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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2021-124

Les chicayas de l’OMC tuent

Par Joseph Stiglitz et Lori Wallach, traduit par Jocelyne le Boulicaut

jeudi 16 décembre 2021, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Les chicayas de l’OMC tuent

Billet d’opinion du 30 novembre 2021 par Joseph Stiglitz et Lori Wallach pour CNN Business Perspectives

Joseph Stiglitz est professeur à l’université de Columbia et lauréat du prix Nobel d’économie. Lori Wallach est directrice du Global Trade Watch de Public Citizen. Les opinions exprimées dans ce commentaire sont strictement les leurs.

Un expert explique comment nous saurons si les vaccins fonctionnent contre la variante Omicron. CNN

La pandémie continuera à faire rage tant qu’au sein de l’OMC les chamailleries se poursuivront concernant les règles relatives aux vaccins.

Si les organisations internationales sont tributaires du karma, alors le report abrupt de la conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) la semaine dernière, première grande réunion décisionnelle de l’organisme en quatre ans, était un sacré coup du sort.

Non seulement les annonces de l’émergence d’Omicron, la dernière variante du coronavirus, ont entraîné le report de la réunion, mais elles ont également mis en lumière l’incapacité de la communauté internationale à maîtriser le virus.

Au cours des deux dernières années, la communauté scientifique mondiale a identifié l’agent pathogène à l’origine du Covid-19 et mis au point des vaccins et des antiviraux pour combattre le virus. Grâce à une production rapide, tous les habitants des pays riches qui souhaitaient être vaccinés l’ont été. Mais le marché, à lui seul, n’a pas réussi à en fournir suffisamment pour le reste du monde.

Depuis octobre 2020, un grand nombre de pays membres de l’OMC ont demandé une dérogation temporaire concernant les importantes restrictions de l’organisation en matière de propriété intellectuelle, à savoir que la production de vaccins, de traitements et de tests de diagnostic est réservée à certaines entreprises pharmaceutiques.

Mais quelques membres de l’OMC ont bloqué cette initiative, qui est pourtant indispensable si l’on veut garantir un approvisionnement suffisant en médicaments Covid-19 pour inoculer le monde et mettre fin au cycle des variants qui, sinon, prolongera indéfiniment la pandémie.

L’OMC ne doit pas reporter cette décision. Elle doit convoquer une réunion en ligne de son Conseil général et adopter la dérogation dès cette semaine. Alors que les citoyens des pays riches ont déjà reçu leur injection de rappel, moins de 7 % des citoyens des pays à faible revenu ont, ne serait-ce que reçu leur première injection.

Comme le montre le variant Omicron, tant qu’il y a des vagues épidémiques qui font rage dans quelque endroit que ce soit, la Covid-19 va muter et la possibilité de souches plus infectieuses ou mortelles augmente. C’est pourquoi, à moins que les gens ne soient vaccinés partout, nous sommes confrontés à la perspective d’une pandémie sans fin.

Le problème sous-jacent est un manque d’approvisionnement mondial. Le monde avait besoin d’au moins 11 milliards de doses pour 2021 avant même que les rappels et la vaccination des enfants ne commencent. Des milliards de doses seront nécessaires chaque année pour les rappels et pour combattre les nouveaux variants, et l’accès universel aux nouveaux antiviraux prometteurs sera crucial pour sauver la vie de ceux qui contractent la maladie. La dérogation accordée par l’OMC représente un moyen évident d’augmenter l’offre et de contribuer à mettre un terme définitif à la pandémie.

Joseph Stiglitz et Lori Wallach CNN

L’accord de l’OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), qui est entré en vigueur en 1995, oblige les pays membres de l’organisation à appliquer au niveau national des restrictions d’ampleur en matière de propriété intellectuelle. L’année dernière, l’Afrique du Sud et l’Inde ont proposé une suspension temporaire des barrières ADPIC pour les vaccins, traitements et tests de diagnostic Covid-19.

Cela permettrait aux nombreux producteurs qualifiés des pays en développement de fabriquer des vaccins efficaces et autres traitements Covid plutôt que d’être confrontés à la mortalité et à une catastrophe économique en attendant que les entreprises pharmaceutiques et les pays riches leur envoient de l’aide.

