AID Association Initiatives Dionysiennes

Ouv zot zié !

Accueil > Politique > Nous sommes Palestiniens, nous refusons de quitter notre patrie

Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-035

Nous sommes Palestiniens, nous refusons de quitter notre patrie

Par Salah Hamouri, traduit par Jocelyne le Boulicaut

jeudi 24 mars 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Nous sommes Palestiniens, nous refusons de quitter notre patrie

Le 06 Mars 2022 par Salah Hamouri

Salah Hamouri est avocat, chercheur et ancien prisonnier politique franco-palestinien d’al-Quds (Jérusalem), il a passé au total plus de dix ans dans les prisons israéliennes en tant que prisonnier politique. Il écrit pour Jacobin et nous raconte la façon dont Israël tente de rendre la vie en Palestine invivable – et pourquoi les Palestiniens refusent de céder.

Les arrestations répétées de Salah Hamouri par Israël ont attiré l’attention des médias internationaux (ABBAS MOMANI/AFP via Getty Images)

Salah Hamouri est avocat, chercheur et ancien prisonnier politique franco-palestinien d’al-Quds (Jérusalem). Ses nombreuses arrestations par Israël ont fait l’objet d’une grande controverse en France, pays où sa mère est née, voyant se développer d’immenses campagnes de la société civile se mobilisant pour sa libération. Dans cet article, il donne un compte rendu de première main de son combat, de la bataille pour Jérusalem et de la lutte plus large pour obtenir justice pour la Palestine.

En 2011, j’ai été libéré des geôles israéliennes dans le cadre de l’échange de prisonniers qui a vu la libération de plus de 1 027 Palestiniens du système colonial israélien d’emprisonnement punitif. Après avoir été incarcéré pendant neuf ans, à partir de l’âge de dix-neuf ans, j’avais maintenant envie de reprendre ma vie en main, d’étudier, de fonder une famille, de rattraper les années dont les autorités d’occupation m’avaient privé. Je ne me rendais pas compte que ma libération n’était que le début d’une épreuve au cours de laquelle j’allais devenir un un laboratoire pour tester les attaques incessantes et croissantes d’Israël contre les Palestiniens.

Après ma libération, je me suis rendu en France, le pays d’origine de ma mère, pour rencontrer ceux qui avaient fait campagne sans relâche pour ma liberté. En France, mon emprisonnement était devenu une sorte de cause célèbre (en français dans le texte) de la gauche, et j’ai rencontré de nombreuses personnalités publiques et politiques qui avaient pris la parole en ma faveur.

C’est également à ce moment là que j’ai rencontré Elsa Lefort, la femme qui devait devenir mon épouse et la mère de mes deux enfants. À mon retour en Palestine, j’ai réorienté mes études de sociologie vers le droit, dans l’espoir de devenir avocat et de défendre ceux qui, comme moi, étaient retenus prisonniers dans le cadre de l’occupation israélienne. J’ai commencé à entrevoir comment, malgré le poids écrasant du régime colonial brutal d’Israël, je pourrais me tailler une vie dans ma ville natale d’Al-Quds (Jérusalem).

Photo d’un enfant Palestinien Compte Instagram de Linda Sarsour (@lsarsour)

Mais Israël avait d’autres projets pour moi. En 2015, le commandant militaire de la Cisjordanie, Nitzan Alon (formé par l’armée française), m’a interdit d’entrer en Cisjordanie depuis Jérusalem, une décision qui m’a empêché de passer mes examens de droit. L’année suivante, ma femme enceinte a été arrêtée à l’aéroport alors qu’elle rejoignait notre maison familiale à Jérusalem, elle a été interrogée par la police israélienne, puis expulsée vers la France. En 2017, j’ai été de nouveau arrêté et détenu pendant treize mois sans procès. En 2020, j’ai également fait l’objet d’une incarcération pendant neuf semaines avant d’être libéré « sous condition » dans des termes vagues.

À l’extérieur de la prison aussi, l’étau n’a cessé de se resserrer. En 2018, le parlement israélien a adopté la loi sur la « violation de l’allégeance », dont le nom même atteste de ses intentions draconiennes. Cette loi donne au ministère israélien de l’Intérieur le pouvoir de priver les Palestiniens de Jérusalem du statut précaire de « résident » qui détermine nos droits dans la ville.

Depuis 2020, je me bats devant les tribunaux israéliens contre cette tentative de me bannir de Jérusalem, et je me trouve aujourd’hui sur le point d’être expulsé dans le cadre de ce que la Fédération internationale des droits humains a qualifié de campagne délibérée de « harcèlement judiciaire. » J’ai notamment été empêché de me rendre en France pour voir ma femme, à l’exception d’un laissez-passer de deux semaines qui m’a été accordé pour assister à la naissance de mon deuxième enfant en avril 2021.

Contraints de quitter nos maisons

Le harcèlement que j’ai subi n’est qu’une partie d’un effort concerté beaucoup plus large et croissant qui vise à affaiblir et neutraliser la société civile palestinienne. L’année dernière, Israël a classé certains des groupes palestiniens de défense des droits humains les plus connus dans la catégorie des organisations terroristes, y compris l’organisation de défense des droits des prisonniers pour laquelle je travaille, Addameer. Les bureaux de ces associations ont été régulièrement perquisitionnés, leur matériel confisqué, leur personnel arrêté et des pressions exercées sur les donateurs pour qu’ils cessent de les soutenir. À la fin de l’année dernière, j’ai découvert que mon téléphone avait été équipé du logiciel espion Pegasus et que moi-même et cinq autres membres d’ONG faisions l’objet d’une surveillance d’Israël de toutes nos données téléphoniques.

