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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-015

Un nombre record de Canadiens souffrent désormais de la faim

Par Luke Savage, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

vendredi 3 février 2023, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne.

Un nombre record de Canadiens souffrent désormais de la faim

Le 04 Décembre 2022 par Luke Savage
Luke Savage est rédacteur à Jacobin.

La banque alimentaire Daily Bread de Toronto continue de travailler pour maintenir ses étagères remplies alors que les demandes d’intervention ne cessent de croître (Rick Madonik / Toronto Star via Getty Images)

Même avant la pandémie, des décennies de restrictions et de mesures austéritaires avaient déjà amené le tissu social du Canada à son point de rupture. Aujourd’hui, davantage de Canadiens, plus que jamais auparavant, sont obligés de se tourner vers les banques alimentaires pour lutter contre la faim.

Il y a quelques semaines, alors qu’elle se félicitait de l’engagement de son gouvernement en faveur de l’austérité budgétaire, la ministre des Finances du Canada, Chrystia Freeland, a suggéré à ses concitoyens de s’adapter à un climat plus sobre en annulant leur abonnement de 13,99 $ par mois à Disney Plus : « J’ai dit aux enfants : vous êtes plus âgés maintenant. Vous ne regardez plus Disney. Supprimons cet abonnement à Disney+. Alors, nous l’avons supprimé. Nous n’économisons que 13,99 $ par mois, mais chaque petit geste compte. (…) Je pense que je dois adopter exactement la même approche concernant les finances du gouvernement fédéral parce que c’est l’argent des Canadiens ».

Ce commentaire, manifestement déconnecté de la réalité et dénué de sens, a suscité un tollé bien mérité et a été rapidement retiré.

Néanmoins, le sous-entendu pathétique de la remarque de Freeland est tout à fait emblématique de l’attitude condescendante dont les gouvernements font de plus en plus preuve partout au Canada alors que la vie quotidienne de millions de Canadiens devient plus morose et plus précaire.

Selon des indicateurs classiques tels que l’endettement personnel et l’épargne mensuelle, les données des derniers mois indiquent qu’un nombre de plus en plus important de gens rencontrent un stress financier aigu et des difficultés économiques. On ne tient généralement pas compte du nombre de personnes qui souffrent de la faim, si tant est qu’on en tienne compte dans un pays riche comme le Canada.

Or, selon un nouveau rapport que vient de publier Feed Ontario (une coalition de banques alimentaires et d’organismes communautaires dans la province la plus importante et la plus peuplée du Canada), un nombre record d’habitants de l’Ontario sont maintenant obligés de s’en remettre aux banques alimentaires – alors même que nombre d’entre eux ont un emploi à temps plein.

Chrystia Freeland (Source The Star)

Sur une population d’environ quinze millions d’habitants, près de six cent mille adultes et enfants ont été contraints de se rendre dans une banque alimentaire entre le 1er avril 2021 et le 31 mars 2022. Selon Feed Ontario, qui suit les données sur une base permanente, ce chiffre représente une augmentation de 15 % au cours des trois dernières années.

Toutefois, ces chiffres sont en fait sous-estimés. En effet, le nombre total de visites aux banques alimentaires – 4 353 000 au cours de la même période – représente en fait une augmentation de 42 % au cours des trois dernières années. Il est frappant de constater que le nombre de personnes salariées ayant recours aux banques alimentaires a également presque doublé, tandis qu’une visite sur trois dans une banque alimentaire est le fait de personnes qui y ont recours pour la première fois.

Tant les pressions économiques dues à la pandémie que les récentes hausses dues à l’inflation – sans parler des prix abusifs pratiqués par les chaînes de supermarchés – sont clairement en cause, mais les résultats montrent bien que la faim était déjà un problème grandissant avant que le coronavirus ne frappe en mars 2020.

Au cours des deux années précédentes, concernant les personnes salariées, le recours aux banques alimentaires était déjà en hausse de quelque 27 % et n’a fait que s’aggraver depuis. D’autres données récentes publiées par Banques alimentaires du Canada confirment que cette tendance est nationale, le recours aux banques alimentaires dans l’ensemble du pays atteignant le niveau le plus élevé jamais enregistré en 2022 .

Les circonstances particulières de ces deux dernières années ont très probablement nettement aggravé la situation, mais il y a une différence entre créer un problème et simplement l’intensifier. Avant la pandémie, le Canada était déjà une société profondément inégalitaire, en passe de le devenir davantage chaque année.

Bien que les Canadiens aiment souvent se flatter que le multiculturalisme et l’assurance maladie publique rendent leur pays moins enclin à l’injustice que l’Amérique, la vérité est que les institutions qui favorisent l’égalité s’effilochent depuis des décennies.

Sous les gouvernements de droite et de centre-gauche, les taux d’aide sociale ont été réduits, les programmes de logements sociaux ont été supprimés, l’accès à la couverture chômage a été rendu plus difficile et on a de plus en plus laissé les lois du marché se déchaîner sans aucune considération pour les conséquences sociales.

Alors que l’inflation globale a commencé à se calmer, les dernières données de Statistique Canada montrent que les prix des aliments continuent d’augmenter à un rythme rapide. (George Frey/Bloomberg)

Le résultat se traduit par des villes hors de prix , pensées pour les propriétaires et les promoteurs plutôt que pour les résidents, avec des infrastructures publiques en déclin et sous-financées, et un fossé grandissant entre des gens incroyablement riches et tous les autres. Alors que les marges bénéficiaires des grandes industries s’envolent et que les libéraux au pouvoir prêchent l’évangile de l’austérité, la vie du citoyen moyen devient de plus en plus rude – et plus de Canadiens que jamais ont faim.

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