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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-023

Les mirages du libéralisme ont engendré la crise ukrainienne

Par Stephen M. Walt et Renée Belfer, traduit par Jocelyne le Boulicaut

jeudi 24 février 2022, par JMT

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Les mirages du libéralisme ont engendré la crise ukrainienne

Le 19 Janvier 2022, 5:49 par Stephen M. Walt et Renée Belfer

Stephen M. Walt est chroniqueur à Foreign Policy et professeur de relations internationales au centre Robert et Renée Belfer de l’université de Harvard.

Concernant l’invasion éventuelle par la Russie, ce qui est le plus tragique est qu’il était très facile de l’éviter.

Bill Clinton et Joe Biden lors d’une réunion de la délégation du Congrès américain au sommet de l’OTAN en Espagne, le 7 juillet 1998 (JOYCE NALTCHAYAN/AFP VIA GETTY IMAGES)

La situation en Ukraine est critique et ne cesse d’empirer. La Russie est sur le point d’envahir le pays et exige la garantie irrévocable que l’OTAN ne s’étendra jamais, au grand jamais plus avant vers l’est. Les négociations ne semblent pas aboutir, et les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN commencent à réfléchir au prix qu’ils feront payer à la Russie si celle-ci décide d’envahir le pays. Une guerre effective est désormais de l’ordre du possible, ce qui aurait des conséquences lourdes pour toutes les parties concernées, et en particulier pour les citoyens ukrainiens.

Le plus tragique est que toute cette affaire aurait pu être évitée. Si les États-Unis et leurs alliés européens ne s’étaient pas bercés d’illusions et n’avaient pas succombé à leur hubris et à l’idéalisme libéral [il s’agit ici du sens américain : le libéralisme prône la défense des droits individuels et l’égalité devant la Loi, NdT].

Et si à la place, ils s’étaient appuyés sur les principes fondamentaux du réalisme, alors la crise actuelle n’aurait pas eu lieu. En effet, la Russie ne se serait probablement jamais emparée de la Crimée, et l’Ukraine serait plus en sécurité aujourd’hui. Le monde paie le prix fort pour s’être appuyé sur une théorie bancale en matière de politique mondiale.

À son niveau le plus élémentaire, le réalisme part du constat que les guerres éclatent parce qu’il n’existe aucune institution ou autorité centrale qui puisse protéger les États les uns des autres et les empêcher de se battre si tel est leur choix. Étant donné que la guerre est toujours de l’ordre du possible, les États se disputent la domination et ont parfois recours à la force pour tenter d’accroître leur sécurité ou d’obtenir d’autres bénéfices.

Il est impossible pour les États de savoir avec certitude ce que les autres pourraient être amené à faire à l’avenir, ce qui explique leur réticence à se faire confiance et les encourage à se protéger contre le risque qu’un autre État puissant tente de leur nuire à un moment donné.

Le libéralisme voit la politique mondiale différemment. Au lieu de considérer que toutes les grandes puissances sont plus ou moins confrontées au même problème - le besoin d’être en sécurité dans un monde où la guerre est toujours une éventualité - le libéralisme prétend que les actions des États sont principalement déterminées par leurs caractéristiques internes et la nature des liens qu’ils entretiennent entre eux.

Il divise le monde en « gentils États » (ceux qui incarnent les valeurs libérales) et en « méchants États » (à peu près tous les autres) et soutient que les conflits résultent principalement des pulsions agressives des autocrates, des dictateurs et autres dirigeants illibéraux [L’illibéralisme est le rejet des principes de la vision libérale, NdT].

Pour les libéraux, la solution consiste à renverser les tyrans et à étendre la démocratie, le libre marché et des institutions, en partant du principe que les démocraties ne se font pas la guerre, tout particulièrement lorsqu’elles sont liées par du commerce, des investissements et un ensemble de règles convenues. Après la guerre froide, les élites occidentales en sont arrivés à la conclusion que le réalisme n’était plus approprié, et que les idéaux du libéralisme devaient dorénavant servir de guide en matière de politique étrangère.

Comme Stanley Hoffmann, professeur à l’université de Harvard, l’a déclaré à Thomas Friedman du New York Times en 1993, le réalisme est « un non-sens total aujourd’hui ». Les responsables américains et européens étaient persuadés que la démocratie libérale, l’ouverture des marchés, l’État de droit et d’autres valeurs libérales se répandaient comme une traînée de poudre et qu’un ordre libéral mondial était à portée de main.

