AID Association Initiatives Dionysiennes

Ouv zot zié !

Accueil > Politique > Les États-Unis refusent de jouer selon les règles du jeu international

Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-113

Les États-Unis refusent de jouer selon les règles du jeu international

Par Rebecca Gordon, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

mardi 24 octobre 2023, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Les États-Unis refusent de jouer selon les règles du jeu international

Le 25 juillet 2023 par Rebecca Gordon

Rebecca Gordon , habituée de TomDispatch, enseigne à l’université de San Francisco. Elle est l’auteure de Mainstreaming Torture, American Nuremberg : The U.S. Officials Who Should Stand Trial for Post-9/11 War Crimes [La torture normalisée, le Nüremberg américain : les responsables américains qui devraient être jugés pour les crimes de guerre post 11 Septembre] et travaille actuellement à un nouvel ouvrage sur l’histoire de la torture aux États-Unis.

Les Nations Unies à Genève en Suisse (crédit : Mathias P.R. Redingon Unsplash)

En voici la preuve par trois.

En 1963, à l’été de mes 11 ans, ma mère travaillait à l’évaluation des programmes du Corps de la Paix [Le Corps de la paix est une agence indépendante du gouvernement des États-Unis, dont la mission est de favoriser la paix et l’amitié du monde, en particulier auprès des pays en développement, NdT] en Égypte et en Éthiopie.

Mon jeune frère et moi avons passé la majeure partie de l’été en France. Nous sommes d’abord allés à Paris avec ma mère avant qu’elle ne parte pour l’Afrique du Nord, puis avec mon père et sa petite amie dans une minuscule ville au bord de la Méditerranée. (Au cours de notre séjour de six semaines, la petite amie a filé pour épouser un Tchèque qu’elle avait rencontré, mais c’est une autre histoire).

À Paris, j’ai vu des touristes américains se promener en short et en sandales, appareil photo en bandoulière, prenant la pose dans les cathédrales et les musées. J’ai écouté les commentaires de ma mère sur ce qu’elle considérait comme étant de la grossièreté et un manque de sensibilité.

Dans mon esprit d’enfant de 11 ans, j’étais plutôt d’accord. J’avais déjà entendu l’expression « le vilain Américain » – bien que je n’aie rien su du roman prophétique de 1958 portant ce titre et concernant les bourdes diplomatiques des États-Unis en Asie du Sud-Est en pleine Guerre froide – et il me semblait que ces importuns en France correspondaient parfaitement à cette expression.

Le vilain américain

De retour chez moi, j’ai confié à une amie (dont les parents, je l’ai appris des années plus tard, travaillaient pour la CIA) que parfois, pendant mon séjour en Europe, j’avais eu honte d’être américaine. Elle m’a répondu : « Tu ne devrais jamais éprouver ce sentiment. On est dans le meilleur pays au monde ! »

Et c’est vrai, les États-Unis étaient alors le leader de ce que l’on appelait « le monde libre ». Peu importe si tout au long de la Guerre froide, nous avons activement soutenu des dictatures (en Argentine, au Chili, en Indonésie, au Nicaragua et au Salvador, entre autres) et renversé des gouvernements en voie de démocratisation (au Chili, au Guatemala et en Iran, par exemple).

À l’époque du GI Bill, des syndicats puissants, des soins de santé fournis par l’employeur et de la domination économique générale de l’après-guerre, probablement les États-Unis semblaient-ils être le meilleur pays du monde, du moins pour la plupart d’entre nous qui étions blancs et pouvions prétendre à la classe moyenne.

De nos jours, tout semble quelque peu différent, n’est-ce pas ? Au cours de notre siècle, à bien des égards et de manière déterminante, les États-Unis sont devenus une exception et, dans certains cas, même un hors-la-loi.

Voici trois exemples de comportements américains littéralement scandaleux, trois façons dont ce pays s’est démarqué de la communauté d’une manière tristement répréhensible.

