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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-029

Assange atteste que la nature humaine peut être autre

Par Chris Hedges, traduit par Jocelyne le Boulicaut

vendredi 11 mars 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Assange atteste que la nature humaine peut être autre

Le 25 février 2022 par Chris Hedges / Déclaration faite au Tribunal de Belmarsh de la ville de New York

Chris Hedges est journaliste. Lauréat du prix Pulitzer, il a été correspondant à l’étranger pendant 15 ans pour le New York Times, où il a occupé les postes de chef du bureau du Moyen-Orient et du bureau des Balkans. Il a auparavant travaillé à l’étranger pour le Dallas Morning News, le Christian Science Monitor et National Public Radio. Il est l’hôte de l’émission On Contact de Russia Today America, nominée aux Emmy Awards.

Au-delà du grand service rendu au public par WikiLeaks, c’est son refus de renoncer à son intégrité et à sa dignité qui permet de comprendre pourquoi les pouvoirs en place continuent de le clouer au pilori.

Assange en mode Prométhée (Illustration originale par M. Fish)

Nous savons ce que Julian a fait. Nous savons le grand service qu’il a rendu au public. Nous savons que lui et WikiLeaks, aidés par des personnes courageuses comme Chelsea Manning, nous ont offert le plus important coup journalistique de notre génération, en déchirant le voile érigé par les élites politiques, militaires et financières au pouvoir pour exposer au grand jour leur malhonnêteté, leur corruption et leurs crimes. Nous savons que les populations partout dans le monde, depuis Haïti jusqu’à la Tunisie, ont été, grâce à ces informations, incitées à demander des comptes à ces élites.

Mais aujourd’hui, je veux que nous nous penchions sur Julian lui-même. Car Julian, doté d’aptitudes précoces, aurait facilement pu être quelqu’un d’autre. Il aurait pu vendre ses talents à la Silicon Valley, à Wall Street ou aux agences de renseignement et de surveillance, celles-ci l’auraient payé grassement. Il aurait pu se construire une carrière lucrative, grâce à laquelle il aurait été financièrement à l’abri, voire riche.

Il aurait pu obtenir toutes ces possessions auxquelles, nous dit-on, dans notre société de consommation, nous devrions aspirer, une maison cossue, des voitures de luxe, la sécurité financière, des vêtements raffinés, et le statut qui résulte des acquis matériels et de la réussite au sein des structures du pouvoir. Aucun souci. Aucune controverse. Aucune persécution.

Mais pour suivre cette voie, une voie que beaucoup ont suivie, Julian aurait dû sacrifier son intégrité et sa dignité. Il lui aurait fallu renier la justice et la liberté afin d’étouffer et de contrôler les aspirations de la grande majorité des gens enfermés au-delà des portes dorées des privilèges et du pouvoir.

Cela l’aurait fait entrer dans les mécanismes complexes conçus par les élites dirigeantes pour concentrer les privilèges, la richesse et le pouvoir entre leurs mains. Cela aurait obligé Julian à devenir un rouage de la méga machine, à jouer un rôle dans la construction du totalitarisme d’entreprise.

Julian a choisi de ne pas emprunter cette voie. Il s’est détourné des sirènes du succès, du moins tel que ce dernier est défini par les puissants. Il s’est engagé sur la voie difficile empruntée par tous ceux qui combattent l’oppresseur au nom des opprimés.

Une vie qui a du sens est une vie de confrontation. Lorsque vous résistez au mal radical, vous mettez en danger votre carrière, votre réputation, votre solvabilité financière et parfois votre vie. C’est être un hérétique à vie. Lorsque vous vous tenez aux côtés des opprimés, des damnés de la terre, alors vous êtes traité comme l’un d’entre eux. Vous aussi, vous êtes damné. Et c’est ce qui arrive à Julian. Ce sont ceux qui se sentent le plus concernés qui sont visés et tués par ceux qui sont le moins concernés.

Prométhée, défiant l’interdiction des dieux, a donné le feu aux hommes, rendant ainsi accessibles la connaissance, l’art, la science, la technologie et la civilisation. Pour avoir donné le pouvoir aux mortels, les dieux ont condamné Prométhée à un supplice éternel. Il a été enchaîné à un rocher et un aigle, emblème de Zeus, emblème du pouvoir, lui dévorait le foie pendant la journée.

Et puis, pendant la nuit, son foie repoussait. Le lendemain matin, de nouveau il lui était douloureusement arraché dans un cycle sans fin. L’histoire de Julian est la version moderne de ce mythe antique. Julian nous a donné le savoir et avec ce savoir, il nous a donné le pouvoir. Pour cet acte de défi, jamais ceux qu’il a dénoncés au grand jour ne lui pardonneront.

Albert Camus écrit que « L’une des seules positions philosophiques cohérentes, c’est la révolte. Elle est un confrontement perpétuel de l’homme et de sa propre obscurité. Elle n’est pas aspiration, elle est sans espoir. Cette révolte n’est que l’assurance d’un destin écrasant, moins la résignation qui devrait l’accompagner. »

« Un homme en vie peut être asservi et réduit à sa condition historique d’objet, prévient Camus, mais s’il meurt en refusant d’être asservi, il réaffirme qu’il existe un autre type de nature humaine, celle qui refuse d’être classifiée en tant qu’objet. »

Julian Assange à l’ambassade d’Équateur. Crédit photo : David G Silvers

Julian atteste qu’il existe un autre type de nature humaine. Il refuse d’être classé comme objet. Son exemple nous invite à affronter le mal radical, quel qu’en soit le prix. Etre aux côtés de Julian, c’est être aux côtés de soi-même. Abandonner Julian, c’est s’abandonner soi-même. Et si vous vous abandonnez ; alors la vie devient « un conte raconté par un idiot, rempli de bruit et de fureur. Qui ne veut rien dire. »

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