intérieure de son partenaire stratégique que sont les États-Unis, mais c’est aussi une source de frictions. Aujourd’hui, la situation devient préoccupante : aux États-Unis, la procédure de destitution du président sortant Donald Trump est lancée. On entend dire que "l’influence de l’Ukraine ne mènera à rien de bon." Cela nuit à la réputation de l’Ukraine, tant aux États-Unis que sur la scène internationale.

Voilà pourquoi la fonction première de la publication de ces documents est de rétablir des relations de confiance entre les partenaires stratégiques que sont les Etats-Unis et l’Ukraine. Ici, seule une enquête publique et transparente peut mettre fin à la série de scandales internationaux et à la corruption, dans lesquelles certains représentants des forces de l’ordre et des corps diplomatiques des deux pays s’enlisent.

Q : En quoi la publication de ces documents scandaleux aidera-t-elle l’Ukraine ?
R : Nous devons montrer aux États-Unis et aux autres pays qu’il est de notre intérêt de punir les coupables pour éviter que la situation ne se reproduise. La clé de l’amélioration des relations entre l’Ukraine et les États-Unis et de la revalorisation de l’image internationale de notre pays est pour ainsi dire aujourd’hui entre les mains des forces de l’ordre de l’Ukraine et de son président.

Vous avez précisé que j’étais à l’origine d’une affaire criminelle concernant l’ingérence dans les élections américaines. Les journalistes d’investigation qui sont en possession de certaines informations me les ont transmises. Nous parlons de correspondance entre des employés du NABU et des responsables de l’ambassade des États-Unis en Ukraine, du FBI etc. Et ces données ne proviennent pas d’Internet. Tout cela constitue le fondement de la procédure pénale n° 42188000000000000002952 (article 111 du Code pénal ukrainien, celui concernant la "haute trahison").

Q : Que vaut cette information ? Apporte-t-elle un éclairage nouveau sur des faits déjà connus ?

R : Aujourd’hui, j’ai fait la lumière sur une partie importante du casse-tête de l’ingérence dans les élections aux États-Unis et sur les faits de corruption internationale. Il s’agit de la correspondance entre des employés du NABU et des employés de l’ambassade des États-Unis.

Selon les documents, Gizo Uglava, directeur adjoint du NABU, a fourni à l’ambassade des États-Unis, par le truchement de son assistant, des informations qui ont influencé le cours des événements en Ukraine et aux États-Unis. En d’autres termes, le NABU a "divulgué" des informations aux agents de l’ambassade des États-Unis et a coordonné ses actions dans un certain nombre de cas très médiatisés.

La correspondance entre les employés du NABU et de l’ambassade des États-Unis est disponible depuis plusieurs années dans le dossier pénal no 420180000000000002952 (article 111 du Code pénal de l’Ukraine, Haute trahison). D’après les informations reçues par les journalistes d’investigation, que j’ai revérifiées, elle a été obtenue en toute légalité, dans le cadre de ces investigations.

En ce qui concerne les documents que j’ai publiés au sujet de l’ancien vice-président Joe Biden et de son fils Hunter Biden, ces documents et informations figurent dans six procédures pénales engagées contre le Burisma Group, ainsi que contre Mykola Zlochevsky [ancien ministre de l’Écologie sous la présidence de Victor Yanoukovytch NdT] n° 4201400000000000181, 42015000000001142, 42014000000080805, 4201400000000000999, 42014000000001095 et 420180000000407.

Il existe également cinq autres procédures pénales pour affiliation au Burisma Group et aux structures de Zlochevsky (sous-traitants) : No. 420150000000000001283, 4201400000000000375, 1201716000000000208, 320140000000000000074, 52018000000000748. Encore une fois, je tiens à souligner qu’il est important que ces documents soient pris en compte dans les procédures criminelles.

Q : Pouvez-vous donner quelques exemples ?

R : L’une des lettres de Hanna Emelianova, spécialiste des affaires juridiques du programme anti-corruption du ministère de la Justice des États-Unis à l’ambassade des États-Unis en Ukraine, demandait à Chyzh de fournir des informations sur le cas de Mykola Zlochevsky, ancien ministre de l’Écologie et propriétaire du Burisma Group. En quoi l’affaire Zlochevsky est-elle si importante ? Pour répondre à cette question, il faut rentrer un peu plus dans les détails de l’histoire.

