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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-095

Attention danger, enfants au travail

Par Steve Fraser, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

samedi 2 septembre 2023, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Attention danger, enfants au travail

Le 06 Juillet 2023 par Steve Fraser

Steve Fraser, un habitué de TomDispatch, est l’auteur de Mongrel Firebugs and Men of Property : Capitalism and Class Conflict in American History. Parmi ses précédents ouvrages : Class Matters, The Age of Acquiescence et The Limousine Liberal. Il est cofondateur et co-éditeur de l’American Empire Project.

Sarah Huckabee Sanders (R), gouverneur de l’Arkansas, s’exprimant à Little Rock le 7 février 2023 (Drago Alexander/Pool/ABACA/Shutterstock)

En 1906, un vieux chef amérindien découvrait New York pour la première fois. Il était intrigué par la ville et il intriguait la ville. Le journaliste d’un magazine lui demanda alors ce qui l’avait le plus surpris au cours de sa visite de la ville. « Les jeunes enfants au travail », répondit le visiteur.

Le travail des enfants a peut-être pu choquer cet étranger, mais cette pratique n’était que trop banale alors dans l’Amérique urbaine et industrielle (et dans les fermes où il était habituel depuis des siècles).

Dans nos époques plus récentes cependant, c’est devenu chose beaucoup plus rare. La loi et les usages, comme nous le supposons tous, l’ont presque fait disparaître. Et notre réaction face à sa réapparition peut ressembler à celle de ce chef : choc, incrédulité.

Mais nous ferions mieux de nous y habituer dans la mesure où le travail des enfants fait un retour en force . Un nombre impressionnant de législateurs déploient des efforts concertés pour affaiblir ou abroger les lois qui ont longtemps empêché (ou du moins sérieusement inhibé) la possibilité d’exploiter les enfants.

Prenez une grande respiration et réfléchissez à ce point : le nombre d’enfants au travail aux États-Unis a augmenté de 37% entre 2015 et 2022. Au cours des deux dernières années, 14 États ont présenté ou adopté des lois annulant les réglementations qui régissaient le temps de travail des enfants, réduisaient les restrictions sur les travaux dangereux et légalisaient les salaires minimums pour les jeunes.

L’Iowa autorise désormais des jeunes à travailler dans des blanchisseries industrielles dès l’âge de 14 ans. À l’âge de 16 ans, ils peuvent occuper des emplois dans les domaines de la toiture, de la construction, de l’excavation et de la démolition et sont autorisés à utiliser des machines motorisées.

Les jeunes de 14 ans peuvent même travailler de nuit et, à partir de 15 ans, ils peuvent travailler sur les chaînes de montage. Tout cela était bien sûr interdit il n’y a pas si longtemps.

Les législateurs offrent des justifications absurdes à de telles entorses à des pratiques établies de longue date. Selon eux, le fait de travailler éloignera les enfants de leur ordinateur, des jeux vidéo ou de la télévision.

Ou encore, il privera le gouvernement du pouvoir de dicter ce que les enfants peuvent et ne peuvent pas faire, laissant les parents avoir le contrôle, une affirmation déjà transformée en fiction par les efforts visant à se débarrasser de toute législation protectrice et permettre aux enfants de 14 ans de travailler sans autorisation parentale écrite.

En bleu, enfants mineurs employés en violation de la loi fédérale, en jaune, violations selon la loi sur le travail des enfants (Source : Jacob Bogage, Washington Post, from Department of Labor data)

En 2014, l’Institut Cato, un groupe de réflexion classé à droite, a publié A Case Against Child Labor Prohibitions (Un plaidoyer pour la prohibition des interdictions du travail des enfants), arguant que de telles lois entravaient les chances des enfants pauvres – en particulier des enfants noirs.

La Foundation for Government Accountability (Fondation pour la responsabilité gouvernementale), un groupe de réflexion financé par plusieurs riches donateurs conservateurs, dont la famille DeVos, a été le fer de lance des efforts visant à affaiblir les lois sur le travail des enfants, et Americans for Prosperity (La prospérité pour l’Amérique), la fondation milliardaire des frères Koch, s’est jointe à cette initiative.

