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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-024

Les Démocrates, le mal le plus efficace

Par Chris Hedges, traduit par Jocelyne le Boulicaut

samedi 26 février 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Les Démocrates, le mal le plus efficace

Le 14 février 2022 par Chris Hedges / Original à ScheerPost

Les États-Unis sont de facto un État à parti unique où l’idéologie de la sécurité nationale est sacro-sainte, où une dette abyssale finance l’empire et où l’activité principale est la guerre.

"Let’s Make a Deal" (Faisons un marché), œuvre originale de Mr. Fish.

Quand tout le reste échoue,
Quand vous ne savez plus comment mettre fin à un taux d’inflation de 7.5%,
Quand votre projet de loi "Build Back Better" est vidé de sa substance,
Quand vous reniez votre promesse d’augmenter le salaire minimum ou d’effacer la dette des étudiants,
Quand vous n’arrivez pas à contrecarrer la suppression des droits de vote par les Républicains,
Quand vous n’avez aucune idée de la façon de gérer la pandémie qui a fait 900 000 morts – 16% du total des décès dans le monde alors que nous représentons moins de 5% de la population mondiale –
Quand le marché boursier fluctue sur des montagnes russes de hausses et de baisses,
Quand les quelques aides offertes par le gouvernement à la population active — dont la moitié, 80 millions, a traversé une période de chômage l’année dernière — se traduisent par la fin des allocations de chômage de longue durée et de l’aide au loyer, par la suspension des prêts étudiants et des chèques d’urgence, par l’arrêt du moratoire sur les expulsions et de l’extension des crédits d’impôt pour enfants,
quand passivement vous observez l’écocide monter en puissance,

Alors il vous faut faire en sorte que la population ait peur des ennemis, fussent-ils étrangers et nationaux.

Il vous faut fabriquer de toute pièce une menace existentielle. Des terroristes sur le territoire domestique. Les Russes et les Chinois à l’étranger. Il vous faut élargir le pouvoir de l’État au nom de la sécurité nationale. Il vous faut battre les tambours de guerre. Celle-ci est l’antidote pour détourner l’attention du public de la corruption et de l’incompétence du gouvernement. Personne ne sait mieux jouer à ce jeu que le parti démocrate. Les Démocrates, comme l’a dit Glen Ford, journaliste et cofondateur du Black Agenda Report, ne sont pas le moindre mal, ils sont le mal le plus efficace.

Le président des États-Unis, Joe Biden, à la Maison-Blanche, le 15 novembre 2021. (Maison Blanche, Adam Schultz)

Les États-Unis, plombés de facto par le boycott fiscal des riches et des entreprises, s’enfoncent dans la dette, la plus élevée que nous ayons connue au cours de notre histoire. Le déficit budgétaire du gouvernement américain était de 2770 milliards de dollars pour l’année budgétaire 2021 qui s’est terminée le 30 septembre, soit le deuxième déficit annuel le plus élevé jamais enregistré. Il n’a été dépassé que par le déficit de 3 130 milliards de dollars de 2020.

La dette nationale américaine totale dépasse les 30 000 milliards de dollars. La dette des ménages a augmenté de 1 000 milliards de dollars l’année dernière. Le solde total de la dette de notre système de Ponzi gouvernemental est maintenant supérieur de 1 400 milliards de dollars à ce qu’il était à la fin de 2019. Nos guerres sont livrées au moyen de fonds empruntés. L’Institut Watson de l’Université Brown estime que le montant des intérêts sur la seule dette militaire pourraient dépasser 6 500 milliards de dollars d’ici les années 2050. Aucune de ces dettes n’est soutenable.

Dans le même temps, les États-Unis sont confrontés à la montée en puissance de la Chine, dont on estime que l’économie devrait dépasser celle des États-Unis d’ici à la fin de la décennie. La batterie de combines financières désespérées de Washington – inonder le marché mondial de devises et abaisser les taux d’intérêt à un niveau proche de zéro – a permis d’éviter des récessions majeures après le krach de la bulle internet des années 2000 (2000 dot.com crash en 2000-2001), le 11 septembre et la crise financière mondiale de 2008.

