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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-100

Pour défendre le climat, cibler les banques - 1

Par Derek Seidman, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

samedi 16 septembre 2023, par JMT

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Pour défendre le climat, cibler les banques - 1

Le 15 juillet 2023 par Derek Seidman, Garder les réseaux à l’oeil

Derek Seidman est écrivain, chercheur et historien, il vit à Buffalo, dans l’État de New York. Il contribue régulièrement à Truthout et à LittleSis.

De jeunes manifestants brandissent une banderole lors d’un rassemblement pour le climat devant le siège de JP Morgan à New York (McGregor / Lightrocket / Getty Images)

Dans le cadre des efforts déployés par le mouvement climatique pour mettre un terme au financement de l’industrie des combustibles fossiles, aucun acteur n’est apparu aussi coupable que les grandes banques.

Depuis près de dix ans, les organisations stigmatisent les banques qui soutiennent les industries du pétrole, du gaz et du charbon et les considèrent comme les principaux moteurs du chaos climatique.

Il y a une raison simple pour laquelle elles font l’objet d’une telle attention : les banques profitent du fait que qu’elles fournissent une bouée de sauvetage financière vitale à l’industrie des combustibles fossiles, lui permettant de rester en activité et même de se développer alors même que celle-ci déverse sa pollution au carbone dans l’atmosphère et des produits chimiques dangereux sur les populations locales.

Plus précisément, les banques procurent aux entreprises de combustibles fossiles les liquidités, la solvabilité, le financement et les conseils nécessaires à la poursuite et au développement de leurs activités.

Les banques prêtent directement d’énormes sommes d’argent aux entreprises de combustibles fossiles par le biais de prêts à terme et de facilités de crédit que ces entreprises peuvent utiliser pour couvrir leurs coûts industriels, qu’il s’agisse de construire un nouvel oléoduc ou de développer un nouveau champ pétrolifère.

Elles fournissent également les services d’intermédiaires indispensable, tels que la souscription des nouvelles émissions d’actions et de titres obligataires. Les banques engrangent également des millions en facilitant les fusions et les acquisitions dans le secteur des combustibles fossiles.

Des militants pour le climat participent à un "die-in" devant un établissement de la Chase Bank à Washington, D.C. (Matt McClain/The Washington Post)

En plus d’être des acteurs clés dans la perpétution au quotidien du capitalisme fossile mondial, les banques sont des acteurs extrêmement puissants au sein de la chaîne de commandement des grandes entreprises, dont elles constituent le cœur financier.

Elles sont dirigées par des cadres influents et grassement rémunérés, des conseils d’administration étroitement liés à des réseaux d’influence plus vastes, et des armées de lobbyistes bien implantés.

On trouve quasiment partout l’emprise des banques : depuis nos comptes d’épargne personnels jusqu’aux noms des stades, en passant par le sponsoring des événements locaux et les conseils d’administration des fondations de la police .

Les plus grandes banques entretiennent une relation étroite et chaleureuse avec le gouvernement fédéral, grâce à un pantouflage permanent entre le secteur industriel et les agences de régulation. C’est surtout en temps de crise que les banques et leurs dirigeants deviennent virtuellement les conseillers des plus hauts dirigeants américains.

S’il est vrai que pousser les banques à cesser de financer la destruction du climat reste un défi de taille, il n’en reste pas moins qu’elles tout de même par certains aspects vulnérables.

De nombreuses banques sont en contact avec leurs consommateurs, comptant des dizaines de millions de clients ordinaires qui se soucient du sort de la planète et de ses habitants.

Elles sont soumises à la surveillance et à la réglementation des gouvernements, notamment en ce qui concerne le climat, et cette surveillance peut être renforcée par la pression des militants et par de nouveaux changements de politique.

Elles ont des dirigeants et des administrateurs dont le profil est public et qui se soucient de leur réputation. Tous ces éléments offrent aux organisations des points d’appui pour leurs campagnes, alors qu’elles continuent de chercher à creuser le fossé entre les banques et l’industrie des combustibles fossiles.

