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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2020-42

Dans toute la nation, une révolte contre un État en faillite

Par Kevin Zeese et Margaret Flowers, traduit par Jocelyne le Boulicaut

lundi 22 juin 2020, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Dans toute la nation, une révolte contre un État en faillite

Le 2 juin 2020 Par Kevin Zeese et Margaret Flowers pour Consortiumnews.org

Cet article est tiré de PopularResistance.org. Kevin Zeese et Margaret Flowers codirigent Popular Resistance. Les opinions exprimées sont uniquement celles des auteurs et ne reflètent pas forcément celles de Consortium News.

Manifestation "No Justice, No Peace" (Pas de justice, pas de paix) à Manhattan, le 1er juin 2020. (Led Black via Uptown Collective Twitter )

Pour parvenir aux changements dont nous avons besoin, les gens doivent sortir dans la rue et faire le lien entre les problèmes auxquels nous sommes confrontés et l’exigence de changements systémiques, écrivent Kevin Zeese et Margaret Flowers.

Le soulèvement national déclenché par le meurtre de George Floyd et d’autres événements récents à connotation raciale est une réponse à l’état de déliquescence dans lequel nous vivons et qui est dû au rapport bi-partisan. Il intervient au beau milieu de la pandémie de Covid-19 et du plus grand effondrement économique des États-Unis depuis plus d’un siècle. Ces trois crises ont eu un impact disproportionné sur les gens de couleur et ont aggravé l’inégalité raciale à long terme et les injustices.

Black Lives Matter (les vies des noirs comptent) a fait irruption il y a six ans à Ferguson, dans le Missouri lorsqu’un policier a tiré sur Mike Brown, le tuant. Depuis lors, la police a assassiné environ 1 100 personnes chaque année. La réponse du gouvernement à tous les niveaux de la crise des assasinats policiers a été pratiquement inexistante. Alors que les gens cherchent à venger la mort de George Floyd, les problèmes se révèlent beaucoup plus profonds et les changements nécessaires beaucoup plus vastes.

La racine du problème est un État défaillant

Pendant la pandémie, les millionnaires et les milliardaires ont été renfloués par le gouvernement grâce à des milliers de milliards de dollars, tandis que les travailleurs ont reçu une maigre pitance de 1 200 dollars par personne et une augmentation à court terme des allocations de chômage pour les plus de 40 millions de personnes qui ont perdu leur emploi. De nombreux travailleurs qui fournissent des services essentiels ont dû continuer à travailler, ce qui les a mis en danger, eux et leur communauté.

Les soins de santé d’urgence sont hors de portée de millions de personnes qui n’ont pas ou peu d’assurance maladie, ce qui fait que des gens meurent à la maison ou n’ont pas recours à l’hôpital avant que leur maladie ne devienne grave. Pour cette raison et d’autres encore, la Covid-19 a un impact disproportionné sur les communautés de couleur.

Glen Ford du Black Agenda Report replace la révolte de masse dans le contexte de la longue histoire de la suprématie blanche qui perdure depuis que les Africains ont été amenés aux États-Unis. L’esclavage a été imposé par la première forme de répression policière, avec la première patrouille formalisée d’esclaves créée dans les colonies de la Caroline en 1704. Après la Guerre de sécession et une brève période de reconstruction où les Africains pouvaient participer à la vie civique, cela s’est enchaîné avec Jim Crow et des racistes blancs, souvent alliés à la police du Sud, pratiquant la terreur vis à vis de la population noire par des lynchages et autres.

Les Noirs étaient alors appréhendés grâce à des lois comme celle concernant le vagabondage, puis punis en étant contraints de travailler à la cueillette du coton ou à d’autres travaux. Cette nouvelle forme d’esclavage se poursuit, car les détenus sont forcés de travailler dans les prisons pour un salaire pratiquement nul, sont loués dans le cadre d’emplois dangereux comme la transformation de la viande ou sont utilisés comme briseurs de grève.

