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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-092

A Taïwan la guerre sera économique ou ne sera pas

Par Emanuele Scimia, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

jeudi 24 août 2023, par JMT

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A Taïwan la guerre sera économique ou ne sera pas

Le 3 juillet 2023 par Emanuele Scimia

Microprocesseur taiwanais (Shutterstock/ William Potter)

Taiwan renforce sa diplomatie économique nonobstant les pressions de la Chine. Les chiffres ne mentent pas : à Taipei les revenus du commerce en 2022 ont augmenté pour atteindre 907 milliards de dollars par rapport aux 508 milliards de 2016. Mais cela est-il susceptible de garantir son indépendance ?

Le 21 juin, les autorités fidjiennes ont rebaptisé le bureau de représentation de Taiwan - de facto l’ambassade - pour l’intituler « Bureau commercial de Taipei » sous la pression de la Chine. Cette décision intervient à peine trois mois après que le gouvernement fidjien a rétabli le nom officiel, qui reprend le mot Taiwan, malgré l’opposition de Pékin.

Comme la plupart des nations, les îles Fidji ont seulement des liens informels avec Taiwan, que la Chine considère comme une « province rebelle » à rattacher au continent par la force si nécessaire.

Le Honduras , pour sa part, a rompu ses liens officiels avec Taipei au profit d’une reconnaissance de Pékin en mars.

Depuis que la présidente de Taïwan Tsai Ung-wen du Parti démocrate progressiste pro-indépendance est arrivée au pouvoir en 2016, la Chine a fait main basse sur sept autres partenaires diplomatiques : le Burkina Faso, le Panama, São Tomé et Principe, la République dominicaine, le Salvador, les îles Salomon, Kiribati et le Nicaragua.

Le secteur de l’énergie éolienne en mer de Taïwan est l’une des principales raisons pour lesquelles le pays a enregistré en 2022 des investissements entrants de 13,3 milliards de dollars, un niveau inégalé depuis 15 ans (MOFA)

Ces évolutions donnent à penser que tandis que Pékin poursuit son ascension mondiale, Taipei perd rapidement de sa force diplomatique. Mais les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être.

Alors que Taïwan perd des « alliés diplomatiques » au profit de la Chine continentale, elle renforce en réalité sa diplomatie économique, ce qui lui permet d’étendre et de renforcer son réseau de relations extérieures informelles.

En réalité, les multiples agressions diplomatiques de la Chine à l’encontre de Taïwan n’ont pas entraîné de pertes substantielles pour l’île autonome, qui a pu transformer sa vitalité économique en gains géopolitiques en misant sur les besoins en technologie de ses partenaires informels. Les chiffres ne mentent pas.

Le total des échanges commerciaux de Taïwan est passé de 508,4 milliards de dollars en 2016 à 907 milliards de dollars en 2022. Alors que 39% des exportations taïwanaises étaient destinées à la Chine et à Hong Kong l’année dernière, la valeur des exportations de Taipei vers les États-Unis a grimpé à 74,9 milliards de dollars, soit 45 milliards de dollars de plus qu’en 2016 .

Les ventes de l’île aux dix pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est ont atteint 80,8 milliards de dollars, un bond notable par rapport aux 51,3 milliards de dollars de 2016 .

Au cours du mandat de Mme Tsai, Taïwan a également augmenté de manière significative son commerce extérieur avec l’Union européenne et renforcé son commerce bilatéral avec des pays tels que le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, l’Inde et le Mexique.

Le PDG de TSMC ( Taiwan Semiconductor Manufacturing Company) s’adresse à des investisseurs (CNA Photo)

Si la majorité des investissements étrangers sortants taïwanais continuent d’aller vers la Chine, le stock total situé dans le reste du monde est passé de 25 à 28% depuis 2016.

Plus important encore, les investissements entrants consentis par Taïwan ont atteint leur plus haut niveau en 15 ans, à 13,3 milliards de dollars l’année dernière, avec le Danemark, les Territoires britanniques des Caraïbes, le Japon, l’Australie et les Pays-Bas en tête de peloton. Les investissements de la Chine se sont élevés à seulement 38,7 millions de dollars.

Les entreprises technologiques taïwanaises, fleurons de l’économie de l’île, ont également réussi à concilier les demandes des clients étrangers de délocaliser la production à l’étranger pour des raisons géopolitiques et la nécessité de conserver le cœur de l’activité dans le pays.

Et même si l’économie taïwanaise est aujourd’hui moins performante, les entreprises locales renforcent leur présence à l’étranger tandis que les entreprises étrangères en font de même sur l’île.

Taiwania 2, le super ordinateur de Nvidia (Source Nvidia)

La Taiwan Semiconductor Manufacturing Company qui est, en 2021, la plus importante fonderie de semiconducteurs indépendante au monde, en est un bon exemple. Berkshire Hathaway, la société de Warren Buffett, a récemment vendu sa participation dans TSMC par crainte que la Chine n’attaque l’île.

