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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-008

PEN America et la trahison envers Julian Assange.

Par Chris Hedges, traduit par Jocelyne le Boulicaut

jeudi 20 janvier 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

PEN America et la trahison envers Julian Assange.

[Fondée en 1922, PEN America est une association à but non-lucratif qui défend la liberté d’expression et les droits humains via la littérature, NdT]

Le 27 décembre 2021 par Chris Hedges / Original pour ScheerPost

Chris Hedges est journaliste. Lauréat du prix Pulitzer, il a été correspondant à l’étranger pendant 15 ans pour le New York Times, où il a occupé les postes de chef du bureau du Moyen-Orient et du bureau des Balkans. Il a auparavant travaillé à l’étranger pour le Dallas Morning News, le Christian Science Monitor et National Public Radio. Il est l’hôte de l’émission On Contact de Russia Today America, nominée aux Emmy Awards.

Les opportunistes et les apparatchiks du parti démocrate réussissent à tirer parti de l’argent et du soutien des entreprises pour dévoyer des organisations historiques de défense des droits et les transformer en auxiliaires de la classe dirigeante.

Pen America par Dwayne Booth (a.k.a., Mr. Fish)

Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, est l’une des très rares personnalités de l’establishment dénonçant le lynchage judiciaire de Julian Assange. L’intégrité et le courage de Melzer, pour lesquels il est impitoyablement attaqué, contrastent fortement avec la complicité généralisée de nombreuses organisations de défense des droits humains et de la presse, dont PEN America, qui est devenue une filiale de facto du Comité national démocrate.

Les gens au pouvoir, comme le souligne Noam Chomsky, segmentent le monde en deux catégories : les victimes " légitimes " et les victimes " illégitimes ". Ils pleurent des larmes de crocodile sur le sort des musulmans ouïghours persécutés en Chine tout en diabolisant et en massacrant les musulmans du Moyen-Orient. Ils s’insurgent contre la censure de la presse dans les États hostiles et sont de connivence avec la censure de la presse et les algorithmes émanant de la Silicon Valley aux États-Unis. Il s’agit d’un jeu ancien et pervers, pratiqué non pour promouvoir les droits humains ou la liberté de la presse, mais pour vêtir ces courtisans du pouvoir de leur suffisance moralisatrice et mielleuse.

Liberez Assange par CounterPunch

Les gens de PEN America n’arrivent pas à prononcer aussi rapidement qu’ils le souhaiteraient les mots "Biélorussie", "Birmanie" ou le nom de la star du tennis chinois "Peng Shuai", alors même qu’ils ignorent superbement l’attaque la plus flagrante qui soit contre la liberté de la presse de notre vivant.

Ce n’est qu’en 2017, à New York, lors du festival annuel World Voices du groupe littéraire que PEN America a cessé d’accepter le financement du gouvernement israélien, alors que ce dernier censure et emprisonne régulièrement les journalistes et écrivains palestiniens en Israël et en Cisjordanie occupée, il a fallu pour cela que plus de 250 écrivains, poètes et éditeurs, dont de nombreux membres de PEN, signent un appel demandant à la PDG de PEN America, Suzanne Nossel, de mettre fin au partenariat de PEN America avec le gouvernement israélien.

Parmi les signataires figuraient Wallace Shawn, Alice Walker, Eileen Myles, Louise Erdrich, Russell Banks, Cornel West, Junot Díaz et Viet Thanh Nguyen. Défendre Assange a un coût, comme tous les impératifs moraux. Et c’est un coût que les opportunistes et les apparatchiks du Parti démocrate, qui tirent parti de l’argent et du soutien des entreprises pour détourner ces organisations et les transformer en auxiliaires de la classe dirigeante, n’ont pas l’intention de payer. Même le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) refuse de faire figurer Assange dans son index annuel des journalistes emprisonnés.

PEN America est tout à fait caractéristique du détournement par l’establishment d’une organisation qui a été fondée et était autrefois dirigée par des écrivains, dont je connaissais certains, notamment Susan Sontag et Norman Mailer. Nossel est une ancienne avocate d’entreprise, répertoriée comme "contributrice" à la Federalist Society, qui a travaillé pour McKinsey & Company et en tant que vice-présidente du développement commercial aux États-Unis pour Bertelsmann.

