AID Association Initiatives Dionysiennes

Ouv zot zié !

Accueil > Politique > Entrerons-nous dans une guerre sans fin à Vilnius ?

Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-077

Entrerons-nous dans une guerre sans fin à Vilnius ?

Par David Sacks, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

jeudi 13 juillet 2023, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Entrerons-nous dans une guerre sans fin à Vilnius ?

Le 16 Juin 2023 par David Sacks

Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, et le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, posent avec les ministres de la Défense de l’OTAN pour une photo de famille, lors du deuxième jour d’une réunion au siège de l’OTAN à Bruxelles (Belgique), le 15 février 2023 (Shutterstock/Alexandros Michailidis)

Le sommet à venir de l’OTAN déclenchera-t-il une guerre sans fin en Europe ? La pression monte pour qu’une déclaration officielle de quelque sorte sur l’adhésion de l’Ukraine soit faite lors des réunions qui se tiendront à Vilnius le mois prochain.

Un article paru dans le New York Times mercredi (14 juin 2023) affirme que des pressions s’exercent sur Biden pour qu’il annonce un calendrier pour l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, lors du sommet qui se tiendra à Vilnius le mois prochain.

Biden est soi-disant « isolé » au sein des alliés de l’OTAN dans sa réticence sur le sujet, bien que cette affirmation soit contredite par le dernier paragraphe de l’article (ce paragraphe que Noam Chomsky recommande de toujours lire en premier), qui reconnaît que « certains soutiennent plus timidement » que l’adhésion [de l’Ukraine] à l’OTAN « pourrait être pour Poutine un encouragement à poursuivre la guerre, ou à l’intensifier ».

En effet, Moscou ayant déjà déclaré que l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN était totalement inacceptable et constituait une menace existentielle - sa propre protection étant l’un de ses principaux objectifs de guerre - une déclaration à Vilnius qui dirait que l’Ukraine rejoindra l’OTAN à la fin de la guerre garantira en fait que la guerre se poursuivra éternellement.

Elle aurait également pour effet de retirer de la table le principal argument de négociation de l’Occident pour parvenir à la paix, à savoir la neutralité de l’Ukraine. Il est évident que la « pression » exercée sur Biden vient de Zelensky et de certains pays d’Europe orientale de l’OTAN, en particulier la Pologne et les États baltes.

Zelensky a déclaré il y a deux semaines que si l’Ukraine ne recevait pas un signal fort quant à son éventuelle adhésion, elle ne participerait même pas au sommet de Vilnius.

L’ancien secrétaire général de l’OTAN, Anders Rasmussen, aujourd’hui consultant auprès de Zelensky, a même menacé : « si toutefois l’OTAN ne parvenait pas à se mettre d’accord sur une voie claire pour l’Ukraine, il est tout à fait possible que certains pays prennent des mesures à titre individuel ». En particulier,« les Polonais envisageraient sérieusement la possibilité d’entrer dans l’action » ce qui déclencherait une guerre directe entre l’OTAN et la Russie.

L’article du New York Times laisse entendre que le secrétaire général actuel [de l’OTAN], Jens Stoltenberg, soutient les partisans de la ligne dure sur la nécessité d’un calendrier réaliste pour l’admission de l’Ukraine au sein de l’OTAN, mais il n’a fait aucune promesse en ce sens lors de son discours commun avec le président Biden, de mardi (13 juin) .

Mercredi, Stoltenberg et l’OTAN ont clairement indiqué qu’aucun calendrier spécifique pour l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN ne serait à l’ordre du jour du sommet de Vilnius.

Il a réaffirmé ses propos d’avril selon lesquels « l’avenir de l’Ukraine est au sein de l’OTAN » et a déclaré que les États membres se mettraient d’accord sur un « programme sur plusieurs années » pour aider l’Ukraine à « devenir pleinement compatible avec l’OTAN », mais n’a pas voulu s’engager sur quoi que ce soit de plus précis.

Apparemment, ce sont Zelensky et ses alliés le long de la frontière russe qui sont « isolés », et non le président Biden. Quelles que soient les opinions personnelles de Stoltenberg, il sait que l’OTAN est divisée sur la question de l’admission de l’Ukraine dans un avenir proche.

Même le New York Times cite trois pays - l’Allemagne, la Hongrie et la Turquie - dont les dirigeants s’opposeraient assurément à l’adhésion à une date future donnée. De nombreux autres dirigeants ont, en privé, exprimé leur inquiétude et il semble bien que Biden et c’est à mettre à son crédit, soit l’un d’entre eux.

Bien que sa conduite et sa rhétorique aient été dans l’ensemble bellicistes (et je continue d’affirmer qu’il aurait pu éviter cette guerre en faisant preuve d’une véritable diplomatie dans les mois qui l’ont précédée), Joe Biden a été admirablement cohérent dans son désir de ne pas plonger l’Amérique dans une guerre directe avec la Russie.