Destruction du climat : comment les grandes banques le financent et en tirent profit

Les moyens utilisés par les banques pour soutenir l’industrie des combustibles fossiles et en tirer profit sont très concrets et, bien que complexes dans leurs détails, ils sont faciles à comprendre dans leur essence fondamentale. On peut notamment nommer les moyens suivants :

* La souscription d’obligations : les banques aident les compagnies pétrolières, gazières et minières à lever d’énormes sommes d’argent en souscrivant à leurs obligations d’entreprise (également appelées « titres »).

Les obligations et les titres sont des formes de dette que les entreprises peuvent émettre à l’intention des acheteurs afin de lever des fonds pour financer leurs activités.

Par exemple, en 2020, un consortium de 23 banques dirigé par Bank of America, Citi et JPMorgan a accepté de faciliter l’émission d’obligations d’entreprises pour ExxonMobil à hauteur de 9,5 milliards de dollars.

Dans le cadre de cet accord, les banques ont accepté d’acheter puis de vendre par tranches distinctes du montant total de 9,5 milliards de dollars.

Exxon a déclaré qu’elle utiliserait le produit pour « les besoins généraux de l’entreprise, y compris, mais sans s’y limiter, le refinancement d’une partie de nos émissions de papier commercial existantes, le financement des fonds de roulement, les acquisitions, les dépenses d’investissement et autres opportunités commerciales ».

De leur côté, les banques tirent des millions de profit de tout cela grâce aux commissions qu’elles prélèvent.

Un consortium de 23 banques facilite l’émission d’obligations Exxon

* Les facilités de crédit et les prêts à terme : l’un des principaux moyens utilisés par les banques pour soutenir les activités liées aux combustibles fossiles consiste à accorder des facilités de crédit, ce qui revient à dire que les banques mettent une certaine somme d’argent à la disposition des compagnies pétrolières, gazières et minières qu’elles peuvent utiliser et emprunter si elles le souhaitent.

Les entreprises peuvent alors utiliser ces fonds pour leurs opérations, leur expansion et autres coûts. Par exemple, dix-huit banques chapeautées par Bank of America et JPMorgan Chase ont accordé une facilité de crédit de 3,25 milliards de dollars à Atlantic Coast Pipeline LLC, qui supervisait la construction de qui fut le désormais abandonné Atlantic Coast Pipeline (les autres banques engagées dans la facilité de crédit étaient la Banque de Nouvelle-Écosse, Barclays, BB&T, CoBank, Credit Suisse, Deutsche Bank, KeyBank, Mizuho, MUFG, Banque nationale du Canada, PNC Bank, Banque royale du Canada, Sumitomo Mitsui, Suntrust, TD et Wells Fargo).

Lynn Good, PDG de Duke Energy, qui détient 47 % de l’oléoduc, a déclaré que les facilités de crédit serviraient à « financer environ la moitié des coûts de construction de l’oléoduc » et que « le projet avait emprunté 570 millions de dollars de facilités de crédit pour couvrir les coûts engendrés à ce jour ».

Les entreprises de combustibles fossiles peuvent également contracter des « prêts à terme » auprès des banques, ceux-ci, à la différence des facilités de crédit, prévoient des montants de prêt et des dates de remboursement plus spécifiques.

Voici, par exemple, un document dans lequel le géant du raffinage Phillips 66 fait référence à un prêt à terme de 450 millions de dollars qu’il a contracté. Les banques tirent profit de tous ces prêts, principalement grâce aux intérêts versés lors de leur remboursement.

* Le conseil en matière de fusions et d’acquisitions : Les entreprises du secteur fossile se rachètent parfois les unes les autres et fusionnent, et elles ont besoin des banques pour les conseiller, guider les transactions financières et fournir des prêts-relais pour faciliter les opérations.

Par exemple, l’une des plus grandes fusions pétrolières de ces dernières décennies a été l’acquisition d’Anadarko par Occidental. Le Financial Times a rapporté que la Bank of America et la Citi conseillaient Occidental quant à la fusion et qu’elles pourraient engranger 170 millions de dollars d’honoraires à partager avec l’équipe des conseils d’Anadarko.

