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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-078

L’UE est en guerre contre les réfugiés

Par David Goeßmann, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

mardi 18 juillet 2023, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

L’UE est en guerre contre les réfugiés

Le 29 Mai 2023 par David Goeßmann, TRUTHOUT

David Goeßmann est journaliste, auteur et rédacteur en chef du magazine d’information allemand Telepolis.

Une voiture de police passe devant la porte principale du nouveau camp de réfugiés sur l’île de Samos, en Grèce, le 18 septembre 2021 (SOCRATES BALTAGIANNIS / PICTURE ALLIANCE VIA GETTY IMAGES)

L’Union européenne livre une guerre aux réfugiés. Le gouvernement italien d’extrême droite a récemment déclaré l’état d’urgence et verrouillé hermétiquement ses ports. Les autres États membres de l’UE détournent le regard.

En février, les dirigeants des 27 pays de l’UE se sont mis d’accord pour appliquer des mesures plus strictes pour lutter contre l’ « immigration illégale » .

Parmi ces mesures on trouve notamment une reconnaissance réciproque des décisions d’expulsion et des refus d’asile, ainsi que le renforcement de la protection des frontières, notamment par la mise en place de nouvelles infrastructures, l’augmentation des capacités de surveillance et l’amélioration des équipements de l’Agence européenne des garde-frontières et des garde-côtes (Frontex).

Dans le même temps, les cadavres de personnes cherchant de l’aide s’échouent sur les côtes européennes. Depuis 2014, selon Volker Türk, haut-commissaire des Nations unies aux droits humains, plus de 26 000 personnes sont mortes ou ont été portées disparues en essayant de traverser la Méditerranée.

Il s’agit certainement d’une sous-évaluation importante du nombre réel de victimes. Le projet de recherche « Migrant Files » [collectif rassemblant 25 journalistes européens qui enquêtent sur la question des migrations dans l’UE. Pour comptabiliser les migrants morts sur leur chemin vers l’Europe ou le coût des différents passages, ils se sont appuyés sur des sources ouvertes (articles de presse, rapports officiels ou d’ONG), NdT] a estimé qu’entre 2000 et 2014, jusqu’à 80 000 personnes fuyant leur pays sont mortes dans cette seule mer.

En outre, il y aurait au moins le même nombre de victimes qui sont mortes de soif dans les déserts, de faim ou ont été assassinées. Et puis il y a ceux qui subissent des violences ou des viols, parmi lesquels des enfants.

Des migrants sont secourus au large de la Libye par l’ONG SOS Méditerranée (SOS Méditerranée/Anthony Jean)

La guerre de l’UE à l’encontre des réfugiés ne date pas d’aujourd’hui. En tout état de cause, elle a commencé avec les tragédies militaires dans les Balkans dans les années 1990. À l’époque, de nombreuses personnes ont tenté de fuir vers les pays d’Europe occidentale.

En 1993, la loi allemande sur l’asile a été démantelée, notamment via une modification de la loi fondamentale , afin de se « protéger » contre ceux qui fuyaient l’ex-Yougoslavie. Jusqu’alors, toute personne politiquement persécutée qui arrivait sur le sol allemand était protégée.

Suite à ce virage historique, toute personne entrant dans le pays via un pays tiers dit sûr a perdu le droit de faire valoir son droit d’asile. Aujourd’hui, l’Allemagne, souvent considérée comme la « locomotive » de l’Europe, est le pays dont la législation en matière d’asile est la plus restrictive de tous les États membres de l’Union européenne.

En outre, l’UE, sous la direction du bureau du chancelier allemand, a mis en place la Convention dite de Dublin, qui est entrée en vigueur en 1997. En vertu de cet accord, les pays situés en dehors des frontières de l’UE sont tenus d’accueillir les personnes qui viennent en Europe pour y demander l’asile.