Nossel, qui a elle-même été promue au rang de PDG de PEN America, a également travaillé pour Hillary Clinton au département d’État, notamment au sein du groupe de travail chargé de réagir aux révélations de WikiLeaks. Au cours de l’année 2013, pour protester contre la nomination de Nossel, j’ai annulé une intervention prévue au World Voices Festival de New York et j’ai démissionné de l’organisation qui, la même année, m’avait décerné son First Amendment Award. PEN Canada m’a proposé de devenir un de ses membres, ce que j’ai accepté.

Nossel et PEN America ont déclaré que les poursuites à l’encontre d’Assange soulevaient de "graves inquiétudes" quant à la liberté de la presse et ont salué la décision prise par un tribunal britannique en janvier 2012 de ne pas extrader Assange. Si Nossel et PEN America n’avaient pas adopté cette position concernant Assange, ils se seraient trouvé en situation de conflit avec la plupart des organisations PEN dans le monde. Le centre PEN d’Allemagne, par exemple, a accordé à Assange un titre de membre honoraire. PEN International a demandé que toutes les accusations contre Assange soient abandonnées.

Mais dans le même temps, Nossel va répétant tous les tropes et mensonges calomnieux qui sont utilisés pour discréditer l’éditeur de WikiLeaks qui risque d’être extradé aux États-Unis pour y éventuellement purger une peine de 175 ans en vertu de la loi sur l’espionnage. Elle refuse de reconnaître que si Assange est victime de persécution, c’est parce qu’il a rempli le rôle le plus fondamental et le plus important qui soit pour tout éditeur, à savoir rendre publics des documents qui exposent les multiples crimes et mensonges de l’empire.

Et je n’ai eu connaissance d’aucun plaidoyer direct de PEN America en faveur d’Assange auprès de l’administration Biden. « La question de savoir si Assange est un journaliste ou si WikiLeaks peut être considéré comme un organe de presse est sans importance quant aux chefs d’accusation énoncés ici, a déclaré Nossel.

Assange affaibli après 1000 jours de prison The Guardian

Mais, en tant qu’avocate ayant fait partie du groupe de travail du département d’État qui était appelé à réagir aux révélations de WikiLeaks, elle sait très bien que ce n’est pas sans importance. Le principal argument qui sous-tend les efforts des États-Unis pour extrader Assange consiste à lui refuser le statut d’éditeur ou de journaliste et à refuser à WikiLeaks le statut de publication de presse.

Nossel répète comme un perroquet la litanie des fausses accusations portées à l’encontre d’Assange, notamment qu’il a mis des vies en danger en ne censurant pas des documents, en piratant des ordinateurs gouvernementaux et en s’immisçant dans les élections de 2016, autant de points clés dans le dossier du gouvernement contre Assange.

Sous sa direction, PEN America a envoyé des brèves avec des titres tels que : « Des rapports de sécurité révèlent comment Assange a transformé une ambassade en poste de commandement à des fins d’ingérence dans les élections ». Le résultat final est que PEN America contribue à dérouler la corde pour pendre l’éditeur de WikiLeaks, une trahison grossière de la mission fondamentale de PEN.

Selon Nossel, « Il y a certaines choses qu’Assange a faites dans cette affaire, ou est censé avoir fait, qui vont au-delà de ce qu’un média grand public ferait, et plus particulièrement ce qui relève du premier acte d’accusation qui a été présenté il y a environ cinq semaines et qui était spécifiquement centré sur cette accusation de piratage informatique, de piratage d’un mot de passe pour passer outre l’infrastructure de sécurité nationale du gouvernement afin d’y pénétrer et permettre à Chelsea Manning d’avoir accès à tous ces documents. Ca, je pense qu’on peut le dire, ce n’est pas ce qu’un organe de presse grand public ou un journaliste devrait faire », a déclaré Nossel lors du Brian Lehrer Show de WNYC le 28 mai 2019.

Mais Nossel ne s’est pas arrêtée là et a continué à défendre la légitimité de la campagne américaine d’extradition d’Assange, bien que ce dernier ne soit pas un citoyen américain et que WikiLeaks ne soit pas une publication dont le siège est aux États-Unis. Plus important encore, et Nossel n’en a pas parlé, c’est qu’Assange n’a commis aucun crime.