Guantánamo, l’éternel camp de prisonniers

En janvier 2002, l’administration du président George W. Bush a ouvert un camp de prisonniers offshore sur la base navale américaine de Guantánamo Bay, à Cuba. Au départ, il s’agissait de détenir les prisonniers capturés dans le cadre de ce qu’on appelait déjà de « guerre mondiale contre le terrorisme » sur un petit bout de territoire « américain », hors de portée du système juridique américain et des protections que celui-ci pouvait garantir à toute personne se trouvant dans notre pays.

Tortures (Illustration par Abu Zubaydah)

Si la question se pose de savoir comment les États-Unis ont pu avoir accès à un confetti de terre sur une île avec laquelle ils entretiennent des relations des plus froides, avec notamment des décennies de sanctions économiques, voici la réponse : en 1903, bien avant la révolution de 1959 à Cuba, le gouvernement cubain avait accordé aux États-Unis des droits de « coaling » [approvisionnement en charbon, NdT] à Guantánamo, ce qui signifie que la marine américaine pouvait y établir une base pour ravitailler ses navires en carburant. L’accord était toujours en vigueur en 2002, tout comme aujourd’hui.

Dans les années qui ont suivi, Guantánamo est devenu le lieu de torture et même d’assassinats de gens faits prisonniers par les États-Unis en Afghanistan, en Irak et dans d’autres pays allant du Pakistan à la Mauritanie .

Après avoir écrit pendant plus de 20 ans sur ces programmes de torture américains qui ont débuté en octobre 2001 , j’estime aujourd’hui que je suis incapable de me résoudre à relater une fois de plus toutes les horreurs qui se sont déroulées à Guantánamo ou dans les « sites noirs » de la CIA que ce soit dans des pays allant de la Thaïlande à la Pologne, ou sur la base aérienne de Bagram en Afghanistan, ou encore à la prison d’Abu Ghraib et au camp NAMA (dont la devise était : « Pas vu, pas pris ») en Irak.

Si vous ne vous en souvenez pas, faites une recherche Google sur ces endroits. Pendant ce temps, je patiente. Trente hommes sont toujours détenus à Guantánamo aujourd’hui. Certains n’ont jamais été jugés. Certains n’ont même jamais été accusés de quelque crime que ce soit.

Leur détention et leur torture continues, y compris, pas plus tard qu’en 2014, la pratique punitive et brutale de l’alimentation par la force pour les grévistes de la faim, ont confirmé que les États-Unis sont des criminels de droit international.

Ces hommes sont tous des survivants de la torture, un crime sans équivalent au regard du droit international, et ont un besoin urgent de soins", a déclaré Fionnuala Ní Aoláin (Photo : Alex Brandon/AP)

Garder Guantánamo en activité démontre le mépris de ce pays pour ce droit, qu’il s’agisse des conventions de Genève ou de la convention des Nations unies contre la torture. Il traduit également une forme de mépris pour notre propre système judiciaire, dont la clause de « suprématie » de la Constitution, qui fait que tout traité international ratifié, au rang duquel figure la Convention contre la torture, devient « la loi suprême du pays ».

En février 2023, Fionnuala Ní Aoláin, rapporteure spéciale des Nations unies sur la promotion et la protection des droits humains et des libertés fondamentales dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, a été la première représentante des Nations unies autorisée à se rendre à Guantánamo.

Horrifiée par ce qu’elle y a observé, voilà ce qu’elle a déclaré au Guardian : « les États Unis ont le devoir de réparer les préjudices qu’ils ont infligés aux musulmans victimes de leurs tortures ».

« Les traitements médicaux existants, tant au camp de prisonniers à Cuba que pour les détenus transférés dans d’autres pays, étaient inadaptés dans le traitement de nombre de problèmes tels que les lésions cérébrales traumatiques, les handicaps permanents, les troubles du sommeil, les hallucinations et les syndromes de stress post-traumatique non traités ».

« Ces hommes sont tous des survivants de la torture, un crime sans équivalent au regard du droit international, et ont un besoin urgent de soins. La torture brise une personne, elle a pour but de la rendre impuissante et sans force afin qu’elle cesse toute activité psychologique, et lors de mes entretiens avec des détenus, actuels et anciens, j’ai pu observer tous les dégâts qu’elle a entraînés ».

