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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2018-07

Les arguments de la Gauche contre l’ouverture des frontières

traduit par Jocelyne le Boulicaut

lundi 10 décembre 2018, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne Le BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne.

Les arguments de la Gauche contre l’ouverture des frontières

Par Angela Nagle

Avant "Construisez le mur !", il y avait "Faites tomber ce mur !" Dans son célèbre discours de 1987, Ronald Reagan exigeait que la "cicatrice" du mur de Berlin soit effacée et insistait sur le fait que la blessure de la restriction de la liberté de mouvement qu’il représentait n’était rien moins qu’une "question de liberté pour toute l’humanité". Il disait que ceux qui "refusent de rejoindre la communauté de la liberté" deviendraient obsolètes" parce que le marché mondial était une force irrésistible. Et ils l’ont fait. Pour célébrer la chute du mur, Leonard Bernstein a mis en scène l’Ode à la Joie et Roger Waters a interprété "The Wall". Les obstacles au travail et au capital sont tombés partout dans le monde ; la fin de l’histoire a été déclarée et des décennies de mondialisation dominée par les États-Unis ont suivi.

Au cours de ses vingt-neuf ans d’existence, environ 140 personnes sont mortes en tentant de franchir le mur de Berlin. Dans le monde de liberté et de prospérité économiques mondiales qui était promis, 412 personnes sont mortes en traversant la frontière américano-mexicaine pour la seule année dernière , et plus de trois mille autres sont mortes en Méditerranée l’année d’avant. Et pourtant, impossible de trouver des chansons pop et les films hollywoodiens sur la liberté. Qu’est-ce qui a mal tourné ?

Bien sûr, l’effondrement de l’Union Soviétique n’a pas marqué la fin du Projet Reagan. Lui - et ses successeurs des deux partis - ont utilisé la même rhétorique triomphaliste pour vendre l’affaiblissement des syndicats, la déréglementation des banques, l’expansion de l’externalisation et la mondialisation des marchés et les éloigner du poids mort des intérêts économiques nationaux. Au centre de ce projet se trouvait une attaque néolibérale des barrières nationales à la circulation de la main-d’œuvre et des capitaux. Sur son sol, Reagan a également supervisé l’une des plus importantes réformes de l’histoire américaine en faveur de l’immigration , l’"amnistie Reagan" de 1986 qui a élargi le marché du travail en permettant à des millions de migrants illégaux d’obtenir un statut légal.

Les mouvements populaires opposés aux divers aspects de cette vision post guerre froide sont nés au départ de la Gauche sous forme de mouvements anti-mondialisation et plus tard de Occupy Wall Street. Mais, faute d’avoir la capacité de négociation pour défier le capital international, les mouvements de protestations n’ont rien donné. Le système économique mondialisé et financiarisé a tenu bon en dépit de tous les dégâts qu’il a engendrés, et ce même pendant la crise financière de 2008.
Aujourd’hui, le mouvement anti-mondialisation qui est de loin le plus visible prend forme dans les violents discours hostiles aux migrants tenus par Donald Trump et autres "populistes". La Gauche, quant à elle, semble n’avoir d’autre choix que de se recroqueviller avec horreur face à l’" interdiction musulmane " d’entrée sur le territoire de Trump et aux autres récits de chasse de familles de migrants par l’Agence de l’Immigration et des Douanes américaine (ICE) ; elle ne peut que réagir négativement à tout ce que que fait Trump. Si Trump est en faveur des contrôles d’immigration aux frontières, alors la Gauche exigera le contraire. C’est ainsi qu’aujourd’hui, parler de "l’ouverture des frontières" est entré dans le discours libéral dominant, alors qu’il désignait autrefois la radicalité des groupes de réflexion du libre échange et des milieux anarchistes libertaires.

Alors qu’aucun parti politique sérieux de Gauche ne présente de propositions concrètes pour une société véritablement sans frontières,englobant les arguments moraux de la Gauche en faveur de l’ouverture des frontières et les arguments économiques des think tanks du libre-échange, la Gauche s’est mise dans une impasse. Si "aucun humain n’est illégal", comme le disent les slogans de la protestation, la Gauche accepte cependant implicitement les arguments moraux en faveur de l’absence totale de frontières ou de nations souveraines. Mais quelles seront les conséquences d’une migration illimitée quant aux projets publics universels tels que la politique de santé et les services de l’éducation, ou encore la garantie de fonds fédéraux pour garantir un emploi à chaque américain ? Et comment les progressistes pourront-ils expliquer de façon convaincante ces objectifs ?

