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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-027

Retraites en péril aux Etats-Unis

Par David Sirota, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

vendredi 3 mars 2023, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Retraites en péril aux Etats-Unis

Le 03 Février 2023 par David Sirota

David Sirota est rédacteur en chef à Jacobin. Il édite le Lever et a précédemment été conseiller principal et rédacteur de discours pour la campagne présidentielle 2020 de Bernie Sanders.

Vue de la bourse de New York sur Wall Street lors du premier jour de cotation de 2023 à New York, le 3 janvier 2023 (Kena Betancur / VIEW press)

Les valeurs des fonds d’investissement privés sont en baisse - et les salariés pourraient en faire les frais. Alors que partout en Amérique, les responsables du secteur public s’apprêtent à transférer une part encore plus importante de l’épargne des fonctionnaires vers les magnats du capital-investissement, ils risquent de dilapider l’argent des retraites publiques, dans la mesure où la valeur du capital-investissement chute et où les dirigeants du secteur continuent de s’enrichir.

Alors que les responsables du secteur public américain s’apprêtent à transférer une part encore plus importante de l’épargne des fonctionnaires aux magnats du capital-investissement, une alerte vient d’être lancée à l’intention de tous ceux qui prennent la peine d’y prêter attention.

Il s’agit d’un avertissement que les dirigeants de Wall Street veulent voir ignorer alors qu’ils prélèvent des commissions sur les fonds de pension, mais plus l’avertissement reste lettre morte, plus la bombe à retardement financière risque d’être dramatique pour les travailleurs, les retraités et les gouvernements qui les rémunèrent.

Au début de ce mois, Pitchbook - le principal organe de presse spécialisé dans le secteur du capital-investissement - a déclaré que « les dividendes des capitaux privés constituent une menace majeure pour la capacité des fonds de pension à assurer le paiement des retraites en 2023 ».

Alors que plus d’un fonds de pension public sur dix est investi dans des actifs de capital-investissement – et queles États continuent de garder secrets leurs contrats de capital-investissement – Pitchbook a cité une nouvelle étude qui révèle que des pertes liées à ces investissements pourraient se profiler à l’horizon en ce qui concerne les systèmes de retraite qui subviennent aux besoins de millions d’enseignants, de pompiers, de secouristes et autres employés du gouvernement.

Les administrateurs du California Public Employees Retirement System (CALPERS) ont voté en faveur d’une augmentation du capital-investissement à 13% des avoirs. Le siège du fonds de pension à Sacramento (PHOTO : MAX WHITTAKER/REUTERS)

« Les rendements des fonds de capital-investissement sont publiés avec un décalage pouvant aller jusqu’à six mois, et à chaque mise à jour de 2022 on a constaté une baisse des valeurs - ce qui signifie que les chiffres de 2022 ont repris des évaluations excessives en ce qui concerne les actions de fonds de pension et que les chiffres de 2023 intégreront ces pertes » indique l’étude de l’Equable Institute.

Pour bien cerner cette bombe à retardement, il nous faut comprendre en quoi consiste exactement ce type de fonds de placement. En général, les sociétés de fonds de pension utilisent l’argent des retraites pour racheter et restructurer des entreprises, puis les revendre à un prix supérieur à celui de l’achat.

Entre l’achat et la vente, il n’existe pas de paramètres transparents qui permettraient d’évaluer l’actif acheté. Les sociétés de capital-investissement peuvent fabriquer une prétendue valeur pour la communiquer aux investisseurs des fonds de pension (et il est prouvé qu’elles gonflent les évaluations lorsqu’elles cherchent de nouveaux investissements).

Dans un article sur un investisseur ayant reçu deux évaluations différentes pour la même entreprise, Institutional Investor a souligné l’absurdité de la situation : « Tout le monde veut savoir ce que valent vraiment les actifs privés. La vérité est que c’est compliqué ».

En attendant, les conditions d’évaluation et de rémunération figurant dans les contrats entre les sociétés de capital-investissement et les régimes publics de retraite sont tenues secrètes et échappent aux lois sur la transparence des documents publics.

Cela étant, les nouvelles mises en garde sont simples : il se peut que les sociétés de capital-investissement aient dit aux responsables des pensions que leurs actifs valaient beaucoup plus qu’ils ne valent en réalité, tout en prélevant des milliards de dollars de frais sur l’argent des retraités.

