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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-084

Puces électroniques : la Chine se désaméricanise

Par Chang Che et John Liu, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

jeudi 3 août 2023, par JMT

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Puces électroniques : la Chine se désaméricanise

Le 11 mai 2023 par Chang Che et John Liu

Ana Swanson a contribué à ce reportage.

Installations à Shanghai pour Semiconductor Manufacturing International Corporation, l’un des deux plus grands fabricants de puces en Chine. L’entreprise a annoncé des milliards de dollars d’investissements cette année pour se développer dans des domaines plus avancés (Crédit...Qilai Shen pour le New York Times)

Sept mois après que Washington ait dévoilé de sévères mesures [dans le contexte de sa guerre commerciale contre la Chine, NdT], les entreprises chinoises redoublent d’efforts pour mettre en place des chaînes d’approvisionnement locales et reçoivent des milliards de dollars de Pékin et des investisseurs.

En octobre dernier, les projets de construction d’une imposante usine de semi-conducteurs située dans le centre de la Chine et appartenant à une grande entreprise soutenue par l’État sont tombés à l’eau.

L’administration Biden a intensifié sa guerre commerciale en matière de technologie, coupant l’accès de la Chine aux outils occidentaux et aux travailleurs qualifiés dont elle a besoin pour fabriquer les semi-conducteurs les plus sophistiqués.

Certains des employés, de nationalité américaine, ont quitté l’entreprise. Trois fournisseurs d’équipements américains ont presque immédiatement interrompu leurs livraisons et leurs services, et l’Europe et le Japon devraient bientôt en faire de même.

L’installation appartenait à Yangtze Memory Technologies Corporation, ou YMTC, un fabricant de puces mémoire que Xi Jinping, le président chinois, a présenté comme le porte-drapeau de la course à l’autonomie de la Chine.

Aujourd’hui, le fabricant de puces et ses pairs s’empressent de revoir leurs chaînes d’approvisionnement et de réécrire leurs plans d’activité.Près de sept mois plus tard, les barrières commerciales américaines ont eu pour effet d’accélérer les efforts de la Chine en faveur d’un renforcement de l’indépendance du secteur des puces.

La technologie et l’argent occidentaux ont disparu, mais les fonds publics abondent pour favoriser la production locale de semi-conducteurs moins perfectionnés, mais néanmoins lucratifs.

La Chine n’a pas renoncé à fabriquer des puces haut de gamme : Les fabricants tentent de travailler sur le territoire national .avec des composants plus anciens provenant de l’étranger et non bloqués par les sanctions américaines, ainsi qu’avec des matériels moins perfectionnés.

Une puce développée par Yangtze Memory Technologies Corporation, une entreprise spécialisée dans les puces mémoire, présentée en 2018. YMTC est un acteur clé dans les tentatives de la Chine de devenir autonome dans la fabrication de puces (Crédit...Oriental Image, via Reuters Connect)

Les restrictions sévères imposées par les États-Unis découlent de l’inquiétude suscitée par ce que les autorités de Washington considèrent comme la menace que représente l’utilisation par la Chine de ses firmes technologiques pour moderniser son arsenal militaire.

Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale, a récemment qualifié ce sentiment de « nouveau consensus » de Washington quant au fait que des décennies d’intégration économique avec la Chine n’ont pas été couronnées de succès, ajoutant que les nouveaux contrôles étaient « minutieusement adaptés » pour s’attaquer aux semi-conducteurs chinois les plus en pointe.

En vertu des règles adoptées en octobre, les entreprises et les citoyens américains ne peuvent plus aider les entreprises chinoises qui fabriquent des puces électroniques répondant à un certain seuil de sophistication.

Ces mesures vont au-delà des restrictions commerciales imposées par l’administration Trump à certaines entreprises, comme le géant chinois des télécommunications Huawei.

Lors des tensions commerciales antérieures, Pékin a mobilisé des sommes considérables pour développer des alternatives locales face aux fabricants de puces occidentaux.