L’avocat d’un des prisonniers torturés, Ammar al-Baluchi, rapporte que ce dernier « souffre de lésions cérébrales traumatiques pour avoir été soumis à la technique dite du « walling », la tête du prisonnier est frappée à plusieurs reprises contre un mur ».

16 des 30 hommes encore détenus à Guantánamo, dont la libération a été approuvée à l’issue d’un processus d’examen gouvernemental de haut niveau, mais qui, honteusement, n’ont pas encore été libérés. (Source www.closseguantanamo.org)

Son déclin cognitif s’est aggravé, avec comme « symptômes des maux de tête, des vertiges, des difficultés de raisonnement et d’exécution de tâches simples ». Il ne peut pas dormir plus de deux heures d’affilée, « une des techniques de torture ayant consisté à le priver de sommeil ».

Les États-Unis, insiste Fionnuala Ní Aoláin, doivent prodiguer des soins de réadaptation aux hommes qu’ils ont brisés. J’ai cependant des doutes quant au pouvoir curatif de tout traitement administré par des Américains, même s’il s’agit de psychologues civils.

Après tout, deux d’entre eux ont personnellement conçu et mis en œuvre le programme de torture de la CIA .

De fait, les États-Unis devraient payer la facture des soins non seulement des 30 hommes qui se trouvent toujours à Guantánamo, mais aussi de ceux qui ont été libérés et qui continuent de souffrir des effets à long terme de la torture.

Et il va sans dire que l’administration Biden devrait enfin fermer ce camp de prisonniers illégal, même si cela reste peu probable . Apparemment, il semble être plus facile de mettre fin à une guerre globale que de décider du sort de 30 prisonniers.

Des armes illicites

Les États-Unis font figure d’exception dans un autre domaine : la production et le déploiement d’armes largement reconnues comme présentant un danger immédiat ou futur pour les non-combattants.

Les États-Unis ont toujours fermement refusé de ratifier les conventions interdisant ce type d’armes, notamment les bombes à fragmentation ou, par euphémisme, les « armes à sous-munitions » et les mines terrestres.

Un sapeur militaire ramasse les parties non explosées d’une bombe à fragmentation laissée après l’invasion russe près du village de Motyzhyn, dans la région de Kiev, en Ukraine, le 10 avril 2022 (Photo par Stringer/Reuters)

En fait, les États-Unis ont déployé des bombes à fragmentation lors des guerres qu’ils ont menées en Irak et en Afghanistan. Lors du siècle précédent, ils en ont largué 270 millions uniquement sur le Laos pendant la guerre du Viêtnam.

Paradoxalement – certains diraient même hypocritement – les États-Unis se sont joints à 146 autres pays pour condamner l’utilisation par la Syrie et la Russie de ces mêmes armes au cours de la guerre civile syrienne.

L’ancienne attachée de presse de la Maison Blanche, Jen Psaki, a même déclaré aux journalistes que si la Russie utilisait ces armes en Ukraine, ce qui est effectivement le cas, il s’agirait d’un « crime de guerre ».

Aujourd’hui, les États-Unis ont fourni à l’Ukraine des bombes à fragmentation, dans le but supposé de combler une lacune majeure dans l’approvisionnement en obus d’artillerie. Notez bien que ce n’est pas parce que les États-Unis ne disposent pas de suffisamment d’obus d’artillerie conventionnels pour réapprovisionner l’Ukraine.

Le problème, c’est qu’en les envoyant là-bas, le pays n’aurait plus été en mesure de mener deux guerres majeures et simultanées (même hypothétiques), conformément à ce que le Pentagone se plaît à considérer comme sa doctrine en matière de préparation.

Qu’est-ce qu’une arme à sous-munitions ? Il s’agit d’obus d’artillerie contenant de nombreuses mini bombes explosives, ou « sous-munitions ». Lorsqu’un obus est tiré, à une distance qui peut aller jusqu’à 30 km, il dissémine jusqu’à 90 mini bombes distinctes sur une vaste zone, ce qui en fait un excellent moyen de tuer un grand nombre de soldats ennemis en un seul tir.

