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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2021-104

Transcription et traduction d’une interview de Ted Postol

Transcrit et traduit par Jocelyne le Boulicaut

lundi 18 octobre 2021, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Transcription et traduction d’une interview de Ted Postol

Réalisées par Jocelyne Le Boulicaut à partir d’un enregistrement sonore de 1:30:48, le 24/09/2021. Interview originale par Edouard Vuiart d’Elucid

Physicien, Theodore A. Postol est professeur émérite de science, technologie et politique de sécurité nationale au MIT. Il est spécialisé dans les systèmes d’armes nucléaires, notamment la guerre sous-marine, les applications des armes nucléaires, la défense contre les missiles balistiques et les missiles balistiques en général. Avant de venir de l’Université de Stanford au MIT, il a travaillé comme analyste à l’Office of Technology Assessment et comme conseiller scientifique et politique auprès du chef des opérations navales. En 2016, il a reçu le prix Garwin de la Federation of American Scientists pour son travail d’évaluation et de critique des affirmations du gouvernement sur les défenses antimissiles.
On peut lire ses articles ici

Theodore A. Postol

Q1- En janvier 2014, le physicien Pavel Podvig a écrit dans le Bulletin of the Atomics Scientists - je cite : "Il n’existe pas d’arsenal nucléaire sûr". Selon vous, quelle est la situation aujourd’hui en deux mille vingt et un ? Si nous voulons éviter des accidents nucléaires catastrophiques à l’avenir, pouvons-nous nous satisfaire de la conjonction des contrôles techniques et administratifs qui semblent avoir fonctionné dans le passé ?

Tout d’abord, je dois vous dire que je connais très bien Pavel, un de mes anciens élèves, bref je suis entièrement d’accord avec Pavel Podvig.

Je pense que nous sommes dans cette situation depuis très longtemps, dans un certain sens, je dirais que je parle actuellement tout simplement sans y avoir réfléchi, donc laissez moi corriger mon propos, probablement depuis le moment où nous avons commencé à construire de façon notable (perte de connexion) je dirais probablement depuis le moment où nous avons eu un nombre conséquent d’armes pouvant être lancées depuis des bombardiers, qui étaient déjà déployées sur des bombardiers et prêtes à partir dans un délai relativement court. Les observations de Pavel sont donc exactes. Mais peut-être que je n’ai pas, il faut que j’essaie de me rappeler l’histoire de notre force de bombardement, la force de bombardement américaine.

Probablement cela commence vers 1950 environ, dans les premiers temps, les bombes n’étaient pas immédiatement disponibles, mais elles constituaient un danger, elles étaient quand même un danger parce qu’il pouvait y avoir une décision irréfléchie et même si il fallait un jour ou deux avant que cette décision irréfléchie soit mise en œuvre, elle pouvait bien sûr avoir les mêmes conséquences, mais elle n’aurait certes pas eu les conséquences mondiales que nous avons aujourd’hui parce qu’il y aurait eu un nombre relativement restreint d’armes de faible puissance, mais même à cette époque, cela aurait été une catastrophe humaine sans précédent.

Q2- Depuis le 22 janvier, le traité international interdisant les armes nucléaires s’applique, et ce en dépit des pressions de l’administration Trump pour bloquer son adoption. Les États signataires - dont aucun n’a d’arsenal nucléaire - ont l’interdiction de développer, tester, produire, acquérir, posséder, stocker, utiliser ou menacer d’utiliser de telles armes. Quel est l’impact potentiel de ce traité à moyen terme ? Ce traité est-il susceptible de modifier l’équilibre des forces selon vous ?

Je ne pense pas que cela changera l’équilibre des forces en ce qui concerne les mesures élémentaires, c’est-à-dire si on les considère dans le cadre des capacités militaires des États-Unis et de la Russie et certainement de plus petites puissances comme la Chine, Israël, le Pakistan et l’Inde. Ils conserveront tous la possibilité d’utiliser des armes nucléaires, et le traité n’aura donc pas vraiment d’effet sur leurs choix.

Cela étant dit, je pense que le traité est une très bonne chose parce qu’il s’agit d’une tentative, pas encore couronnée de succès, mais une bonne idée à poursuivre, afin d’établir une norme internationale pour combattre les armes nucléaires qui entraîne ensuite des pressions politiques pour que les États dotés de ces armes fassent quelque chose au sujet de leurs arsenaux.

Selon moi, voilà ce que le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICEN = Comprehensive Nuclear-Test-Ban Treaty) devrait faire, mais les États-Unis et la Russie, ainsi que le Royaume-Uni, je suppose, ne l’ont pas ... (eh bien, désolé... vous devrez m’excuser, voilà un petit moment que je ne parle plus de politique) donc je suppose que nous avons ici les signataires dotés de l’arme qui, je suppose sont les États Unis, la Russie, la France, le Royaume Uni et la Chine. Ces signataires là du TICEN n’ont pas satisfait aux exigences de l’article 6 du traité de non-prolifération, tout particulièrement les États-Unis et la Russie, parce qu’ils sont les principaux détenteurs d’un très grand nombre d’armes nucléaires.

Et l’article 6 exige bien sûr que tous les membres du traité, tous les États signataires, s’engagent en faveur d’un réel contrôle des armements. Étant donné que les États-Unis et la Russie sont les deux puissances nucléaires les plus importantes et qu’ils ne s’engagent pas activement et sérieusement dans les traités de réduction et de contrôle des armements, je dirais que le TICEN a échoué dans une partie très importante de sa mission. Et donc ce second effort est quelque chose d’extrêmement positif à mon avis parce que j’aimerais voir moins d’armes, mais vous savez, il y a des gens qui ne sont pas d’accord avec ça (rires) si vous me demandez ...

Mais... cependant c’est un pas important pour mettre une plus grande pression, de plus en plus internationale, à l’échelle mondiale. Ceci étant dit, je suis un peu tracassé par les Nations Unies déjà fortement exposées aux pressions exercées notamment par les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France à des fins politiques qui leur sont propres, ils militarisent les Nations Unies et les Nations Unies ne réagissent pas avec suffisamment de vigueur, mais ce n’est pas seulement le cas concernant la question nucléaire, c’est aussi le cas en ce qui concerne les questions du Moyen-Orient. Mais tout cela est important, parce que si les signataires, les membres des Nations Unies, qui ne font pas partie de cette coalition des trois grands, en arrivent à la conclusion que l’ONU n’est pas une organisation équitable et impartiale, qui cherche à promouvoir et à appliquer une loi internationale qui exige équilibre et équité, je pense que cela pourrait avoir des effets sur le nucléaire également.

Q3- En 2016, vous avez écrit qu’"une guerre nucléaire accidentelle entre les États-Unis et la Russie était du domaine du possible" et que "la confrontation politique entre la Russie et l’Occident nous met également en danger". Comment la situation a-t-elle évolué depuis lors ? Tiendriez-vous toujours le même discours aujourd’hui ?

Oh, c’est sûr. Je dirais qu’il est très difficile de quantifier ce que signifie le risque dans cette situation parce que les jugements que nous faisons sont basés sur des informations qui, même si nous savions tout, ne seraient pas quantifiables. Mais si vous me demandez ce que j’en pense en me basant sur les inquiétudes que je peux avoir concernant des événements qui pourraient conduire à une escalade incontrôlée, la situation est certainement pire aujourd’hui qu’elle ne l’était ne fût-ce qu’en 2016.

Les États-Unis, et je dois aussi ajouter la France et le Royaume-Uni, ont exercé une pression très forte en Syrie pour renverser le gouvernement Assad ou pour réduire les prérogatives du gouvernement Assad ou peut-être le laisser de côté, pour remplacer le gouvernement Assad. Et les Russes ne pensent pas que ce soit la chose à faire. Il est important que les gens ne se montrent pas trop moralisateurs, vous savez, il y a beaucoup d’indignation vertueuse, en particulier aux États-Unis et, je pense, en France et au Royaume-Uni également, à propos du régime d’Assad qui, selon les normes occidentales, je vous l’accorde, est sans aucun doute coupable de crimes de guerre, je le pense vraiment. Mais cela ne signifie pas qu’il soit le seul acteur maléfique de la guerre civile syrienne.