Au cours de la campagne de la Primaire Démocrate de 2016, lorsque le rédacteur en chef de Vox, Ezra Klein, a suggéré des politiques d’ouverture des frontières à Bernie Sanders, le sénateur a clairement montré de quelle époque il était en répondant : "Ouverture des frontières ? Non. Mais c’est une proposition des frères Koch : "1 Cela a momentanément brouillé le discours officiel, et Sanders a été rapidement accusé de "ressembler à Donald Trump". Cependant, au delà des gaps générationnels révélés par cet échange, il y a un problème plus vaste. La destruction et l’abandon de la politique de l’emploi signifient, qu’à l’heure actuelle, les questions d’immigration ne peuvent se poser que dans le cadre d’une guerre culturelle, menée entièrement sous un aspect moral. Dans le climat émotionnel exacerbé du débat public américain sur la migration, une simple dichotomie morale et politique prévaut. Il est de "Droite" d’être "contre l’immigration" et de "Gauche" d’être "pour l’immigration". Mais c’est une toute autre histoire qui se cache derrière l’économie de la migration.

Les Idiots utiles

Que la question de l’ouverture des frontières soit une position "de gauche" est quelque chose de tout à fait nouveau et est aux antipodes de l’histoire des fondamentaux de la Gauche traditionnelle. L’ouverture des frontières a longtemps été un cri de ralliement de la Droite dans le monde des affaires et de l’économie de marché. S’inspirant d’économistes néoclassiques, ces groupes se sont faits les avocats de la libéralisation de la migration pour des raisons de rationalité mercantile et de liberté économique. Pour des raisons identiques ils s’opposent à toute restriction tant en ce qui concerne les migrations qu’en ce qui concerne la circulation des capitaux. L’Institut Cato, financé par Koch, défend également la levée des restrictions légales concernant le travail des enfants, et depuis des décennies lance un plaidoyer radical en faveur de l’ouverture des frontières , soutenant que le soutien à l’ouverture des frontières est un principe fondamental de la doctrine libertaire, et que " Commençons par oublier le mur, il est temps que les États-Unis aient des frontières ouvertes ".2 L’Institut Adam Smith a fait sensiblement la même chose, affirmant que " Les restrictions en terme d’immigration nous appauvrissent 3".

Suivant l’exemple de Reagan et de personnalités comme Milton Friedman, George W. Bush s’est fait le champion de la libéralisation de la migration avant, pendant et après sa présidence. Grover Norquist, ardent défenseur des réductions d’impôts de Trump (et de Bush et Reagan), dénonce depuis des années l’illibéralisme des syndicats et nous rappelle que " L’hostilité à l’immigration a toujours été une cause syndicale ".4

Il n’a pas tort. Depuis la première loi limitant l’immigration en 1882 jusqu’à Cesar Chavez et le célèbre syndicat multiethnique des Travailleurs Agricoles Unis qui protestent en 1969 contre les patrons encourageant et ayant recours à la migration illégale, les syndicats se sont souvent opposés aux migrations de masse. Pour eux, l’importation délibérée de travailleurs illégaux à bas salaires constitue un affaiblissement du pouvoir de négociation des travailleurs et une forme d’exploitation. Il est évident que le pouvoir des syndicats repose par définition sur leur capacité à restreindre et retirer l’offre de main-d’œuvre, ce qui s’avère impossible si toute la main-d’œuvre peut être facilement remplacée à peu de frais. L’ouverture des frontières et l’immigration de masse sont une victoire pour les patrons.

Et c’est presque universellement que les patrons soutiennent cela. Le groupe de réflexion et de lobbying de Mark Zuckerberg, Forward, qui prône la libéralisation des politiques migratoires, compte parmi ses "fondateurs et bailleurs de fonds" Eric Schmidt et Bill Gates, ainsi que les PDG et cadres supérieurs de YouTube, Dropbox, Airbnb, Netflix, Groupon, Walmart, Yahoo, Lyft, Instagram et bien d’autres. Sur cette liste, la richesse personnelle cumulée est suffisante pour influencer fortement la plupart des institutions dirigeantes et des parlements, voire les acheter purement et simplement. Souvent célébrées par les progressistes, les motivations de ces milliardaires "libéraux" sont claires. Leur générosité envers les Républicains dogmatiquement anti-travail, comme Jeff Flake du fameux projet de loi "Gang of Eight", ne devrait pas nous surprendre.