Devon Archer, à l’extrême gauche, jouant au golf dans les Hamptons avec l’ancien vice-président Joe Biden et son fils Hunter, à l’extrême droite, en 2014. Archer a siégé avec Hunter Jr au conseil d’administration de la société ukrainienne de gaz naturel Burisma Holdings

En mars 2014, le Serious Fraud Bureau du Royaume-Uni et de l’Irlande du Nord a ouvert une enquête pénale sur l’affaire Zlochevsky, soupçonné d’avoir blanchi 35 millions de dollars. Dans le même temps, selon des enquêteurs et journalistes ukrainiens, Zlochevsky a contacté le vice-président Joe Biden et le secrétaire d’État américain John Kerry et leur a proposé une partie des bénéfices du producteur de gaz ukrainien Burisma Group. [le Serious Fraud Office,agence du Gouvernement du Royaume-Uni, rattachée aux services de l’Attorney General, est responsable de l’enquête et de la poursuite des cas graves ou complexes de fraude et de corruption qui mettent en jeu des sommes supérieures à un million de livres sterling ou qui impliquent plusieurs juridictions nationales NdT]

Le journaliste d’investigation britannique Oliver a affirmé qu’à peu près à la même époque (en mars 2014), le fils de Biden, Hunter, s’était vu proposer un siège d’administrateur de Burisma. Biden Jr. a été nommé membre du conseil d’administration de Burisma le 12 mai 2014. A ses côtés, ont été nommés Alexander Kwasniewski, Alan Apter et Devon Archer.

Au total, selon nos données tirées du rapport de l’unité d’enquête financière de Lettonie, la société Burisma a versé au moins 16,5 millions de dollars répartis entre deux sociétés écrans,Alexander Kwasniewski, Alan Apter, Devon Archer et Hunter Biden.

Q : Jusqu’à présent, les personnes que vous nommez ne sont pas directement liées à l’échelon le plus élevé du pouvoir aux États-Unis. Biden ne peut être tenu pour responsable du fait que son fils, majeur, est mis en cause dans cette affaire...

R : Tout d’abord, selon les enquêteurs, le fils a "intégré" la structure, qui était dirigée par [son père] Biden Sr. Je reviendrai sur ce point plus tard.

Deuxièmement, dans le dossier qui m’a été remis, il y a des preuves que Joe Biden a probablement touché de l’argent par le biais d’une société de lobbying. Selon l’enquête, il a reçu des honoraires cachés du Burisma Group pour ses activités de lobbying.

Plus de 900 000 dollars ont été virés sur le compte de la société américaine de Biden Jr. - Hunter, Rosemont Seneca Partners, pour des services de conseil.

En outre, les enquêteurs et journalistes ukrainiens estiment que Joe Biden, utilisant les leviers d’influence dont il dispose auprès des autorités ukrainiennes et manipulant la question de l’aide financière à l’Ukraine, a activement contribué à faire classer les affaires pénales contre Zlochevsky et le Groupe Burisma.

Q : D’accord, c’est clair avec Biden. Et qu’est-ce que l’Ukraine a à voir avec cela ? S’agit-il d’une violation de la loi américaine ?

R : Dans l’ensemble, cette affaire ne concernerait pas l’Ukraine, si il n’y avait la pression exercée sur les dirigeants du Bureau du Procureur général d’Ukraine (PGO).

Le 5 août 2014, la Direction des enquêtes sur les affaires particulièrement importantes du PGO a ouvert une procédure pénale à l’encontre de Zlochevsky. On le soupçonnait d’enrichissement illégal à grande échelle et d’évasion fiscale pour un montant d’environ 1 milliard d’UAH [1 Hryvnia = 0,037 Euro NdT].

La semaine dernière, des notes de Rudy Giuliani, avocat personnel du président, ont été publiées. Elles laissent à penser que l’enquête avait pris fin "par crainte des États-Unis ". Elles prétendent également que le procureur général de l’époque, M. Shokin, avait été informé que, l’enquête étant en cours, le vice-président Biden avait fait retarder le versement de l’aide américaine à l’Ukraine.