Les forces rebelles sont également coupables de crimes de guerre et je ne dispose pas de suffisamment de précisions pour pouvoir juger duquel, de l’un ou l’autre camp est plus coupable ou pas, mais il est clair que tous deux sont coupables de crimes de guerre et que, bien que d’habitude, dans une guerre, on soit face à un gentil protagoniste qui combat un mauvais protagoniste, ils sont tous impliqués dans des comportements critiquables, dans des comportements criminels, voire des comportements préoccupants.

Ceci étant dit, la Russie estime que le régime d’Assad est un gouvernement légitime parce qu’il est fondamentalement capable de maintenir une certaine forme de contrôle et de stabilité sur son pays. Ça c’est la position russe. Que vous et moi soyons d’accord avec cela, vous savez, c’est un sujet de débat intéressant et important, je ne vais pas le faire, mais voilà la position russe. Et par exemple, les Russes, juste pour être clair, donnent des exemples, les Russes pensent que la Libye était dans une meilleure situation sous Khadafi qu’elle ne l’est maintenant, à cause de l’instabilité actuelle.

Vous savez, c’est un débat complexe que nous avons eu sur ces questions, mais l’argument russe se défend. Pour être honnête, il me met mal à l’aise, car je pense que Khadafi était un dictateur brutal et un criminel lui-même. D’un autre côté, je préfère vivre dans un pays qui est au moins stable tant que je ne fais pas de politique, car si vous faites de la politique, alors vous avez des problèmes. Aucun doute là dessus .

Certes je n’arriverais pas à survivre si je vivais dans un pays ayant le gouvernement de la Libye, mais la plupart des gens auraient au moins une qualité de vie à peu près raisonnable tant qu’ils ne font pas de politique et ça, ce n’est pas une situation enviable. Ce n’est pas ce qui est le plus souhaitable selon les normes occidentales, mais c’est certainement mieux que d’être assassiné dans son lit par son voisin et d’avoir un gouvernement qui ne peut ni vous protéger ni maintenir un certain niveau de stabilité dans une société. Et c’est là le point de vue russe.

Quand à l’opinion américaine, je ne peux pas parler de l’opinion britannique, elle est qu’Assad est une mauvaise personne et qu’il doit être remplacé. Le problème avec le point de vue américain est ... qui va remplacer Assad ? Je veux dire que l’idée qu’une quelconque démocratie ouverte et florissante va remplacer Assad relève du fantasme, cela n’a rien à voir avec la réalité que nous connaissons tous, quiconque observe ces sociétés comprend immédiatement que la nature de la société est la suivante : un premier groupe de personnes qui va maintenir un contrôle autoritaire prend le dessus et remplace un autre groupe qui lui-même maintient un contrôle autoritaire.

Quand on parle de démocratie, il n’y a pas de tradition, il n’existe pas de culture, la démocratie est une culture mais elle est aussi un système politique et beaucoup de responsables politiques aux États-Unis, qui sont formés dans la communauté américaine des sciences politiques, ne comprennent pas ces faits très simples concernant le monde.

Et donc, les Russes regardent cela et disent : " Écoutez, nous n’aimons pas Assad ", je veux dire, quiconque regarde la façon dont Poutine traite Assad sait qu’il ne l’aime pas, " mais c’est le gouvernement qu’ils ont ", voilà l’attitude des Russes. Et il y a là dedans une sorte de possibilité de maintenir un niveau de stabilité plus élevé que ce qu’ils considèrent comme pouvant être l’alternative.

Et cela n’a aucune importance, je n’essaie pas d’excuser l’un ou l’autre camp, je dis simplement "voilà la situation" et lorsque les États-Unis parlent d’une action militaire contre le régime d’Assad, les Russes prennent cela très au sérieux et une des raisons pour laquelle les Russes prennent cela très au sérieux est que, tout ce que vous avez à faire est d’ouvrir grand vos yeux et de prendre en compte la longueur de frontière que la Russie a avec les pays du Moyen-Orient et le fait que de grands territoires en Russie sont principalement de culture musulmane.

Ce qui ne veut pas dire, ne vous méprenez pas, je ne fais pas partie de ces gens qui pensent que les musulmans sont mauvais, mais au sein de chaque culture on trouve des gens qui sont sensibles aux arguments et aux idées extrémistes, et les Russes ne veulent pas avoir ce problème. De leur point de vue, il s’agit donc d’un vaste ensemble de questions très épineuses pour la sécurité de la Russie.

Je suis sûr qu’une personne parfaitement au fait de ces questions pourrait faire valoir un raisonnement convaincant pour démontrer que mon point de vue pose problème et je ne m’en offusquerais pas, pour être honnête. Mais nous nous trouvons devant un problème et les Russes ont tout intérêt à maintenir ce qu’ils pensent être une situation plus stable qu’elle ne le serait autrement, et bien sûr l’histoire de la situation au Moyen-Orient est là pour le prouver.

Les interventions américaines de ces vingt dernières années ont complètement déstabilisé la région, non pas qu’elle ait été florissante auparavant. Ils vont donc s’opposer à toute action américaine et c’est fort heureux, et je le pense vraiment et quand je dis cela je sais que cela ne va pas me faire taxer de partisan du gouvernement. Par chance, Poutine est plus circonspect à l’idée de se lancer dans une confrontation avec les États-Unis que les États-Unis ne le sont.

Et donc je pense qu’il y a là une vraie chance, parce que les États-Unis sont si agressifs dans leur volonté d’entreprendre des actions militaires qui ne sont pas vraiment réfléchies, que nous pourrions bien, à un moment donné, nous heurter aux Russes. Je pense qu’il y a de très grandes chances que les Russes se montrent extrêmement prudents et mesurés si cela se produit. Et j’espère que cela n’arrivera pas. Mais vous savez, quand les gens commencent à se tirer dessus, tout devient possible. Donc je vois cette situation comme extrêmement dangereuse, très, très dangereuse.

Et l’administration Biden compte exactement la clique de gens qui ont commis les mêmes erreurs que celles que je crains de voir commettre par Biden, ce sont les mêmes. Je suis en train d’essayer de faire publier un article que j’ai écrit. Cela va être très difficile à faire. Mais l’article démontre, et je veux ici être précis, il démontre sans ambiguïté que la version des renseignements américains sur ce qui s’est passé dans l’attaque à l’agent neurotoxique de Damas est totalement fausse.

Or cette appréciation du renseignement américain, en 2013, aurait pu pousser Obama à prendre des mesures militaires qui auraient pu à leur tour conduire à une confrontation avec la Russie, ce qui aurait pu provoquer des représailles contre le régime d’Assad, et donc affaiblir leur armée au point où Damas aurait pu être conquise par l’État Islamique, et nous parlons ici d’un problème autrement plus important, et fort heureusement ce n’est pas ce qui s’est passé. Mais cet échec du renseignement, et c’est un échec absolu et sans ambiguïté, peut être prouvé. Cet échec du renseignement aurait pu avoir les même effets que l’affaire du golfe du Tonkin, ou que l’invasion de la baie des Cochons à Cuba, ou d’ailleurs que l’histoire des armes de destruction massive en Irak, qui était une tromperie des services secrets.

Et il y a toutes sortes de risques de heurts avec les Russes, qui ne sont pas nucléaires au sens premier du terme, mais qui pourraient facilement escalader jusqu’à devenir incontrôlables étant donné que les Russes pensent que les Américains font preuve d’une hyper agressivité et qu’en fait, l’attitude des Américains relève de l’agression.