Le meurtre de George Floyd a mis en colère les gens qui ont vu trop de morts suite aux violences policières. Le meurtre en plein jour, filmé par des caméras et des dizaines de témoins, a montré l’impunité des policiers, habitués à ne pas être tenus pour responsables de leurs actes de violence. Pendant le soulèvement, la police a fait usage d’une violence extrême et a pris pour cible des personnes ayant des caméras et les médias même, sous prétexte que c’était eux le problème.

A la racine de la question on trouve un État en faillite qui ne représente pas le peuple, et qui a une longue tradition de racisme et d’inégalité qui sont amplifiés par les crises actuelles. L’absence de réponse à ces crises fait que le pays est ingouvernable car le contrat social a été rompu.

Le non-respect de la loi au sein de la classe aisée, la corruption des hommes politiques dans des campagnes financées par les plus riches avec des cadeaux à leurs enfants et à leurs proches a ouvert la voie au non-respect de la loi. Comme s’est exclamé un manifestant : "Ne nous parlez pas de pillage, c’est vous les pilleurs. Vous avez pillé les Noirs. Vous avez pillé les Amérindiens. Ne nous parlez pas de violence, vous nous avez appris la violence".

L’État en déliquescence ne peut pas se réformer seul

Les derniers mots de George Floyd, "Je ne peux pas respirer", font écho aux mêmes mots prononcés par Eric Garner, qui a été tué il y a six ans par un policier de New York. Bien qu’il y ait eu des manifestations à l’époque, pas grand chose n’a changé. Le système n’a fourni aucune réponse.

Panneau "Last Words" (Derniers mots) lors de la manifestation contre la violence policière à Washington, le 30 mai 2020. (Twitter)

C’est au sommet même que l’échec trouve sa source. Il y a eu des années d’inaction à tous les niveaux de pouvoir. Le New York Times rapporte que "l’administration a largement démantelé les efforts de surveillance de la police, en freinant le recours aux décrets fédéraux de consentement pour la refonte des services de police locaux. M. Barr a déclaré que les communautés qui critiquent les forces de l’ordre ne méritent pas forcément une protection policière, et M. Trump a encouragé les agents à ne pas être "trop gentils" dans le traitement des suspects".

Trump a versé de l’huile sur le feu actuel utilisant une rhétorique incendiaire promettant que "le pillage mène à la fusillade", faisant écho aux racistes du passé et promettant de faire intervenir l’armée américaine si les démocrates ne pouvaient pas arrêter le soulèvement. Trump a mis l’armée en alerte pour qu’elle se déploie face aux manifestations civiles. Il se maintient au pouvoir en divisant les gens ; faisant l’éloge des manifestants armés qui ont exigé le relancement de l’économie en dépit de la pandémie et qualifiant de "voyous" les manifestants non armés faisant face à la violence policière.

Vendredi, la Maison Blanche a été bouclée, mise en alerte de sécurité maximale en raison des manifestations. Trump a réagi en demandant aux manifestants MAGA [Make America Great Again, NdT] de venir à la Maison Blanche. Ils ne sont pas venus, mais les manifestations devant à la Maison Blanche ont continué d’augmenter.

Tant les républicains que les démocrates sont responsables de la rébellion actuelle. Joe Biden se décrit comme un démocrate "de la loi et de l’ordre" depuis le début de sa carrière. Il a été le principal responsable de l’incarcération massive des Noirs au niveau fédéral et a contribué à l’augmentation par centaines de milliers de policiers avec des équipements militaires dans les communautés urbaines. Il fait la cour aux syndicats de police qui défendent les flics tueurs. Et Biden s’est opposé à l’intégration des écoles.

L’échec du système de commandement se poursuit au niveau des états et au niveau local, les politiciens étant étroitement liés au Fraternal Order of Police qui défend vigoureusement les policiers qui tuent des civils. Chaque ville peut faire la preuve d’ une série de meurtres commis par des policiers sans que ceux-ci soient poursuivis ou alors étant acquittés ou subissant peu de condamnations. Minneapolis a une longue histoire de violence policière raciale. En effet, la violence contre les peuples indigènes a conduit à la formation de l’American Indian Movement.