D’après Viktor Shokin lui-même, son intention était d’enquêter sur les activités de Hunter Biden, donc d’interroger - entre autres - tous les membres du conseil d’administration de Burisma Group. En outre, Shokin a fait appel à plusieurs reprises au directeur du NABU Sytnik dans le cadre de la procédure pénale contre l’entreprise, mais s’est à chaque fois vu répondre sur la forme.

Les actions de Shokin ont causé l’irritation non déguisée de Joe Biden. Sa cinquième visite à Kiev, les 7 et 8 décembre 2015, a été consacrée au règlement de la question de la démission de Shokin en raison de l’affaire Zlochevsky. Les États-Unis employaient comme moyen de pression des garanties de prêts d’un milliard de dollars qu’ils devaient fournir à l’Ukraine.

Dans son discours devant le Conseil des relations étrangères des États-Unis en janvier 2018, Biden a lui-même admis les pressions, qualifiant Shokin de "fils de pute qui aurait dû être viré".

La chronologie des événements confirme également le lien entre l’affaire Zlochevsky et les garanties de crédit accordées par les États-Unis. Jugez-en par vous-même.

En décembre 2015, Biden s’est rendu à Kiev. Le 19 février 2016, le Président de l’Ukraine a demandé au Parlement d’accepter la destitution de Shokin. Le 29 mars, le Parlement a donné son accord et le 3 avril, le Président de l’Ukraine a signé un décret destituant Shokin.

Le 3 juin, les gouvernements des États-Unis et de l’Ukraine ont signé un accord de garantie de prêt de 1 milliard de dollars.

Q : Revenons au NABU : est-il impliqué d’une manière ou d’une autre dans cette histoire ?

R : Selon l’enquête, le NABU, sous la houlette des États-Unis, a continué de harceler Viktor Shokin. A partir du 6 septembre 2016, l’assistante de la première directrice adjointe du NABU Polina Chyzh a envoyé à son responsable des documents prouvant que des données avaient bien été collectées sur l’ancien Procureur général Viktor Shokin et sa famille.

En outre, en lien avec l’ambassade des États-Unis représentée par Olena Kustova, Polina Chyzh a approuvé le contenu des réponses aux demandes des députés concernant l’audit du NABU.

Il est avéré que l’assistante du premier directeur adjoint du NABU a envoyé à l’ambassade des États-Unis, pour approbation, un brouillon de mise en accusation de Roman Nasirov, réputé proche de l’équipe Trump. Soit dit en passant, il est à noter que la suspicion à l’égard de Nasirov a émergé juste après qu’il eut assisté à la cérémonie d’investiture de Donald Trump, et que l’arrestation de Nasirov a été directement supervisée par l’ambassade des États-Unis.

Un employé du NABU a par ailleurs fourni une liste des procédures à problèmes, qui sont en voie d’être harmonisées par l’ambassade.

Il serait inimaginable, par exemple, que l’ambassade d’Ukraine aux États-Unis donne des instructions au FBI sur la façon de produire des rapports et des réponses aux demandes des parlementaires. Il serait également inimaginable que le FBI viole le secret de l’instruction pour divulguer à notre ambassade des informations sur des affaires criminelles très médiatisées.

Q : Est-ce tout ce que vous avez en ce moment ?

R : On ne peut pas tout aborder en une seule conférence de presse et en un seul entretien. Ce n’est que le sommet de l’iceberg. Je posterai les autres documents au fur et à mesure sur ma page Facebook.

Q : Selon vous, pourquoi nous sommes-nous retrouvés dans une situation aussi complexe dans nos relations avec les États-Unis ?

R : C’est avant tout à cause de l’ancien président de l’Ukraine Petro Poroshenko. Suite à ses agissements, notre pays et le nouveau président Zelensky ont été entraînés dans le scandale de l’ingérence dans les élections présidentielles américaines de 2016 et dans cette situation où l’Ukraine est accusée de corruption internationale. J’insiste sur le fait qu’une corruption internationale de cette ampleur n’aurait pas pu se produire sans la participation de Petro Poroshenko.