Dans le débat américain, on entend même aujourd’hui que le leadership américain est nécessaire. Nous devons, à cause de Trump, nous devons maintenant rétablir le leadership américain parce que le monde entier en a tellement besoin et quand j’écoute ces discussions souvent venant depuis les rangs de Biden, je me dis "Avez-vous fait attention à ces vingt dernières années ? Comprenez-vous ce qu’il s’est passé au cours de ces vingt dernières années ? La majeure partie, si ce n’est la totalité de tout ça est liée aux interventions militaires américaines ? " C’est comme écouter Donald Trump ! C’est juste une version différente de ce même Donald Trump, enfin, on sait quand même bien ce qu’il y a derrière tout ça.

Nous avons donc un réel problème et l’administration Biden m’inquiète. J’ai voté pour Biden, je veux que ce soit clair, et je veux très sincèrement qu’il réussisse, je l’aiderai de toutes les manières possibles, mais je suis très inquiet quand je vois les gens qu’il a recrutés pour son équipe de sécurité internationale.

Q4- La récente modernisation des armes nucléaires par l’Amérique vise davantage à améliorer le potentiel offensif ainsi que stratégique plutôt que la sécurité. Cette politique contribue-t-elle à augmenter le risque nucléaire ? Pourquoi, selon vous, les États-Unis font-ils un tel choix politique ?

Ce que vous dites est sans aucun doute déjà en train de se produire et le risque est certainement accru en raison de ce comportement de la part des États-Unis. Les États-Unis sont en train d’augmenter très, très substantiellement leur puissance meurtrière, je vais définir ce que j’entends par "puissance meurtrière" parce que c’est un terme limitatif, donc je vais faire une petite digression, ils sont en train d’augmenter très substantiellement leur capacité à attaquer et à détruire les ICBM basés à terre (missiles balistiques intercontinentaux) et les centres de commandement russes et je veux juste le redire encore une fois, il s’agit d’une augmentation très substantielle de la capacité à détruire les missiles terrestres et les centres de commandement russes et la raison de cette augmentation très substantielle concernant la capacité est la mise en œuvre d’une technologie qui est passée pratiquement inaperçue, j’ai écrit un article à ce sujet dans le Bulletin of Atomic Scientists , si vous ne le connaissez pas, je vous suggère de le lire et je serais heureux d’en reparler avec vous lors d’un autre entretien [ lien vers l’article à la fin de la réponse de Postol à la question 4, NdT].

Il s’agit d’un dispositif que j’appelle "un super fusible". Alors, que fait cet appareil ? En termes très simples, cet appareil peut vous dire si le lancer est légèrement hors trajectoire, et de combien et il peut aussi faire exploser une ogive nucléaire, un peu plus tôt ou un peu plus tard que ce qui était à l’origine prévu pour la détonation. Grâce à une simple observation, il corrige donc, et je peux expliquer cela dans un autre entretien, il corrige la trajectoire qui est légèrement plus longue ou plus courte que prévu pour atteindre la cible. Et c’est la principale erreur à corriger lorsque vous essayez de détruire une cible très fortement fortifiée comme un ICBM.
Cette technologie permet aux têtes de missiles balistiques de 100 kilotonnes lancées par les sous-marins Trident de tuer les ICBM russes dans leurs silos à un niveau de capacité égal à celui des têtes de 450 kilotonnes, dont le rendement est beaucoup plus élevé, car l’augmentation de l’imprécision neutralise le rendement plus faible de cette tête.

Cela signifie qu’il y a une augmentation rapide du nombre d’ogives ICBM à faible rendement qui pourraient être utilisées pour détruire les forces nucléaires russes de manière préventive. Cela signifie également qu’il y a un gel des ogives à plus forte puissance qui seraient autrement engagées dans l’attaque de ces missiles russes en silo et qui peuvent alors effectuer d’autres missions, ce qui signifie qu’il est possible de faire encore plus de dégâts avec les ogives à plus forte puissance contre d’autres cibles parce que nous en avons maintenant beaucoup plus.

Ceci, en fait, en termes de combat de guerre, en termes de tuer des gens, c’est la même chose, parce que les gens sont fragiles, les gens sont vulnérables, vous savez, en termes de combat de guerre, c’est la même chose que de détruire les forces militaires de la Russie, cela double presque la puissance de feu effective des forces nucléaires américaines contre la Russie, cela les double presque...

Les Russes observent tout ça et vous, si vous étiez Russes, qu’en penseriez-vous ? Qu’en penseriez-vous en tant que Français, si nous étions adversaires et que les Américains faisaient cela ? Vous vous diriez . Ces gens se préparent à combattre et à gagner une guerre nucléaire. C’est vrai, je vous l’accorde, je pense que c’est fou, vous pouvez être d’accord pour dire que penser qu’on peut s’engager dans une guerre nucléaire et la gagner est insensé, mais regardez, si l’autre gars pense qu’il peut le faire, cela va augmenter votre niveau d’inquiétude et vous allez prendre des mesures pour essayer de priver votre attaquant potentiel de la capacité de mener à bien cette mission.

La seule chose que vous pouvez faire si vous êtes russe, c’est augmenter vos capacités à lancer vos forces dans un délai très court. C’est la seule chose, la seule mesure technique que vous avez pour rendre l’attaque moins probable parce que si l’attaque arrive, et que vous ne faites pas décoller vos forces avant qu’elle n’arrive, vous allez perdre vos forces. Cela ne fait aucun doute. Donc vous devez être capable de les lancer plus rapidement. De plus, vous n’avez pas non plus de système d’alerte précoce très fiable et la plupart des soi-disant experts militaires - je suis désolé de le dire parce que j’en ai tellement marre des gens qui se déclarent experts alors qu’ils ne travaillent pas - la plupart des soi-disant experts donc ne sont pas au courant du gigantesque effort industriel réalisé sous Poutine, et Poutine s’y est intéressé personnellement, pour augmenter les capacités des systèmes d’alerte précoce des radars russes. Il y a eu un immense effort au cours des dix dernières années.

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Q5- Parce que la Russie était à la traîne sur ce sujet...

Exact. Les radars ne couvraient pas toutes les failles et n’étaient pas aussi performants, pas aussi techniquement performants qu’ils auraient pu l’être. Ils ont été modernisés, des radars ont été ajoutés, de nouveaux radars ont été développés et un programme de modernisation très important et extrêmement coûteux a été mis en place. Et Poutine a bien fait les choses. Vous savez, à chaque fois qu’un nouveau radar était mis en service, il était là pour parler de l’importance de ce programme. Il s’y est intéressé personnellement. Donc il sait ce qu’il fait, au moins dans ce domaine. C’est peut-être un salaud, c’est peut-être un meurtrier, je ne le défends pas, mais vous savez, c’est une grosse erreur de diaboliser un dirigeant parce que vous ne l’aimez pas, parce que si vous le faites, alors vous ne voulez pas savoir à qui vous avez affaire.

Quiconque voulant vraiment comprendre ce qui s’est passé dans l’Allemagne nazie ne devrait pas passer son temps à diaboliser Hitler et sa clique. Ils devraient passer leur temps à les étudier psychologiquement. C’est un groupe très intéressant. Ce sont des monstres, ce sont des criminels, ça ne fait aucun doute. Mais si vous vous contentez de les diaboliser, alors vous ne comprendrez pas comment on peut éviter ce genre de passage brutal au meurtre autoritaire, à moins de comprendre la mentalité de ces gens là. Et faire une croix sur Poutine comme s’il était un idiot, et qu’il n’était pas intelligent, relève de la pure stupidité, c’est le summum de la stupidité.