« La raison pour laquelle cet acte d’accusation arrive maintenant est qu’Assange s’est terré à l’intérieur de l’ambassade d’Équateur à Londres pendant des années pour tenter d’échapper à sa demande d’extradition, a-t-elle déclaré lors de l’émission. Il fait face à une demande d’extradition vers la Suède, où il a été accusé d’agression sexuelle, et maintenant on est devant cet énorme acte d’accusation ici, aux États-Unis, et cette procédure se déroulera sur une longue période. Il va avancer toutes sortes d’arguments pour expliquer qu’il est confronté à une forme de risque au niveau juridique qui devrait l’immuniser contre l’extradition, mais il existe des traités d’extradition. Il existe des traités d’assistance juridique qui permettent aux pays de poursuivre des ressortissants d’autres pays et de les ramener pour qu’ils fassent face à des accusations lorsqu’ils ont commis un crime. C’est dans ce cadre que cela se passe. On a des ressortissants américains qui sont accusés et condamnés dans des tribunaux étrangers. »

WikiLeaks a publié des documents militaires secrets de l’armée américaine concernant les guerres en Afghanistan et en Irak, une série de 250 000 câbles diplomatiques et 800 dossiers d’évaluation de détenus de Guantanamo Bay, ainsi que la vidéo "Collateral Murder" de 2007, dans laquelle des pilotes d’hélicoptères américains plaisantent alors qu’ils sont en train d’abattre des civils, dont des enfants et deux journalistes de Reuters, dans une rue de Bagdad.

Ces documents ont été remis à WikiLeaks en 2010 par Chelsea Manning, qui était alors le lieutenant Bradley Manning, soldat de première classe. Assange a été accusé d’être à l’origine de « l’une des plus grandes atteinte à des informations classifiées de toute l’histoire des États-Unis » par la communauté du renseignement américaine absolument furieuse. Mike Pompeo, qui dirigeait la CIA du temps de Donald Trump, a qualifié WikiLeaks d’ « agence de renseignement hostile » aidée par la Russie, une rhétorique aussi adoptée par les dirigeants du Parti démocrate.

Assange a également publié 70 000 courriels piratés depuis les comptes de John Podesta, directeur de la campagne d’Hillary Clinton, et s’est ainsi acquis la haine perpétuelle de l’establishment du parti démocrate. Les courriels de Podesta mettaient en lumière le monde sclérosé et corrompu des Clinton, révélant entre autres des dons de l’Arabie saoudite et du Qatar à hauteur de millions de dollars à la Fondation Clinton, et identifiant ces deux nations comme les principaux bailleurs de fonds de l’État islamique [ISIL/ISIS].

Ils ont mis en lumière les quelques 657 000 dollars que Goldman Sachs a versés à Hillary Clinton pour donner des conférences, une somme si importante qu’elle ne peut être considérée que comme un pot-de-vin. Ils ont mis en lumière la malhonnêteté récurrente de Clinton. Elle a été surprise en train de dire aux élites financières qu’elle voulait « un commerce libre et des frontières ouvertes » et qu’elle pensait que les dirigeants de Wall Street étaient les mieux à même pour gérer l’économie, tout en promettant publiquement une réglementation et une réforme financières.

Les documents divulgués montraient que la campagne Clinton avait interféré dans les primaires républicaines pour faire en sorte que Donald Trump soit le candidat républicain, en présumant qu’il serait le candidat le plus facile à battre. Ils ont révélé que Mme Clinton connaissait à l’avance les questions posées lors d’un débat de la primaire et mettait au grand jour son rôle en tant que principale instigatrice de la guerre en Libye, une guerre dont elle pensait qu’elle renforcerait son crédit dans la course à la présidence.

Le parti démocrate, qui impute sa défaite électorale face à Trump à l’ingérence russe, accuse les emails de Podesta d’avoir été obtenus par des hackers du gouvernement russe. Hillary Clinton qualifie WikiLeaks de paravent de la Russie. James Comey, l’ancien directeur du FBI, a toutefois admis que les courriels ont probablement été remis à WikiLeaks par un intermédiaire, et Assange a déclaré que les courriels n’avaient pas été fournis par des « acteurs étatiques. »

« Un procureur zélé va se pencher sur le cas de quelqu’un comme Assange et reconnaître que c’est quelqu’un de très impopulaire pour une centaine de raisons différentes, qu’il s’agisse de son ingérence dans les élections de 2016, des motivations politiques qui l’ont conduit à faire cela, ou de la nature tonitruante de ces divulgations », a déclaré Nossel dans l’émission de Lehrer.