Mais les composants étrangers étaient alors facilement disponibles et de meilleure qualité, ce qui a dissuadé de nombreuses entreprises chinoises de franchir le pas.Ces réticences quant à l’utilisation de matériaux en provenance de Chine semblent vouloir se calmer.

Les entreprises technologiques chinoises, en amont et en aval de la chaîne d’approvisionnement, étudient actuellement la façon dont on peut remplacer les puces occidentales et les composants connexes, même ceux qui ne sont pas concernés par les contrôles américains.

Le Guangzhou Automobile Group, un constructeur public de véhicules électriques, a déclaré en février qu’à terme, il avait l’intention d’acheter la totalité des quelque 1 000 puces qui équipent ses voitures auprès de fournisseurs chinois.

Les mesures devraient interdire les investissements dans certains domaines jugés risqués pour la sécurité nationale (Crédit...Zhong Min/Feature China, via Future Publishing, via Getty Images)

Il achète actuellement 90 % de ses puces à l’étranger. « Dans de nombreux domaines, l’objectif de la Chine est de désaméricaniser les chaînes d’approvisionnement », a déclaré Paul Triolo, vice-président principal pour la Chine au sein du cabinet de stratégie Albright Stonebridge Group.

Des dizaines d’entreprises chinoises spécialisées dans les puces électroniques sont en train de finaliser leurs plans pour lever des fonds par le biais d’offres publiques cette année. Parmi elles figurent Hua Hong Semiconductor, le deuxième fabricant de puces de Chine, ainsi qu’un fabricant d’outils pour puces soutenu par Huawei.

Les différends technologiques entre les deux plus grandes économies du monde ne montrent aucun signe d’apaisement. L’administration Biden a rédigé, mais n’a pas encore publié, de nouvelles règles qui limiteraient les investissements américains en capital-risque dans les entreprises de puces avancées en Chine.

Les investissements étrangers dans le secteur chinois des semi-conducteurs ont déjà chuté cette année à 600 millions de dollars, leur niveau le plus bas depuis 2020, selon les données de PitchBook, qui suit l’évolution du financement privé. Les autorités envisagent de renforcer les contrôles sur des technologies telles que l’informatique quantique ou les équipements de fabrication de puces.

Les restrictions américaines ont incité Pékin à activer un fonds d’État qui était resté inactif en raison du gaspillage et de la corruption. Le « Big Fund » du gouvernement a injecté environ 1,9 milliard de dollars dans Yangtze Memory Technologies Corp (YMTC) en février pour renforcer son action face aux restrictions américaines.

Le fonds a également investi récemment auprès de fournisseurs en matériel et en équipement de fabrication de puces, selon les médias d’État. Grâce à ces nouvelles subventions, les chaînes d’approvisionnement chinoises doivent pouvoir se passer des composants occidentaux.

Des moteurs fabriqués par Guangzhou Automobile Group, un constructeur public de véhicules électriques, lors d’un salon de l’automobile 2017 à Guangzhou, en Chine (Crédit...Billy H.C. Kwok pour le New York Times)

La ville de Guangzhou, dans le sud du pays, a affecté cette année plus de 21 milliards de dollars à des projets relatifs aux semi-conducteurs et à d’autres projets technologiques, notamment ceux qui visent à supplanter les fournisseurs occidentaux d’équipements pour les puces. Selon des rapports d’entreprises et des communiqués de presse, les commandes de matériel fabriqué en Chine ont augmenté au cours des derniers mois.

M. Xi n’a pas mâché ses mots concernant ce qu’il considère comme une tentative des pays occidentaux d’imposer un « endiguement complet » de la Chine.

Lors d’une importante séance législative en mars, le président chinois a interrompu les remarques d’un représentant de fabricant chinois de grues. L’échange a été largement rapporté par les médias d’État : « Les puces électroniques utilisées dans vos grues sont-elles fabriquées localement ? » a demandé M. Xi. Oui, a répondu le représentant.

