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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2024-021

Aux Etats Unis, l’esclavage se conjugue au présent

Par Sharon Zhang, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

mardi 27 février 2024, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Aux Etats Unis, l’esclavage se conjugue au présent

Le 30 janvier 2024 par Sharon Zhang , TRUTHOUT

Sharon Zhang est rédactrice à Truthout et ses sujets de prédilection sont la politique, le climat et l’emploi. Avant de rejoindre Truthout, Sharon a écrit des articles pour Pacific Standard, The New Republic, etc. Elle est titulaire d’un master en études environnementales. On peut la suivre sur Twitter : @zhang_sharon.

Une équipe de travail de femmes détenues sous surveillance dans une prison remplit des sacs de sable en prévision de l’arrivée de l’ouragan Dorian en Floride, le 29 août 2019 (Paul Hennessy / Sopa Images / Lightrocket Via Getty Images)

« L’esclavage n’est pas aboli », a déclaré une ancienne détenue qui milite aujourd’hui contre le travail forcé dans les prisons. Une nouvelle enquête de grande envergure a révélé que le travail forcé dans les prisons alimente les chaînes d’approvisionnement d’un large éventail d’entreprises agroalimentaires, allant des petites marques locales et des restaurants aux grands conglomérats tels que Tyson, Coca-Cola et Kroger.

L’enquête de l’Associated Press qui a duré deux ans et a été publiée lundi (29 janvier 2024), révèle que le recours généralisé à la maltraitance des travailleurs carcéraux est devenu une industrie pesant plusieurs milliards de dollars, grâce à des partenariats entre les prisons, les entreprises et les législateurs.

Alors que les prisonniers, souvent contraints de travailler, ne gagnent que quelques centimes, voire rien du tout, tout en subissant des violences physiques et psychologiques, les États, les prisons et les entreprises engrangent des dizaines de millions de dollars de bénéfices.

Les journalistes ont passé au crible les demandes d’informations publiques dans les 50 États et ont suivi près de 200 millions de dollars de marchandises et de bétail, de la récolte à la vente, au cours des six dernières années, en suivant parfois au sens propre du terme les camionnettes depuis les chantiers où travaillent les prisonniers jusqu’au lieu de livraison des marchandises.

Des entretiens avec des prisonniers tant actuels qu’anciens ont révélé qu’ils étaient soumis à des conditions épouvantables dans le seul but de permettre aux marques qui les ont embauchés ou aux États qui les ont emprisonnés de réaliser des bénéfices.

Dans cette photo du 18 août 2011, un gardien de prison surveille des prisonniers alors qu’ils reviennent d’un travail agricole au pénitencier de l’État de Louisiane à Angola (Gerald Herbeert AP)

Des prisonniers, majoritairement des noirs, sont morts ou ont été amputés au travail ou encore ont subi des maltraitances de la part du personnel pénitentiaire.

Et comme ils ne sont pas considérés comme des employés au sens de la législation du travail, ils n’ont pas les mêmes droits que les travailleurs définis comme employés, à savoir le droit de grève ou le droit de former des syndicats.

Les journalistes ont découvert que le travail des prisonniers est intégré aux chaînes d’approvisionnement d’entreprises couvrant la quasi-totalité de l’industrie alimentaire, notamment des supermarchés comme Aldi, Costco, Kroger, Target, Walmart et Whole Foods, des restaurateurs comme Burger King, Chipotle, Domino’s et McDonald’s, et des conglomérats industriels comme Cargill, Coca-Cola, General Mills, Pepsi et Tyson, qui, à eux tous, possèdent une telle diversité de marques qu’il est pratiquement impossible d’y échapper dans les magasins de détail.

Même des restaurants locaux ou des marques de moindre importance qui se présentent comme éthiques ou qui vendent des produits alimentaires spécialisés, comme Eggland’s Best ou Belgioioso Cheese, ont reçu ce type de marchandises, comme l’ont constaté les journalistes.

Hickman’s Family Farms, qui fournit Eggland’s Best et Land O’Lakes, a hébergé 140 femmes dans un entrepôt situé sur sa propriété en Arizona lorsque la pandémie de COVID-19 s’est déclarée en mars 2020 ; ces femmes ne gagnaient que 3 dollars de l’heure après déduction, l’État prélevant 30 % pour le « gîte et le couvert ».

Willie Ingram parle de son séjour en tant que prisonnier à Angola. Il a tout cueilli, du coton au gombo, pendant les 51 années qu’il a passées dans le pénitencier de l’État de Louisiane. Il se souvient d’avoir vu des hommes, travaillant avec peu ou pas d’eau, s’évanouir dans les champs par une chaleur maximale. (Chandra McCormick via AP)

Une des camionnettes de transport de prisonniers suivie par les journalistes s’est arrêtée sur le lieu d’une ancienne plantation d’esclaves transformée en salle de mariage et site touristique, à Francisville, en Louisiane, là, deux hommes noirs sont entrés dans le restaurant du site ; l’un d’eux a déclaré aux journalistes qu’il y avait fait la vaisselle.

« On ne peut pas appeler cela autrement. C’est tout simplement de l’esclavage », a déclaré à l’Associated Press Calvin Thomas, qui a été emprisonné pendant plus de 17 ans au pénitencier d’État d’Angola, en Louisiane.

Les travailleurs sont souvent contraints de travailler dans les champs quelques jours seulement après leur arrivée à la prison, qui se trouve sur une ancienne plantation, pour un salaire horaire ne dépassant pas 40 cents. Il a raconté que les prisonniers étaient forcés de travailler sous une chaleur accablante qui allait jusqu’à provoquer des défaillances chez les chevaux des gardiens.

« L’esclavage n’est pas aboli », a déclaré à l’Associated Press Curtis Davis, qui a été incarcéré pendant plus de 25 ans au pénitencier de l’État de Louisiane et qui milite aujourd’hui contre le travail forcé dans les prisons. « Il se conjugue toujours au présent, a poursuivi Davis. Rien n’a changé ».

Une autre travailleuse, Faye Jacobs, a déclaré aux journalistes que le seul salaire qu’elle a reçu alors qu’elle travaillait dans les prisons agricoles de l’Alabama était deux rouleaux de papier hygiénique par semaine, ainsi que du dentifrice et quelques serviettes hygiéniques chaque mois.

En Alabama, comme dans plusieurs autres États du Sud, dans la plupart des cas, les prisonniers ne reçoivent aucune rémunération pour leur travail. Selon l’enquête, au cours des cinq dernières années, l’Alabama a perçu 32 millions de dollars en retenant 40 % des salaires de ses prisonniers, selon l’enquête.

Faye Jacobs se souvient de son travail dans la ferme d’une prison de l’Arkansas, lundi 18 septembre 2023, à Kansas City (Charlie Riedel/AP)

Les partisans du travail en prison affirment qu’ils considèrent le faible coût de la main-d’œuvre carcérale comme une bonne chose. « Tout le monde y gagne », a déclaré le shérif Wayne Ivey du comté de Brevard, en Floride.

Le détenu qui travaille acquiert un ensemble de compétences... Le temps passe plus vite. Et l’autre aspect de ce gagnant-gagnant, c’est qu’il permet généralement aux contribuables d’économiser de l’argent.

Sharon ZHANG

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