Ils partaient du principe, comme le disait Bill Clinton, alors candidat à la présidence, en 1992, que « les calculs cyniques des politiques de domination absolue » n’avaient pas leur place dans le monde moderne et qu’un ordre libéral émergent apporterait de nombreuses décennies de paix démocratique.

Plutôt que de rivaliser pour le pouvoir et la sécurité, les nations du monde se focaliseraient sur leur enrichissement au sein d’un ordre libéral de plus en plus ouvert, harmonieux et fondé sur des règles, un ordre façonné et protégé par la puissance bienveillante des États-Unis.

Si cette vision optimiste s’était avérée exacte, la démocratisation et le renforcement des garanties de sécurité américaines dans la zone d’influence traditionnelle de la Russie n’auraient présenté que de faibles risques. Mais ce scénario était peu probable, comme tout bon réaliste aurait pu vous le dire. En effet, les opposants à l’élargissement de l’OTAN n’ont pas tardé à prévenir que la Russie considérerait inévitablement celui-ci comme une menace et que poursuivre dans cette voie empoisonnerait les relations avec Moscou.

C’est la raison pour laquelle plusieurs experts américains de premier plan - dont le diplomate George Kennan, l’auteur Michael Mandelbaum et l’ancien secrétaire à la défense William Perry - se sont opposés à cet élargissement dès le départ. Le secrétaire d’État adjoint de l’époque, Strobe Talbott, et l’ancien secrétaire d’État, Henry Kissinger, y étaient initialement opposés pour les mêmes raisons, bien qu’ils aient tous deux par la suite modifié leur position et rejoint le mouvement en faveur de celui-ci.

Dans le débat, ce sont les partisans de l’élargissement qui ont gagné, en affirmant que ce dernier contribuerait à consolider les nouvelles démocraties en Europe centrale et orientale et à créer une « vaste zone de paix » dans toute l’Europe. Ils pensaient que le fait que certains des nouveaux membres de l’OTAN aient une valeur militaire faible ou nulle pour l’alliance et qu’ils soient difficiles à défendre n’avait aucune importance, car la paix serait si solide et durable.

Le président américain George W. Bush et le premier ministre britannique Gordon Brown pendant une session, lors de la conférence du sommet de l’OTAN à Bucarest, le 3 avril 2008. Les alliés de l’OTAN ont décidé de reporter un plan visant à mettre l’Ukraine et la Géorgie sur la voie de l’adhésion à l’alliance, mais ont invité l’Albanie et la Croatie à devenir membres.

En outre, ils ont insisté sur le fait que les intentions pacifiques de l’OTAN allaient de soi et qu’il serait facile de persuader Moscou de ne pas s’inquiéter à mesure que l’OTAN se rapprochait de la frontière russe. Ce point de vue était excessivement naïf, car la question essentielle n’était pas de savoir quelles pouvaient être les intentions de l’OTAN dans la réalité.

Ce qui importait réellement, bien sûr, c’était ce que les dirigeants russes pensaient que ces intentions étaient ou pourraient devenir plus tard. Même si on avait pu convaincre les dirigeants russes que l’OTAN n’avait aucune intention hostile, ils ne pourraient jamais être certains que ce serait toujours le cas.

Bien que Moscou n’ait eu d’autre choix que d’accepter l’entrée de la Pologne, de la Hongrie et de la République tchèque au sein de l’OTAN, les inquiétudes de la Russie se sont intensifiées à mesure que l’élargissement se poursuivait.

Et le fait que l’élargissement soit en contradiction avec l’assurance verbale donnée par le secrétaire d’État américain James Baker au dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev, en février 1990 n’a rien arrangé, il avait alors été affirmé que si la réunification de l’Allemagne était acceptée dans le cadre de l’OTAN, l’alliance ne se rapprocherait pas « d’un pouce vers l’est » - un engagement que Gorbatchev a naïvement omis de faire préciser par écrit. (Baker et d’autres personnes réfutent cette interprétation, et Baker a nié avoir pris des engagements formels).

Les craintes de la Russie se sont amplifiées lorsque les États-Unis ont envahi l’Irak en 2003 - une décision qui témoignait par ailleurs d’un mépris délibéré pour le droit international - et encore plus après que l’administration Obama a enfreint les dispositions de la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies et contribué à évincer le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi en 2011.

La Russie s’était abstenue sur la résolution - qui autorisait la protection des civils mais pas le changement de régime - et l’ancien secrétaire américain à la Défense Robert Gates a plus tard fait remarquer que « les Russes avaient eu l’impression d’avoir été pris pour des pigeons. » Ces incidents, ainsi que d’autres, contribuent à expliquer pourquoi Moscou insiste désormais sur des garanties écrites.