Cet homme là comprend dans les moindres détails nombre des questions qu’il tente de régler en Russie. Vous n’avez pas à l’aimer, vous n’avez pas à penser qu’il est un grand leader démocratique, mais il est important de comprendre que c’est un homme très intelligent et qu’il a beaucoup réfléchi à la sécurité de la Russie dans le contexte des armes nucléaires. Et il sait ce qu’il fait et il en a fait une priorité nationale au niveau de la présidence, en se déplaçant, en mettant les ressources à disposition, en étant présent à l’inauguration de chacun de ces radars, pour faire comprendre que la Russie n’allait pas devenir la cible d’une attaque surprise américaine.

Et on peut trouver les déclarations qu’il a faites en réponse à la question : " La Russie riposterait-elle contre les États-Unis ? "et il donne une réponse qui fait froid dans le dos et qui est plausible. Il dit : " Il serait inutile de tuer des centaines de millions de personnes en réponse à une attaque des États-Unis, mais nous n’avons pas d’autre choix que d’être clair sur ce point et de dire très précisément que nous le ferons si nous nous trouvons forcés de le faire. Parce que c’est le seul moyen de dissuader une telle attaque." Ces propos sont consignés.

Et seul un imbécile voudrait prendre une déclaration comme celle-là et la déformer pour faire de Poutine un monstre alors que nous sommes ceux qui prenons des mesures qui le forcent à jouer ce rôle, à adopter cette position ou à faire une telle déclaration. C’est nous qui sommes les idiots, pas lui.

Donc oui, c’est dangereux, c’est très dangereux. Et il n’a toujours pas de système d’alerte précoce par satellite, de quelque capacité que ce soit. Je ne sais pas pourquoi les Russes ont été incapables de le faire. J’ai des suppositions raisonnablement informées sur les problèmes technologiques qu’ils rencontrent dans ce domaine. Mais je peux vous dire avec certitude que s’ils pouvaient le faire, ils le feraient, car si vous regardez la manière dont M. Poutine a déversé des financements et ressources pour les systèmes de radar et si vous examinez ses déclarations, au lieu de lancer des pistes par lesquelles vous essayez simplement de le diaboliser dans tout ce qu’il dit. Vous comprendrez que cet homme sait que l’alerte précoce est importante. Si le système satellitaire n’est pas en place, c’est parce qu’il y a une barrière technique que ces gars n’ont pas été capables de surmonter. Et c’est dangereux. Désolé, vous m’avez fait sortir du sujet.

Q6- Selon vous, il serait dans l’intérêt de tous - et surtout de la France et de l’Allemagne - de permettre à la Russie d’obtenir ces technologies - je veux dire la modernisation d’un système fiable d’alerte missiles par satellite - pour réduire les dangers. Mais Poutine peut-il obtenir ces technologies tout seul ?

Je tiens à préciser ce point pour vos lecteurs : La France et l’Allemagne disposent de la technologie nécessaire pour construire un solide système d’alerte précoce basé dans l’espace si elles étaient prêtes à y consacrer les ressources nécessaires. Et elles ont la capacité de fournir cette technologie cruciale à la Russie. Et je tiens à souligner que si ces pays fournissaient cette technologie essentielle à la Russie, ce ne serait pas un don de technologie. Ce serait comme si je vous donnais un ordinateur, une puce informatique évoluée, pour que vous puissiez assembler un ordinateur doté de certaines capacités. Dans la mesure où je ne vous communiquerais pas la façon de construire la puce, ce serait le genre d’aide qui ne pourrait pas être exploitée à d’autres fins. Elle ne pourrait être utilisée que dans le but d’améliorer la capacité d’alerte précoce russe et je sais que cela va énerver certains de vos lecteurs, mais je vais quand même le dire.
Si la France et l’Allemagne subissent les conséquences d’un échange nucléaire déclenché entre les États-Unis et la Russie, elles en porteront en partie la responsabilité parce qu’elles sont en mesure d’équilibrer cette situation.

Je veux être très clair à ce sujet. Je l’ai dit à mes collègues allemands et je suis heureux de le dire à mes collègues français. Quand je vais en Allemagne, j’ai des contacts au ministère des Affaires étrangères là-bas, et je leur dis ce que je suis en train de vous dire, je le leur dis. Et si ce qui les inquiète le plus c’est que les Américains ne veuillent pas faire quelque chose qui est dans l’intérêt, je veux le souligner, de l’Occident. Parce que les Américains sont tellement déterminés à nuire à la Russie par tous les moyens possibles, que cela ait un sens ou non. Alors les Français et les Allemands méritent aussi d’en subir les conséquences. Je ne pense pas que quiconque mérite les conséquences de ceci, mais ils en feront partie, ils font partie du problème. Disons le simplement, vous êtes à l’ONU.

Q7- L’Europe n’est-elle pas trop encline à suivre la diplomatie américaine pour qu’une telle politique, un échange de technologies, puisse avoir lieu ?

Écoutez, la France est une grande puissance souveraine, vous m’excuserez si je dis cela, peut-être que cela offensera certains des vôtres ... Les Français sont réputés, je dis bien réputés, j’utilise ce mot, réputés pour leur capacité à être des « exceptionnalistes » à l’égard de nombreuses politiques que les États-Unis adoptent. Quand je dis réputés, je ne veux pas dire qu’ils ont tort, mais ils sont heureux de regarder un Américain en souriant et en lui disant qu’il ne sait pas de quoi il parle. J’ai de nombreux collègues français, je les aime bien, en fait je suis souvent d’accord avec eux, mais pour eux, se retrouver en face d’un Américain et lui dire : "Vous n’y connaissez rien, votre politique n’a aucun sens !" ne leur pose aucun problème.

Alors pourquoi un pays ayant des capacités historiques, politiques et technologiques, comme la France ou dans ce cas précis l’Allemagne, ne peut-il tout simplement dire aux États-Unis : " Tout ça n’est pas dans notre intérêt commun, alors nous allons le faire, que cela vous plaise ou non".

S’ils veulent se plaindre que Trump a affaibli l’OTAN ..... Eh bien quand l’OTAN est forte, cela ne veut pas dire que les Français agissent comme le petit toutou des Américains. Et j’utilise ce terme parce que je sais qu’il va mettre les Français en colère. Si les Français veulent être les petits chiots des Américains, c’est leur choix. Mais c’est leur choix, ils peuvent le faire, et c’est la même chose pour les Allemands.

Et je suis un défenseur de l’OTAN tant qu’elle fonctionne comme une véritable alliance, et l’OTAN ne fonctionne pas comme une véritable alliance. L’OTAN, vous savez, les États-Unis claquent des doigts au sein de l’OTAN et tous ces gens se précipitent, se bousculent pour faire des choses dont ils disent, en privé, et parfois publiquement, que ce n’est pas une bonne idée. Donc, vous voyez, je suis aussi direct que je peux l’être.

Et voilà, on va en arriver à un autre pays dans lequel je ne pourrai pas me rendre sans être soumis à des critiques acerbes. Je veux dire, vous savez, j’en ai marre, j’en ai marre de l’establishment politique américain, j’en ai marre des Britanniques et des Allemands aussi.

Q8- Trente ans après la fin de la guerre froide, tant les États-Unis que la Russie renforcent à nouveau leurs arsenaux nucléaires. Si nous avons miraculeusement réussi à survivre jusqu’à présent, ce miracle ne pourra pas durer éternellement. À quelles conditions l’humanité peut-elle parvenir à écarter le risque (même accidentel) d’une guerre nucléaire ?

Eh bien, je veux dire, tout d’abord, que si nous avons survécu aussi longtemps que nous l’avons fait, c’est grâce à une sacrée chance. C’est la raison pour laquelle nous avons survécu aussi longtemps. Et si nous ne commençons pas à communiquer entre nous de façon sérieuse, les choses ne feront qu’empirer. En fait, si rien ne se passe, la situation va empirer parce que la probabilité d’un accident augmente avec le temps, même si vous n’aggravez pas la situation matériellement. Mais en fait, pour couronner le tout, nous aggravons matériellement la situation.