Ce système maintient les migrants plus ou moins éloignés des pays prospères du nord, alors que la situation des réfugiés dans les pays pauvres du sud se détériore. Les réfugiés sont désormais coincés dans les États frontaliers qui les traitent mal ou alors ils sont renvoyés d’un État membre à l’autre. La façon dont le système de Dublin est conçu vise très clairement à démoraliser les réfugiés et à les refouler.

Dans le même temps, l’UE a conclu des pactes de type « transactions de gardien de porte » (en anglais Doorman deal) avec la Turquie, la Libye et d’autres pays africains.

Dans le cadre de ces accords, l’UE coopère avec des régimes autocratiques pour stopper les réfugiés dans ces pays-là, les repousser vers la mer, les placer dans des prisons et les expulser, tandis que les régimes reçoivent de l’aide et de l’argent en retour.

Les voies de passage vers le continent ont ainsi été bloquées et criminalisées grâce à l’érection de divers murs tant réels que virtuels. Depuis lors, les migrants n’ont pratiquement plus aucun moyen sûr et légal d’entrer dans l’UE. Angela Merkel, alors chancelière allemande, a résumé la stratégie de refoulement dans un discours à la Fondation Bertelsmann en 2009, lorsqu’elle a fait remarquer que le gouvernement allemand participait également à la « lutte contre les réfugiés » - elle aurait dû dire : C’est Berlin qui a imposé le blocus au sein de l’UE en fonction de ses propres intérêts.

Alors que l’Allemagne a par la suite « tiré avantage » du durcissement de la procédure de Dublin (grâce à des flux de réfugiés toujours plus faibles et à des paiements compensatoires élevés, qui sont distribués à tous les États membres en fonction de leur nombre réels de réfugiés à partir d’un fonds de l’UE), le gouvernement allemand est resté les bras croisés face à la dégradation croissante de la protection des réfugiés dans les principaux pays d’accueil de l’UE aux frontières extérieures, tels que la Grèce et l’Italie.

Environ 31000 migrants ont débarqué sur les côtes italiennes depuis le début de l’année 2023 (Image : Darrin Zammit Lupi/REUTERS)

Avec ses différentes mesures restrictives, dissuasives et de fermeture hermétique, le continent le plus riche du monde avec un demi-milliard d’habitants a réussi à rester relativement bien isolé de la majorité de ceux qui viennent du sud de la Méditerranée en quête de protection.

En plus de 30 ans, la « forteresse Europe » n’a connu que peu de périodes de crise, comme en 2015/2016. À l’époque, la situation de millions de Syriens, d’Afghans, d’Irakiens ou de Yéménites fuyant les guerres et les destructions était au plus mal.

Les camps de réfugiés de la région étaient surpeuplés et manquaient de nourriture et de médicaments en raison du manque de financement des pays donateurs du HCR.

Les pays voisins, comme le Liban ou la Turquie, n’étaient plus en mesure de faire le gros du travail, ou se refusaient à le faire. Les personnes en quête de protection ont commencé à se diriger vers le nord. Mais le principe de la responsabilité causale ne devrait-il pas au moins s’appliquer ?

Les guerres menées par les États-Unis et leurs alliés européens au Moyen-Orient, la guerre en Syrie et le soutien apporté par l’Occident aux dictateurs et aux régimes autoritaires ont créé les conditions mêmes que fuient de nombreux migrants - comme les livraisons d’armes américaines ou allemandes à la guerre menée par l’Arabie saoudite au Yémen.

Ces destructions massives ont engendré crise après crise de réfugiés, tandis que les murs de l’Europe s’élevaient toujours plus haut. De vrais murs ont également été construits, avant même que Donald Trump ne s’attelle à la construction de son « grand et beau mur » , qui a tant indigné les libéraux en Europe.

À la frontière de la Turquie avec la Syrie et l’Iran, un mur de béton de plusieurs centaines de kilomètres de long et de trois mètres de haut a été achevé en 2018, sur celui-ci, on a déroulé un fil de fer barbelé.

L’UE a équipé les gardes-frontières turcs de technologies de sécurité et de surveillance pour un montant de 80 millions d’euros .