Si les responsables politiques américains s’étaient penchés sur l’histoire et les sensibilités géographiques de leur propre pays, ils auraient compris comment leurs homologues russes ont perçu l’élargissement. Comme l’a récemment noté le journaliste Peter Beinart, les États-Unis ont déclaré à plusieurs reprises que l’hémisphère occidental était intouchable pour les autres grandes puissances et ont à maintes reprises menacé ou utilisé la force pour faire respecter cette assertion.

Le président russe Vladimir Poutine prend la parole après la réunion du Conseil OTAN-Russie au sommet de Bucarest en 2008 (Natalia Kolesnikova/AFP via Getty Images)

Lors de la guerre froide, par exemple, l’administration Reagan a été tellement préoccupée par la révolution au Nicaragua (un pays dont la population était inférieure à celle de la ville de New York) qu’elle a organisé une armée rebelle pour renverser les Sandinistes socialistes au pouvoir. Si un pays aussi minuscule que le Nicaragua pouvait inquiéter les Américains à ce point, pourquoi était-il si difficile de comprendre les sérieuses réticences de la Russie face au rapprochement constant de la plus puissante alliance du monde vers ses frontières ?

Le réalisme explique pourquoi les grandes puissances ont tendance à être extrêmement soucieuses quant à l’environnement sécuritaire dans leur voisinage immédiat, mais les artisans libéraux de l’élargissement étaient tout simplement incapables de comprendre ça. On est là devant un monumental manque d’empathie qui a des conséquences stratégiques graves.

Le fait que l’OTAN insiste de façon répétée sur le fait que l’élargissement est un processus ouvert et que tout pays répondant aux critères spécifiques peut y adhérer ne fait qu’aggraver cette erreur. Ce n’est par ailleurs pas tout à fait ce que dit le traité de l’OTAN ; l’article 10 stipule simplement : « Les parties peuvent, par accord unanime, inviter à accéder au Traité tout autre Etat européen susceptible de favoriser le développement des principes du présent Traité et de contribuer à la sécurité de la région de l’Atlantique Nord. »

Le mot clé ici est « peut » - aucun pays n’a le droit d’adhérer à l’OTAN et certainement pas si son entrée avait pour conséquence de diminuer la sécurité des autres membres. Les détails mis à part, crier cet objectif sur tous les toits était irréfléchi et superflu. Toute alliance militaire peut intégrer de nouveaux membres si les parties existantes sont d’accord pour le faire, et c’est exactement ce que l’OTAN a fait à plusieurs reprises. Mais proclamer ouvertement une volonté ferme et illimitée de s’étendre vers l’Est ne pouvait que renforcer les craintes de la Russie.

Le faux pas suivant a été la décision de l’administration Bush de proposer les candidatures de la Géorgie et de l’Ukraine à l’adhésion à l’OTAN lors du sommet de Bucarest en 2008. L’ancienne responsable du Conseil national de sécurité des États-Unis, Fiona Hill, a récemment révélé que la communauté des services de renseignement américains s’était opposée à cette décision, mais que le président américain de l’époque, George W. Bush, était passé outre leurs objections pour des raisons qui n’ont jamais été clairement expliquées.

Des véhicules blindés russes avancent près de Gori, en Géorgie (Gleb Garanich/Reuters)

Le moment choisi était d’autant plus étrange que ni l’Ukraine ni la Géorgie étaient en passe de remplir les critères d’adhésion en 2008 et que d’autres membres de l’OTAN s’opposaient à leur adhésion. Le résultat en a été un compromis boiteux, négocié par les Britanniques, par lequel l’OTAN déclarait que les deux États finiraient par adhérer, sans toutefois en préciser le moment.

Comme l’a déclaré à juste titre le politologue Samuel Charap : « [C]ette déclaration était la pire des choses. Elle n’apportait pas une plus grande sécurité à l’Ukraine et à la Géorgie, et elle confortait Moscou dans l’idée que l’OTAN était déterminée à les intégrer. » Il n’est pas étonnant que l’ancien ambassadeur des États-Unis auprès de l’OTAN, Ivo Daalder, ait qualifiée la décision de 2008 de « péché capital » de l’OTAN.