« Ce n’est pas une fuite qui avait pour objectif d’exposer une politique particulière ou d’amener à un changement spécifique dans la façon dont le gouvernement américain menait ses affaires. Il s’agissait bien d’une fuite de très grande ampleur et sans aucun discernement, alors même qu’au début, ils travaillaient avec les journalistes pour qu’ils prennent bien soin d’expurger les noms des personnes. Je travaillais au Département d’Etat pendant la période de divulgation de WikiLeaks, et j’ai brièvement fait partie d’un groupe de travail chargé de réagir aux divulgations de WikiLeaks, et il y avait vraiment une inquiétude concernant les personnes dont la vie serait en danger, des gens qui avaient travaillé avec les Etats-Unis, qui avaient fourni des informations, des défenseurs des droits humains qui avaient échangé avec le personnel des ambassades en toute confidentialité. Il y a certes un problème dans les priorités pour classifier des documents, mais il y a aussi de bonnes raisons pour classifier beaucoup de ces choses et chez WikiLeaks ils n’ont fait aucune distinction entre ce qui était légitimement classifié et ce qui ne l’était pas. »

Tout groupe d’artistes ou d’écrivains contrôlé par le PDG d’une entreprise américaine se transforme forcément en une version actualisée de l’Union des écrivains soviétiques, qui considère les violations des droits humains commises par des ennemis comme des crimes odieux, tandis que ses propres violations et celles de ses alliés sont ignorées ou blanchies.

Comme nous l’a rappelé Julian Benda dans "La trahison des intellectuels", nous sommes soit au service du privilège et du pouvoir, soit au service de la justice et de la vérité. Benda nous met en garde : ceux qui se font les apologistes de ceux qui ont des privilèges et du pouvoir détruisent leur légitimité à défendre la justice et la vérité.

La vérité n’est pas un crime par Amnesty International

Où donc s’exprime l’indignation d’une organisation fondée par des écrivains pour protéger les écrivains contre les abus prolongés, le stress et les menaces de mort réitérées, y compris de celles proférées par l’ancienne patronne de Nossel, Hillary Clinton, qui aurait dit en plaisantant lors d’une réunion du personnel : « Ne pouvons-nous pas tout simplement envoyer un drone abattre ce type ? » (et qui n’a pas ensuite infirmé ce propos) ou de la CIA qui aurait envisagé l’enlèvement et l’assassinat d’Assange ?

Où donc est la demande d’annulation du procès d’Assange parce que la CIA, par l’entremise d’UC Global, l’entreprise de sécurité de l’ambassade, a secrètement enregistré les réunions, et toutes les autres rencontres, entre Assange et ses avocats, faisant ainsi fi du privilège avocat-client ?

Où donc est la dénonciation publique de l’isolement extrême qui a plongé Assange, victime d’un accident vasculaire cérébral lors d’une procédure judiciaire en vidéo le 27 octobre, dans un état de santé physique et psychologique précaire ?

Où sont donc les protestations contre sa plongée dans un état hallucinatoire et une profonde dépression, ce qui l’a rendu dépendant de médicaments antidépresseurs et de l’antipsychotique quétiapine ?

Où sont donc les condamnations tonitruantes au sujet des dix années de sa détention, dont sept à l’ambassade d’Équateur à Londres et près de trois dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, où il a dû vivre sans aucun accès à la lumière du jour, à de l’exercice et à des soins médicaux appropriés ? « Ses yeux étaient désynchronisés, sa paupière droite ne se fermait pas, sa mémoire était floue », a déclaré sa fiancée Stella Morris au sujet de l’attaque.

Où sont donc les demandes d’intervention et de traitement humain, y compris la fin de son isolement, lorsqu’on a appris qu’Assange faisait les cent pas dans sa cellule jusqu’à ce qu’il s’effondre, se frappant au visage et se cognant la tête contre le mur ?

Où donc s’expriment les craintes pour sa vie, surtout après que la "moitié d’une lame de rasoir" a été découverte sous ses chaussettes et qu’il a été révélé qu’il avait appelé la ligne d’assistance de prévention au suicide gérée par les Samaritains parce que « des centaines de fois par jour » il pensait au suicide ?

Où donc est l’appel à poursuivre ceux qui ont commis les crimes de guerre, pratiqué la torture et se sont livrés à la corruption que WikiLeaks a exposée ? Pas au sein de PEN America.