Certes, l’opposition syndicale à la migration de masse s’est parfois mêlée au racisme (présent dans toute la société américaine) à des époques antérieures. Cependant, ce qui dans les tentatives libertaires empêche de qualifier les syndicats de "vrais racistes", c’est qu’à l’époque des syndicats forts, ils étaient également capables d’utiliser leur pouvoir pour organiser des campagnes de solidarité internationale avec les mouvements ouvriers du monde entier. Les syndicats ont augmenté les salaires de millions de membres non blancs, tandis qu’on estime que la désyndicalisation coûte aujourd’hui aux hommes noirs américains 50 $ par semaine.5

Pendant la révolution néolibérale de Reagan, le pouvoir syndical a reçu un coup dont il ne s’est jamais remis, et voilà des décennies que les salaires stagnent. Sous cette pression, la Gauche elle-même a subi une transformation. En l’absence d’un mouvement ouvrier puissant, elle est restée radicale dans le domaine de la culture et des libertés individuelles, mais ne peut guère offrir plus que des protestations sans effets et des appels à noblesse oblige dans le domaine économique.

Avec des images choquantes de migrants à bas salaires pourchassés comme des criminels par la ICE (voir plus haut), d’autres se noyant en Méditerranée, et la croissance inquiétante du sentiment anti-migrants partout dans le monde, il est facile de comprendre pourquoi la Gauche veut défendre les migrants illégaux afin qu’ils ne deviennent pas des cibles et des victimes. Et il est juste qu’il en soit ainsi. . Mais en se servant de l’argument de ce qui est moral pour défendre la dignité humaine des migrants, la Gauche a fini par faire reculer trop loin la ligne de front , défendant de façon efficace la migration en tant que système d’exploitation.
Les militants bien intentionnés d’aujourd’hui sont devenus les idiots utiles des grandes entreprises. Avec l’adoption d’un plaidoyer en faveur de "l’ouverture des frontières" - et un absolutisme moral draconien qui considère toute limite à la migration comme un mal innommable - toute critique des migrations de masse comme système d’exploitation est de fait rejetée comme propos blasphématoire. Même les politiciens solidement ancrés à Gauche, comme Bernie Sanders aux Etats-Unis et Jeremy Corbyn au Royaume-Uni, sont accusés par les critiques d’ "hostilité aux migrants" si, à quelque moment que ce soit, ils reconnaissent la légitimité des frontières ou la restriction des migrations. Cette façon radicale de concevoir l’ouverture des frontières profite en fin de compte aux élites des pays les plus puissants du monde, affaiblissant davantage encore les syndicats, privant les pays en voie de développement de travailleurs qualifiés dont ils ont désespérément besoin et contribuant à dresser travailleurs contre travailleurs.

Mais la Gauche n’a pas besoin de me croire sur parole. Il suffit de demander à Karl Marx, dont la position sur l’immigration suffirait à le faire bannir des rangs de la Gauche moderne. Même si il faut en convenir, la migration à la vitesse et à l’échelle d’aujourd’hui aurait été impensable à l’époque de Marx, il a exprimé une vision très critique des effets de la migration qui a eu lieu au XIXe siècle. Dans une lettre adressée à deux de ses compagnons de voyage américains, Marx soutient que l’importation en Angleterre d’immigrants irlandais mal payés les a forcés à entrer dans une concurrence hostile aux travailleurs anglais. Pour lui, cela faisait partie d’un système d’exploitation qui divisait la classe ouvrière et qui représentait une prolongation du système colonial. Il a écrit : En raison de la concentration sans cesse croissante des baux, l’Irlande envoie constamment ses propres excédents sur le marché du travail anglais, ce qui entraîne une baisse des salaires et abaisse la position matérielle et morale de la classe ouvrière anglaise.

Et plus important encore ! Chaque centre industriel et commercial d’Angleterre possède désormais une classe ouvrière divisée en deux camps hostiles, les prolétaires anglais et les prolétaires irlandais. Le travailleur anglais ordinaire déteste le travailleur irlandais en tant que concurrent qui abaisse son niveau de vie. Par rapport au travailleur irlandais, il se considère comme un membre de la nation dirigeante et devient par conséquent un outil des aristocrates et capitalistes anglais contre l’Irlande, renforçant ainsi la domination de ceux-ci sur lui, travailleur anglais. Il adore les préjugés religieux, sociaux et nationaux contre le travailleur irlandais. L’attitude qu’il a vis à vis de ce dernier est à peu près la même que celle des "pauvres Blancs" envers les Noirs dans les anciens États esclavagistes des États-Unis. L’Irlandais lui rend la monnaie de sa pièce, et avec intérêts. Pour lui, l’ouvrier anglais est à la fois le complice et l’outil stupide des dirigeants anglais en Irlande.