Les arbres ne montent pas au ciel (Illustration by II)

Si aujourd’hui on constate des pertes de valeur, cela pourrait signifier que lorsque le moment sera venu de vendre les actifs pour payer les prestations promises aux retraités, les fonds de pension disposeront de beaucoup moins d’argent que ce que les sociétés de capital-investissement leur ont fait miroiter. À ce moment-là, trois choix douloureux se présenteront : réduire les prestations de retraite, sabrer dans les programmes sociaux pour financer ces prestations ou augmenter les impôts pour récupérer les pertes.

Les signes d’un scénario apocalyptique sont déjà évidents : certaines des plus grandes sociétés de capital-investissement du monde ont fait état d’une forte baisse de leurs bénéfices, etles régulateurs fédéraux multiplieraient les contrôles concernant les pertes de valeur des actifs du secteur.

Entre-temps, une banque d’investissement a indiqué que dans les transactions qu’elle a réalisées en 2021, les actifs de capital-investissement ne se sont vendus qu’à 86 % de leur valeur déclarée l’année dernière.

Mais alors que les retraités sont sans doute menacés, les dirigeants de Wall Street sont protégés grâce à leur modèle d’entreprise « pile on gagne, face vous perdez » : certaines des entreprises qui gèrent l’argent des retraités déclarent des pertes d’actifs auprès des investisseurs, tout en encaissant encore plus de commissions de la part de ceux-ci et en continuant de revaloriser la rémunération des dirigeants.

Dans le même temps, alors même que certains investisseurs privés avisés s’empressent de se désengager des fonds de pension, la plus grande société de capital-investissement au monde, le Blackstone Group, a récemment rassuré les analystes de Wall Street en affirmant que les responsables des régimes de retraite des États continueront à utiliser l’épargne des retraités pour augmenter les revenus des sociétés de capital-investissement, des fonds spéculatifs, des fonds immobiliers et d’autres investissements dits alternatifs.

« La demande pour les alternatives est toujours aussi forte », a déclaré Jon Gray, président de Blackstone, lors d’une conférence téléphonique avec les investisseurs la semaine dernière. « Ici, aux États-Unis, les législateurs de l’État de New York ont en réalité relevé d’environ un tiers la dotation des trois principaux fonds de pension ».

Les sociétés de capital-investissement, les fonds spéculatifs et les sociétés immobilières concluent des accords secrets avec des investisseurs individuels, leur accordant des privilèges dont ne bénéficient pas les autres membres des mêmes fonds d’investissement (Spencer Platt / Getty Images)

Gray faisait référence à l’adoption par les législateurs démocrates de New York d’une loi permettant aux responsables des fonds de pension de transférer à Wall Street des sommes beaucoup plus importantes en provenance des retraites.

Le projet de loi a été défendu par le contrôleur de la ville de New York, Brad Lander, quelques semaines seulement après que ce démocrate ait été élu et se soit engagé à « réviser les prises de position des fonds sur les actifs risqués et spéculatifs, notamment les fonds de pension, les fonds de capital-investissement et les fonds immobiliers privés ».

La gouverneure démocrate de l’État de New York, Kathy Hochul, a discrètement ratifié la loi le samedi avant Noël , quelques semaines seulement après que le Wall Street Journal eut signalé que des analystes avaient commencé à avertir les fonds de pension de l’imminence de pertes liées aux placements dans des fonds privés.

Les législateurs new-yorkais ont parallèlement rejeté une autre législation qui aurait permis aux travailleurs et aux retraités de consulter les contrats signés entre les responsables des fonds de pension de l’État et les sociétés de Wall Street qui gèrent leur argent.

L’État de New York n’est pas le seul à continuer à utiliser l’argent des retraités pour enrichir les spéculateurs financiers les plus riches de la planète. De la Californie au Texas en passant par l’Iowa , les fonds de pension qui contrôlent des centaines de milliards de dollars d’épargne-retraite des travailleurs prévoient d’injecter davantage d’argent dans le capital-investissement, tout en gardant secrètes les conditions des investissements.

Tout en se baladant dans le monde entier pour assister à des colloques prestigieux dans des lieux exotiques, les responsables des pensions ont défendu les investissements à hauts risques en répétant comme des perroquets l’affirmation des dirigeants de Wall Street qui affirment que les fonds privés obtiennent des performances supérieures à celles des fonds d’indices boursiers à bas prix.

Dans le même temps, ces responsables continuent de dissimuler les conditions de ces investissements, ce qui soulève la question suivante : Si les investissements sont si merveilleux, pourquoi en cacher les détails ?