La raison pour laquelle ces armes sont prohibées par la plupart des nations tient au fait que toutes les mini bombes n’explosent pas.

Certaines d’entre elles peuvent rester là où elles sont tombées pendant des années, voire des décennies, jusqu’à ce que, comme l’indique un éditorial du New York Times , « quelqu’un – souvent un enfant apercevant sur le sol un objet de couleur vive de la taille d’une pile – le déclenche accidentellement ».

Un assortiment de mines terrestres et de pièces de bombes qui ont été retirées du sol en Afghanistan (Photos de Larry Towell/Magn)

En d’autres termes, elles peuvent rester actives longtemps après la fin d’une guerre, semant des pièges mortels sur les terres agricoles et dans les forêts. C’est pourquoi Ban Ki-moon, alors secrétaire général des Nations unies, a parlé du « profond sentiment de répulsion collective du monde face à ces armes abominables ».

C’est la raison pour laquelle 123 pays ont signé la convention de 2008 sur les armes à sous-munitions. Toutefois, la Russie, l’Ukraine et les États-Unis font partie des pays qui ne l’ont pas ratifiée.

Selon le conseiller à la Sécurité nationale Jake Sullivan , les bombes à fragmentation que les États-Unis ont à ce jour envoyées en Ukraine contiennent chacune 88 mini bombes, avec, selon le Pentagone, un taux d’échec inférieur à 2,5 %.

D’autres sources cependant parlent plutôt d’un taux d’échec de 14% et plus. Cela signifie que pour chaque obus à fragmentation tiré, au moins deux sous-munitions sont susceptibles de ne pas exploser.

Nous n’avons aucune idée du nombre d’armes fournies par les États-Unis, mais un porte-parole du Pentagone a déclaré lors d’une réunion d’information qu’il y avait « des centaines de milliers d’armes disponibles ».

Il n’est pas nécessaire de faire preuve de beaucoup d’imagination en terme de calcul mathématique pour se rendre compte qu’elles représentent un réel danger futur pour les civils ukrainiens.

Il n’est pas non plus très réconfortant d’entendre Sullivan garantir, face au monde entier, que le gouvernement ukrainien est « déterminé » à minimiser les risques encourus par les civils lors du déploiement des munitions, car « ce sont leurs propres concitoyens qu’ils protègent ».

Feux de forêt dans le nord-ouest de l’Espagne lors d’une vague de chaleur en juillet 2022. L’Espagne a été l’un des pays européens où le taux de mortalité lié à la chaleur a été le plus élevé l’été dernier (Credit...Emilio Fraile/Europa Press, via Associated Press)

Pour ma part, je n’ai pas envie de laisser de tels calculs avantages-risques entre les mains de quelque gouvernement que ce soit qui lutte pour sa survie. Or c’est précisément la raison d’être des lois internationales contre les armes non-sélectives : empêcher les gouvernements d’avoir à faire de tels calculs dans le feu de l’action.

Les bombes à fragmentation ne sont qu’un sous-ensemble des armes qui laissent derrière elles des « restes explosifs après la guerre ». Les mines terrestres en sont un autre.

À l’instar de la Russie, les États-Unis ne figurent pas parmi les 164 pays qui ont ratifié la convention d’Ottawa de 1999 , laquelle exige des signataires qu’ils cessent de produire des mines terrestres, qu’ils détruisent leurs stocks existants et qu’ils déminent leur propre territoire.

Paradoxalement, les États-Unis font régulièrement des dons pour financer le déminage dans le monde, ce qui est certainement une bonne chose, compte tenu de l’héritage qu’ils ont laissé, par exemple, au Viêtnam. Le New York Times écrivait en effet en 2018 :

« Depuis la fin de la guerre en 1975, au moins 40 000 Vietnamiens auraient été tués et 60.000 autres blessés par des mines terrestres américaines, des obus d’artillerie, des bombes à fragmentation et d’autres munitions qui n’ont pas explosé à l’époque. Celles-ci ont finalement explosé lorsqu’elles ont été manipulées par des récupérateurs de ferraille ou des enfants qui ne se doutaient de rien ».