Ces attaques ne se limitent pas pour autant aux États républicains comme l’Iowa ou Le Sud. La Californie, le Maine, le Michigan, le Minnesota, le New Hampshire, ainsi que la Géorgie et l’Ohio, ont également été visés.

Même le New Jersey a adopté une loi au cours des années de pandémie, augmentant temporairement le temps de travail autorisés pour les jeunes de 16 à 18 ans. La vérité crue est que le travail des enfants est rentable et qu’il est en train de devenir assez nettement omniprésent.

Les chaînes de restauration rapide emploient des mineurs depuis des années et considèrent tout bonnement les amendes occasionnelles comme faisant partie du coût de cette pratique, et ça, c’est un secret de polichinelle.

Dans le Kentucky, des enfants d’à peine 10 ans ont travaillé dans de tels établissements et d’autres, plus âgés, sont allés au delà des limites horaires prescrites par la loi. En Floride et au Tennessee, les couvreurs peuvent désormais avoir à peine 12 ans.

Récemment, le ministère du Travail a découvert que plus de 100 enfants âgés de 13 à 17 ans travaillaient dans des usines de conditionnement de viande et des abattoirs du Minnesota et du Nebraska.

Et il ne s’agissait en rien de pratiques de firmes douteuses. Des entreprises comme Tyson Foods et Packer Sanitation Services (qui appartient à BlackRock, la plus grande société de gestion d’actifs au monde) figuraient également sur la liste.

À ce stade, la quasi-totalité de l’économie est assez clairement ouverte au travail des enfants. Les usines de vêtements et les fabricants de pièces automobiles (qui fournissent Ford et General Motors) emploient des enfants immigrés, certains pour des journées de 12 heures. Nombre d’entre eux doivent laisser tomber l’école juste pour tenir le rythme.

De la même manière, le fonctionnement des chaînes d’approvisionnement de Hyundai et de Kia reposent sur le travail d’enfants en Alabama.

Jeune serveur (Illustration par João Fazenda)

Comme l’a rapporté le New York Times en février dernier, contribuant ainsi à mettre en lumière le nouveau marché du travail des enfants, des gamins, en particulier des migrants, travaillent dans des usines d’emballage de céréales et des usines de transformation alimentaire.

Dans le Vermont, des « illégaux » (parce qu’ils sont trop jeunes pour travailler) font fonctionner des machines de traite. Certains enfants participent à la confection de chemises J. Crew à Los Angeles, préparent des petits pains pour Walmart ou travaillent à la production de chaussettes Fruit of the Loom. Le danger guette.

L’Amérique est un lieu de travail notoirement dangereux et le taux d’accidents chez les travailleurs mineurs est particulièrement élevé, avec une liste effrayante de colonnes vertébrales brisées, d’amputations, d’empoisonnements et de brûlures les laissant défigurés.

La journaliste Hannah Dreier a .intitulé ce phénomène une « nouvelle économie de l’exploitation » en particulier lorsqu’il s’agit d’enfants migrants. Un instituteur de Grand Rapids, dans le Michigan, observant la même terrible situation, a fait remarquer : « Vous prenez des enfants d’un autre pays et vous les mettez dans un état de quasi servage industriel ».

Aux temps lointains

Aujourd’hui, nous pouvons être aussi abasourdis par ce spectacle déplorable que l’était ce chef au tournant du XXe siècle. Nos ancêtres, eux, ne l’auraient cependant pas été. Pour eux, le travail des enfants allait de soi.

De plus, les membres des classes supérieures britanniques qui n’étaient pas obligés de travailler dur ont longtemps considéré le travail physique comme un tonique spirituel capable de refréner les pulsions indisciplinées des classes inférieures.

Une loi élisabéthaine de 1575 prévoyait des fonds publics pour employer des enfants dans le but d’agir comme « prophylaxie contre le vagabondage et l’indigence ». Au XVIIIe siècle, le philosophe John Locke, alors célèbre défenseur de la liberté, soutenait que les enfants de trois ans devaient être comptés comme de la main d’œuvre.