Cet antagonisme est artificiellement entretenu et intensifié par la presse, la chaire, les journaux comiques, bref, par tous les moyens à la disposition des classes dirigeantes. Cet antagonisme est le mystère derrière l’impuissance de la classe ouvrière anglaise, en dépit de son organisation. C’est le secret qui permet à la classe capitaliste de conserver son pouvoir. Et elle en est bien consciente.6

Marx poursuit en déclarant que la priorité de l’organisation du travail en Angleterre est "de faire prendre conscience aux travailleurs anglais que pour eux l’émancipation nationale de l’Irlande n’est pas une question de justice abstraite ou de sentiment humanitaire mais la première condition de leur propre émancipation sociale". C’est là que Marx a ouvert la voie à une approche devenue rare aujourd’hui. L’importation de travail faiblement rémunéré est un outil d’oppression qui divise les travailleurs et profite à ceux qui sont au pouvoir. La réponse appropriée n’est donc pas un moralisme abstrait quant à l’accueil de tous les migrants en tant que geste hypothétique de charité, mais c’est plutôt le fait de s’attaquer aux causes profondes de la migration dans la relation entre les grandes économies puissantes et les économies plus petites ou en développement depuis lesquelles les gens migrent.

Le coût humain de la mondialisation

Les partisans de l’ouverture des frontières négligent souvent les coûts des migrations de masse pour les pays en développement. En effet, la mondialisation crée souvent un cercle vicieux : les politiques commerciales libéralisées détruisent l’économie d’une région, entraînant à son tour une émigration massive au départ de celle-ci, érodant davantage le potentiel du pays d’origine tout en abaissant les salaires des travailleurs les moins bien payés du pays de destination. L’une des principales causes de migration de la main-d’œuvre du Mexique vers les États-Unis a été la destruction économique et sociale causée par l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). L’ALENA a forcé les agriculteurs mexicains à être en concurrence avec l’agriculture américaine, avec des conséquences désastreuses pour le Mexique. Les importations mexicaines ont doublé et le Mexique a perdu des milliers de fermes porcines et de producteurs de maïs en raison de la concurrence américaine. Lorsque les prix du café ont chuté en dessous du coût de production, l’ALENA a interdit l’intervention de l’État pour maintenir les producteurs à flot. En outre, les entreprises américaines ont été autorisées à acheter des infrastructures au Mexique, y compris, par exemple, la principale ligne ferroviaire nord-sud du pays. Le chemin de fer a alors interrompu le service voyageurs, ce qui a décimé l’effectif ferroviaire après l’écrasement d’’une grève sauvage. En 2002, les salaires mexicains avaient chuté de 22 pour cent, alors même que la productivité des travailleurs avait augmenté de 45 pour cent.7 Dans des régions comme Oaxaca, l’émigration a dévasté les économies et les communautés locales, les hommes ayant émigré pour être la main-d’œuvre agricole et travailler dans les abattoirs américains, laissant derrière eux femmes, enfants et personnes âgées.

Et qu’en est-il de l’importante main-d’œuvre migrante qualifiée et des cols blancs ? Malgré la rhétorique sur les "pays de merde" ou les nations "qui n’envoient pas le meilleur d’elles-mêmes", l’exode migratoire des cerveaux a eu d’énormes conséquences sur les économies en développement. Selon les chiffres du Bureau de Recensement pour 2017, environ 45 % des migrants qui sont arrivés aux États-Unis depuis 2010 ont fait des études universitaires 8. Les pays en développement ont du mal à retenir leurs citoyens compétents et qualifiés, souvent formés à grands frais sur le budget d’état, parce que les économies les plus importantes et les plus riches, celles qui dominent le marché mondial, ont les moyens de les acheter. Aujourd’hui, le Mexique est également l’un des plus grands exportateurs mondiaux de professionnels qualifiés et son économie souffre par conséquent d’un "déficit persistant d’emplois qualifiés". Cette injustice en matière de développement ne se limite certainement pas au Mexique. Selon le magazine Foreign Policy, " il y a aujourd’hui plus de médecins éthiopiens travaillant à Chicago que dans l’ensemble de l’Éthiopie, un pays de 80 millions d’habitants ".9 Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi les élites politiques et économiques des pays les plus riches du monde veulent que le monde " envoie le meilleur ", quelles que soient les conséquences sur le reste du monde. Mais pourquoi la Gauche, par sa politique moralisatrice d’ouverture des frontières, offre-t-elle un visage humanitaire a ce qui n’est que pur et simple intérêt bien compris ?