Les faibles taux d’intérêt ont conduit les entreprises et les banques à emprunter massivement auprès de la Réserve fédérale, souvent pour masquer des déficits ou de mauvais investissements. Résultat, les entreprises américaines sont plus endettées qu’elles ne l’ont jamais été au cours de l’histoire des États-Unis. À ce marasme s’ajoute une inflation galopante, imputable aux entreprises qui ont augmenté leurs prix dans un effort désespéré en vue de compenser le manque à gagner dû aux pénuries des chaînes d’approvisionnement et à l’augmentation des coûts de transports, au ralentissement économique et aux légères augmentations de salaires découlant de la pandémie.

En classe économique à bord de China Airlines, 2011. (Matt@CKG, Flickr, CC BY-NC-SA 2.0)

Cette inflation a contraint la Fed à freiner la progression de la réserve monétaire et à augmenter les taux d’intérêt, ce qui a ensuite amené les entreprises à augmenter encore leurs prix. Les mesures désespérées prises pour conjurer une crise économique sont vouées à l’échec. Le sac à malices est vide, on est à court d’idées. Les défauts de paiement généralisés concernant les prêts hypothécaires, les prêts étudiants, les cartes de crédit, les dettes des ménages, les dettes liées à l’automobile et autres prêts aux États-Unis sont vraisemblablement inéluctables. Comme il n’y a plus de mécanismes à court terme pour conjurer le désastre, il en résultera une récession de longue durée.

Crise économique signifie aussi crise politique. Et on résout traditionnellement une crise politique au moyen d’une guerre contre les ennemis de l’intérieur et de l’extérieur de la nation. Les Démocrates sont tout aussi fautifs que les Républicains. Ce sont peut-être des Démocrates comme Harry S. Truman en Corée ou John F. Kennedy et Lyndon Johnson au Vietnam, qui déclenchent les guerres mais celles-ci sont poursuivies par les Républicains. Mais elles peuvent aussi, être engagées par des Républicains, comme George W. Bush, et perpétuées par des Démocrates comme Barack Obama et Joe Biden.

Bill Clinton, sans déclarer la guerre, a imposé des sanctions punitives à l’Irak et a autorisé la marine et l’armée de l’air à effectuer des dizaines de milliers de sorties contre ce pays, larguant des milliers de bombes et lançant des centaines de missiles. L’industrie de la guerre, avec son budget militaire de 768 milliards de dollars, ainsi que le renforcement de la sécurité intérieure, du FBI, des services de l’immigration et des douanes américaines, et de l’Agence de sécurité nationale (NSA), sont le fruit d’un projet bi-partisan. La poignée de leaders politiques nationaux, tels Henry Wallace en 1948 et George McGovern en 1972, qui ont osé défier la machine de guerre ont été impitoyablement précipités dans l’oubli politique par les leaders des deux partis.

La rhétorique belliciste de Biden à l’encontre de la Chine et surtout de la Russie, plus virulente que celle de l’administration Trump, s’est accompagnée de la constitution de nouvelles alliances de sécurité, comme celles formées avec l’Inde, le Japon, l’Australie et la Grande-Bretagne dans l’Indo-Pacifique. Paradoxalement, l’agression américaine a précipité la Chine et la Russie dans un mariage forcé, ce que les artisans de la guerre froide, notamment Nixon et Kissinger avec leur ouverture vers la Chine en 1971, avaient évité de haute lutte.

Le président russe Vladimir Poutine et le président chinois Xi Jinping, après une récente rencontre à Pékin, ont publié une déclaration de 5300 mots dans laquelle ils condamnent l’expansion de l’OTAN en Europe de l’Est, dénoncent la formation de blocs de sécurité dans la région Asie-Pacifique et critiquent le pacte de sécurité trilatéral AUKUS entre les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Australie.

Ils se sont également engagés à contrer les "révolutions de couleur" [ Les révolutions de couleur (color revolutions en anglais) ou révolutions des fleurs désignent une série de soulèvements populaires, pour la plupart pacifiques et soutenus par l’Occident, ayant causé pour certains des changements de gouvernement, NdT] et à renforcer la coordination stratégique "dos à dos".