TSMC travaille sur des projets aux États-Unis et au Japon et envisage d’investir en Allemagne, mais son président Mark Liu a déclaré le 6 juin que 90% de la capacité de production de l’entreprise resterait à Taïwan.

Taipei se démène pour devenir un rouage indispensable au fonctionnement de l’économie mondiale. Le souhait de l’île est qu’une éventuelle invasion par la Chine se révèle trop coûteuse économiquement parlant pour la communauté internationale, y compris pour le continent chinois, et que cela freine les dirigeants communistes de Pékin.

Des géants étrangers de la tech semblent adhérer à la stratégie taiwanaise. La société américaine Nvidia — qui est l’un des principaux fournisseurs de systèmes informatiques pour l’intelligence artificielle — est prête à construire deux superordinateurs à Taiwan.

Le constructeur danois de composants semi-conducteurs ASML Holding, le premier fabriquant de machines de lithographies pour la fabrication de semi-conducteurs, devrait, selon les rapports recevoir 9,27 millions de dollars de subventions de Taiwan pour son projet « 2-nanomètres » à New Taïpei City.

De leur côté, les industriels taïwanais de la tech étendent leurs opérations partout dans le monde. En plus des investissements de TSMC aux Etats-Unis et au Japon, Foxconn va commencer à produire des IPhones dans l’état indien du Karnataka d’ici avril 2024, ont annoncé les autorités locales le premier juin.

Le président français Emmanuel Macron s’entretient avec Vincent Yang, PDG de ProLogium, lors d’une réunion dans le cadre de la 5e édition du Sommet des affaires "Choose France", au château de Versailles, au sud-ouest de Paris, France, 11 juillet 2022 (Ludovic Marin/Pool via REUTERS)

Foxconn s’intéresse aussi à la construction d’usines de batteries aux Etats-Unis, en Inde et en Indonésie pour soutenir son programme de véhicules électriques.

Le constructeur de batteries de véhicule électrique ProLogium — autre grande entreprise taiwanaise de la tech — est en phase finale de pourparlers pour obtenir des subventions du gouvernement français en vue de construire une usine de batteries dans le nord de la France à hauteur de 5.7 milliards de dollars.

Autre avancée récente, le 30 mai l’association taïwanaise pour les standards de l’information et de la communication a conclu un accord avec un groupe industriel affilié à l’UE afin d’accélérer le développement de la technologie 6G .

Taiwan essaie actuellement de contrer les coups d’éclat diplomatiques de Pékin par un engagement économique à l’étranger. En rehaussant le niveau des échanges commerciaux bilatéraux, Taipei « internationalise » sa position.

Le réseau croissant de connexions économiques et technologiques de l’île avec le reste du monde pose un dilemme à la Chine, qui est elle-même un maillon clé de la chaîne d’approvisionnement pour l’électronique.

L’un des défis diplomatiques de taille pour Taiwan est celui de sa participation aux organisations internationales et aux forums commerciaux, que la Chine a jusqu’à présent été en mesure de bloquer.

Les projecteurs sont maintenant braqués sur le prochain sommet de l’Accord global et progressif pour le partenariat transpacifique (CPTPP), le pacte local régional qui a remplacé le Partenariat transpacifique prôné par l’ancien président des Etats-Unis Barack Obama et démantelé par son successeur Donald Trump.

Les dirigeants du CPTPP se réuniront en juillet et pourraient discuter de l’élargissement à d’autres acteurs. Le Japon, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et Singapour ont tous manifesté leur soutien à l’adhésion de Taipei.

Selon le gouvernement japonais, l’île pourrait rejoindre le groupement commercial en tant que « territoire douanier distinct » , un statut qui a permis à Taiwan d’accéder à l’Organisation mondiale du commerce.

Xi Jinping et la Chine contraignent Tsai Ing-wen et Taïwan à combler leur retard en déposant plus tôt que prévu une demande d’adhésion à un bloc commercial actuellement présidé par le Japon. (Nikkei montage/AP/Wataru Ito/Bureau présidentiel de Taïwan)

Tout bien considéré, on peut dire que plus la Chine tente d’affaiblir Taïwan, plus l’île semble en mesure d’améliorer sa position internationale en créant une dépendance mondiale vis-à-vis de son secteur technologique, en particulier celui des microprocesseurs.

Bien qu’il ne s’agisse pas de la seule stratégie adoptée par Taiwan pour garantir son autonomie et éviter une guerre avec la Chine, c’est probablement la plus intelligente à l’heure actuelle, parce qu’elle permet à l’île de se positionner face à Pékin d’une manière « asymétrique » et moins conflictuelle.

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