Liberté de la presse par Dwayne Booth (a.k.a., Mr. Fish)

Dans son livre « The Trial of Julian Assange », le récit le plus méthodique et le plus détaillé qui soit de la longue persécution d’Assange par les États-Unis et le gouvernement britannique, Melzer fustige ceux qui, comme Nossel, colportent allègrement les mensonges utilisés pour salir Assange et satisfaire les puissants.

Lorsque Assange a été inculpé la première fois, ce n’est pas d’espionnage qu’il a été accusé par les États-Unis. Il a plutôt été accusé d’un seul chef d’accusation : « complot en vue de faire intrusion dans un ordinateur ». Selon cette accusation, il aurait conspiré avec Manning pour décrypter un hachage de mot de passe concernant le système informatique du ministère américain de la Défense [Le hachage de mot de passe est l’une des pratiques de sécurité les plus basiques qui doit être effectuée. Sans cela, chaque mot de passe stocké peut être volé si le support de stockage (typiquement une base de données) est compromis, NdT].

Mais comme le souligne Melzer, « Manning bénéficiait déjà des privilèges d’accès "top secret" au système et à tous les documents qu’elle a transmis à Assange. Ainsi, même selon le gouvernement américain, l’objectif de la tentative présumée de décodage du mot de passe n’était pas d’obtenir un accès non autorisé à des informations classifiées ("piratage"), mais d’aider Manning à brouiller les pistes à l’intérieur du système en se connectant sous une autre identité ("protection des sources"). En tout état de cause, la prétendue tentative est incontestablement restée infructueuse et n’a entraîné aucun préjudice quel qu’il soit. »

Nossel a répété le mensonge selon lequel Assange aurait mis des vies en danger en ne censurant pas des documents or ceci a complètement été balayé lors du procès de Manning, à plusieurs séances duquel j’ai assisté à Fort Meade dans le Maryland avec Cornel West. Au cours de la procédure judiciaire de juillet 2013, le brigadier général Robert Carr, un officier supérieur du contre-espionnage qui dirigeait le groupe de travail chargé de l’examen des informations et qui a enquêté sur l’impact des divulgations de WikiLeaks pour le compte du ministère américain de la Défense, a déclaré à la cour que le groupe de travail n’avait pas découvert un seul cas de personne ayant perdu la vie en raison de la publication des documents classifiés par WikiLeaks.

Quant à l’affirmation de Nossel selon laquelle « au début, ils ont travaillé avec les journalistes pour qu’ils prennent soin d’expurger les noms des personnes », elle devrait pourtant savoir que ce n’est pas par Assange que la clé de décryptage des documents non censurés du département d’État a été divulguée, mais bien par Luke Harding et David Leigh du Guardian dans leur livre « Julian Assange et la face cachée de WikiLeaks - La fin du secret ».

Lorsque la classe dirigeante colporte des mensonges, les répéter au public ne coûte absolument rien. Le coût en est supporté par ceux qui disent la vérité.

Exécution à petit-feu

// VIDEO Entretien de Chris Hedges avec le père de Julian Assange.

Le 27 novembre 2019, Melzer a délivré une conférence à la porte de Brandebourg à Berlin pour l’inauguration d’une sculpture de l’artiste italien Davide Dormino [La statue fait le tour des grandes villes d’Europe depuis le 1er mai 2015 : Berlin et Dresde en Allemagne, Genève en Suisse, Paris, Toulouse et Strasbourg en France, Pérouse en Italie, Belgrade en Serbie, Ptuj en Slovénie et maintenant Rome, NdT].

Les représentations d’Edward Snowden, Julian Assange et Chelsea Manning, coulées en bronze, étaient debout sur trois chaises. Une quatrième chaise, vide, se trouvait à côté d’eux, invitant les autres gens à les rejoindre. La sculpture s’intitule « Anything to Say ? » (Quelque chose à dire ?). Melzer s’est mis debout sur la quatrième chaise, l’imposant édifice de l’ambassade des États-Unis était à sa droite. Il a prononcé les mots qui auraient dû être dits par des organisations comme PEN America :

Pendant des décennies, les dissidents politiques ont été accueillis à bras ouverts par l’Occident, car dans leur combat en faveur des droits humains, ils étaient persécutés par des régimes dictatoriaux. Aujourd’hui, cependant, les dissidents occidentaux eux-mêmes sont contraints de chercher asile ailleurs, comme Edward Snowden en Russie ou, jusqu’à récemment, Julian Assange à l’ambassade d’Équateur à Londres.

