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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2021-54
Violence à Jérusalem : Biden en porte-à-faux quant aux droits humains
Par Paul R. Pillar, traduit par Jocelyne le Boulicaut
mercredi 19 mai 2021, par
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Violence à Jérusalem : Biden en porte-à-faux quant aux droits humains
Le 10 mai 2021 par Paul R. Pillar
Un policier israélien retient un manifestant palestinien dans un climat de tension avant une audience au tribunal dans le cadre d’un litige israélo-palestinien sur la propriété des terres dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est, le 5 mai 2021. REUTERS/Ammar Awad
Alors qu’Israël s’emploie à saborder les États-Unis au Moyen-Orient, Biden semble hésiter à dénoncer les abus de Tel Aviv. Qu’en est-il ?
À Jérusalem-Est, les tensions se sont multipliées avant la décision de la Cour suprême israélienne attendue lundi concernant l’expulsion de familles de Sheikh Jarrah, un quartier palestinien de la ville.
Les désordres se sont étendus au-delà de Sheikh Jarrah, dans d’autres parties de Jérusalem-Est, notamment dans l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa. Vendredi, des fidèles sortant de la prière ont jeté des pierres sur la police israélienne, qui a répondu par des grenades assourdissantes et des balles en caoutchouc, blessant plus de 150 personnes.
Les familles qui risquent d’être expulsées vivent à Sheikh Jarrah depuis des générations. À l’origine, elles habitaient dans des zones côtières comme Jaffa et Haïfa, dont elles été chassées pendant la guerre de 1948 qui a conduit à la création d’Israël.
En 1956, un accord a été conclu entre les familles, l’Office de secours et de travaux des Nations Unies [L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient est un programme de l’Organisation des Nations unies pour l’aide aux réfugiés palestiniens dans la Bande de Gaza, en Cisjordanie, en Jordanie, au Liban et en Syrie, datant de décembre 1949,NdT] et le ministère jordanien de la Construction et du Développement – l’autorité dirigeante jusqu’à la conquête de la région par Israël lors de la guerre de 1967 – afin de confirmer leurs droits de propriété concernant les maisons à Sheikh Jarrah en échange du paiement d’une petite somme et du renoncement au statut de réfugié.
Cet arrangement a été bouleversé au début des années 1970, lorsque des groupes israéliens cherchant à installer des colons juifs dans le quartier ont revendiqué la propriété d’avant 1948. Cette revendication est sujette à contestation, mais qu’elle soit valable ou non, la procédure israélienne pour résoudre les conflits de propriété foncière est clairement unilatérale.
La loi sur les affaires juridiques et administratives, promulguée par Israël en 1970, stipule que les Juifs peuvent réclamer les biens de Jérusalem-Est perdus pendant les combats de 1948, tandis que les Arabes palestiniens ne peuvent aucunement réclamer les biens qu’ils ont perdus pendant la même guerre et qui sont désormais considérés comme faisant partie d’Israël.
Un jeune Palestinien est soigné après avoir été touché par une balle en caoutchouc à l’arrière de la tête [Ibrahim Husseini/Al Jazeera].
Israël a voulu minimiser le conflit actuel en le qualifiant, selon les termes du ministère Israélien des Affaires étrangères, de « différend immobilier entre parties privées. » C’est bien plus que cela. Cela s’inscrit dans le cadre d’un effort plus vaste, largement promu par le gouvernement, visant à dés-arabiser Jérusalem-Est.
Le maire adjoint de Jérusalem, Aryeh King, qui est également un des leaders du mouvement de colonisation juive, est très ouvert à ce sujet. « Bien entendu », les expulsions de Sheikh Jarrah font partie d’une stratégie bien plus large visant à implanter « des communautés de Juifs » dans tout Jérusalem-Est. Le but, ajoute-t-il, est « d’assurer l’avenir de Jérusalem en tant que capitale juive pour le peuple juif. »
Selon Zakariah Odeh, directeur de la Coalition civique pour les droits des Palestiniens à Jérusalem, on a vu au cours de 2020 un taux record d’expansion des colonies à Jérusalem-Est. La même année, les autorités ont détruit 170 structures palestiniennes dans la ville, dont 105 maisons, entraînant le déplacement de 385 personnes.