Les meilleures analyses des flux de capitaux et de la richesse mondiale aujourd’hui démontrent que la mondialisation enrichit les personnes les plus riches dans les pays les plus riches au détriment des plus pauvres, et non l’inverse. Certains appellent cela "l’aide inversée". Des milliards de dollars d’intérêts sur la dette vont de l’Afrique vers les grandes banques de Londres et New York. D’immenses richesses privées sont générées chaque année par les industries extractives de matières premières et par la gestion de la main d’œuvre, puis elles sont rapatriées dans les pays riches où sont basées les sociétés multinationales. La fuite des capitaux se monte à plusieurs milliers de milliards, les multinationales profitant des paradis fiscaux et des juridictions opaques rendus possibles par la libéralisation des règlements de facturation et autres politiques "commerciales inefficaces" mises en place par l’Organisation mondiale du commerce .10

L’inégalité des richesses à l’échelle mondiale est le principal moteur des migrations de masse, et la mondialisation du capital en est indissociable. Il faut aussi tenir compte du facteur incitatif dû aux des employeurs exploiteurs aux États-Unis qui cherchent à tirer profit des travailleurs non syndiqués et à bas salaires dans des secteurs comme l’agriculture, tout comme de l’importation d’une importante main-d’œuvre en col blanc déjà formée dans d’autres pays. Cela conduit au résultat net d’une population vivant illégalement aux États-Unis estimée à onze millions de personnes.

Intérêts corporatistes et chantage moral

Les pouvoirs publics n’ont pas de mandat pour l’ouverture des frontières, cependant, les politiques d’immigration qui font peser le fardeau du respect de la loi sur les employeurs plutôt que sur les migrants sont largement plébiscitées. Selon un sondage du Washington Post et d’ABC News, 80% de la population soutient le fait d’imposer le système fédéral de vérification de l’emploi (E-Verify), qui empêcherait les employeurs d’exploiter le travail illégal, soit plus du double du soutien à la construction d’un mur à la frontière mexicaine.11 Alors pourquoi les campagnes présidentielles tournent-elles autour de la construction d’un immense mur frontalier ? Pourquoi les débats actuels sur la migration tournent-ils autour des tactiques controversées d’ICE (voir plus haut) visant à cibler les migrants - tout particulièrement quand la méthode la plus humaine et la plus populaire qui consiste à imposer aux employeurs d’embaucher dans le cadre légal est aussi la plus efficace12 ? En bref, la réponse est que cela fait des décennies que les lobbies commerciaux bloquent et sabotent les actions comme celles de E-Verify, alors que la Gauche d’ouverture des frontières a abandonné tout débat sérieux sur ces questions.

Récemment, la Western Growers Association et la California Farm Bureau Federation, entre autres et en dépit de nombreuses concessions en faveur des entreprises, ont bloqué un projet de loi qui aurait rendu la vérification électronique obligatoire.13. Par conséquent, les travailleurs des économies détruites par la concurrence de l’agriculture américaine continueront d’être invités avec la promesse de travailler en étant exploités illégalement et à bon marché. Privés d’une partie de leurs droits juridiques, ces non-citoyens ne pourront pas se syndiquer et ils craindront constamment d’être arrêtés et criminalisés.

"Il n’y a pas de crise migratoire " voilà le slogan que partagent maintenant les tenants de l’ouverture des frontières et les commentateurs des principaux media. Mais que cela leur plaise ou pas, les modifications quantitatives radicales des migrations de masse sont impopulaires dans toutes les tranches de la société et même partout dans le monde. Or cette impopularité est partagée par des gens, des citoyens qui ont le droit de vote. Voilà pourquoi, de plus en plus, le phénomène migratoire devient une réelle crise fondamentale pour la démocratie. Tout parti politique qui se souhaite de gouvernement devra soit accepter la volonté du peuple, soit réprimer la dissidence afin d’imposer un programme d’ouverture des frontières. Nombreux sont ceux de la Gauche Libertaire qui sont les partisans les plus forcenés de cette dernière. Et dans quel but ? Pour offrir une couverture morale à l’exploitation ? Pour s’assurer que les partis de gauche qui pourraient réellement se préoccuper de l’un ou l’autre de ces problèmes à un niveau renforcé international restent exclus du pouvoir ?

Les expansionnistes de l’immigration ont deux armes clefs. Les grandes entreprises et les intérêts financiers travaillant de leur côté est l’une d’entre elles, mais les tenants de l’expansion migratoire, plutôt de Gauche, brandissent de façon plus experte une arme tout aussi puissante - le chantage moral et la honte publique. Les gens ont raison de considérer la maltraitance des migrants comme moralement répréhensible. La montée du racisme et l’indifférence envers les minorités qui accompagnent souvent le sentiment anti-immigration inquiètent largement. Mais même cette politique d’ouverture des frontières ne respecte pas son propre code moral.

Les avantages et les inconvénients économiques d’une forte immigration sont nombreux, mais elle est plus susceptible d’avoir un impact négatif sur les travailleurs autochtones peu qualifiés et mal rémunérés, alors qu’elle se fera au bénéfice des travailleurs autochtones plus riches et du secteur privé. Comme le fait valoir George J. Borjas, elle fonctionne comme une sorte de redistribution ascendante des richesses. 14 Une étude réalisée en 2017 par la National Academy of Sciences et intitulée "The Economic and Fiscal Consequences of Immigration" (Les conséquences économiques et fiscales de l’immigration) a révélé que les politiques d’immigration actuelles ont eu des effets négatifs disproportionnés sur les Américains pauvres et minoritaires, un constat qui n’aurait pas surpris des personnalités comme Marcus Garvey ou Frederick Douglass. Il ne fait aucun doute qu’eux aussi auraient été considérés comme des "anti-immigrants" au regard des critères actuels.