Donc l’idée qu’il n’y aura jamais d’accident est d’une stupidité sans nom. Et je ne peux pas préciser que ça va arriver demain ou dans cinquante ans, parce que ça pourrait encore durer trente, quarante, cinquante ans, on ne sait pas. Personne ne sait ce qui pourrait arriver. Mais je ne considère pas que cinquante ans soit une longue période si nous parlons de l’extermination d’une grande partie de la race humaine. Donc, cinquante ans ou cinquante jours, dans un sens existentiel, ce ne fait pas une grande différence.

Et je pense que les grandes puissances, et j’inclus les Français, les Britanniques et les Allemands, doivent commencer à être sérieux et la façon d’être sérieux est de faire des choses qui ont été soigneusement réfléchies et qui ont du sens, quiconque se targue d’honnêteté et a une réflexion logique devrait être d’accord sur ce point.

Et cette alerte précoce dont j’ai parlé, personne d’autre qu’un soi-disant expert en sécurité qui n’a jamais rien fichu mais qui vit d’idéologie, ne pourrait argumenter pour s’opposer à ce que je dis. Personne.

Vous pouvez vous enorgueillir et prétendre que vous êtes un grand expert en sécurité basé à Washington, mais vous ne savez pas de quoi vous parlez si vous prétendez que ce pour quoi je plaide n’a aucun sens. Si vous ne pouvez pas faire valoir ce point de vue auprès de l’homme de la rue, alors votre raisonnement n’a pas lieu d’être. Et tout le monde peut s’attaquer à la thèse que je défends, et personne n’a été en mesure de le faire au cours des décennies où je me suis efforcé de la formuler, des décennies. Et par ailleurs, vous parlez de ce qui est dangereux ?

Clinton, à cette époque là, vers les années 2000, 1998 et 1999, je me suis intéressé à la question de cette alerte accidentelle qui s’est produite en Russie, elle s’est produite en 1995. J’ai probablement commencé à m’y intéresser quelques années plus tard. Je n’y avais même pas prêté attention, mais contrairement à tous ces soi-disant experts en sécurité, je me suis livré à une analyse. C’est bien de faire quelque analyse plutôt que de parler ex cathedra. Et lorsque j’ai commencé à analyser les trajectoires de la fusée-sonde à l’origine de la fausse alerte, j’ai découvert que la trajectoire ressemblait à celle d’une fusée Trident. C’est moi qui ai découvert cela. Je l’ai formulé, moi et personne d’autre.

Et puis j’ai commencé à écrire au sujet de ce problème d’alerte précoce parce que la question s’est posée : "Pourquoi les Russes n’ont-ils pas aboyé, c’est la vieille histoire du chien qui n’a pas aboyé ?". J’étais dans une réunion avec les Russes, une bande de Russes. On était en plein dans une grande discussion sur cette fausse alerte et j’ai demandé à un des Russes : "Pourquoi vos satellites basés dans l’espace ne vous ont-ils pas dit qu’en fait rien ne se passait, vous savez, dans le reste du monde". Et ce Russe, cet ami à moi, c’était un ami, vous savez, il est mort dans la solitude, il y a quelques années. Il est devenu blanc comme un linge et je ne pense pas que c’était parce qu’il savait quelque chose, je pense que c’était parce qu’il n’avait jamais pensé et n’avait jamais posé cette question parce qu’il était un expert en alerte précoce.

Et je pense qu’il s’est rendu compte que la question que je posais était la bonne question à poser. Parce que si on lit la littérature russe, ils ne parlent pas de leurs satellites d’alerte précoce, sauf de manière générale, et ils ne prétendent pas être capables d’assurer une surveillance mondiale.

Et puis j’ai commencé à examiner les constellations de satellites, car ce sont elles qui vous indiquent où les satellites peuvent être en train de se déplacer. Vous savez, les endroits où ils surveillent la surface de la terre, et il est devenu évident que les satellites n’étaient optimisés que pour observer une très petite zone sur la terre. Ils n’étaient pas capables de surveillance mondiale. Leur capacité étaient limitée, elle n’était pas globale. Ensuite, j’ai commencé à me pencher sur les débits de données, parce que les débits de données des satellites en disent long sur ce qu’ils enregistrent et transmettent à la Terre. Et cela a révélé qu’il leur était impossible de faire de la surveillance à grande échelle.

Maintenant, juste pour vous donner une idée de la gravité de la situation, les gens du Pentagone m’ont demandé à l’époque, parce que Bill Clinton était impliqué dans cette affaire, et je vais le dire exactement comme je le ressens, ce faux bug Y2K [passage informatique à l’an 2000,Ndt], vous savez, la coopération avec le gouvernement russe, pour empêcher une guerre nucléaire accidentelle lorsque les aiguilles de l’horloge passeraient de 1999 à 2000. C’est la chose la plus stupide dont j’ai jamais entendu parler, et d’accord, donc j’ai joué le jeu, pour être honnête, j’ai joué le jeu parce que j’ai dit : "OK, c’est stupide mais c’est peut-être une opportunité politique de faire quelque chose de constructif." J’étais en train de me conduire en personnage politique, je l’admets ouvertement.

Les gens de Clinton au Pentagone m’ont donc demandé de venir examiner certaines de leurs propositions de travail avec les Russes. J’y suis allé et ils m’ont donné, à l’époque j’avais des accréditations complètes pour le renseignement, et ils m’ont donné une pile des documents les plus sensibles du renseignement américain, sur le système russe d’alerte précoce par satellite, et ils ne savaient rien des problèmes rencontrés par le système. Les documents des renseignements spéciaux en question ignoraient tout du fonctionnement du système et n’en connaissaient pas les limites. C’était un document du renseignement totalement fabriqué. Il était complètement dénué de substance, de réalité. Il n’était même pas faux, il n’atteignait même pas le niveau de l’erreur, il était tellement à côté de la plaque.

Alors je leur ai dit, je leur ai communiqué toutes nos analyses, à ces gens au Pentagone, et la raison pour laquelle je l’ai fait est que je voulais que le Pentagone commence à coopérer avec les Russes pour résoudre ce très important problème, problème dangereux pour nous tous. Nous étions tous en danger. Je n’avais pas espionné les Russes, tout cela ne provenait que de documents accessibles au public. C’était le fruit d’un travail logique et technique minutieux. Donc c’était connu, vous savez, absolument rien de tout cela ne provenait de sources non autorisées.

Mais moi j’avais découvert ça, et pourtant il s’agissait de notre propre système de renseignement ! Alors, imaginez que nous ayons une crise avec la Russie et que l’on dise au président américain quelque chose du style : " Eh bien il est absolument certain que les Russes sont au courant, si ils font ça c’est parce qu’ils veulent nous provoquer ". C’est d’ailleurs ce qu’il s’est passé pendant la crise des missiles de Cuba, des U2 ont pénétré dans les zones contrôlées par la Russie et les Russes ignoraient complètement si c’était de notre part des manœuvres de provocation ou pas. Il n’est pas nécessaire d’être un expert en sécurité basé à Washington pour être au courant de ça, ou de ne pas l’être si on en vient à ça, voilà essentiellement la teneur de mon propos.