La stratégie israélienne pour Jérusalem-Est s’inscrit dans un programme encore plus vaste de déplacement des Palestiniens et de destruction de leurs maisons dans toute la Cisjordanie. Ce programme, qui est en cours depuis la conquête israélienne de 1967, a connu un crescendo dans les mois qui ont précédé les élections américaines de l’année dernière.
Si Tucker Carlson veut vraiment parler de plans visant à « remplacer » un groupe démographique par un autre, il devrait se pencher sur ce qu’Israël fait depuis des années par le biais de son occupation des territoires habités par les Palestiniens.
La destruction et le déplacement font partie d’un schéma de violation israélienne encore plus large des droits humains, comme le montre le rapport récemment publié sur le sujet par la très réputée organisation de surveillance Human Rights Watch.
La documentation approfondie du rapport vient largement soutenir la conclusion selon laquelle les autorités israéliennes « ont, à des degrés divers, exproprié, cantonné, isolé de force et soumis les Palestiniens en raison de leur identité » et que dans certaines régions, « ces privations sont si graves qu’elles sont assimilables aux crimes contre l’humanité que sont l’apartheid et la persécution. »
La loi israélienne susmentionnée, qui autorise explicitement les Juifs, mais pas les Arabes, à récupérer les biens perdus en temps de guerre, n’est qu’un exemple du racisme institutionnalisé qu’est l’apartheid.
De provisoire en 2003, la "barrière de sécurité" entre l’Etat hébreu et les territoires palestiniens est devenu un mur de séparation qui fixe aussi les annexions. (OUEST-FRANCE/REUTERS )
Réponse américaine
Bien que certains signes encourageants indiquent que le discours américain dominant examine plus ouvertement cette politique israélienne – et que certains politiciens américains ont, ces derniers jours, critiqué l’expulsion de Sheikh Jarrah – la majeure partie du courant dominant hésite à affronter franchement la réalité sur le terrain et les implications exactes que cela entraînerait pour la politique étrangère américaine. Ce constat est valable même pour certains des observateurs les mieux informés et les plus avisés qui ont commenté le rapport de Human Rights Watch.
Un trait fréquent de ces hésitations est de dénoncer toute critique d’Israël qui ne consacrerait pas un temps égal à la critique de ce que les Palestiniens ont fait de mal – ce qui est un fait, y compris commettre des actes de destruction violente.
Mais cela reviendrait à essayer de mettre de la symétrie dans une situation parfaitement asymétrique. Israël a les armes, le pouvoir et, en fin de compte, le contrôle de la terre ; ce que les Palestiniens n’ont pas. Dès aujourd’hui, Israël peut prendre des mesures qui, en elles-mêmes, contribueraient pour beaucoup à la résolution du conflit israélo-palestinien ; ce que les Palestiniens ne peuvent pas faire.
Une autre des caractéristiques habituelles est de faire valoir le besoin de sécurité d’Israël, et bien entendu, Israël a tout à fait le droit de se défendre et d’assurer la sécurité de ses citoyens. Mais ce qui est actuellement en jeu, c’est la sécurité des Palestiniens – et quand on en vient à la sécurité d’une personne, il n’existe pas grand chose de plus grave que de voir sa maison détruite et d’être chassé de l’endroit où on a vécu.
En outre, la grande majorité des infractions commises à l’encontre des Palestiniens ne contribue absolument pas à renforcer la sécurité d’Israël. Nombre de ces infractions mettent à mal la sécurité israélienne, soit en incitant à des réponses violentes, soit en imposant une charge supplémentaire aux forces de défense israéliennes.
