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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-005

Hystérie Houthi au Wall Street Journal

Par Jim Lobe, traduit par Jocelyne le Boulicaut

mercredi 12 janvier 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Hystérie Houthi au Wall Street Journal

Le 13 décembre 2021 par Jim Lobe

Site du Wall Street Journal

Le Wall Street Journal est en proie à une véritable hystérie à l’encontre des Houthis.

Les pages éditoriales bien connues pour leur esprit belliciste servent de relations publiques aux Saoudiens.

Qui aurait cru que le royaume d’Arabie saoudite, le plus grand importateur d’armes sophistiquées du monde en développement depuis une génération et plus, était A CE POINT fragile ?

Apparemment, le comité éditorial du Wall Street Journal le pense. La semaine dernière, il a publié un éditorial alarmiste qui relayait les appels au secours urgents des Saoudiens « qui sont à court de munitions pour se défendre contre les Houthis soutenus par l’Iran au Yémen et appellent l’Amérique à l’aide. »

Comme si les Houthis, également connus sous le nom d’Ansarallah, faisaient pleuvoir des drones et des missiles sur tout le territoire saoudien, le journal affirmait que les « plus de 70 000 Américains présents dans le Royaume... pourraient devenir des victimes » et, par un curieux choix linguistique, laissait à penser que la menace représentée par les Houthis face à l’État le plus hyper armé du Moyen-Orient pourrait être « existentielle. »

Comme si cela ne suffisait pas, le Journal a publié une tribune plus longue et sans doute plus alarmiste encore écrite par son ancienne éditrice et directrice de la rédaction, la journaliste Karen Elliott House, lauréate du prix Pulitzer. « La menace pour l’Arabie saoudite est réelle, déclare-t-elle. Le Journal rapporte que les Houthis ont mené 375 attaques transfrontalières contre l’Arabie saoudite cette année. Ce lundi, les défenses aériennes saoudiennes ont intercepté un missile balistique au-dessus de la capitale. En mars, les Houthis ont attaqué sans succès un important port pétrolier saoudien. Une attaque complexe contre les installations pétrolières de Saudi Aramco en septembre 2019 a contraint à une brève suspension de la production de pétrole saoudien. »

House omet de faire remarquer que la plupart des experts estiment que la dernière attaque a été menée depuis le territoire irakien ou iranien, malgré les affirmations des Houthis selon lesquelles ils en seraient les auteurs. Mais ensuite, son op-ed [page d’opinion venant en contradiction de celle de l’éditorial, NdT] omet de mentionner un nombre remarquable de faits et de contextes pertinents.

Elle omet toute mention des bombardements transfrontaliers de l’Arabie saoudite qui se poursuivent depuis l’intervention de Riyad au Yémen il y a près de sept ans – 23 000 au total entre mars 2015 et septembre de cette année, soit une moyenne de dix par jour – selon un rapport d’experts de l’ONU qui a conclu que ces frappes ont tué ou blessé au moins 18 000 civils yéménites.

Intervention de l’Arabie Saoudite au Yémen (Photo Oxfam America)

House n’a pas non plus mentionné le bilan total de la guerre, qui dépasse largement les 350 000 morts. On estime que 70 % d’entre eux sont des enfants de moins de cinq ans qui sont morts principalement de faim et de maladies qu’on pouvait éviter, en grande partie dues à la destruction d’installations sanitaires et autres infrastructures civiles de base par la campagne de bombardements saoudienne et le blocus du territoire contrôlé par les Houthis, ce que l’agence humanitaire de l’ONU a appelé « la pire crise humanitaire au monde. »

Il n’a pas non plus été fait mention du recours par le royaume à des « incitations et des menaces » – y compris la menace de refuser aux citoyens des membres majoritairement musulmans du Conseil des droits humains des Nations Unies l’autorisation d’effectuer le pèlerinage du haj à La Mecque – dans le cadre d’une campagne de lobbying réussie visant à empêcher une enquête des Nations Unies sur les crimes de guerre commis par toutes les parties au conflit au Yémen au début de l’automne.

Le lecteur n’a manifestement pas besoin de connaître les détails de ce contexte, selon House, qui se demande pourquoi, oh mais pourquoi, Biden ignore-t-il les « suppliques » saoudiennes mendiant pour obtenir des Patriots (missiles anti-missiles, NdT). « Une des théories avancées par l’Arabie saoudite est qu’il a l’intention de punir le prince héritier Mohammed bin Salman, conjointement avec ses alliés progressistes, pour son rôle présumé dans le meurtre de Jamal Khashoggi en 2018. »

Peut-être, estime-t-elle, craint-il que les Démocrates progressistes ne s’opposent à son projet de loi Build Back Better [Le texte prévoit de nombreuses réformes en matière de santé, d’éducation et d’écologie ainsi que des investissements pour lutter contre la fraude fiscale, NdT] s’il envoie les Patriots là bas. C’est tout à fait logique.