C’est donc une affaire très sérieuse. Je parle donc à ces personnalités du Pentagone, je leur parle de cette grave défaillance dans le renseignement et ils me clouent le bec, et tout d’un coup, je me retrouve exclu. Je vais donc en Russie, Je-Vais-En-Russie (j’insiste), et je fais un exposé devant l’agence russe qui construit leurs satellites. Ce qui se passe après la conférence, c’est que plusieurs de mes bons amis, qui n’avaient pas participé à l’analyse, qui n’en savaient rien. Et là, ce foutu KGB me tombe dessus, parce que vous savez, ces gens de la sécurité, qu’ils soient américains ou russes, ils ne peuvent tout simplement pas imaginer que quelqu’un puisse découvrir quelque chose grâce à la logique, parce qu’ils ne sont pas capables de logique eux-mêmes, et voilà qu’ils s’en prennent à mes amis russes qui n’avaient rien à voir avec ça. Et donc, tout à fait par inadvertance, j’ai attiré des ennuis à tous mes amis russes, ce pour quoi je culpabilise encore terriblement, même aujourd’hui. Tout ça parce que je me suis adressé directement aux gens de Kometa [Institut central des sciences et de la recherche,NdT], la grande institution qui construit les satellites.

Et laissez-moi vous dire que les gens de Kometa ont quasiment confirmé ce que j’avais dit sans s’en rendre compte. Je peux vous dire ce qui s’est passé parce que le chef de Kometa, Anatoly Savin, était brillant, et d’ailleurs personnellement j’aimais beaucoup Savin, mais c’était un stalinien, d’accord ? Donc politiquement il n’était pas mon ami. Savin et moi n’étions pas d’accord sur ce point, mais en tant qu’homme, en tant qu’être humain, je l’appréciais et nous avions une très bonne relation personnelle.

Donc Anatoly n’a pas pu résister quand j’ai affiché à l’écran une image de ce que je soupçonnais, ce que je devinais être une zone de surveillance que les Russes essayaient de couvrir avec leur système Prognoz, leur système appelé Prognoz qu’ils essayaient de lancer. Il n’a pas pu s’en empêcher, il souriait, il ne pouvait pas prendre de risques et il a dit : "Vous vous êtes trompé dans la forme des zones ! "Eh bien, cela répondait à la question que je me posais lorsque je procédais à l’analyse et maintenant je comprends comment sont conçues les zones, parce que je me posais la question de savoir comment leur système de balayage pouvait fonctionner et j’avais été dans l’erreur quant à ma supposition. J’avais raison pour les zones, mais c’est sur la forme des zones que je m’étais trompé. Alors il me dit ça et voilà qui confirme tout le reste.

Il se trouve que les Russes voulaient faire quelque chose. Je pense que les Russes, Savin avait compris, et c’est un stalinien, rappelez-vous, et il sait que je ne suis pas d’accord avec lui. Savin avait compris que mon objectif était de résoudre ce problème pour la sécurité mutuelle de nos deux pays. Les gens du Pentagone n’ont rien compris ou alors s’en fichaient complètement. En fait, je pense qu’ils ont compris, ils s’en fichaient. Parce que le Pentagone travaille pour lui-même, pas pour la sécurité des États-Unis. Ils voient des menaces partout même lorsqu’il n’y en a pas, et par contre quand il y a des menaces, vous savez, ils ne sont plus là.

Regardez ce qu’il s’est passé avec notre Capitole, l’attaque contre notre Capitole. Je veux dire, vous savez, grâce à ce que vous avez intercepté (dit deux fois) concernant des échanges publics, qu’il va y avoir un assaut sur le bâtiment du Capitole à Washington et vous n’avez aucune troupe qui soit prête à intervenir rapidement si cela se produit. Et alors vous affirmez que vous n’étiez pas sûr que cela allait se produire, et que donc vous ne vous êtes pas préparé à cette éventualité. C’est le Pentagone. Voilà pourquoi nous avons donc de gros problèmes et le danger nucléaire n’est pas du tout pris en compte par les États-Unis alors même que nous sommes ceux qui pouvons nous soucier de la question parce que NOUS avons la technologie.

Et les Russes, et les Français, et les Britanniques, enfin les Britanniques on les oublie, mais les Français et les Allemands peuvent résoudre ce problème. Mais ils ont trop peur, ils sont trop souvent comme des chiots dans le giron des Américains pour résoudre le problème. Quand les Britanniques font quelque chose comme se retirer de l’UE, ils veulent punir les Brits mais ils ne sont pas prêts à faire quelque chose pour augmenter la sécurité de leurs propres pays en échangeant des technologies critiques, en partageant des technologies critiques, en prêtant des technologies critiques parce que eux ils ne peuvent pas y avoir recours, ils peuvent seulement avoir accès à la technologie, ils n’ont aucune vision sur la façon de la mettre en œuvre. C’est incroyable pour moi. De toute façon, ils peuvent tous dire que l’OTAN fonctionne mieux que jamais, maintenant qu’ils sont de retour dans le giron, vous savez, ils sont de retour dans le giron !

Q9- La réduction du risque nucléaire peut-elle se faire avec un désarmement partiel ou un désarmement total ? Quelle est votre opinion à ce sujet ? Noam Chomsky est assez radical sur ce sujet. Qu’en pensez-vous ?

Eh bien, je pense que l’argument de Chomsky serait correct si ce qu’il propose pouvait être mis en œuvre, si vous pouviez trouver une solution pratique au problème que je suis sur le point de décrire.

Le problème est que la technologie pour construire des armes nucléaires est vraiment universellement connue, je dirais vraiment universellement connue. Et la principale barrière à la construction d’une arme nucléaire est économique. Tout pays qui a l’économie satisfaisante pour construire une arme nucléaire peut le faire. Car si vous avez le niveau économique pour construire une arme nucléaire, cela implique que vous avez une économie industrielle. Si vous êtes un pays qui n’a pas d’économie industrielle, alors vous ne pouvez pas avoir d’armes nucléaires. Mais si vous avez une économie industrielle significative, ce qui représente un grand nombre de pays dans le monde, il y a encore un très grand nombre de pays qui n’ont pas d’armes nucléaires. Donc, si vous avez cette économie, vous avez l’infrastructure industrielle pour construire une arme nucléaire et vous avez également les ressources, les ressources économiques pour vous engager dans cette voie.

Vous ne pouvez pas exclure la possibilité qu’un pays ou même des pays satellites puissent subrepticement s’engager dans un programme de construction d’armes nucléaires. Il ne serait pas aisé de le cacher car il existe de nombreux moyens de surveiller ces activités, mais ce n’est pas impossible.

Il n’est pas inimaginable que quelqu’un n’arrive pas à le dissimuler, ou même qu’alors qu’ils n’aient pas réussi à le cacher, ils pourraient poursuivre leur programme, alors vous montez au créneau : "Écoutez, je n’aime pas que le Kazakhstan construise une arme nucléaire", ils auraient la capacité industrielle, ce serait un grand effort, mais vous savez... "donc je n’aime pas que le Kazakhstan construise une arme nucléaire, vous ne devriez pas le faire, arrêtez ça".

Eh bien, ils répondent : "Nous n’allons pas nous arrêter !". Et alors, quel est votre choix ? Construire une arme nucléaire vous-même ou menacer ?

Il est difficile de concevoir comment on peut avoir un monde totalement exempt d’armes nucléaires ; à moins que nous ne soyons déjà dans un monde totalement exempt de tout type de conflit potentiel important que nous connaissons actuellement dans le monde dans lequel nous vivons.

À un moment donné, il sera peut-être possible de parvenir à un accord commun auquel tous les pays se conformeront. Honnêtement, je ne l’envisage pas dans un avenir prévisible et peut-être qu’un jour, les pays seront suffisamment d’accord entre eux pour pouvoir intervenir rapidement dans un cas comme celui que je décris. L’intervention devrait être militaire, mais pas nécessairement nucléaire, elle pourrait être de type conventionnel.