Dans un discours public sur l’immigration, Hillary Clinton a déclaré : "Je pense que quand des millions d’immigrants travaillent dur et contribuent à notre économie, il serait autodestructeur et inhumain d’essayer de les expulser ".15 Dans un discours privé aux banquiers latino-américains qui a été divulgué elle va plus loin : "Mon rêve est, un jour ou l’autre, un marché commun hémisphérique, avec des échanges commerciaux libres et des frontières ouvertes, avec des sources d’énergie aussi vertes et durables que possible "16 (bien qu’elle ait affirmé plus tard qu’elle ne voulait parler de frontières ouvertes que pour l’énergie). Bien sûr, ces déclarations ont rendu folle la Droite pro-Trump anti immigration. Mais ce qui est peut-être encore plus révélateur, c’est la convergence entre la Gauche favorable à l’ouverture des frontières et et la Droite du monde des affaires "respectable" résumée par Clinton dans ses propos. Dans un article récent de National Review (revue conservatrice) répondant au "nationalisme" de Trump, Jay Cost a écrit : "Pour parler franchement, nous n’avons pas besoin de nous aimer les uns les autres, tant qu’on continue à se faire de l’argent les uns avec les autres. C’est ça qui va nous rassembler. " Dans ce sous-thatchérisme monstrueux, les Buckleyites ressemblent exactement aux "cosmopolites" libéraux - mais sans le charme ni le talent pour pour l’aveuglement moral.

En tant qu’enfant de migrants, et ayant passé la majeure partie de ma vie dans un pays à fort niveau constant d’émigration - l’Irlande - j’ai toujours vu la question migratoire différemment de mes amis bien intentionnés de gauche appartenant aux grandes économies dominantes du monde. Lorsque l’austérité et le chômage ont frappé l’Irlande - après que des milliards de dollars d’argent public aient été utilisés pour renflouer le secteur financier en 2008 - j’ai vu tous mes pairs partir pour ne jamais revenir. Ce n’est pas seulement une question technique. Cela a à voir avec le cœur et l’âme d’une nation, comme une guerre. Cela signifie l’hémorragie permanente de jeunes générations idéalistes et énergiques, qui normalement rajeunissent et ré-enchantent une société. En Irlande, comme dans tous les pays à forte émigration, il y a toujours eu des campagnes et des mouvements anti-émigration, menés par la Gauche, exigeant le plein emploi en période de récession. Mais ils ont rarement assez de puissance pour résister aux forces du marché mondial. Et pendant ce temps, les élites coupables et nerveuses qui sont au pouvoir pendant une période de colère populaire ne sont que trop heureuses de voir une génération potentiellement radicale s’éparpiller partout dans le monde.

L’arrogance et la mentalité étrangement impérialiste des progressistes britanniques et américains pro-ouverture des frontières m’interpellent toujours. Ils croient qu’"accueillir " des doctorants d’Europe orientale ou d’Amérique centrale qui leur servent de chauffeurs ou de serviteurs est une manifestation de charité éclairée. Dans les pays les plus riches, prôner l’ouverture des frontières semble relever du même niveau que l’est le culte fanatique pour les vrais croyants - une classe économique urbaine, créative, technocrate, médiatique, de l’économie du savoir défend ce qui résulte du lobbying des grandes entreprises et du libre marché, servant ainsi objectivement leurs propres intérêts de classe en maintenant leur mode de vie transitoire bon marché et leurs carrières intactes tout en reprenant l’idéologie institutionnelle de leurs secteurs. La vérité est que la migration de masse est une tragédie et que la classe moyenne supérieure qui la pare de morale se fiche du monde. Peut-être que les ultra-riches peuvent se permettre de vivre dans ce monde sans frontières
qu’ils défendent avec acharnement, mais la plupart des gens ont besoin - et veulent - d’un organe
politique cohérent et souverain pour défendre leurs droits en tant que citoyens.