Les banques pourraient par ailleurs gagner plus de 100 millions de dollars supplémentaires en finançant la transaction. Grâce à des mécanismes et des relations de ce type, les banques jouent un rôle indispensable dans le fonctionnement et l’expansion de l’industrie fossile qui est à l’origine de la catastrophe climatique.

Quelles sont les banques qui financent le chaos climatique ?

Chaque année, un groupe d’organisations de défense du climat publie un rapport sur le financement des énergies fossiles qui expose les principales banques finançant le chaos climatique.

Le rapport 2023 se penche sur les 60 principales banques mondiales en termes d’actifs et les classe en fonction de leur financement des industries fossiles par le biais de prêts et de souscriptions.

Le rapport révèle que, pour la seule année 2022, ces banques ont fourni 673 milliards de dollars aux entreprises de ce secteur. De 2016 - l’année de l’Accord de Paris - à 2022, le financement stupéfiant des 60 principales banques à ces entreprises s’est monté à 5 500 milliards de dollars.

Les quatre principaux bailleurs de fonds pour les énergies fossiles entre 2016 et 2022 sont tous des banques américaines de premier plan : JPMorgan Chase, Citi, Wells Fargo et Bank of America.

Ensemble, au cours de cette période, ces quatre banques ont financé l’industrie à hauteur de1 366 milliards de dollars, soit un quart de l’ensemble des financements accordés à l’industrie du secteur fossile par les 60 plus grandes banques.

Les quatre principaux bailleurs de fonds pour les énergies fossiles entre 2016 et 2022

Il convient d’ajouter que ces quatre banques sont également les quatre principaux détenteurs de dépôts domestiques aux États-Unis, ce qui veut dire qu’elles financent les énergies fossiles avec les dépôts en espèces des travailleurs ordinaires qui soutiennent en grande majorité les actions visant à atténuer le changement climatique.

Le rapport détaille également les financements dans des domaines spécifiques. JPMorgan et Citi sont de loin les principaux bailleurs de fonds des 100 principales sociétés pétrolières, gazières et minières qui ont développé le secteur fossile entre 2016 et 2022.

La banque TD, basée dans le New Jersey, est le principal bailleur de fonds des 27 principales sociétés d’exploitation des sables bitumineux et des six principales sociétés responsables de leur transport en 2022.

JPMorgan est le principal bailleur de fonds des 30 premières sociétés de production de l’Arctique pour la période allant de 2016 à 2022 (Citi est n° 3 et Bank of America n° 7). Wells Fargo a été le principal financier de la fracturation hydraulique de 2016 à 2022, suivi par JPMorgan, Citi et Bank of America.

Il faut également de noter que les banques elles-mêmes, par l’intermédiaire de leurs services de gestion d’actifs, sont des actionnaires majeurs des entreprises du secteur fossile.

Par exemple, JPMorgan Chase détient environ 4,9% de Conocophillips et 1,3% d’ExxonMobil.

Bank of America détient environ 1,6% de Chevron et 1,32% d’ExxonMobil.

Citi détient 2,27% de DCP Midstream et un peu moins d’un pour cent d’ExxonMobil.

Wells Fargo détient 3,66% de Phillips 66 et 0,79% d’EOG Resources.

Bien que les grandes banques qui financent le secteur fossile fassent toute une série de gestes en faveur du climat, qu’il s’agisse de déclarations net-zéro qui ne seront pas adoptées avant des décennies ou de sponsoring de sommets sur le climat (https://web.archive.org/web/20190425035458/https://www.globalclimateactionsummit.org/sponsors/) , il s’agit en fin de compte de green-washing au regard de leur engagement persistant dans le financement des combustibles fossiles, par exemple, en rejetant obstinément les propositions d’actionnaires favorables au climat ce qui leur permet de continuer à financer le chaos climatique.

Les principaux actionnaires des entreprises du secteur fossile sont aussi ceux des banques qui financent les énergies fossiles.

De plus, les plus grands gestionnaires d’actifs propriétaires de ressources fossiles - BlackRock, Vanguard, State Street - sont également les principaux actionnaires des grandes banques de financement de ces énergies.

Par exemple, parmi les principaux bénéficiaires réels (avec une participation de plus de 5 %) de chacune des quatre grandes banques de financement des énergies fossiles, tels qu’ils figurent dans les dernières procurations des banques, on trouve les géants de la gestion d’actifs BlackRock et Vanguard.