Les principaux commentaires soulignent de manière récurrente l’importance de la relation américano-israélienne, mais ils omettent régulièrement de détailler avec précision ce qui est nécessaire pour que la coopération mutuellement bénéfique – comme dans le domaine de la technologie – se poursuive.
Une telle coopération peut découler d’une relation bilatérale classique et équilibrée. On n’a pas besoin pour cela d’une relation extraordinaire qui, par le biais d’une aide financière inconditionnelle et d’une couverture diplomatique, tolérerait tacitement le type de comportement décrit dans le rapport de Human Rights Watch.
Gaza (Crédits : Mohammed Salem)
Ce que cela veut dire pour la politique de l’administration Biden
Le président Joe Biden se trouve face à un grave problème de droits humains dans cette partie du Moyen-Orient. Il ne peut pas le négliger, ne serait-ce qu’en raison de cette relation particulière et des dommages indirects qu’il cause aux intérêts américains.
Il n’a pas besoin de faire des droits humains un thème aussi central de sa présidence que ne l’a fait Jimmy Carter, qui a été attaqué pour avoir ensuite donné à la version israélienne de l’apartheid le nom qu’elle méritait, mais il ne peut pas l’ignorer, quelle que soit l’identité de l’État fautif.
L’utilisation explicite du mot commençant par un A – et le porte-parole de Biden a refusé d’utiliser ce mot pour qualifier la situation israélo-palestinienne – est moins importante que le fait d’aborder ce qui est caché derrière le mot lui même et les implications que cela entraîne pour les relations américano-israéliennes.
Dans l’histoire de la prise en compte des droits humains par les États-Unis, cette question a souvent été reléguée au second plan pour maintenir des relations harmonieuses avec des gouvernements répressifs qui à d’autres égards soutenaient la politique étrangère des États-Unis.
Cela a été particulièrement vrai pendant la Guerre froide, en ce qui concerne certains régimes odieux dont les exactions ont été passées sous silence parce qu’ils étaient des alliés fiables sur lesquels on pouvait compter dans la lutte mondiale contre les communistes.
Mais les orientations les plus flagrantes de la politique israélienne actuelle sont davantage destinées à saper la politique étrangère américaine qu’à la soutenir, c’est par exemple le cas du sabotage des négociations visant à rétablir le processus de l’accord multilatéral visant à limiter les activités nucléaires de l’Iran.
Au lieu de renforcer la sécurité d’Israël - un accord prévoyant des limites contrôlables aux activités nucléaires de l’Iran est clairement dans l’intérêt de la sécurité d’Israël - ce blocage vise en partie à entraver les relations étrangères des États-Unis au Moyen-Orient et à empêcher les États-Unis de faire des affaires avec tout État de la région avec lequel le gouvernement israélien, pour des raisons qui lui sont propres, ne veut pas que l’on fasse des affaires.
Le président Biden a manifestement décidé de n’investir aucun capital politique dans ce qu’on appelle encore de façon courante le « processus de paix » israélo-palestinien. Il s’agit peut-être d’une décision prudente, compte tenu de la nécessité de consacrer ce capital à d’autres priorités nationales et étrangères et du fait que le projet israélien de colonisation a peut-être déjà mis hors de portée une solution viable à deux États.
Mais il devrait s’inspirer de ceux qui ont su s’adapter à cette dernière donnée et recommander une approche qui donne la priorité aux droits humains ainsi qu’à la sécurité, tant pour les Palestiniens que pour les Israéliens.
Des colons juifs et des manifestants palestiniens se prennent en photo dans un contexte de tension permanente dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est, le 5 mai. REUTERS/Ammar Awad
Si il n’y a pas d’évolution concernant le sort des Palestiniens, alors les événements actuels à Jérusalem-Est et des versions plus violentes et déstabilisantes de ceux-ci se poursuivront.
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