Daniel Defoe, auteur de Robinson Crusoé, se réjouissait que « les enfants de quatre ou cinq ans puissent tous gagner leur propre pain ». Plus tard, Jeremy Bentham, le père de l’utilitarisme, optera pour l’âge de quatre ans, car dans le cas contraire, la société souffrirait de la perte de « précieuses années pendant lesquelles rien n’est fait ! Rien pour l’industrie ! Rien pour l’amélioration, morale ou intellectuelle. »

Le Rapport sur l’industrie manufacturière publié en 1791 par un des « pères fondateurs » américain Alexander Hamilton expliquait que les enfants « qui autrement seraient oisifs » pourraient au contraire devenir une source de main-d’œuvre bon marché.

Enfant travailleur de l’industrie textile (Source : U.S Bureau of Labor Statistics)

Et ces affirmations qui voudraient que le travail à un âge précoce éloigne les dangers sociaux que sont « l’oisiveté et de la dégénérescence » sont restées une composante de l’idéologie des élites jusqu’à l’ère moderne. De toute évidence, il en est toujours ainsi aujourd’hui.

Lorsque l’industrialisation a véritablement pris son essor au cours de la première moitié du XIXe siècle, les observateurs ont remarqué que le travail dans les nouvelles usines (en particulier les usines textiles) était « mieux réalisé par les petites filles de 6 à 12 ans ». En 1820, les enfants représentaient 40 % des travailleurs en usines dans trois États de la Nouvelle-Angleterre.

La même année, les enfants de moins de 15 ans représentaient 23 % de la main-d’œuvre ouvrière et produisaient jusqu’à 50 % des textiles de coton. Ces chiffres allaient monter en flèche après la guerre de Sécession. En réalité, les enfants d’anciens esclaves ont été de fait ré-esclavagisés par le biais de conventions d’apprentissage pénibles.

Pendant ce temps, à New York et dans d’autres centres urbains, les capitaines d’industrie (padrones) italiens ont accéléré l’exploitation des enfants immigrés tout en les traitant avec brutalité.

Même le New York Times, un journal anti-immigration à l’esprit libéral de l’époque, s’en était offusqué : « Le monde a renoncé à razzier des hommes sur les côtes africaines pour kidnapper des enfants en Italie ».

Entre 1890 et 1910, 18% des enfants âgés de 10 à 15 ans, soit environ deux millions de jeunes, travaillaient, souvent 12 heures par jour, six jours par semaine. Leurs emplois concernaient le front de mer, tout cela au sens littéral du terme, puisque, sous la supervision des padrones, des milliers d’enfants écaillaient les huîtres et ramassaient les crevettes. Les enfants étaient également des messagers de rue et des vendeurs de journaux.

Ils travaillaient dans des bureaux, des usines, des banques et des maisons closes. Ils étaient employés à « piquer » et à la « manœuvre des portes d’aération » dans des mines de charbon mal ventilées, des emplois particulièrement dangereux et mauvais pour la santé.

En 1900, sur les 100 000 ouvriers des usines textiles du Sud, 20 000 avaient moins de 12 ans. Les orphelins des villes étaient envoyés travailler dans les verreries du Midwest.

Des milliers d’enfants restaient à la maison et aidaient leur famille à confectionner des vêtements pour des ateliers clandestins. D’autres emballaient des fleurs sous des tentes mal ventilées.

Deux enfants poussent un chariot dans une mine anglaise, un troisième, le trappeur ouvre une porte - Gravure sur bois de bout -1843 (Artiste inconnu. / bridgemanimages.com)

Un enfant de sept ans expliquait : « Je préfère l’école à la maison. Je n’aime pas la maison. Il y a trop de fleurs ». À la ferme, la situation n’était pas moins sombre : des enfants d’à peine trois ans travaillent à l’égrenage des baies.

Tout le monde dans la famille

Il est clair que, pendant une bonne partie du vingtième siècle, le capitalisme industriel dépendait de l’exploitation des enfants, qui coûtaient moins cher, avaient moins tendance à résister et, jusqu’à l’avènement de technologies plus sophistiquées, étaient bien adaptés pour gérer les machines relativement simples utilisées à l’époque.

De plus, l’autorité exercée par le patron était en accord avec les principes patriarcaux de l’époque, que ce soit au sein de la famille ou même dans les plus grandes des nouvelles entreprises industrielles de l’époque, propriété d’une seule famille pour la plupart, comme les aciéries d’Andrew Carnegie.