Assez chaud pour toi ?

Alors que j’écris ces lignes, environ un tiers de la population du pays est en alerte canicule. Cela représente 110 millions de personnes. Une vague de chaleur s’abat sur l’Europe, 16 villes italiennes sont en alerte et la Grèce a fermé l’Acropole pour éviter que les touristes ne meurent, victimes d’un coup de chaleur.

Les équipes ont pompé l’eau du tunnel inondé de Cheongju (Corée du Sud) dans le cadre d’une mission désespérée de sauvetage (Yonhap/EPA)

Cet été s’annonce pire en Europe que le record de l’année dernière, au cours de laquelle la chaleur a tué plus de 60 000 personnes l. Aux États-Unis aussi, la chaleur est de loin la principale cause de mortalité liée aux conditions météorologiques.

On se demande pourquoi le gouverneur du Texas, Greg Abbott, a signé un projet de loi supprimant les pauses obligatoires pour que les ouvriers travaillant en extérieur puissent boire, et ce alors même que la vague de chaleur la plus récente était sur le point d’arriver.

Pendant ce temps, la vallée de l’Hudson à New York et certaines parties du Vermont, dont la capitale Montpelier, ont été inondées la semaine dernière par une tempête centennale, tandis qu’en Corée du Sud, des ouvriers se démenaient pour sauver les gens dont les voitures étaient coincées dans le tunnel de Cheongju, complètement submergé par des pluies de mousson torrentielles.

La Corée, tout comme une grande partie de l’Asie, s’attend à des fortes pluies de ce style tous les étés, mais celles de cette année – comme on a pu le constater à la lecture de tant d’autres statistiques météorologiques – ont été littéralement hors normes.

Les journalistes ont finalement été témoins de profondes transformations,ce qui n’est pas sans rapport avec l’incroyable changement de température des eaux de surface dans l’océan Atlantique.

Finies les tièdes allusions au fait que le changement climatique « pourrait jouer un rôle » dans les phénomènes météorologiques extrêmes. Les journalistes du monde entier partent désormais du principe que c’est là notre réalité.

Camp de forage exploratoire sur le site proposé pour le projet pétrolier de Willow, sur le versant nord de l’Alaska (ConocoPhillips/AP)

Cependant, lorsqu’il s’agit de faire face à l’urgence climatique, les États-Unis sont une fois de plus à la traîne. Dès 1992, lors du Sommet de la Terre des Nations unies à Rio de Janeiro, le président George H. W. Bush s’est opposé à toute limitation des émissions de dioxyde de carbone.

Comme le rapportait alors le New York Times, « manifestant son intérêt personnel pour le sujet, il a, à lui seul, forcé les négociateurs à supprimer du traité sur le réchauffement climatique toute référence à des échéances pour le plafonnement des émissions de substances polluantes ».

Et déjà à l’époque, Washington s’opposait aux efforts des pays les plus pauvres pour nous arracher un peu d’argent afin de les aider à couvrir les coûts de leurs propres efforts en matière d’environnement.

Certaines choses ne changent pas beaucoup. Bien que le président Biden ait annulé la décision de Donald Trump de retirer les États-Unis des accords de Paris sur le climat, son propre bilan en matière de climat se résume à une combinaison de deux pas en avant et d’un grand pas en arrière.

En avant, par exemple le financement de la transition vers l’énergie verte prévu dans la loi sur la réduction de l’inflation de 2022 .

En arrière, le feu vert au projet de forage pétrolier Willow de ConocoPhillips sur des terres fédérales du versant nord de l’Alaska, sans parler de ce qui fait la fierté et la grande satisfaction du sénateur Joe Manchin, le projet Mountain Valley Pipeline, d’une valeur de 6,6 milliards de dollars, concernant le gaz naturel.

Et quand on en vient à la remédiation pour les dommages que nos émissions ont causés aux pays les plus pauvres du monde, notre pays est toujours en retard d’un métro et en déficit de milliards de dollars.