Ceux-ci,comme nous l’avons montré, sont également les principaux actionnaires des sociétés du secteur fossile cotées en bourse, tandis que Berkshire Hathaway qui appartient à Warren Buffett est le principal actionnaire de Bank of America.

Participations dans les principales banques des principaux gestionnaires d’actifs

Cela signifie qu’à elles seules, deux sociétés de gestion d’actifs (Vanguard et BlackRock) détiennent une participation de 15,96% chez JPMorgan, de 15,88% chez Wells Fargo et de 17,06% chez Citi, tandis que ces deux sociétés auxquelles on ajoute la société Berkshire Hathaway de Buffett détiennent ensemble une participation de 26,4% chez Bank of America.

En substance, les principaux actionnaires de l’industrie des énergies fossiles - les grands gestionnaires d’actifs - sont également les principaux actionnaires des banques qui sont les principaux financeurs de cette même industrie.

Tout ceci souligne à quel point il est important pour le mouvement climatique de se concentrer sur l’imbrication des acteurs financiers qui soutiennent l’industrie des combustibles fossiles et en tirent profit.

Les opérations de lobbying des grandes banques

Si les banques disposent à titre individuel d’importantes activités de lobbying - JPMorgan a dépensé à elle seule près de 4 millions de dollars en lobbying fédéral en 2022 - le secteur dans son ensemble s’appuie sur des groupes commerciaux pour faire valoir ses intérêts auprès des élus et des régulateurs.

Au sein des principaux groupes de lobbying du secteur bancaire on trouve l’American Bankers Association, la Securities Industry and Financial Markets Association et le Bank Policy Institute, ce dernier étant dirigé par des PDG de grandes banques (Jamie Dimon de JPMorgan en est le président) et ayant dépensé 2,47 millions de dollars en lobbying fédéral en 2022.

Parmi les autres groupes de lobbying bancaire, citons l’Investment Company Institute - qui représente les grands gestionnaires d’actifs, mais aussi les banques ayant des départements de gestion d’actifs - et la Chambre de commerce des États-Unis, qui représente globalement les intérêts des entreprises américaines et dont le conseil d’administration compte plusieurs banques et groupes financiers.

Bank of America, Barclays, BlackRock, Citigroup, Credit Suisse, JPMorgan, Morgan Stanley, TD Bank et Wells Fargo sont tous membres de la Chambre de commerce des États-Unis.

Alors que pratiquement toutes les banques ont une page « développement durable » sur leur site web, les efforts de lobbying des banques et de leurs groupes industriels contribuent à soutenir l’industrie fossile et à maintenir le financement de la destruction du climat par l’industrie.

Un rapport publié en 2022 par Influence Map a dévoilé les efforts de lobbying considérables déployés par le secteur bancaire pour s’opposer à une réglementation plus stricte en matière de climat.

Par exemple, il note qu’en 2021, des associations industrielles telles que l’American Bankers Association ont fait pression pour que soient supprimée toute « référence explicite » aux « facteurs ESG (Environmental, Social, & Governance : Environnementaux, sociaux et de gouvernance) » lorsqu’elles ont été sollicitées par le ministère américain du travail dans le cadre de son rapport "Faire preuve de prudence et loyauté dans le choix des plans d’investissement et dans la défense des droits de l’actionnaire", qui définit des lignes directrices en matière d’obligations fiduciaires relatives aux comptes de retraite, y compris en ce qui concerne les questions climatiques et le risque climatique.

Les groupes industriels se sont également « opposés à l’intégration obligatoire de considérations ESG dans le domaine des investissements ». Le rapport souligne également que, par exemple, en 2021, le Bank Policy Institute a plaidé auprès de la SEC [ La Securities and Exchange Commission, souvent abrégée en « la SEC », est l’organisme fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers, NdT] « pour une approche progressive et modulable » de la communication sur le changement climatique et que la Chambre de commerce des États-Unis « s’est toujours opposée à une réglementation de la communication des entreprises sur leur impact climatique ».

(A suivre) Lien vers partie 2

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DEREK SEIDMAN

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