L’épisode suivant s’est produit en 2013 et 2014. Alors que l’économie ukrainienne chancelait, le président ukrainien de l’époque, Viktor Ianoukovitch, a encouragé une surenchère entre l’Union européenne et la Russie en matière d’aide économique. Sa décision subséquente de rejeter un accord de partenariat négocié avec l’UE et d’accepter une offre plus lucrative de la Russie a déclenché les manifestations de l’Euromaïdan qui ont finalement conduit à son éviction.

Les responsables américains ont visiblement pris parti pour les manifestants et ont participé activement au choix du successeur de Ianoukovitch, accréditant ainsi les craintes russes qu’il s’agisse d’une révolution de couleur encouragée par l’Occident [Les révolutions de couleur ou révolutions des fleurs désignent une série de soulèvements populaires, pour la plupart pacifiques et soutenus par l’Occident, NdT].

Curieusement, les responsables européens et américains semblent ne ne s’être jamais demandé si la Russie pourrait s’opposer à ce scénario ou comment elle pourrait le faire échouer. Ils ont donc été pris au dépourvu lorsque le président russe Vladimir Poutine a décrété la prise de la Crimée et soutenu les mouvements séparatistes russophones dans les provinces orientales de l’Ukraine, plongeant le pays dans un conflit larvé qui perdure à ce jour.

Le président Zelensky rencontre le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, à Bruxelles (John Thys/AFP/Getty Images)

Il est courant en Occident de défendre l’expansion de l’OTAN et de rejeter la responsabilité de la crise ukrainienne uniquement sur Poutine. Le dirigeant russe est loin de mériter la moindre sympathie, comme le montrent très clairement sa politique intérieure répressive, sa corruption évidente, ses mensonges répétés et ses campagnes meurtrières contre les exilés russes qui ne présentent aucun danger pour son régime.

La Russie a également foulé aux pieds le Mémorandum de Budapest de 1994, qui offrait des garanties de sécurité à l’Ukraine en échange de l’abandon par celle-ci de l’arsenal nucléaire hérité de l’Union soviétique. Ces actions, ainsi que d’autres, ont suscité des inquiétudes légitimes quant aux intentions de la Russie, et la prise illégale de la Crimée a fortement retourné les opinions ukrainienne et européenne contre Moscou. Si la Russie a des raisons évidentes de s’inquiéter de l’élargissement de l’OTAN, ses voisins ont eux aussi de bonnes raisons de craindre la Russie.

Mais Poutine n’est pas le seul responsable de la crise actuelle en Ukraine, et l’indignation morale face à ses actions ou son caractère n’est pas une stratégie. Pas plus que des sanctions plus nombreuses et plus sévères ne sont susceptibles de l’amener à se plier aux exigences occidentales.

Aussi déplaisant que cela puisse être, il est nécessaire que les États-Unis et leurs alliés reconnaissent que l’alignement géopolitique de l’Ukraine est d’un intérêt vital pour la Russie - un intérêt qu’elle est prête à défendre par la force - et cela n’a rien à voir avec le fait que Poutine se trouve être un autocrate impitoyable avec un penchant nostalgique pour le bon vieux passé soviétique.

Les grandes puissances ne sont jamais indifférentes aux forces géostratégiques déployées à leurs frontières, et la Russie se soucierait profondément de l’alignement politique de l’Ukraine même si c’était quelqu’un d’autre qui était aux commandes. Le refus des États-Unis et de l’Europe d’accepter cette réalité fondamentale est l’une des principales raisons pour lesquelles le monde se trouve aujourd’hui dans une telle pagaille.

Le président russe Boris Eltsine, le président américain Bill Clinton, le président ukrainien Leonid Koutchma et le Premier ministre britannique John Major, lors de la signature du Mémorandum de Budapest (Win McNamee/Reuters)

Cela étant dit, Poutine a rendu ce problème plus difficile en essayant d’obtenir des concessions majeures à la pointe du fusil. Même si ses exigences étaient tout à fait raisonnables (et certaines ne le sont pas), les États-Unis et le reste de l’OTAN ont de bonnes raisons de résister à sa tentative de chantage. Une fois encore, le réalisme permet de comprendre pourquoi : Dans un monde où chaque État est en fin de compte livré à lui-même, signaler que l’on peut être victime de chantage peut encourager le maître-chanteur à formuler de nouvelles exigences.

Pour contourner ce problème, les deux parties devraient transformer cette négociation, qui ressemble à du chantage, en une négociation qui ressemble davantage à un échange de faveurs. La logique est simple : Il me serait impossible de vous donner ce que vous voulez si vous me menacez, car cela crée un précédent inquiétant et pourrait vous inciter à recommencer ou à accroître vos exigences.