Nancy Pelosi à la conférence sur la sécurité de Munich, le 15 février 2020. (Sicherheitskonferenz, CC BY-SA 4.0, Wikimedia Commons)

La propagande belliciste des Démocrates se présente toujours drapée du manteau de la démocratie, de la liberté et des droits humains, faisant ainsi des Démocrates les plus efficaces représentants de commerce de la guerre. Ils se sont empressés de soutenir George W. Bush lors des appels à envahir l’Afghanistan et l’Irak au nom d’une "intervention humanitaire" et de la "libération" des femmes afghanes, qui devaient pourtant passer les deux décennies suivantes dans la terreur, enterrant des membres de leur famille, parfois même leurs enfants.

Même lorsque des Démocrates, dont Barack Obama, ont critiqué les guerres en Afghanistan et en Irak alors qu’ils étaient candidats, ils ont, une fois élus, systématiquement voté en faveur du financement de ces guerres afin de "soutenir nos troupes" . Aujourd’hui, la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi (Démocrate-Californie), déclare qu’ « attaquer l’Ukraine c’est attaquer la démocratie », exactement l’argument utilisé mot pour mot par les Démocrates et auquel ils se sont accrochés il y a un demi-siècle pour déclencher et étendre la désastreuse guerre du Vietnam.

L’aide militaire américaine à l’Ukraine arrive à Kiev, le 12 février 2022. (Ambassade des États-Unis à Kiev, Ukraine)

Le sénateur Robert Menendez (Démocrate-New Jersey), président de la commission des affaires étrangères, est actuellement en train d’élaborer un projet de loi qu’avec beaucoup de fierté il intitule "la loi mère de toutes les sanctions". Le projet de loi dirigé à la Chambre par Gregory Meeks, de la commission des affaires étrangères, également Démocrate, exige que l’administration « s’interdise de céder aux exigences de la Fédération de Russie quand il s’agit des adhésions à l’OTAN ou son expansion ».

L’expansion de l’OTAN vers l’Ukraine, aux frontières de la Russie, est la question cruciale pour Moscou. Le fait de retirer cette question des discussions réduit à néant toute solution diplomatique à la crise. Les sanctions prévues par ce texte de loi peuvent être infligées pour tout acte, aussi mineur soit-il, qui serait jugé hostile par l’Ukraine.

Les sanctions ne peuvent être levées tant qu’un accord n’a pas été conclu entre le gouvernement ukrainien et la Russie, ce qui veut dire que l’Ukraine se verrait accorder le pouvoir de déterminer la date à laquelle les sanctions américaines prendront fin. Les sanctions proposées, qui visent les banques russes, le gazoduc Nord Stream, les entreprises d’État et les principaux membres du gouvernement et de l’armée, y compris le président Vladimir Poutine, prévoient également de bloquer l’accès de la Russie à SWIFT, le système international de transactions financières qui utilise le dollar américain comme monnaie de réserve mondiale.

« Cette législation accorderait une assistance militaire étrangère à l’Ukraine d’un montant minimum de 500 millions de dollars, en plus des 200 millions de dollars en nouvelles aides envoyés le mois dernier, écrit Marcus Stanley. Cela fait de l’Ukraine le troisième bénéficiaire de l’aide militaire américaine dans le monde, après Israël et l’Égypte. Bien que cette aide soit loin de donner à l’Ukraine la capacité de combattre la Russie par elle-même, elle pourrait être assortie de conseillers militaires américains, ce qui augmenterait le risque de voir les États-Unis être entraînés dans un conflit. Le projet de loi prend également des mesures pour impliquer directement les pays limitrophes de la Russie dans les négociations de sortie de crise, ce qui rendrait la conclusion d’un accord beaucoup plus difficile. »

Formation de défilé aérien au-dessus de Pékin à l’occasion du 70e anniversaire de la République populaire de Chine. (N509FZ, CC BY-SA 4.0, Wikimedia Commons)

Si pour l’économie russe, le fait de priver la Russie de SWIFT sera catastrophique, au moins à court terme, pousser la Russie dans les bras de la Chine afin de créer un système financier mondial alternatif qui ne repose plus sur le dollar américain paralysera l’empire américain. Une fois que le dollar ne sera plus la monnaie de réserve du monde, sa valeur chutera brutalement, probablement même des deux tiers, comme cela a été le cas pour la livre sterling lorsque la monnaie britannique a été abandonnée en tant que monnaie de réserve du monde dans les années 1950.