Mais si nous devons aller au Kazakhstan, leur retirer leurs armes nucléaires, cela pourrait être fait si vous aviez un accord, vous savez, entre la Russie, les États-Unis, la Grande-Bretagne, et vous savez l’Azerbaïdjan et vous savez le Pakistan, l’Inde ... Si nous sommes tous d’accord pour estimer que c’est inacceptable, alors nous allons simplement y aller et le faire, les stopper dans leur programme. Vous pouvez mettre en œuvre quelque chose comme ça, mais je n’arrive pas à imaginer une situation par laquelle vous obtiendriez de tous ces pays qu’ils acceptent de le faire, et je n’arrive pas non plus à imaginer une situation par laquelle vous pourriez obtenir d’eux non seulement qu’ils acceptent de le faire, mais aussi qu’ils prennent des mesures non ambiguës en temps voulu pour empêcher un pays de se doter d’une arme nucléaire.

Cela dit, je ne pense pas du tout que l’argument de Chomsky soit complètement dénué de sens. Je pense qu’il a raison. Mais tant qu’il y aura une arme nucléaire, il y aura un danger nucléaire. Je suis simplement préoccupé par la mise en œuvre. J’aimerais l’entendre s’il a des arguments qui viennent en contradiction avec ce que je dis. Je n’essaie pas de convaincre, pour le moment il s’agit juste d’une réflexion.

Je pense pourtant que nous pouvons avoir un monde qui serait bien moins dangereux. Cela ne veut pas dire qu’il n’est pas dangereux. Il y aura un danger nucléaire, c’est certain, mais nous pourrions certainement avoir un monde immensément moins dangereux que celui que nous avons actuellement.

Par exemple, tous ces moyens de surveillance par satellite que les États-Unis ont, et la Russie aussi, et les Européens sont en train de les construire. Les Européens, vous savez, ils n’aiment pas être laissés à la traîne et ils sont devenus aussi riches, et vous savez, fondamentalement ils ont, ils ont la technologie.

Je pense qu’un système de surveillance mondial capable de détecter le lancement de missiles balistiques, de faire de la télédétection... nous avons déjà ça, dans une certaine mesure, parce que nous avons des satellites commerciaux, qui peuvent être utilisés pour la surveillance concernant les violations internationales des lois, des violations du droit international et du traité des Nations Unies qui interdit les armes nucléaires, du moins dans certaines circonstances que nous essayons d’éliminer, mais ça, ce serait bien.

Et cela pourrait rendre le monde plus sûr, alors, ne serait-il pas sûr ? Ne répondrait-il pas aux normes de sécurité que Chomsky défend, et avec lesquelles je ne suis pas en désaccord ? Il est difficile de voir comment le mettre en œuvre. Mais un monde plus sûr, nous aurions certainement un monde plus sûr. Et d’ailleurs, il ne s’agit pas ici de naïveté ! Prenez indirectement l’exemple de mes amis de Washington. J’adorerais avoir un débat avec ces gars-là, mais ils ne veulent pas débattre en public. Ils veulent juste se faire mousser et faire de grandes déclarations sur le grand leadership Américain dont nous avons besoin dans le monde.

Ils devraient aller au Moyen-Orient, rester debout en plein milieu d’une place publique et déclarer ça, sans porter de gilets pare-balles. Vous savez quelle sera la réaction : "Nous avons besoin du leadership américain dans le monde !"

Q10- En termes de puissance, quelle est la différence entre les bombes utilisées à Hiroshima et Nagasaki et les bombes actuelles ? Quel est le potentiel de destruction d’une seule bombe ? Le lancement d’une arme nucléaire est-il aussi simple que d’appuyer sur un gros bouton rouge ? Combien de temps faut-il pour anéantir l’humanité avec des armes nucléaires ?

Ce sont des questions complexes. Je vais essayer de vous donner... Je risque de m’éloigner quelque peu du propos, mais vous avez un enregistrement et vous pouvez l’utiliser.

Cette question comporte plusieurs aspects qui doivent être traités séparément. Le processus physique de lancement d’une arme nucléaire, disons le lancement d’un ICBM, qu’il soit Russe ou Américain, probablement Chinois aussi,Britannique, Français en fait. Les actions militaires concrètes nécessaires pour, ce qu’on appelle "libérer une arme nucléaire", signifie, vous savez, elle est verrouillée, elle est verrouillée d’une certaine manière parce que tout le monde a des moyens de protéger l’arme afin qu’elle ne puisse pas être déclenchée par un ou des individus non autorisés.

Ce processus, si vous avez un code, qui serait envoyé d’une manière ou d’une autre, ou par un chef central, admettons que vous avez le code, le lancement pourrait être fait extrêmement rapidement, potentiellement en moins d’une minute mais certainement en quelques minutes ou une minute ou deux. Ce processus prend donc très peu de temps. Maintenant, avoir le code est un gros obstacle pour quelqu’un qui veut lancer une arme. Donc, les gens essaient de concevoir les systèmes et je suis sûr, je ne sais rien de ce que font les Russes, mais je suis sûr qu’ils savent ce qu’ils font. Ces codes doivent donc être hautement protégés et de multiples mécanismes doivent être mis en place pour prévenir les risques.

Donc je vous donne ... vous savez c’est comme entrer dans votre maison avec un système de sécurité. Je vous téléphone, je vous donne le code et il ne vous faut qu’une seconde pour le saisir et franchir votre porte. Si vous n’avez pas le code, cela peut vous prendre beaucoup de temps pour casser le code. Et je peux avoir des systèmes qui me permettent une surveillance, je peux voir si quelqu’un essaie de casser le code, vous voyez que je puisse voir si on entre des codes, des trucs comme ça.

Ces systèmes sont donc relativement sûrs. On ne peut pas exclure complètement l’existence d’une astuce, mais il semble très improbable que quelqu’un puisse contourner ces systèmes. Ce n’est pas impossible, nous ne savons pas tout ce qui se passe, mais il est très improbable que quelqu’un puisse contourner le système, mais s’il possède les codes, il peut agir très vite.

Donc maintenant la question est : "Comment les codes leur sont-ils communiqués ?". "Eh bien, la question est : "Qui est en charge des codes ?". En temps de paix, si vous êtes les États-Unis ou la Russie, le Président est en charge des codes. Nous savons que le Président Russe a les codes.

Mais si les systèmes de communication en Russie tombent en panne pour une raison inconnue, vous pouvez être absolument sûr ; je n’en suis pas sûr, je veux être clair, je n’en suis pas sûr, mais je suis absolument sûr, cela ressemble à une tautologie, mais je suis absolument sûr qu’il y a des gens à un niveau inférieur qui ont accès aux codes et qui pourraient déclencher les armes.

Parce que si vous êtes sous la menace d’une attaque visant à vous priver de la capacité de communiquer avec vos forces nucléaires, ce qu’une attaque américaine essaierait certainement de faire, il ne fait aucun doute qu’elle essaierait de le faire si l’on considère ces forces américaines, la façon dont elles sont conçues et le genre de déclarations que font les Américains concernant un conflit nucléaire. Il ne fait aucun doute qu’en tant que planificateur nucléaire russe, il vous faut être capable de lancer vos forces sans que le président ou un autre dirigeant soient impliqués.

Cela veut dire que vous devez disposer d’un système élaboré, qui naturellement serait de très haute sécurité et serait probablement modifié de temps à autre, pour lancer des armes nucléaires sans que le président y prenne part.

Maintenant, vous feriez mieux d’espérer, et je ferais mieux d’espérer, et nous ferions tous mieux d’espérer que ce système n’est pas vulnérable en cas d’accident.

Par exemple à une époque, les États-Unis avaient une organisation très secrète qui faisait qu’ un général à une étoile, et par une étoile, j’entends une personne dont le rang est immédiatement supérieur à celui de colonel. Ainsi, une personne d’un grade immédiatement supérieur à celui de colonel pouvait lancer les ICBM nucléaires américains si certains critères étaient remplis, si les communications avec Washington étaient impossibles, si certains systèmes d’alerte n’étaient pas disponibles, vous savez, je ne connais pas tous les détails mais je sais pertinemment que nous avions un arrangement, qui faisait qu’une personne d’un grade supérieur à celui de colonel pouvait lancer les forces nucléaires américaines si certaines conditions étaient remplies.