Dans la mesure où l’Ukraine est une république parlementaire, c’est le parlement qui, à mon avis, devrait enquêter sur ces faits.

Aujourd’hui, le maintien de relations de confiance solides avec les États-Unis est une question de sécurité nationale pour notre pays, et ce indépendamment de qui remportera l’élection américaine.

Pour rétablir la confiance entre l’Ukraine et les États-Unis, il est urgent de mener une enquête sur les faits d’ingérence dans les élections aux États-Unis, et d’en rendre publique les conclusions. Il est nécessaire d’enquêter sur tous les faits éventuels de corruption par de hauts responsables ukrainiens et américains, avec la participation des services de sécurité ainsi que de représentants des services diplomatiques.

Q : Vous avez dévoilé ces faits au public et vous vous attendez à ce que tout rentre dans l’ordre tout seul par la suite ?

R : Bien sûr que non. Tout d’abord, j’ai fait appel au State Bureau of Investigation (SBI) et au PGO, en les informant de ces agissements, en demandant l’ouverture d’une enquête et en exigeant que les dossiers ne disparaissent pas ; je rappelle que dans l’affaire de corruption internationale dans le secteur gazier, on aurait égaré le dossier. De plus, à mon initiative, Gizo Uglava et son assistant ont été démis de leurs fonctions pendant l’enquête.

Soit dit en passant, si le Procureur général n’ouvre pas une enquête concernant la couverture médiatique sur les pressions exercées sur Shokin, en tant qu’employé d’un service de police, j’adresserai moi-même un signalement de suspicion, conformément à l’article 343 du Code pénal "Ingérence dans les activités des forces de police" (influence, sous quelque forme que ce soit sur un agent des forces de police).

Deuxièmement, dans un avenir très proche, j’enverrai aux responsables parlementaires un projet de résolution sur la création d’une commission d’enquête parlementaire pour mener des investigations sur les faits d’ingérence illégale de dirigeants des forces de l’ordre ukrainiennes dans le processus électoral américain, ainsi que sur la corruption internationale des responsables gouvernementaux, ce qui a compromis les relations États-Unis/Ukraine.

Encore une fois, je tiens à insister sur le fait que l’ancien président de l’Ukraine Petro Porochenko est personnellement responsable de la situation alors que l’Ukraine était mêlée à des scandales de corruption au niveau international et était accusée d’ingérence dans le déroulement des élections présidentielles américaines. Volodymyr Zelensky a hérité d’un passif de corruption délicat pour l’Ukraine....

Q : Quelle est la marge de manœuvre du président Zelensky dans tout cela ?

R : À mon avis, la seule bonne solution pour notre pays et pour le président est de prendre un certain nombre de mesures. La première est, dans le cadre de la coopération judiciaire, de transmettre sans délai au département de la Justice des États-Unis tous les documents disponibles. La deuxième est d’interdire les négociations et les contacts au niveau des avocats-lobbyistes-assistants. Et la troisième est de créer une commission d’enquête parlementaire, dont les conclusions devraient être communiquées aux ukrainiens et à la communauté internationale.

Q : Et qu’en est-il de l’affaire de l’ingérence dans les élections américaines que vous avez initiée ?

R : Le 24 juillet 2017, j’ai déposé un appel auprès du Bureau du Procureur général pour ingérence illégale dans l’élection du Président des États-Unis. En raison de l’appel, le PGO a intenté une poursuite criminelle.

Au cours de l’enquête dans cette affaire criminelle, j’ai remis une partie des documents et j’ai informé l’enquêteur de l’orientation et des méthodes possibles de l’enquête. Malheureusement, en janvier 2019, en pleine campagne électorale en Ukraine, l’affaire pénale no 42017000000000000002470 a été classée. En mars, j’ai fait appel de la décision de classement devant le tribunal de Pechersk. Le procès est prévu pour le 21 octobre.

NABU-Leaks est la clé pour préserver les relations de l’Ukraine avec les Etats-Unis. J’espère que la diffusion de l’information aidera à surmonter les résistances existantes. Néanmoins, cela doit être fait parce que la manière dont l’Ukraine sera traitée dans un avenir proche en dépend.

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