On maltraite des gens à la frontière, on les tue, on les renvoie dans des zones de guerre en violation flagrante du droit international des réfugiés .

Résultat, des violations systématiques des droits humains. Aujourd’hui, en dépit des vives objections des organisations de défense des droits de l’homme, en Grèce, l’UE détient les réfugiés dans des camps de concentration. Nombreux sont ceux qui se noient en Méditerranée, les bateaux étant illégalement repoussés vers la mer. Plus de 100 millions de personnes cherchent à se protéger.

Tentes derrière une clôture barbelée dans un camp de réfugiés en Grèce (Image : DW)

Tout cela pourrait être atténué ou supprimé. Depuis des décennies, les experts et les ONG proposent des solutions : des ferries pour les réfugiés , une coopération et une répartition équitablement réglementées entre les pays en fonction de leurs capacités, le démantèlement des barrières, l’élimination des accords douteux avec les autocrates, l’internationalisation de l’administration de l’asile et de la prise en charge des personnes en quête de protection, l’harmonisation des normes relatives à la prise en charge des réfugiés et aux demandes d’asile.

Avant tout, il faut s’attaquer à la racine de ce qui cause ces exodes. Les responsables gouvernementaux se contentent de belles paroles, mais n’agissent pas. Mais qu’en est-il de la « charge maximale » qui empêche les États d’en faire plus, et qui est brandie par les médias et les politiciens ? N’y a-t-il pas des limites à la pitié ?

La vérité, c’est que nous pourrions faire beaucoup plus. Nous disposons de capacités et de ressources énormes. C’est une question de volonté politique, comme le soulignent à juste titre les organisations de réfugiés.

Alors que le nombre total de réfugiés a doublé au cours de la dernière décennie et a dépassé le triste record de 100 millions l, les pays de l’UE ont fourni une protection à 3 millions de réfugiés au cours de cette période qui va jusqu’à la fin de 2021.

Mais n’oublions pas ce que Kenneth Roth, ancien directeur exécutif de Human Rights Watch, a déclaré en 2015 lorsque l’Europe s’est alarmée de l’arrivée d’un « tsunami » de réfugiés désespérés.

« Cette vague de gens ressemble davantage à un filet d’eau si on la met en regard de la piscine censée l’absorber », a-t-il déclaré. Roth a raison : L’UE est une région extrêmement riche qui compte quelque 500 millions d’habitants qui a littéralement dépensé des milliers de milliards au cours des 15 dernières années pour sauver les banques et les entreprises.

Par exemple, à la suite de la crise financière, la Commission européenne a approuvé 1564 milliards de dollars d’aides en capital et 3924 milliards de dollars d’aides en liquidités pour le secteur financier entre 2008 et 2017.

Lors de la crise de la COVID-19, l’UE a mis en place un programme d’aide massif (https://apnews.com/article/eu-auditors-watchdog-covid19-subsidies-mismanagement-831da8bbcd587dda9ac8d33dbdeede3b) d’un montant de 763 milliards de dollars pour relancer les économies des États membres et aider les entreprises touchées par la pandémie de coronavirus à rester rentables.

Et ceux qui viennent vers nous ont besoin d’aide. Comme en 2015/2016, la plupart d’entre eux bénéficient aujourd’hui d’un statut de protection . Le taux de protection en Allemagne est de 72 %. Dans le cas des Syriens et des Afghans, il atteint 100 %.

Il s’agit donc de véritables réfugiés. Les refouler constitue en fin de compte une violation d’un droit humain élémentaire, garanti par la loi, à savoir la Convention de Genève relative au statut des réfugiés.

Le mur frontalier entre la Turquie et la Syrie (Foto : OZAN KOSE/ AFP)

Quatre-vingt-dix-sept millions de réfugiés et de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays ne se trouvent pas sur le territoire de l’UE, mais sont coincés dans ce que l’on appelle les États de la ligne de front, dont la plupart sont des pays en développement qui ne sont guère en mesure de supporter les millions de personnes qui ont besoin d’une aide supplémentaire en raison d’une pauvreté endémique, d’accords commerciaux et d’arrangements relatifs à la dette qui relèvent de l’exploitation, et de bien d’autres problèmes encore.