Ce capitalisme familial a donné naissance à une alliance perverse entre patron et subordonnés qui transformait les enfants en salariés miniatures.Pendant ce temps, les familles de la classe ouvrière étaient tellement exploitées qu’elles avaient désespérément besoin des revenus de leurs enfants.

En conséquence, à Philadelphie, au tournant du siècle, le travail des enfants représentait entre 28% et 33% du revenu des familles avec deux parents nés dans le pays. Pour les immigrés irlandais et allemands, les chiffres étaient respectivement de 46% et 35%.

Il n’est donc pas surprenant que les parents de la classe ouvrière se soient souvent opposés aux propositions de lois sur le travail des enfants. Comme l’a noté Karl Marx, le travailleur n’étant plus en mesure de subvenir à ses besoins, « il vend maintenant sa femme et son enfant, il devient un marchand d’esclaves ».

Néanmoins, la résistance commençait à se manifester. Le sociologue et photographe Lewis Hine a bouleversé le pays en publiant ses photos déchirantes d’enfants travaillant comme des forçats dans des usines et dans des mines (il est entré dans ces endroits en se faisant passer pour un vendeur de bibles).

Mother Jones, militante de l’organisation des travailleurs, a mené une « croisade pour les enfants » en 1903 au nom des 46 000 ouvriers du textile en grève à Philadelphie.

Laura Petty, cueilleuse de baies âgée de 6 ans dans la ferme de Jenkins, à Rock Creek près de Baltimore, dans le Maryland : "Je commence à peine " Elle a cueilli deux caisses hier (2 cents la caisse).

Deux cents délégués des enfants travailleurs se sont rendus à la résidence du président Teddy Roosevelt à Oyster Bay, Long Island, pour manifester, mais le président s’est contenté de « transmettre la patate chaude », affirmant que le travail des enfants relevait de la compétence des États et non de celle du gouvernement fédéral.

Ici et là, des enfants ont tenté de s’enfuir. En réponse, les propriétaires ont commencé à entourer leurs usines de barbelés ou à faire travailler les enfants la nuit, lorsque leur peur du noir pouvait les empêcher de s’enfuir.

Certaines des 146 femmes qui ont péri dans le tristement célèbre incendie de la Triangle Shirtwaist Factory en 1911 à Greenwich Village, Manhattan – les propriétaires de cette usine de confection avaient verrouillé les portes, obligeant les ouvrières prises au piège à sauter au risque de leur vie depuis les fenêtres des étages supérieurs – n’avaient pas plus de 15 ans. Cette tragédie n’a fait que renforcer la colère grandissante concernant le travail des enfants.

Un Comité national pour le travail des enfants a été créé en 1904. Pendant des années, il a fait pression sur les États pour qu’ils interdisent, ou du moins limitent, le travail des enfants. Les victoires, souvent à la Pyrrhus, étaient invariablement peu contraignantes, comportaient des dizaines d’exemptions et étaient mal appliquées.

Finalement, en 1916, une loi fédérale a été adoptée pour interdire partout le travail des enfants. En 1918, cependant, la Cour suprême l’a déclarée inconstitutionnelle.
En réalité, ce n’est que dans les années 1930, après la Grande Dépression, que les conditions ont commencé à s’améliorer.

Compte tenu de la dégradation économique, on aurait pu penser que la main-d’œuvre enfantine bon marché seraient alors très prisée. Et pourtant, face à la pénurie d’emplois, les adultes, et en particulier les hommes, ont pris le dessus et ont commencé à effectuer des tâches autrefois réservées aux enfants.

Au cours de ces mêmes années, le travail industriel a commencé à faire appel à des machines de plus en plus complexes qui s’avéraient trop compliquées pour les jeunes enfants. Parallèlement, l’âge de la scolarisation obligatoire ne cessait de reculer, limitant encore davantage le nombre d’enfants travailleurs disponibles.

Plus important encore, les mœurs de l’époque ont changé. Le mouvement ouvrier insurrectionnel des années 1930 détestait l’idée même du travail des enfants. Les usines syndiquées et des industries entières étaient des zones interdites aux capitalistes cherchant à exploiter les enfants.