Ce ne serait que justice. Les vaccins à ARN messager très efficaces qui sont actuellement sur le marché ont été mis au point grâce à des milliards de dollars versés par les gouvernements (c’est-à-dire les contribuables) américains et européens.

Les défenseurs de la santé mettent depuis longtemps en garde contre le danger que représente l’accord ADPIC pour l’accès des pays en développement aux médicaments, mais personne n’a un jour imaginé que les pays avancés feraient passer les profits des entreprises pharmaceutiques avant le bien-être de leurs propres citoyens.

L’administration Biden s’est d’abord attirée des éloges pour avoir soutenu la dérogation de l’OMC en mai dernier. La déclaration du président Biden sur Omicron la semaine dernière invitait les pays à adopter la dérogation dès maintenant. Mais le président a déployé beaucoup trop peu d’efforts pour qu’un accord final afin d’adopter la dérogation à l’OMC soit voté.

On a connu un nouveau mois d’octobre et, alors que plus de 100 pays sont favorables à une dérogation, l’Union européenne, poussée par l’Allemagne, à laquelle viennent s’ajouter la Suisse et le Royaume-Uni, continuent de s’y opposer. Ils tirent parti des procédures de prise de décision par consensus de l’OMC et du rôle inhabituellement passif que jouent les États-Unis dans les négociations pour bloquer la dérogation, alors même que des millions de personnes meurent en attendant d’être vaccinées.

Les démocraties occidentales voient leur réputation entachée par le fait qu’elles refusent à des milliards de personnes des pays pauvres l’accès à des vaccins et à des traitements qui pourraient sauver des vies.

Et au niveau mondial, on considère à juste titre que l’OMC est un frein à la lutte pour mettre fin à la pandémie. Un "État de droit" international et un système économique qui fait passer les profits avant les vies ne vont pas gagner les cœurs et les esprits des habitants du reste du monde.

Entre-temps, la Chine et la Russie ont collaboré avec les gouvernements des pays en développement pour construire des installations de production de vaccins. La Chine a déjà fourni des doses à plus de 80 pays, soit près de la moitié des plus de 7 milliards de doses administrées dans le monde, et vient d’annoncer un plan visant à envoyer un milliard de doses supplémentaires en Afrique.

La Russie a largement partagé sa technologie en matière de vaccins. Les deux pays ont mené une diplomatie vigoureuse et fructueuse en matière de vaccins, bien que cela ne se soit pas fait sans controverse.

Les vaccins chinois Sinovac et Sinopharm existants sont moins efficaces et les deux vaccins ARNm fabriqués en Chine en sont encore au stade final des essais. (BioNTech, l’entreprise allemande partenaire de Pfizer, a également partagé sa technologie de vaccin à ARNm avec Shanghai Fosun Pharmaceutical, mais uniquement à des fins de vente en Chine).

La production de Sputnik V par la Russie a rencontré des problèmes, et concernant ses vaccins, l’offre est limitée. Malgré tout, pour une grande partie du monde, il semble que les autocraties accordent de l’importance aux vies et les démocraties attachent de l’importance aux profits.

Il est impératif que les États-Unis fassent preuve de leadership et amènent l’OMC à organiser une réunion d’urgence du Conseil général en ligne cette semaine afin d’aboutir à un accord de renonciation sérieux. En septembre dernier, l’administration Biden a souligné l’importance d’une vaccination en faveur de 70 % de la population mondiale. L’annonce récente du projet de l’administration de collaborer avec les entreprises pour trouver un moyen d’augmenter la production met en lumière les pénuries actuelles. Mais on ne sait pas encore à combien de doses supplémentaires cette proposition conduira - et quand -.

Omicron souligne l’urgence de la dérogation de l’OMC. Le président doit faire pression sur les quelques pays, tous proches alliés des États-Unis, qui font de la résistance afin que la production puisse s’accélérer dans le monde entier. Rien de tout cela ne se produira sans un leadership américain plus affirmé. Et, pour le dire sous l’angle du petit bout de la lorgnette, rien ne pourrait être plus important pour la santé des Américains et aussi pour l’économie américaine.

En obtenant la dérogation de l’OMC et en dirigeant la stratégie visant à mettre fin à la pandémie de Covid-19, Biden a une occasion en or pour restaurer la position des États-Unis dans le monde et relancer son image nationale, qui a été rudement mise à mal par l’inquiétude durable et grandissante du public face à cette pandémie apparemment inexorable.

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