Défendre les immigrants, s’opposer à l’exploitation systémique

Si l’ouverture des frontières est "une proposition des frères Koch", à quoi ressemblerait alors une authentique position de Gauche sur l’immigration ? Dans ce cas, au lieu de se faire la porte-voix de Milton Friedman, la gauche devrait s’inspirer de ses longues traditions. Les progressistes devraient se concentrer sur la lutte contre l’exploitation systémique à l’origine des migrations de masse plutôt que de se replier sur un moralisme superficiel qui légitime ces forces exploitantes. Cela ne veut pas dire que les gauchistes devraient ignorer les injustices à l’égard des immigrés. Ils devraient défendre sans relâche les migrants contre les traitements inhumains. En même temps, toute Gauche sincère doit adopter une ligne dure à l’égard des acteurs corporatistes,financiers et autres qui créent les conditions du désespoir qui sous-tendent la migration de masse (ce qui, à son tour, induit une réaction populiste hostile). Seule une Gauche nationale forte dans les petits pays en développement - agissant de concert avec une Gauche engagée à mettre fin à la financiarisation et à l’exploitation mondiale de la main-d’œuvre dans les grandes économies - pourrait avoir le moindre espoir de trouver une solution à ces questions.

Pour commencer, la Gauche doit cesser de citer la dernière propagande du Cato Institute qui ignore les effets de l’immigration sur le travail domestique, en particulier pour les travailleurs pauvres qui risquent de souffrir de manière disproportionnée de l’expansion du bassin de main-d’œuvre. Les politiques d’immigration devraient être envisagées de sorte que le pouvoir de négociation des travailleurs ne soit pas mis en péril de manière significative. C’est particulièrement vrai en période de stagnation des salaires, de faiblesse des syndicats et d’inégalité massive.

En ce qui concerne l’immigration illégale, la Gauche devrait soutenir les efforts visant à rendre la vérification électronique obligatoire et faire pression pour que des sanctions sévères soient prises contre les employeurs qui ne s’y conforment pas. Ce sont les employeurs, et non les immigrants, qui devraient être la principale cible en matière de respect de la loi. Ces employeurs profitent des immigrants qui n’ont pas de la protection juridique de base dans le but de perpétuer un nivellement des salaires vers le bas tout en évitant les charges sociales et autres avantages sociaux. De telles mesures incitatives doivent être éliminées si on veut que tous les travailleurs soient traités équitablement.

Dans une réplique tristement célèbre, Trump s’est plaint de ces gens qui viennent de "pays de merde" du tiers-monde et a fait une suggestion d’immigrants idéaux : les Norvégiens. Certes, il fût un temps où les Norvégiens sont venus en grand nombre en Amérique - quand ils étaient désespérés et pauvres. Maintenant que leur social-démocratie est prospère et relativement égalitaire, fondée sur la propriété publique des ressources naturelles, cela ne les intéresse plus.17 En fin de compte, tant que les problèmes structurels sous-jacents à la migration de masse persistent, celle-ci ne se tarira pas.

Pour réduire les tensions liées aux migrations de masse, il faut donc améliorer les perspectives des pauvres dans le monde. Les migrations de masse ne suffiront pas à elles seules : elles créent une course vers le nivellement par le bas pour les travailleurs des pays riches et une fuite des cerveaux pour les pays pauvres. La seule véritable solution est de corriger les déséquilibres de l’économie mondiale et à restructurer radicalement un système mondialisé qui avait pour but de profiter aux riches au détriment des pauvres. Dans un premier temps cela implique des changements structurels des politiques commerciales qui empêchent le développement nécessaire des économies émergents sous la houlette de l’État. Il faut aussi s’opposer aux accords commerciaux anti-travailleurs comme l’ALENA. Il est tout aussi nécessaire d’assumer un système financier qui détourne les capitaux du monde en développement et les dirige vers des bulles d’actifs qui creusent les inégalités dans les pays riches. Enfin, bien que la politique étrangère irréfléchie de l’administration George W. Bush ait été discréditée, la tentation de s’engager dans des croisades militaires semble perdurer. Il faut s’y opposer. Les invasions étrangères menées par les États-Unis ont tué des millions de personnes au Moyen-Orient, on compte des millions de réfugiés et de migrants et les infrastructures de base sont ravagées.

L’argument de Marx qui voudrait que la nation Irlandaise doive être considérée, par la classe ouvrière anglaise, comme un apport éventuel à sa lutte, plutôt que comme une menace à son identité, devrait nous interpeller aujourd’hui, alors que nous assistons à la montée de divers mouvements identitaires dans le monde. L’illusion réconfortante qui voudrait que les immigrants viennent ici parce qu’ils aiment l’Amérique est incroyablement naïve - aussi naïve que de suggérer que les immigrants irlandais du XIXe siècle décrits par Marx aimaient l’Angleterre. La plupart des migrants quittent leur pays au nom d’impératifs économiques, et la grande majorité d’entre eux préféreraient trouver de meilleures chances chez eux, au sein de leur famille, de leurs amis. Cependant de tels débouchés sont impossibles dans le contexte actuel de la mondialisation.