Selon les estimations de Yole Group, un cabinet d’études de marché, jusqu’à présent, moins de 1% de tous les semi-conducteurs en Chine sont des produits haut de gamme de l’industrie soumis aux contrôles américains.

Le reste est constitué de semi-conducteurs moins avancés, ou « matures », que l’on trouve dans les biens de consommation électroniques grand public et les voitures, et qui représentent « la majeure partie de l’activité », a déclaré Jean-Christophe Eloy, directeur général de Yole Group.

Ces puces, qui n’ont pas été affectées par les mesures de contrôle prises par l’administration Biden en octobre, bénéficient aujourd’hui d’un regain d’investissement, a-t-il ajouté.

Les deux plus grands fabricants chinois de puces, la Semiconductor Manufacturing International Corporation (SMIC), soutenue par l’État, et Hua Hong Semiconductor, ont chacun annoncé que des milliards de dollars seraient consacrés cette année à l’expansion de la production de puces matures, à en croire les communiqués.

La nouvelle usine de Taiwan Semiconductor Manufacturing Company à Phoenix, Arizona. Le fabricant de puces sollicite des subventions américaines, ce qui va l’obliger à plafonner ses investissements en Chine pendant une décennie (Crédit...Adriana Zehbrauskas pour le New York Times)

Pourtant, à long terme, le manque d’accès de la Chine aux outils de classe mondialenécessaires à la fabrication des puces pourrait freiner ses progrès dans de nombreuses industries de pointe telles que l’intelligence artificielle et l’aérospatiale, selon Handel Jones, directeur général de International Business Strategies, une société de conseil.

Selon les estimations de Yole Group, en août dernier, YMTC avait pour objectif de tripler sa part de la production mondiale de puces pour atteindre 13 % d’ici 2027, défiant ainsi les fabricants historiques de puces comme l’américain Micron Technology.

Confronté à des difficultés pour construire sa deuxième usine, le fabricant chinois de puces mémoire devrait voir sa production décliner pour ne plus représenter que 3 % du marché en 2027.

Les entreprises internationales qui investissait auparavant dans l’industrie chinoise des semi-conducteurs sont aujourd’hui en train de réorienter leurs investissements ailleurs.

Les principaux fabricants de puces de Corée et de Taïwan, Samsung et Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), investissent des milliards de dollars dans une nouvelle production aux États-Unis.

Le fabricant de puces taïwanais sollicite des subventions américaines pour son usine d’Arizona , ce qui va l’obliger à freiner ses investissements en Chine pendant une décennie.

Dans le même temps, selon les experts, le recul de l’influence étrangère sur le secteur chinois des puces crée des opportunités pour les entreprises nationales. Le mois dernier, un fabricant d’équipements de semi-conducteurs a fait son entrée à la bourse de Shanghai. Les actions de cette société, Crystal Growth & Energy Equipment, ont grimpé de 30% depuis lors.

Xinmei Liu

« C’est en raison des sanctions qu’il y a maintenant des opportunités sur le marché », a déclaré Xiang Ligang, directeur d’un consortium technologique situé à Pékin, qui conseille le gouvernement chinois en matière de questions technologiques. « Désormais, il nous est possible de nous développer ».

Le récent afflux d’argent public pourrait accroître la part de la Chine dans la production mondiale de puces d’entrée de gamme. Selon un rapport rédigé conjointement par Rhodium Group, une société de conseil, et Stiftung Neue Verantwortung, un groupe de réflexion de Berlin, la Chine pourrait, au cours de la prochaine décennie, prendre en charge près de la moitié de la capacité de production mondiale d’une catégorie de semi-conducteurs à technologie mature.

Cela pourrait créer de nouvelles vulnérabilités au niveau de la chaîne d’approvisionnement des entreprises étrangères, a déclaré Jan-Peter Kleinhans, coauteur du rapport. « Mettre tous ses œufs dans le même panier est une idée stupide, a-t-il expliqué. Ce serait là un point d’étranglement qui pourrait être exploité ».

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