Un homme sur une voiture calcinée devant des incendies à Minneapolis, le 28 mai 2020. (Lorie Shaull, CC BY-SA 2.0, Wikimedia Commons)

The Intercept résume certaines de ces affaires :

  • En 2015, la police a tué Jamar Clark, un Noir de 24 ans. Les manifestations ont duré deux semaines, mais n’ont conduit à aucune mise en examen.
  • En 2016, Philando Castile, un automobiliste noir de 32 ans, a été tué dans une banlieue de Minneapolis. Plus de deux semaines de manifestations s’en sont suivi et deux ans plus tard, l’officier a été acquitté.
  • En 2017, Justine Ruszczyk, une femme blanche de 40 ans, s’est approchée d’une voiture de police de Minneapolis pour signaler une agression sexuelle. Le policier, Mohamed Noor, qui l’a tuée par balle, a été condamné à 12 ans de prison, et sa famille a obtenu un dédommagement record de 20 millions de dollars.
  • En 2018, des images filmées ont montré la police de Minneapolis poursuivant Thurman Blevins, un homme noir de 31 ans, et l’abattant. Les procureurs ont refusé de retenir des charges contre les officiers qui ont tué Blevins.

Les manifestations ont amené certains changements, mais elles n’ont pas résolu le problème. Des fonds ont été consacrés à l’achat de caméras portées, mais cela a rarement eu un impact. De même, la formation à la désescalade et à la sensibilisation à la question raciale n’ont guère changé les choses.

Au cours des six dernières années, les villes ont augmenté le financement des services de police au détriment de la santé, de l’éducation et d’autres programmes urbains sous-financés. Plutôt que de fournir aux gens les produits de première nécessité, le gouvernement s’est contenté de contrôler les communautés délaissées au moyen des forces de police en place. Certains policiers ont même été formés par les forces d’occupation Israéliennes.

Même en plein milieu d’une pandémie et d’un effondrement économique, le gouvernement est incapable de donner aux gens l’accès aux soins de santé, protéger les emplois, suspendre les loyers ou contrôler les prix des denrées alimentaires.

Comme l’écrit Rosa Miriam Elizalde dans sa comparaison des États-Unis avec Cuba, la différence est une question de valeurs. Le gouvernement des États-Unis consacre plus de 60 % de son budget à l’armement et à la guerre. Il ne faut pas s’étonner que le gouvernement ait agi plus rapidement pour réprimer les gens avec une police militarisée, des milliers de soldats de la Garde nationale et des couvre-feux plutôt que pour protéger leur vie lorsque la pandémie et la récession ont commencé.

Une réforme ne suffira pas

Le pays doit s’intéresser avec plus d’attention aux questions de maintien de l’ordre. Neill Franklin, directeur exécutif du Law Enforcement Action Partnership, a déclaré à The Intercept : "Nous avons besoin d’un nouveau modèle de maintien de l’ordre aux États-Unis. Celui-ci doit être complètement démantelé puis reconstruit, il ne s’agit pas de simplement changer une politique ici ou là."

Manifestation en faveur de George Floyd à Columbus, Ohio, le 30 mai 2020. (Becker1999, CC BY 2.0, Wikimedia Commons)

Le groupe de Minneapolis, Reclaim the Block, a écrit une déclaration demandant au conseil municipal de diminuer le financement des services de police. La semaine dernière, ils ont présenté quatre demandes à leur conseil municipal :

  • Ne votez plus jamais d’augmentation du financement de la police.
  • Proposez et votez une réduction de 45 millions de dollars du budget du MPD [Police de l’Etat de Washington, NdT], alors que la ville a été incapable de répondre aux effets de la Covid-19
  • Sacralisez et augmentez les investissements actuels dans les stratégies de santé et de sécurité menées pour la communauté.
  • Faites tout ce qui est en votre pouvoir pour obliger le MPD et toutes les forces de l’ordre à cesser immédiatement de commettre des actes de violence à l’encontre des membres de la communauté.