La relation entre l’industrie financière et les pensions publiques est devenue l’un des plus grands systèmes de l’époque dorée visant à redistribuer les richesses des travailleurs vers Wall Street (Source Jacobin)

Peut-être tout simplement parce que les investissements ne sont pas aussi mirobolants qu’annoncé : dans une étude de référence intitulée « Private Equity Returns & The Billionaire Factory », Ludovic Phalippou, de l’université d’Oxford, a démontré que les fonds de capital-investissement « ont eu un rendement à peu près équivalent à celui des investissements publics depuis au moins 2006 », tout en extorquant près de 25 000 milliards de dollars de frais sur les systèmes publics de retraite.

Au final, une analyse de Yahoo News a révélé qu’en une décennie, les systèmes de retraite avaient payé plus de 600 milliards de dollars de frais pour des fonds spéculatifs, des fonds de capital-investissement, des biens immobiliers et d’autres investissements alternatifs. « Le tableau d’ensemble est qu’ils reçoivent beaucoup d’argent pour ce qu’ils font, et qu’ils ne tiennent pas leurs promesses ou leurs prétendus engagements », a déclaré Phalippou au New York Times en 2021 .

La vérité est même reconnue à Wall Street : une étude de J. P. Morgan réalisée en 2021 a révélé que le capital-investissement a tout juste fait mieux que le marché boursier , mais on ne sait toujours pas si cette « très modeste » performance justifie le risque d’investissements opaques et illisibles dont la valeur réelle est souvent impossible à déterminer - des investissements qui pourraient s’effondrer au moment même où l’on a le plus besoin d’argent.

Si les mises en garde n’ont pas mis un terme au flux des fonds de pension vers les fonds de capital-investissement, elles ont néanmoins permis de sensibiliser certains acteurs de la politique américaine. Par exemple, la Securities and Exchange Commission envisage actuellement de nouvelles règles pour obliger les sociétés de capital-investissement à être plus transparentes quant aux frais qu’elles facturent.

De même, le commissaire aux comptes de l’Ohio, le Républicain Keith Faber, vient de publier un rapport dans lequel il tire la sonnette d’alarme sur le fait que les responsables des régimes de retraite de l’État dissimulent aux retraités et au grand public leurs contrats de capital-investissement - une pratique répandue dans tous les États du pays.

À New York, Ron Kim, membre Démocrate de l’assemblée, s’apprête à réintroduire son projet de loi qui vise à mettre fin à l’exemption de publication pour les contrats de capital-investissement.

Et après un scandale de corruption dans le domaine des retraites qui a éclaté en Pennsylvanie - où le gouvernement de l’État supervise près de 100 milliards de dollars de fonds de pension - un séisme financier potentiel se prépare : au cours de sa première semaine de mandat, le gouverneur Démocrate Josh Shapiro s’estengagé à poursuivre l’action qu’il avait commencée alors qu’il dirigeait le comté et à faire en sorte que l’argent des retraités ne soit plus entre les mains des sociétés de Wall Street, ces dernières ayant encaissé plus de 1,7 milliard de dollars de commissions en une seule année pour l’un des fonds de pension de l’État.

Dans les termes peut-être les plus sévères jamais utilisés sur le sujet par un gouverneur, Shapiro a déclaré au plus grand journal de son État : « Il nous faut nous débarrasser de ces investissements à risques Nous devons cesser de dépendre des gestionnaires de fonds de Wall Street ».

Shapiro pourrait bien se heurter à l’opposition non seulement des magnats du capital-investissement et de leurs lobbyistes, mais aussi à celle des administrateurs affiliés aux syndicats des caisses de retraite. Comme le rapporte le Philadelphia Inquirer : « Les membres du syndicat [siégeant dans les conseils d’administration] ont pour la plupart favorisé l’ancienne stratégie d’investissements privés, même lorsqu’ils ont été contestés par les représentants des gouverneurs et les deux derniers trésoriers de l’État ».

Lorsque les rendements des investissements étaient un peu meilleurs, cette alliance impie entre certains syndicats et des sociétés de Wall Street a été passée sous silence, alors même que les fonds de pension étaient laminés par les commissions. Même chose concernant la stratégie d’investissement globale des fonds de pension qui a consisté à orienter de plus en plus d’épargne des retraités vers des sociétés de capital-investissement.

Mais avec les alertes de plus en plus fortes concernant les dépréciations et les pertes - et avec les publications professionnelles de Wall Street qui tirent la sonnette d’alarme - la dynamique pourrait changer. Mieux vaut tard que jamais, mais plus on tarde, plus le risque est grand pour des millions de travailleurs et de retraités.

Vous pouvez vous abonner au projet de journalisme d’investigation de David Sirota, The Lever, ici .

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