Ces manœuvres visent un seul objectif : me forcer à quitter la Palestine. Depuis sa création, le mouvement sioniste s’est engagé à expulser autant de Palestiniens que possible de notre terre. Les livres d’histoire attestent de débats animés lors des conférences sionistes sur les meilleurs moyens d’encourager le départ des Palestiniens. Lors de la Nakba palestinienne de 1948, les arguments en faveur de « l’expulsion forcée » l’ont emporté de manière décisive, et plus de 750 000 Palestiniens ont été contraints de quitter leur foyer.

Depuis lors, Israël a inventé des méthodes de plus en plus complexes pour nous amener à partir. Cela est particulièrement évident dans ma ville natale de Jérusalem, qui se trouve aujourd’hui dans la ligne de mire des urbanistes israéliens qui ont l’intention de transformer les Palestiniens en une minorité isolée, sans droits et sans visibilité.

Depuis 75 ans, des Palestiniens sont sans État (Photo Anadolu Agency)

L’expulsion des familles palestiniennes de Sheikh Jarrah – mise en lumière une nouvelle fois par la démolition de la maison de la famille Salhiya à 5 heures du matin, le jour le plus froid de l’année – n’est que le plus célèbre des épisodes de nettoyage ethnique, des initiatives similaires ayant lieu dans toute la ville.

Refuser de courber la tête

Le fait de grandir à Jérusalem entouré de cette injustice extrême m’a poussé à protester, à trouver un moyen de résister. Enfant, j’ai été témoin de démolitions de maisons et d’arrestations, et j’ai vu quotidiennement les familles harcelées par les soldats israéliens au checkpoint israélien voisin. Dès mon plus jeune âge, j’ai su que je ne pourrais pas rester sans rien faire, et je me suis lancé dans l’activisme politique. À seize ans, j’ai reçu une balle dans la jambe et j’ai été arrêté pendant cinq mois pour avoir simplement distribué des tracts et avoir été membre d’un syndicat étudiant. J’ai été de nouveau arrêté en 2004 et détenu pendant cinq mois en vertu de la « détention administrative », une vieille loi britannique qui permet une arrestation prolongée sans procès.

J’ai été de nouveau arrêté en 2005, accusé d’avoir tenté d’assassiner un politicien israélien d’extrême droite, ce que la police israélienne n’a pas pu prouver ; aucune arme, aucun scenario, aucune preuve matérielle n’ont jamais été présentés, seulement le témoignage d’autres personnes obtenu sous la torture de la police israélienne. Sachant que je serais probablement condamné quel que soit le bien-fondé de l’affaire, j’ai négocié un plaidoyer pour sept ans. À l’époque, on m’a proposé l’alternative d’un exil de quinze ans en France, mais connaissant les intentions d’Israël de m’expulser, j’ai refusé.

Tout ce que le régime d’apartheid israélien a fait vise à me faire taire, m’encourager à abandonner et quitter le pays, comme ils le font pour tout Palestinien qui refuse de baisser la tête et de se soumettre au nettoyage ethnique. Les autorités israéliennes élaborent un plan de harcèlement sur mesure pour chaque personne politiquement active, en l’arrêtant et en la harcelant, et lorsque cela ne fonctionne pas, en lui retirant sa carte d’identité ou son assurance maladie et en s’en prenant à sa famille et ses entreprises. Elles ciblent ceux qui s’expriment afin d’affaiblir notre résistance collective et de nous expulser plus facilement.

Ma propre histoire démontre que le régime israélien est absolument impitoyable, qu’il agit avec une cruauté calculée qui ne connaît aucune limite. La séparation forcée de notre famille est destinée à infliger des souffrances, à priver mes enfants de leur père et ainsi que des moments et des joies qu’ils auraient vécus en grandissant dans leur patrie entourés de l’amour de ma famille élargie. Mes interactions avec mes enfants se limitent à quelques moments volés par appel vidéo, tentatives pour créer et maintenir un lien malgré la distance.

Ce n’est pas ce que je veux pour mes enfants. Mais il vaut mieux qu’ils sachent que je me suis battu pour la justice plutôt que d’accepter passivement un nettoyage ethnique, il vaut mieux que je fasse tout ce que je peux pour rester fermement ancré dans notre terre plutôt que de céder au harcèlement d’Israël. Je poursuis ma lutte parce que je veux que tous les Palestiniens vivent dans la liberté et la dignité, et je sais que cela ne se fera pas sans combat, sans sacrifice de la part de ceux qui sont prêts à prendre position.

L’année dernière, les Palestiniens se sont levés par milliers pour défendre Jérusalem, déclenchant un soulèvement qui s’est étendu à toutes les communautés palestiniennes pour rejeter la colonisation israélienne. Une nouvelle génération a réitéré son engagement à poursuivre la lutte pour la justice, pour la libération et pour les droits des réfugiés palestiniens vivant depuis des décennies en exil. Puisque notre peuple n’a pas abandonné, cela m’est impossible aussi, tout comme aux millions de personnes partout dans le monde qui soutiennent la Palestine, et dont l’engagement à notre cause est plus important maintenant que jamais.

Version imprimable :