Mais Mohammed ben Salmane et les Saoudiens font des choses magnifiques qui les rendent dignes de recevoir les Patriots, insiste-t-elle. « Un pays qui a interdit les salles de cinéma jusqu’en 2018 est maintenant l’hôte des soucis de Justin Bieber [ référence à un grand concert de Justin Bieber le 2 décembre 2021 devant une salle comble, à Djeddah, NdT], accueille des courses de Formule 1, des tournois de golf internationaux et des équipes sportives féminines. »

« [...] Pour poursuivre dans cette voie de modernisation, le royaume a besoin de stabilité. Les efforts pour construire une véritable industrie du tourisme le long de la mer Rouge, par exemple, ne réussiront pas si le territoire saoudien est constamment menacé d’attaques. » Pire, en ne fournissant pas au royaume l’aide dont il dit avoir besoin, conclut-elle, on « encourage l’Iran à intensifier ses efforts qui durent depuis des décennies pour, entre autres, revendiquer les sites les plus sacrés de l’Islam et le pétrole de l’Arabie. »

Situation militaire au Yemen le 29 Juin 2020 (Southfront.com)

Rendons à César ce qui appartient à César. Contrairement à House, l’éditorial du Journal reconnaît, bien que sommairement, que les Saoudiens ne se sont pas bien comportés au Yémen. « Les Saoudiens ne sont pas toujours des amis sympathiques, et ils ont mené la guerre au Yémen de manière souvent brutale, bien que cela ait moins été le cas grâce à l’aide des formateurs américains pendant les années Trump », cette dernière affirmation étant quelque peu discutable.

« Mais, ajoute le Journal de manière quelque peu mystérieuse, quand il s’agit des Saoudiens et de leur voisinage, les choix militaires peuvent être existentiels », ce qui implique apparemment que, si les Saoudiens n’avaient pas agi avec brutalité, les Houthis auraient pu, d’une manière ou d’une autre, détruire l’État saoudien, une autre affirmation pour le moins discutable.

Ce n’est pas que les Houthis soient des anges et, comme l’ont démontré les experts de l’ONU et les groupes internationaux de défense des droits humains, dont Amnesty International et Human Rights Watch, ils doivent rendre des comptes, notamment pour leurs attaques de missiles et de drones sur des sites civils en Arabie saoudite.

Il n’est pas non plus faux de dire que l’Iran leur a fourni un soutien matériel et des conseils, bien que de nombreux experts s’accordent à dire que le montant de cette aide, ainsi que l’influence dont Téhéran pourrait jouir auprès des Houthis, ont été largement exagérés à la fois par les Saoudiens, leurs partenaires de la coalition (principalement les Émirats arabes unis) et leurs représentants grassement payés à Washington.

Mais le fait est que ce sont les Saoudiens qui sont intervenus dans ce qui était devenu une guerre civile au Yémen et qui portent la responsabilité majeure d’une grande partie de la destruction physique et humaine, directe et indirecte, que le pays le plus pauvre du monde arabe a subie au cours des sept dernières années, faisons abstraction des concerts de Justin Bieber. (Les pertes civiles saoudiennes, aussi regrettables soient-elles, ont été minuscules, pratiquement infinitésimales en comparaison, faisons abstraction des tournois de golf internationaux).

Si le Journal et la Chambre des représentants veulent protéger les pauvres Saoudiens, dont le budget militaire s’est élevé cette année à un minable montant de 50 milliards de dollars – soit environ deux fois le produit intérieur brut total du Yémen en 2021 – contre les Houthis, la solution la plus évidente et la plus rapide serait que Riyad lève le blocus et arrête les bombardements, ce sont les deux conditions posées par les Houthis pour mettre fin à leurs opérations contre des cibles en Arabie saoudite.

Ce serait également le moyen le plus rentable : les bombardements sont très coûteux et les missiles Patriot coûtent plus de 3 millions de dollars pièce. Le rapport coût-efficacité devrait satisfaire les lecteurs du Journal.

Enfin, que serait un éditorial convaincant du Wall Street Journal sur le monde arabe si nous ne citions Bernard Lewis : « le regretté grand spécialiste du Moyen-Orient [qui] nous a un jour fait remarquer que s’il est dangereux d’être l’ennemi de l’Amérique, être son ami peut s’avérer fatal » – la remarque soulignant que l’administration Biden aurait été une amie déloyale envers l’Arabie saoudite en ne fournissant pas les Patriots ?

C’est le même Bernard Lewis qui a présenté Ahmad Chalabi, le plus grand escroc du XXIe siècle, à la fois au comité éditorial du Journal et à Dick Cheney, et qui les a convaincus que les troupes américaines seraient accueillies en Irak comme des libérateurs. C’est également ce même Bernard Lewis qui a mis en garde sur la page d’opinion du Journal en disant le 22 août 2006, que l’Iran tenterait de provoquer « la destruction apocalyptique d’Israël et si nécessaire la fin du monde ».

Pourtant, en dépit de cela, il y a encore des gens pour demander pourquoi le Journal n’a pas de rubrique humoristique.

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