Grâce à la « forteresse Europe » - et bien sûr aussi grâce à la « forteresse Amérique » - la plupart des réfugiés restent donc piégés, subissant des « expériences infernales », comme l’a dit un jour un documentaire d’ARTE TV .

Ils sont entassés dans des systèmes de camps inhumains qui poussent dans le sable et la boue du désert comme d’immenses ghettos de tentes. La misère et l’apartheid des réfugiés ne sont nullement sans solution.

L’Europe montre une fois de plus, comme elle l’a fait avec la RDA et les réfugiés d’Europe de l’Est à l’époque soviétique, qu’elle peut faire autrement. Entre 1988 et 1992, plus de 2,2 millions de citoyens des anciens pays communistes d’Europe de l’Est ont immigré en République fédérale d’Allemagne en l’espace de cinq ans.

Pourquoi ces réfugiés ont-ils été acceptés ? Parce que, dans un contexte de guerre froide, ils étaient politiquement utiles à l’anticommunisme. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie il y a un an, quelque 4 millions d’Ukrainiens sont arrivés dans les pays de l’UE et y ont été accueillis.

La Pologne, historiquement hostile aux migrants, en a accepté 1,4 million, tandis que les Polonais ont soutenu ceux qui fuyaient en fournissant dons et assistance. Bien que le gouvernement de Varsovie ait commencé à réduire le financement destiné aux Ukrainiens , une étude récente montre que 78 % d’entre eux avaient un emploi en Pologne - parce que l’État et la société polonais se sont assurés que les réfugiés ukrainiens étaient en mesure de trouver du travail.

Entre-temps, l’Allemagne a mis en place une procédure d’admission non bureaucratique pour les Ukrainiens, interrompant la procédure épuisante de demande d’asile et, dans une large mesure, l’utilisation d’hébergements de masse dégradants.

C’était bien sûr exactement la chose à faire. Mais il est hypocrite et raciste d’attiser à nouveau la panique au sujet des réfugiés - souvent à des fins politiques - et de la diriger spécifiquement contre les Africains, les Arabes et les Musulmans. Il est certain que les défis sont réels. Il faut gérer l’hébergement des réfugiés et leur fournir des ressources.

Depuis le 1er mars, les réfugiés ukrainiens qui séjournent en Pologne pendant plus de 120 jours et vivent dans des logements collectifs doivent couvrir la moitié de leurs frais d’hébergement, avec un plafond de 40 zlotys (8,50 euros) par jour [Shutterstock/Damian Lugowski]

Mais les problèmes de l’Europe relèvent d’une pure fabrication artisanale et artificielle. La raison en est que les fonds destinés aux municipalités ont été réduits et qu’aucun nouveau fonds n’est en vue. C’est cela qui doit changer au plus vite.

On ne résoudra aucunement les problèmes en instrumentalisant les capacités intentionnellement réduites de ces municipalités pour alimenter les débats concernant la sécurité des frontières, le renforcement des barrières, le sabotage de la protection des réfugiés (c’est-à-dire le déplacement des procédures d’asile vers la frontière extérieure) et la limitation des admissions, bien au contraire, cela ne fera qu’encourager la xénophobie, le racisme et l’hostilité au sein des populations.

Les Européens tiennent-ils vraiment à alimenter à nouveau la rhétorique protofasciste du « nous » contre « eux », comme cela a été fait lors de la dernière « crise des réfugiés » ? À l’époque, la rhétorique se servait du concept de « marées de gens », de la surpopulation et des intrus forcément criminels, rhétorique souvent utilisée tant par les libéraux et les sociaux-démocrates que par les forces d’extrême droite, qui a permis au parti néo-nazi Alternative für Deutschland (AfD) d’entrer dans tous les parlements des États fédérés et au Bundestag en Allemagne.