Les obligations du Trésor, qui servent à financer le déficit de la balance des paiements des États-Unis, qui repose sur le secteur militaire, et le déficit budgétaire exponentiel du gouvernement, ne seront plus des investissements attractifs pour des pays comme la Chine. Les quelque 800 avant-postes militaires américains à l’étranger, financés par la dette – les Chinois ont prêté environ 1 000 milliards de dollars aux États-Unis, sur lesquels ils perçoivent des intérêts élevés – verront leur nombre diminuer de façon drastique. Pendant ce temps, les remboursements considérables des intérêts versés par les États-Unis continueront, du moins en partie, à financer l’armée chinoise.

Au bout de 75 ans, la domination américaine sur l’économie mondiale est terminée. Et c’est quelque chose de définitif. Nous fabriquons peu de choses, à part des armes. Notre économie est un mirage construit sur des niveaux d’endettement intenables. Le pillage orchestré par les élites et les entreprises capitalistes a vidé le pays de l’intérieur, laissant les infrastructures délabrées, les institutions démocratiques moribondes et au moins la moitié de la population luttant pour survivre. Les deux partis au pouvoir, marionnettes des oligarques puissants, refusent de freiner les appétits rapaces de l’industrie de guerre et des riches, accélérant ainsi la crise.

Les Démocrates ne reconnaîtront jamais que la fureur des démunis est légitime, même si elle s’exprime de manière malencontreuse, alors que ce sont eux qui ont contribué à faire adopter les accords commerciaux, les mesures de désindustrialisation, les exonérations fiscales pour les riches, les dépenses déficitaires, les guerres sans fin et les programmes d’austérité qui ont créé la crise. Tout au contraire, tirant sur le messager, l’administration Biden cible les partisans de Trump et fait condamner à des peines draconiennes ceux qui ont pris d’assaut la capitale le 6 janvier. Le ministère de la Justice de Biden a créé une unité de lutte contre le terrorisme domestique chargée de se focaliser sur les extrémistes et les Démocrates ont été à l’origine d’une série de mesures visant à supprimer des plates-formes et censurer les critiques venant de la droite.

Croire que le parti démocrate offre une alternative au militarisme est, comme le disait Samuel Johnson, le triomphe de l’espoir sur l’expérience. Les querelles avec les Républicains relèvent largement de la dramaturgie politique et sont souvent focalisées sur l’absurde ou le trivial. Sur les questions de fond, il n’existe aucune différence au sein de la classe dirigeante. Les Démocrates, tout comme les Républicains, adhèrent au fantasme qui voudrait qu’alors même que le pays est au bord de l’insolvabilité, une industrie de la guerre qui a orchestré débâcle après débâcle, depuis le Vietnam jusqu’à l’Afghanistan et à l’Irak, va restaurer l’hégémonie mondiale américaine perdue. Les empires, comme l’a observé Reinhold Niebuhr, finissent par « se détruire eux-mêmes dans leur effort de prouver qu’ils sont indestructibles. » Le délire de l’invincibilité militaire est le fléau qui a fait tomber l’empire américain, tout comme il a fait tomber les empires du passé.

Un panneau publicitaire de la Fondation Peterson affichant le montant de la dette nationale et la part de chaque Américain est photographié le 08 février 2022 à Las Vegas, Nevada © Bryan Steffy/Getty Images

Nous vivons dans un État à parti unique. L’idéologie de la sécurité nationale est sacro-sainte. Le culte du secret, légitimé par la nécessité de nous protéger de nos ennemis, est un écran de fumée qui sert à cacher au yeux de la population les rouages du pouvoir et ainsi manipuler leurs perceptions. Les courtisans et conseillers Démocrates qui entourent tout candidat démocrate à la présidence – les généraux et diplomates en retraite, les anciens conseillers à la sécurité nationale, les économistes de Wall Street, les lobbyistes et les apparatchiks des administrations précédentes – n’ont aucune envie de limiter le pouvoir de la présidence impériale. Ils n’ont aucune envie de rétablir le système des contrepouvoirs. Ils n’ont aucune envie de défier l’armée ou l’État de sécurité nationale. Ils sont le système. Ils veulent seulement revenir à la Maison Blanche pour en exercer la terrible force. Et maintenant, avec Joe Biden, c’est exactement là qu’ils sont.

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