En effet, l’Occident lui-même a commencé à persécuter ses propres dissidents, à les soumettre à des peines draconiennes dans des procès politiques à grand spectacle et à les emprisonner comme de dangereux terroristes dans des prisons de haute sécurité dans des conditions que l’on ne peut qualifier que d’inhumaines et dégradantes.

Nos gouvernements se sentent menacés par Chelsea Manning, Edward Snowden et Julian Assange, car ce sont des lanceurs d’alerte, des journalistes et des militants des droits humains et ils ont fourni des preuves solides concernant les abus, la corruption et les crimes de guerre des puissants, et ce sont là les crimes pour lesquels ils sont maintenant systématiquement diffamés et persécutés.

Ils sont les dissidents politiques de l’Occident, et leur persécution est la chasse aux sorcières d’aujourd’hui, parce qu’ils menacent les privilèges d’un pouvoir d’État non supervisé qui a échappé à tout contrôle. Les cas de Manning, Snowden, Assange et d’autres représentent le défi le plus important de notre époque en ce qui concerne la sincérité de l’État de droit et de la démocratie occidentale et notre engagement en faveur des droits humains. Dans tous ces cas, il ne s’agit pas de la personne, du caractère ou de l’éventuelle inconduite de ces dissidents, mais de la façon dont nos gouvernements traitent les révélations quand il s’agit de leur propre inconduite.

Combien de soldats ont-ils été tenus pour responsables du massacre de civils montré dans la vidéo "Collateral Murder" ? Combien d’agents quand il s’agit de la torture systématique des suspects de terrorisme ? Combien de politiciens et de PDG quant aux machinations corrompues et inhumaines qui ont été mises en lumière par nos dissidents ? C’est bien de cela qu’il s’agit. Il s’agit de l’intégrité de l’État de droit, de la crédibilité de nos démocraties et, finalement, de notre propre dignité humaine et de l’avenir de nos enfants. N’oublions jamais cela !
Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations unies sur la torture.

Le sculpteur italien Davide Dormino (G) s’exprime lors de l’inauguration de son monument en bronze représentant Edward Snowden, Julian Assange et Chelsea Manning , le 1er mai 2015 à Berlin. —AFP PHOTO / TOBIAS SCHWARZ

Le retour fragile au pouvoir du parti démocrate sous la direction de Joe Biden, le spectre d’une déroute des Démocrates face aux Républicains lors des élections de mi-mandat l’année prochaine, ainsi que la possibilité très réelle de l’élection à la présidence en 2024 de Donald Trump, ou d’un personnage lui ressemblant fortement ont aveuglé les groupes de défense des droits humains et de la presse quant au danger des agressions flagrantes contre la liberté d’expression perpétrées par l’administration Biden.

La marche régulière vers une censure d’État musclée a été accélérée par l’administration Obama qui a inculpé dix employés et contractants du gouvernement, dont huit en vertu de la loi sur l’espionnage, pour avoir divulgué à la presse des informations classifiées.

En 2013, l’administration Obama a également saisi les relevés téléphoniques de 20 journalistes de l’Associated Press pour découvrir qui avait fait fuiter une information sur un complot terroriste d’Al-Qaida qui avait été déjoué. Cet assaut continu du parti démocrate s’est accompagné de la disparition des plateformes de médias sociaux de plusieurs sommités de l’extrême droite, dont Donald Trump et Alex Jones, qui ont été retirés de Facebook, Apple, YouTube.

Des contenus véridiques mais préjudiciables au Parti démocrate, notamment les révélations de l’ordinateur portable de Hunter Biden, ont été bloqués par des plateformes numériques telles que Facebook et Twitter. Depuis au minimum 2017, les algorithmes ont marginalisé les contenus de gauche, y compris les miens. Dans cette ambiance, le précédent juridique créé par la condamnation d’Assange signifie que toute personne qui détient du matériel classifié, ou toute personne qui le divulgue, pourra être reconnue coupable d’une infraction pénale.

La condamnation d’Assange signe la fin de toute enquête sur les rouages du pouvoir. La soumission au parti démocrate des organisations de défense de la presse et des droits humains, censées être les sentinelles de la liberté, ne fait que contribuer à constamment resserrer de l’étau de la censure de la presse. Il n’existe pas de notion de moindre mal dans ce combat. Il s’agit du mal dans son essence. Si l’on n’y prend pas garde, il en résultera une variante américaine du capitalisme totalitaire de la Chine.

Chris Hedges Photo Sheer Post

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