Partout en Europe, la droite a ainsi repris du poil de la bête. Si l’Europe est si hostile aux réfugiés, pourquoi n’a-t-elle pas quitté la convention des Nations unies sur les réfugiés ?

Il n’y a vraiment aucune raison qui permettrait de parler de surcharge, même si après des années de baisse des admissions de réfugiés, les chiffres repartent à la hausse. Cette hausse n’est pas non plus surprenante, compte tenu des nombreuses crises mondiales et de la pandémie de COVID-19.

Par exemple, le nombre de nouveaux demandeurs d’asile arrivant en Allemagne en 2022 était d’environ 193 000 , ce qui reste inférieur à la limite de 200 000 exigée à plusieurs reprises par les partis conservateurs.

Pour 2023, cependant, on s’attend à un nombre beaucoup plus élevé. Malgré cela, il s’agit encore d’un simple filet d’eau, compte tenu des 100 millions de personnes en quête de protection dans le monde. En revanche, l’Allemagne a accueilli à elle seule plus d’un million d’Ukrainiens qui, comme indiqué précédemment, ne sont pas soumis à une procédure d’asile.

Bien que les demandeurs d’asile ne représentent qu’une petite partie des personnes admises, ils sont au centre du débat médiatique, qui se concentre à nouveau sur l’érection de barrières plus hautes, les déportations et les refoulements, comme ce fut le cas lors de la dernière « crise des réfugiés », qui était de facto une crise de fermeture des frontières à laquelle on a répondu par des mesures encore plus hostiles à l’accueil .

Des migrants débarquent d’un bateau dans le port sicilien de Catane (Photo : Salvatore Cavalli/dpa)

Le chef de file des chrétiens-démocrates conservateurs en Allemagne, Friedrich Merz, affirme une nouvelle fois que la nation a atteint la « charge maximale », comme s’il s’agissait d’une quantité fixée par les lois de la nature.

Il appelle à une plus grande protection du territoire de l’UE et à la création de centres d’asile aux frontières - une demande tout droit copié/collé de l’AfD. En réalité, le parti d’extrême droite ainsi que le nouveau représentant spécial du gouvernement allemand pour les accords migratoires, Joachim Stamp (du parti Libéral), veulent que ces centres soient créés dans les pays africains.

Cette rhétorique est un faux-fuyant populiste sans fondement, qui jette de la poudre aux yeux des gens quant à la réalité, y compris concernant le droit international. Les États africains rejettent depuis longtemps ces idées en les qualifiant de « néocoloniales ».

Le chef de file du Parti populaire européen (PPE) au Parlement européen, le politicien allemand Manfred Weber (du parti allemand Christian Social Union, CSU), estime que l’UE « marche telle une somnambule vers une nouvelle crise migratoire », parle de centaines de milliers de « migrants illégaux ».

Il souligne que « les murs devraient être construits en dernier recours, mais si nous n’avons pas d’autre moyen d’arrêter l’immigration illégale, nous devons être prêts à construire des clôtures », comme si le nombre relativement faible de « migrants illégaux » sans aucun droit, condamnés à vivre dans la clandestinité, constituait un problème pour l’UE .

Entre-temps, le collègue de Weber, Joachim Herrmann, ministre de l’intérieur de l’État allemand de Bavière, a remis en question les avantages sociaux dont bénéficient les demandeurs d’asile.

Si l’UE, les dirigeants politiques et les journalistes de l’élite veulent se positionner en défaveur du droit des réfugiés non désirés à demander une protection - excluant ainsi les Ukrainiens politiquement précieux - et se servir de cela pour créer un sentiment anti-migrants et marquer des points, pourquoi l’UE ne se retire-t-elle pas tout simplement de la convention sur les réfugiés ?

Un certain nombre d’États, comme l’Inde, n’ont pas signé la convention de Genève, pas plus que la Turquie d’ailleurs, puisque le pays fixe une restriction géographique à son application, ce qui signifie que seules les personnes fuyant à la suite d’« événements survenus en Europe » peuvent se voir accorder le statut de réfugié.