C’est une feuille de route a du sens aussi pour toutes les villes du pays. Un mouvement grandissant réclame le définancement des services de police. Il est évident que le moyen de réduire la violence policière est de financer des approches alternatives non répressives en matière de résolution des conflits, de stratégies de sécurité et de santé mentale, ainsi que d’investir dans les communautés négligées.

Un autre mouvement en pleine expansion appelle à un contrôle démocratique de la police par la communauté, partout où les communautés élisent un Conseil de responsabilité civile de la police (CPAC).

La différence essentielle entre ce conseil et les conseils de police civile est que le conseil de responsabilité est élu démocratiquement et non pas nommé par le chef de la police ou par des politiciens alliés à la police. Neill Franklin préconise une base de données nationale des agents licenciés pour mauvaise conduite afin qu’ils ne soient pas embauchés par d’autres services de police.

Le New York Times rapporte qu’"en 2012, le conseil civil de Minneapolis a été remplacé par une agence appelée Office of Police Conduct Review. Depuis lors, plus de 2 600 plaintes pour inconduite ont été déposées par des membres du public, mais seulement 12 ont abouti à la prise de mesures disciplinaires à l’encontre d’un officier".

La sanction la plus sévère s’est limitée à une suspension de 40 heures. En près de deux décennies au sein du département de police de Minneapolis, Derek Chauvin, qui a assassiné George Floyd, a fait l’objet d’au moins 17 plaintes pour faute professionnelle, mais aucune ne l’a contraint à interrompre sa carrière.

Chauvin a été impliqué dans la fusillade fatale d’octobre 2006, alors que la sénatrice Amy Klobuchar était procureure du district de Minneapolis. Plutôt que de poursuivre Chauvin, elle a renvoyé l’affaire vers un grand jury qui a refusé de l’inculper.

En 2011, Chauvin a été impliqué dans la fusillade très médiatisée d’un Amérindien. Il a été mis en congé administratif mais a été réintégré dans la police sans qu’aucune accusation ne soit portée contre lui. Si un contrôle communautaire démocratique de la police avait été en place, il y a fort à parier que Chauvin aurait été démis de ses fonctions de policier et que George Floyd serait toujours en vie.

Le plaidoyer pour un changement va grandissant. Des chauffeurs de bus ont refusé de transporter les manifestants arrêtés par la police à Minneapolis et à New York. Les dirigeants des syndicats des transports en commun du pays, dans le cadre de Payday Report [petite publication à financement participatif basée à Pittsburgh, NdT] , demandent à leurs membres de ne pas coopérer avec la police pour arrêter les manifestants. Et les universités abandonnent leurs contrats avec le département de police de Minneapolis.

Les manifestations se poursuivent dans tout le pays. Jusqu’à présent, l’escalade de la violence policière et l’utilisation de la Garde nationale n’ont pas réussi à les arrêter. Le gouvernement peut utiliser l’armée, bien que la loi impose des restrictions à cet égard. Des tentatives seront faites pour étouffer les protestations des dirigeants politiques et des organisations à but non lucratif qui tenteront de prendre le pouvoir. Ces efforts doivent être repoussés.

Pour obtenir les changements dont nous avons besoin, les gens doivent rester dans la rue et faire le lien entre les problèmes auxquels nous sommes confrontés et l’exigence de changements systémiques. Nous devrons nous soutenir mutuellement, comme beaucoup le font en distribuant de la nourriture et en assurant des soins médicaux, un soutien carcéral et une représentation juridique.

Nous invitons les gens à se réunir en assemblée pour discuter de leurs objectifs, de leur vision quant à la manière différente dont les communautés pourraient être organisées et des actions qui pourraient être entreprises. Nous devons nous faire mutuellement confiance pour travailler ensemble à l’avenir que nous voulons. C’est ainsi que nous y parviendrons.

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