Les menaces de Rasmussen soulignent la facilité avec laquelle une guerre par procuration peut se transformer en guerre réelle dans une alliance où tous les membres s’engagent à prendre la défense militaire de l’un d’entre eux.

Le peuple américain pourrait commencer à s’interroger sur la sagesse d’établir de nouvelles garanties au titre de l’article 5, si des étrangers comme Rassmussen peuvent utiliser les garanties existantes et faire du chantage aux États-Unis pour les pousser à agir de manière imprudente.

Les gesticulations polonaises ou ukrainiennes ne doivent pas inciter les américains à s’engouffrer dans une Troisième Guerre mondiale, ce n’est pas eux de mener le bal.

A défaut de garantir à l’Ukraine la sécurité qu’offre l’adhésion à l’OTAN, certains experts en politique étrangère de l’entourage de Joe Biden, tel le secrétaire d’Etat Antony Blinken, soutiennent une thèse différente, à savoir donner à l’Ukraine le « statut d’Israël ».

Ce qui consiste à offrir des garanties de sécurité à long terme (décennales dans le cas d’Israël) dont des armes, des munitions et de l’argent « non tributaire de la contre-offensive en cours ou du calendrier électoral ».

En d’autres termes, l’Amérique ne réévaluera pas son soutien même en cas d’échec de la contre-offensive. Le soutien ne cessera pas même si ces satanés électeurs changent d’avis. La Guerre de Biden pour la Démocratie est trop importante pour être exposée aux aléas des élections.

Toutefois, certains observateurs pourraient y voir un leurre classique. L’année dernière, après que l’Ukraine ait repris des territoires autour de Kharkiv et de Kherson, les Américains ont reçu l’assurance que les Ukrainiens finaliseraient le travail au printemps et à l’été 2023.

Cette nouvelle contre-offensive ukrainienne devrait faire régresser les gains territoriaux des Russes, peut-être même menacer l’emprise russe sur la Crimée et amènerait ainsi Moscou à la table des négociations, ce qui mettrait fin à la guerre. C’est sur cette base que de nombreux Américains ont soutenu le budget de plus de 100 milliards de dollars alloué à l’Ukraine.

La promesse implicite était qu’il s’agissait d’une dépense ponctuelle, et non d’une base de référence pour des crédits annuels dans le cadre d’une nouvelle Guerre Éternelle. Aujourd’hui, le début laborieux de la contre-offensive associé à la proposition d’un accord pluriannuel à Vilnius montrent clairement qu’il s’agissait d’un mensonge ou d’une chimère. Mais n’est-ce pas ce qu’il se passe toujours ?

Les administrations nous entraînent dans la guerre avec des promesses de victoire rapide et facile, puis, une fois que nous sommes engagés, nous disent que nous ne pouvons pas nous retirer, quel qu’en soit le coût, parce que la crédibilité des États-Unis est en jeu.

C’est le Vietnam, l’Afghanistan ou l’Irak qui recommencent, sauf que cette fois, l’adversaire est doté de l’arme nucléaire, ce qui crée un risque accru que la guerre ne dégénère en Troisième Guerre mondiale à n’importe quel moment.

L’aspect le plus stérile du débat actuel entre les membres de l’OTAN est peut-être le fait qu’avec ou sans calendrier, une Déclaration de Vilnius sur une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN est une promesse qui ne peut être mise en œuvre, en l’absence d’un revirement majeur de la situation ukrainienne sur le champ de bataille.

Une telle déclaration ne peut garantir l’admission de l’Ukraine à l’OTAN, pas plus que ne l’avait fait la déclaration précédente lors du sommet de Bucarest en 2008. Elle ne peut que garantir que les Russes resteront implacablement résolus à empêcher cette adhésion en perpétuant la guerre aussi longtemps qu’il le faudra.

Par conséquent, notre insistance pour que l’Ukraine soit autorisée à rejoindre l’OTAN « un jour », combinée à notre désir (raisonnable) de ne pas être entraînés dans la Troisième Guerre mondiale, signifie que ce « un jour » n’arrivera jamais. Cela soulève la question suivante : pourquoi continuer à faire une promesse alors qu’il n’y a pas de voie réaliste pour la réaliser ?

Pourquoi se battre pour un principe (la « porte ouverte » de l’OTAN) qui est de toute façon largement théorique puisque en réalité, l’Ukraine ne peut pas rejoindre l’alliance sans déclencher une conflagration à l’échelle du continent [européen], justement ce que l’OTAN a été créée pour éviter en premier lieu ? Les dirigeants réunis à Vilnius ne se posent peut-être pas cette question, mais les futurs historiens qui les jugeront le feront certainement.

Version imprimable :