Des militants manifestent contre une proposition de règlement qui limiterait l’accès à l’asile à la frontière entre les États-Unis et le Mexique lors d’un rassemblement organisé par Welcome With Dignity à la Maison Blanche le 23 février 2023 (Jill Bussey/LIRS)

Alors, pourquoi l’UE déploie-t-elle depuis des décennies tous ces efforts pour isoler le continent face aux réfugiés protégés par le droit international - efforts pour lesquels, soit dit en passant, beaucoup d’argent et de ressources ont été gaspillés de manière insensée ?

La vérité crasse qui se cache derrière l’image humanitaire et libérale des élites européennes et allemandes, qui arborent fièrement leur engagement en faveur des droits humains et des réfugiés, est que celles-ci pensent et agissent moins en fonction d’intérêts humanitaires que d’intérêts géostratégiques et nationalistes.

James C. Hathaway, l’un des principaux experts en matière de droits des réfugiés et auteur de l’ouvrage de référence « The Rights of Refugees under International Law » (Droits des réfugiés dans le cadre légal international), s’est exprimé en ces termes :

« Si le Nord devait se retirer complètement de la Convention fixant les droits des réfugiés, il n’y aurait pas de base politiquement viable sur laquelle on pourrait se fonder pour exiger que les pays pauvres continuent d’assumer leurs obligations en matière de droit des réfugiés dans le cadre du système actuel de responsabilité fragmentée et de charité à géométrie variable de la part du monde plus riche ».

« Et si les États moins développés devaient suivre le mouvement et abandonner eux aussi la défense des droits des réfugiés dans le contexte d’une instabilité persistante dans une grande partie du sud de la planète - produisant des flux de réfugiés souvent massifs - les ramifications négatives pour la sécurité mondiale et le bien-être économique pourraient être immenses ».

« En effet, avec moins d’options pour trouver une protection près de chez eux, la logique pour les réfugiés qui consisterait à rechercher une protection plus loin augmenterait certainement, un scénario que les pays plus riches ne veulent même pas envisager ».

Il existe des solutions rationnelles et durables ainsi que des propositions de réforme qui sont bénéfiques pour toutes les parties concernées - en particulier pour les réfugiés et les États en première ligne, mais aussi pour les pays industrialisés riches et leurs populations - au-delà de la gestion ad hoc des crises.

Ces propositions sont sur la table depuis des décennies et ont été élaborées par des organes consultatifs parlementaires , des organisations de défense des droits humains et des universitaires .

Ils bénéficieraient d’autre part d’un très large soutien en Europe, s’ils étaient mis en œuvre de manière équitable . Mais dans le débat médiatique, ces propositions sont pratiquement absentes.

Tant qu’il en sera ainsi, l’UE continuera à faire la guerre aux réfugiés non désirés, comme le font les États-Unis, avec toutes les conséquences désastreuses que cela implique.

Malheureusement, on n’a pas d’exemple à suivre. L’administration Biden avait promis de mettre fin à la ligne intransigeante de Trump en matière d’immigration. Au lieu de cela, elle a remplacé les restrictions du titre 42 par une politique encore plus dure .

Désormais, les personnes en fuite sont essentiellement exclues de l’asile car elles doivent planifier à l’avance un rendez-vous à un point d’entrée via une application mobile peu fiable ou se conformer à une règle de pays tiers erronée, accompagnée de diverses formes de harcèlement aux frontières .

La garantie internationale des droits des réfugiés s’érode des deux côtés de l’Atlantique, aux États-Unis et en Europe. Les larmes de crocodile versées sur le sort des réfugiés torturés - dans des pays avec lesquels nous avons conclu des accords de gardien de porte - et les demandeurs d’asile noyés ou affamés - que nous repoussons à la mer ou expulsons - n’y changent rien.

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DAVID GOESSMAN

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