Manuel, le jeune ramasseur de crevettes, âgé de cinq ans, avec derrière lui une montagne de coquilles d’huîtres issues du travail des enfants. Il a travaillé l’année dernière. Il ne comprend pas un mot d’anglais (Dunbar,Lopez,Dukate Company. Localisation : Biloxi, Mississippi)

En 1938, avec le soutien des syndicats, l’administration du New Deal du président Franklin Roosevelt a finalement adopté la loi sur les normes de travail équitables (Fair Labor Standards Act) qui, du moins en théorie, a mis fin au travail des enfants – même si en était exempté le secteur agricole dans lequel ce type de main-d’œuvre restait courant.

En outre, le New Deal de Roosevelt a transformé l’état d’esprit national. Un sentiment d’égalitarisme économique, un nouveau respect pour la classe ouvrière et une méfiance sans bornes à l’égard de la caste des entreprises ont rendu le travail des enfants particulièrement répugnant.

Par ailleurs, le New Deal a inauguré une longue ère de prospérité, avec notamment l’amélioration du niveau de vie de millions de travailleurs qui n’avaient plus besoin des revenus de leurs enfants pour joindre les deux bouts.

Retour vers le futur

Il est d’autant plus étonnant de découvrir qu’un fléau, que l’on croyait banni, revit. Le capitalisme américain est un système mondial, ses réseaux s’étendent pratiquement partout. Aujourd’hui, on estime à 152 millions le nombre d’enfants travaillant dans le monde.

Bien sûr, tous ne sont pas employés directement ou même indirectement par des entreprises américaines. Mais ils devraient certainement nous rappeler à quel point le capitalisme est redevenu profondément rétrograde, tant chez nous qu’ailleurs sur la planète.

Les vantardises sur la puissance et la richesse de l’économie américaine font partie de notre système de croyances et de la rhétorique des élites. Cependant, l’espérance de vie aux États-Unis, mesure fondamentale de la régression sociale,ne cesse de diminuer depuis des années.

Les soins de santé sont non seulement inabordables pour des millions de personnes, mais leur qualité est devenue au mieux médiocre si l’on n’appartient pas au 1% supérieur. De même, les infrastructures du pays sont depuis longtemps en déclin, en raison de leur ancienneté et de décennies de négligence.

Les États-Unis sont donc un pays « développé » en proie au sous-développement et, dans ce contexte, le retour du travail des enfants est profondément symptomatique.

Février 2023 : Un enquêteur du département du travail a photographié un enfant qui travaillait pour Packers Sanitation Services Inc. et qui nettoyait un abattoir à Grand Island, Neb. Le sujet a été rendu flou par la source.U.S. Department of Labor

Même avant la Grande récession qui a suivi l’implosion financière de 2008, le niveau de vie avait baissé, en particulier pour des millions de travailleurs mis à mal par un raz de marée de désindustrialisation long de plusieurs décennies. Celle-ci, qui officiellement a duré jusqu’en 2011, n’a fait qu’aggraver la situation.

Elle a exercé une pression supplémentaire sur les coûts de la main-d’œuvre, tandis que le travail devenait de plus en plus précaire, de plus en plus dépouillé des avantages sociaux et non syndiqué. Dans ces conditions, pourquoi ne pas se tourner vers une autre source de main-d’œuvre bon marché : les enfants ?

Les plus vulnérables d’entre eux viennent de l’étranger, des migrants du Sud, fuyant des économies dont les défaillances sont souvent liées au système d’exploitation et de domination économique américain. Si ce pays connaît aujourd’hui une crise frontalière – et c’est bien le cas – ses origines se trouvent de ce côté-ci de la frontière.

La pandémie de Covid-19 de 2020-2022 a créé une brève pénurie de main-d’œuvre, et c’est devenu un prétexte pour remettre les enfants au travail (même si ce phénomène était en fait antérieur à la maladie). Il nous faut considérer ces enfants travailleurs du XXIe siècle comme un symptôme évident de pathologie sociale.

Les États-Unis peuvent peut-être encore tyranniser certaines parties du monde, tout en faisant sans cesse étalage de leur puissance militaire. Mais chez eux, la société est malade.

Copyright 2023 Steve Fraser

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