Mais il me serait possible de vous donner quelque chose que vous voulez si vous acceptez de me donner quelque chose que je veux tout autant : Passe-moi la rhubarbe, je te passerai le séné. Il n’y a rien de mal à créer un tel précédent ; c’est, en fait, la base de tous les échanges économiques non contraints.

L’administration Biden semble tenter quelque chose dans ce sens en proposant des accords mutuellement satisfaisants sur les déploiements de missiles et d’autres questions secondaires et en essayant de retirer de la table la question du futur élargissement de l’OTAN. J’ai beaucoup de respect pour la fermeté, la perspicacité et les talents de négociatrice de la secrétaire d’État adjointe américaine Wendy Sherman, mais je ne pense pas que cette approche puisse être couronnée de succès.

Pourquoi ? Parce qu’en fin de compte, l’alignement géopolitique de l’Ukraine est d’un intérêt vital pour le Kremlin et la Russie insistera pour obtenir quelque chose de tangible. Le président américain Joe Biden a déjà clairement indiqué que les États-Unis ne feront pas la guerre pour défendre l’Ukraine, et ceux qui pensent qu’ils peuvent et devraient le faire - dans une région qui se trouve juste à côté de la Russie - croient apparemment que nous sommes encore dans le monde unipolaire des années 1990 et que nous avons plein d’options militaires séduisantes.

Alors qu’elle a peu d’atouts dans son jeu, l’équipe de négociation américaine insiste apparemment toujours pour que l’Ukraine conserve la possibilité d’adhérer à l’OTAN à un moment donné dans le futur, ce qui est précisément le dénouement que Moscou veut exclure. Si les États-Unis et l’OTAN veulent résoudre ce conflit par la diplomatie, ils vont devoir faire de réelles concessions et n’obtiendront peut-être pas tout ce qu’ils souhaitent. Pas plus que vous je n’aime cette situation, mais c’est le prix à payer pour avoir imprudemment élargi l’OTAN au-delà de limites raisonnables.

Une image satellite montre des chars et d’autres équipements militaires dans la ville russe de Yelnya, à environ 160 miles de la frontière ukrainienne, en janvier 2022 (Maxar Technologies/Reuters)

Le meilleur espoir pour une résolution pacifique de ce triste désordre est que le peuple ukrainien et ses dirigeants se rendent compte que la bataille entre la Russie et l’Occident pour savoir qui finalement obtiendra l’allégeance de Kiev sera un désastre pour leur pays. L’Ukraine devrait prendre l’initiative et annoncer qu’elle a l’intention de fonctionner comme un pays neutre qui ne se joindra à aucune alliance militaire.

Elle devrait s’engager solennellement à ne pas devenir membre de l’OTAN ni à rejoindre l’Organisation du traité de sécurité collective dirigée par la Russie. Elle serait toujours libre de commercer avec n’importe quel pays et d’en accueillir les investissements, et elle devrait rester libre de choisir ses propres dirigeants sans interférence extérieure. Si Kiev prenait cette décision de son propre chef, alors les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN ne pourraient pas être accusés d’avoir cédé au chantage russe.

Pour les Ukrainiens, vivre comme un État neutre à côté de la Russie est loin d’être une situation idéale. Mais compte tenu de sa situation géographique, c’est la meilleure issue que l’Ukraine puisse raisonnablement espérer. Elle est certainement bien supérieure à la situation dans laquelle les Ukrainiens se trouvent actuellement.

Il convient de rappeler que l’Ukraine a été de fait neutre de 1992 à 2008, année où l’OTAN a imprudemment annoncé que l’Ukraine rejoindrait l’alliance. À aucun moment au cours de cette période, elle n’a été confrontée à un risque sérieux d’invasion. Toutefois, le sentiment anti-russe est aujourd’hui très fort dans la majeure partie de l’Ukraine, ce qui réduit la probabilité que cette éventuelle porte de sortie puisse être empruntée.

Ce qui est le plus tragique dans toute cette triste saga, c’est qu’elle aurait pu être évitée. Mais tant que les décideurs américains ne tempéreront pas leur hubris libéral et ne comprendront pas mieux les leçons inconfortables mais vitales du réalisme, ils risquent de se heurter à des crises similaires à l’avenir.

Mise à jour, 26 janvier 2022 : Cet article a été mis à jour pour refléter le fait que James Baker et d’autres contestent cette interprétation de la réunion de Baker avec Gorbatchev en février 1990 et, en particulier, le fait que Baker ait pris ou non l’engagement de ne pas étendre l’OTAN vers l’Est.

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