En fait, le 13 juillet, John Kerry, émissaire pour le climat, a déclaré lors d’une audition au Congrès que les États-Unis ne paieraient « en aucun cas » des réparations aux pays en développement qui subissent les effets dévastateurs du changement climatique.

Une luciole : ces insectes bioluminescents sont confrontés à un nombre croissant de menaces, allant de la perte de leurs habitats à l’augmentation exponentielle de la pollution lumineuse (Photographie Taylor Kennedy / SITKA)

Bien que les États-Unis, lors de la conférence COP 27 de l’ONU en novembre 2022, aient soutenu, du moins sur le principe, la création d’un fonds destiné à aider les pays les plus pauvres à atténuer les effets du changement climatique, comme l’a rapporté Reuters, « l’accord n’a pas précisé qui alimenterait le fonds ni comment l’argent serait déboursé ».

Bienvenue en Solastalgie

J’ai récemment appris un nouveau mot, la solastalgie. Il s’agit réellement d’un nouveau mot, créé en 2005 par le philosophe australien Glenn Albrecht pour décrire « la souffrance psychologique de certaines personnes face à la nature modifiée et aux paysages détruits par le changement climatique dans leur environnement immédiat ».

Glenn Albrecht s’est intéressé aux communautés rurales indigènes d’Australie, attachées depuis des siècles à leur lieu de vie, mais je pense que le concept peut être étendu, au moins métaphoriquement, au reste d’entre nous, dont les vies sont aujourd’hui affectées par les douloureuses prégnances et disparitions engendrées par le changement environnemental et climatique.

Cela recouvre notamment : la prégnance de la chaleur, du feu, du bruit et une lumière sans précédent ; la prégnance des pluies et des inondations meurtrières ; la disparition grandissante de glaciers aux pôles de la Terre ou sur ses montagnes .

Pour ma part, c’est entre autres, la disparition des lucioles et la tristesse presque infinie de ne plus voir que très rarement quelques pâles étoiles.

Bien sûr, le « meilleur pays du monde » n’a pas été le seul à créer les horreurs que je décris. Et les gens ordinaires qui vivent dans notre pays ne sont pas à blâmer pour ces horreurs.

Pourtant, en tant que bénéficiaires des bienfaits de cette nation – sa beauté, ses aspirations, sa démocratie profondément blessée mais qui respire encore – nous en sommes, comme l’a souligné la philosophe Iris Marion Young , responsables.

Responsabilité pour la Justice par Iris Marion Young

Il nous faudra initier une action politique organisée et collective, mais il est encore temps de ramener notre pays hors-la-loi au sein de ce qui devrait être une communauté unie de nations faisant face aux tragédies qui s’annoncent pour cette planète. C’est du moins ce que j’espère et ce que je veux croire.

Copyright 2023 Rebecca Gordon

Suivez Tom Dispatch sur Twitter et rejoignez-nous sur Facebook. Découvrez les nouveaux livres de Dispatch :

* le nouveau roman dystopique de John Feffer Songlands (Terres de chants) (le dernier de sa série Splinterlands),

* le roman de Beverly Gologorsky Everybody Has a Stor (Tout le monde a une histoire),

* le roman de Tom Engelhardt A Nation Unmade by War (Une nation défaite par la guerre),

* l’essai d’Alfred McCoy, In the Shadows of the American Century : The Rise and Decline of U.S. Global Power (Dans l’ombre du siècle américain : L’ascension et le déclin du pouvoir planétaire américain)

* l’essai de John Dower, The Violent American Century : War and Terror Since World War II (Le siècle violent américain : guerre et terreur depuis la seconde guerre mondiale)

* l’essai d’Ann Jones, They Were Soldiers : How the Wounded Return from America’s Wars : The Untold Story. (Ils étaient soldats : comment les blessés sont revenus des guerres américaines : l’histoire non racontée).

[aucun de ces livres n’est traduit en français, NdT]

American Nuremberg par Rebecca Gordon

Version imprimable :