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D’après Reporterre du 15 juin 2023

Les nouveaux pesticides à « ARN interférent » extincteurs de gènes

Par Bruno BOURGEON

mercredi 23 août 2023, par JMT

Les nouveaux pesticides à « ARN interférent » extincteurs de gènes

Insecte pollinisateur

L’agrochimie compte vaporiser des petits bouts de code génétique sur les champs afin d’éradiquer certains ravageurs. Ces nouveaux pesticides vont accélérer l’effondrement de la biodiversité, alertent scientifiques et ONG. Ce sont les « ARN interférents ».

Connaissez-vous cette technique du « silençage génétique » pour se débarrasser des ravageurs ? Il s’agit de pesticides à base d’ARN, un cousin de l’ADN qui permet d’interagir avec lui. Vaporisés sur les cultures, ils permettent d’« éteindre » de manière ciblée l’expression d’un gène indispensable à la vie des insectes dont on veut se débarrasser. En bref, les éradiquer.

L’industrie est enthousiaste et assure même que cela pourrait signer la fin des insecticides et des fongicides : ces nouveaux pesticides ne cibleraient qu’une seule espèce, contournant le problème des résistances, et seraient biodégradables ! Une recette alléchante pour échapper aux dégâts des pesticides chimiques. L’entreprise étasunienne GreenLight Biosciences a réalisé des tests en plein champ sur la pomme de terre en Europe (France, Allemagne, Belgique) notamment.

Pourtant, les arguments des promoteurs sont battus en brèche par les scientifiques spécialistes de la biodiversité et les ONG environnementales. Ils craignent notamment que ces nouveaux produits accélèrent encore l’effondrement du nombre des insectes, et en particulier des pollinisateurs.

Comment produire ces petits fragments de matériel génétique pesticide ? Les chercheurs ont adopté deux approches. La première, développée et déjà commercialisée aux États-Unis par Bayer-Monsanto, passe par des plantes génétiquement modifiées : ce sont elles qui produisent les pesticides. En l’occurrence, le maïs OGM 87411 sécrète des fragments d’ARN qui tuent la chrysomèle, un coléoptère à l’appétit féroce.

La seconde option, en cours de développement, consiste en l’application externe du produit à base d’ARN par pulvérisation, trempage des racines ou injection dans le tronc des arbres à protéger. GreenLight Biosciences se vante d’être en pointe sur le sujet : elle affirme avoir déposé une demande d’homologation aux États-Unis pour un spray visant le doryphore, le célèbre ravageur de la pomme de terre.

Ce spray a donc été testé en Europe. Ce que confirme l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Trois déclarations (une sur le colza et deux sur les pommes de terre) de mise en place d’expérimentations sous le régime de la dérogation au permis d’expérimentation ont été enregistrées.

Pour des essais réalisés sur des petites surfaces et avec de petites quantités de produits, une simple déclaration suffit, sans demande d’autorisation. Et ces essais ont déjà eu lieu en 2020-2021 sur une surface limitée à un peu plus d’un demi-hectare.Les industriels l’assurent : le pesticide est précis. Il ne vise qu’une espèce de ravageur, celle qui dispose au sein de son génome de la séquence d’ADN ciblée.

Mais comment en être absolument sûr lorsque l’on ne connaît qu’une infime partie du vivant ? Comment s’assurer que cette séquence ne se retrouvera pas dans le génome d’insectes proches, fruits d’une évolution commune ? D’après une étude de 2021 dans la revue RNA Biology, nul besoin de détenir une séquence identique à 100% pour être touché par un pesticide à ARN. « Cet effet hors cible peut se produire dès lors que deux espèces d’insectes partagent un gène similaire à plus de 80% », alerte l’ONG Pollinis.

Or, arthropodes, coléoptères et autres auxiliaires des cultures disposent de génomes relativement similaires. Ainsi, dans une vidéo diffusée début mai, Pollinis révèle que le gène codant pour l’actine — une protéine essentielle à la vie et justement ciblée par le pesticide — chez le doryphore correspond à 84% à celui qui code pour la même protéine chez le bourdon domestique.

Celui-ci sera-t-il un dommage collatéral ? Il pourrait surtout n’être que la partie émergée de l’iceberg. Les scientifiques sont bien conscients de l’immensité de la tâche à accomplir. « Pour la multitude d’organismes dont le génome a été séquencé, il est possible d’utiliser la bio-informatique pour s’assurer que ces produits ARN seront bien spécifiques d’un gène cible, dit Manfred Heinlein, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et spécialiste des interactions plantes-virus.

J’imagine que pour être mises sur le marché, ces ARN devront aussi faire la preuve expérimentale de leur spécificité », probablement dans le cadre d’essais en plein champ.Pour l’heure, les preuves scientifiques de leur innocuité ne sont pas suffisantes, affirment 100 scientifiques dans un appel international sur les biotechnologies dangereuses pour la biodiversité.

Autre promesse : ces pesticides seraient biodégradables. De quoi résoudre le problème de la contamination des sols. Ces arguments ont du mal à convaincre les scientifiques et les ONG : qu’en sera-t-il réellement des formulations finales des pesticides à ARN ? Actuellement, ces petits ARN sont rapidement dégradés dans l’environnement, parfois avant d’atteindre leur cible.

Pour rendre les produits performants, les industriels devront prévenir cette dégradation, avec des co-formulants assurant au produit son maintien dans l’environnement — au moins le temps d’atteindre leurs cibles — et favorisant l’exposition des insectes.

L’une des solutions envisagées serait l’encapsulation des ARN dans des nanoparticules synthétiques, a révélé l’ONG les Amis de la Terre. Or ces substances présentent une toxicité cellulaire et mutagène, de même que des effets sur la photosynthèse. Et selon l’ONG, elles persistent dans l’eau et dans les sols.

L’industrie est très avancée sur le développement des pesticides à ARN. Comme pour les pesticides de synthèse, ce sont les grandes firmes, Bayer-Monsanto en tête, qui évaluent elles-mêmes l’innocuité de leurs produits et alimentent les dossiers d’homologation, et brillent par leur absence de transparence.

L’eurodéputé Christophe Clergeau (PS) déplore « la dépendance des évaluateurs nationaux et européens aux données industrielles ». La Commission européenne semble tout juste découvrir l’avancée de l’industrie sur ce sujet. Ainsi, aucune information n’avait filtré sur la réalisation d’essais en plein champ sur son sol.

« Quand il s’agit de technologies qui touchent au cœur du vivant, les essais devraient être encadrés et connus au niveau européen, avec une méthodologie et un suivi des essais, une transparence des données, dit Christophe Clergeau. C’est inacceptable que la Commission soit aveugle ».

Il demande une meilleure transparence des États membres vis-à-vis de la population et de la Commission européenne et plaide pour une recherche indépendante sur des percées technologiques des industriels.

La Commission a précisé que les pesticides à ARN seraient soumis à évaluation, comme tout pesticide, selon le règlement en vigueur. Pour l’heure, aucune demande d’autorisation de mise sur le marché ou d’homologation n’a été transmise, assurent Phyteis, l’Anses et la Commission européenne.

Bruno Bourgeon, président d’AID http://www.aid97400.re

D’après Reporterre du 15 juin 2023 https://reporterre.net/Les-nouveaux-pesticides-extincteurs-de-genes-inquietent-les-scientifiques

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