Tout comme Marx l’a décrit dans l’Angleterre de son époque, les politiciens comme Trump rallient leur base en suscitant un sentiment anti-immigration, mais ils s’attaquent rarement, voire jamais, à l’exploitation structurelle - que ce soit chez eux ou à l’étranger - or, c’est cela qui est la cause première de la migration de masse. Souvent, ces problèmes sont aggravés , accroissant le pouvoir des employeurs et du capital contre le travail, tout en retournant la rage de leurs partisans - souvent les victimes de ces forces - contre les autres victimes, les immigrants. Pour autant, en dépit de toutes les fanfaronnades Trumpiennes anti-immigration, son administration n’a pratiquement rien fait pour appliquer à plus grande échelle E-Verify, préférant plutôt se vanter d’un mur frontalier dont la matérialisation semble de plus en plus lointaine .18 Et alors que les familles sont séparées à la frontière, l’administration ferme les yeux sur les employeurs qui utilisent les immigrants comme des pions dans un jeu d’arbitrage de la main d’œuvre.

Pendant ce temps-là, les membres de la Gauche d’ouverture des frontières peuvent essayer de se convaincre qu’ils adoptent une position radicale. Mais en fait, ils ne font que remplacer la recherche de l’égalité économique par la politique des grandes entreprises, se faisant passer pour la mouvance identitaire vertueuse. L’Amérique, qui reste l’un des pays les plus riches du monde, devrait être en mesure de fournir non seulement le plein emploi, mais aussi un salaire décent à tous ses habitants, y compris dans ces emplois que" les Américains n’accepteront pas", argument avancé par les partisans de l’ouverture des frontières. Les employeurs - qui à grand risque pour les migrants - les exploitent illégalement et à bon marché - devraient être ceux que l’on poursuit, au lieu de condamner les migrants qui font simplement ce que les gens ont toujours fait face à l’adversité économique. En protégeant négligemment les intérêts commerciaux de l’élite dirigeante, la Gauche risque une crise existentielle majeure, car de plus en plus de gens ordinaires se tournent vers les partis d’extrême droite. En cette période de crise, les enjeux sont trop élevés pour qu’on continue de se tromper.

Cet article est paru pour la première fois dans American Affairs Volume II, Number 4 (hiver 2018) : 17-30

Notes
1 Ezra Klein, “Bernie Sanders : The Vox Conversation,” Vox, July 28, 2015.
2 Jeffrey Miron, “Forget the Wall Already, It’s Time for the U.S. to Have Open Borders,” USA Today, July 31, 2018
3 Sam Bowman, “Immigration Restrictions Make Us Poorer,” Adam Smith Institute, April 13, 2011.
4 Grover G. Norquist, “Samuel Gompers versus Reagan,” American Spectator, Sept. 25, 2013.
5 Bhaskar Sunkara, “What’s Your Solution to Fighting Sexism and Racism ? Mine Is : Unions,” Guardian, Sept. 1, 2018.
6 David L. Wilson, “Marx on Immigration,” Monthly Review, Feb. 1, 2017.
7 David Bacon, “Globalization and nafta Caused Migration from Mexico,” People’s World, Oct. 15, 2014.
8 Gustavo López, Kristen Bialik, and Jynnah Radford, “Key Findings about U.S. Immigrants,” Pew Research Center, Sept. 14, 2018.
9 Kate Tulenko, “Countries without Doctors ?,” Foreign Policy, June 11, 2010.
10 Jason Hickel, “Aid in Reverse : How Poor Countries Develop Rich Countries,” Guardian, Jan. 14, 2017.
11 “Immigration, DACA, Congress, and Compromise,” Washington Post, Oct. 20, 2017.
12 Pia M. Orrenius and Madeline Zavodny, “Do State Work Eligibility Verification Laws Reduce Unauthorized Immigration ?,” IZA Journal of Migration 5, no. 5 (December 2016).
13 Dan Wheat, “Ag Groups Split over Latest House Labor Bill,” Capital Press, July 17, 2018.
14 George Borjas, “Yes, Immigration Hurts American Workers,” Politico, September/October 2016.
15 Borjas.
16 Chris Matthews, “What’s Important about the Clinton Campaign’s Leaked Emails on Free Trade,” Fortune, Oct. 11, 2016.
17 Krishnadev Calamur, “Why Norwegians Aren’t Moving to the U.S.,” Atlantic, Jan. 12, 2018.
18 Tracy Jan, “Trump Isn’t Pushing Hard for This One Popular Way to Curb Illegal Immigration,” Washington Post, May 22, 2018.

A propos de l’auteur
Angela Nagle écrit pour l’Atlantic, Jacobin, Irish Times et Baffler. Elle est l’auteur de Kill All Normies : Online Culture Wars from 4chan and Tumblr to Trump and the Alt-Right (Zero Books, 2017).

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