Convenons-en ce n’est pas là une situation viable, je le revendique. Et je suis pratiquement sûr qu’il existe aujourd’hui des arrangements similaires en Russie, et probablement aussi aux États-Unis. Alors pensez-vous que c’est sûr ? Je ne sais pas, je veux dire vous savez. Il ne me semble pas que ce soit le cas.

La manière dont c’est fait est-elle frivole ? J’en doute. Je pense que c’est une protection très, très élaborée, les gens sont très prudents, très réfléchis, ils revoient constamment la situation. Je pense que c’est vrai d’ailleurs en France aussi. Les forces Françaises sont des sous-marins. Quelqu’un a la capacité de communiquer avec ces sous-marins et ce n’est pas seulement le Président de la France, je peux vous l’assurer sans le savoir. Et c’est certainement vrai aussi en Grande-Bretagne, UK. Et en Chine. Donc des niveaux de risques sont inhérents à ces systèmes et il y a des interactions qui pourraient se produire entre ces systèmes sans même que les gens le sachent.

Qui aurait pu imaginer qu’une fusée sonde lancée depuis une île de la côte nord-ouest de la Norvège puisse déclencher une fausse alerte potentielle du système d’alerte précoce russe ? Qui aurait pu imaginer cela ? Je vais vous dire, je n’y avais jamais pensé et laissez-moi vous dire que je me suis également inquiété d’une guerre nucléaire, d’une guerre nucléaire accidentelle dès les premiers jours où j’ai commencé à m’intéresser à la question des armes nucléaires, depuis la toute première fois où j’ai commencé à penser que je voulais travailler sur ces problèmes.

Et je suis plutôt bon dans ce que je fais. Je n’essaie pas de me hausser du col, je ne suis pas le genre de personne qui pense que si je suis doué pour comprendre les armes nucléaires, je suis un génie qui doit être admiré. Vous savez, je viens d’un milieu universitaire où il y a des gens qui peuvent réciter de la poésie et qui se prennent pour des génies. Ils peuvent être des génies pour réciter de la poésie mais ils ne sont pas des génies. Je ne fais pas partie de ces gens là, mais je suis très bon dans ce que je fais. Je suis très bon dans ce que je fais. J’ai découvert toutes sortes de choses au cours de ma carrière, la défense antimissile, toutes sortes de choses. J’ai été le seul à les découvrir, c’est simplement un constat.

Je peux vous dire que je n’ai jamais envisagé la possibilité que quelque chose comme ça puisse se produire et c’est ce qui m’est passé par la tête quand j’ai commencé à comprendre. Je me suis dit : "Mon Dieu, on est ici devant quelque chose de tellement différent de tout ce dont je me suis jamais inquiété que cela montre le nombre de possibilités différentes d’échec dont nous n’avons même pas idée et qui cependant pourraient exister.

La leçon que j’ai tirée de cette alerte de 1995, dont par ailleurs je ne parle pas, à la différence d’autres qui ne l’ont pas découverte, et qui en parlent comme s’ils l’avaient découverte, alors que c’est moi qui l’ai découverte. Contrairement aux personnes qui prétendent être au courant, je ne pense pas qu’il s’agissait d’une alerte susceptible d’entraîner l’utilisation d’armes nucléaires russes dans le cadre d’une réponse à l’Amérique. Je pense que les Russes ont géré cette situation de manière très prudente et professionnelle, en dépit des limites auxquelles ils étaient confrontés avec leurs propres systèmes d’alerte. Je ne pense donc pas que nous ayons été proches d’un accident nucléaire. Je pense que ce que cette fausse alerte nous dit, c’est que nous pourrions, dans d’autres circonstances, précipiter un accident nucléaire.

Par exemple, si nous avions été en pleine crise entre nous, les États-Unis et la Russie, lorsque cet événement particulier s’est produit, les choses auraient pu se passer différemment. Le fait que nous n’étions pas en danger immédiat par rapport à ce qu’il aurait pu être ne devrait pas être une indication que nous ne devrions pas être préoccupés par cette fausse alerte . Et d’ailleurs, le système américain n’a pas informé correctement ses propres citoyens à ce sujet.

Il y a un jeune cinéaste très talentueux qui travaillait sur ce sujet, sur un projet, un film sur ce sujet, et il est très prudent, et très minutieux, donc je lui ai donné beaucoup de soutien technique et dans le processus de soutien technique, j’ai parlé à des personnes de très haut niveau. Par exemple, je connais personnellement Bill Perry [secrétaire à la Défense entre 1994 et 1997 dans l’administration du président Bill Clinton,NdT], je l’ai connu lors de mes études à Stanford, j’ai travaillé avec lui.

J’en ai discuté avec Bill Perry et Bill Perry qui était Secrétaire à la Défense au moment de cette fausse alerte m’a dit qu’il n’en avait jamais été informé... Un autre point de données à retenir concernant notre merveilleux système de renseignement et Bill Perry passe actuellement le reste de sa vie à essayer de parler aux gens des dangers des armes nucléaires.

Je ne suis pas d’accord avec tout ce que Bill Perry a fait au cours de sa carrière, mais il ne fait aucun doute pour moi, d’après mes contacts personnels avec Bill, qu’il est absolument, personnellement engagé à faire ce qu’il faut en ce qui concerne ce qu’il croit être un danger venant des armes nucléaires pour l’humanité. Je n’ai aucun doute sur le fait que Bill Perry est sérieux à ce sujet et laissez-moi vous dire qu’il m’a dit qu’il n’avait eu aucune idée de cet accident alors qu’il était Secrétaire à la défense .

Personne n’a jugé l’accident suffisamment important, personne n’a compris, en fait personne n’a compris jusqu’en 1999, lorsque je l’ai porté à l’attention du Pentagone.

Les dangers auxquels le monde est confronté sont bien réels. Il y a tous ces soi-disant experts, je suis désolé de parler de soi-disant experts parce que vous n’avez aucune idée de la façon dont on m’isole aux États-Unis, vous savez, pour les États-Unis je suis ce type cinglé qui ne sait pas de quoi il parle.

Parce que la façon dont vous gérez quelqu’un qui a de vrais arguments et quand vous n’en avez aucun, c’est que vous l’attaquez personnellement et c’est ce qui se passe, donc je suis ce type cinglé mais personne n’a été capable de s’attaquer à ces préoccupations dont je vous parle.

Et d’ailleurs, s’il se trouve que quelqu’un vous écrit et pense pouvoir aborder ces questions, n’hésitez pas, invitez-nous tous les deux à débattre devant vous. J’en serais heureux. S’il vous plaît, invitez-les. J’en serais heureux.

Vous connaissez Benoît Pelopidas [voir lien en fin de texte,Ndt], vous devriez peut-être vous renseigner sur lui. Benoît et moi sommes amis, il est dans le système universitaire français, et je sais qu’il a les mêmes préoccupations et qu’il serait un expert français à qui parler.

Et d’ailleurs, en privé, Benoit s’est plaint devant moi aussi d’être attaqué pour ... ils n’abordent pas le problème, ils se contentent de l’attaquer.

Ce sont des questions sérieuses, le monde est en danger, que ce soit dans cinquante ans ou dans cinquante jours, je ne peux pas vous le dire. Mais même le fait que ce soit cinquante ans ne devraient pas rassurer les gens.

Est-ce que cela répond à tout ce que vous vouliez savoir sur la bombe d’Hiroshima par rapport aux autres bombes ?

Le plus important, le plus fondamental : les gens pensent que les armes nucléaires sont un gigantesque dispositif explosif, mais c’est faux. Il s’agit en fait d’un engin incendiaire. Donc en fait, c’est un bon... si vous prenez ce terrible accident qui s’est produit au Liban. L’intensité de cette explosion était d’environ deux ou trois kilotonnes en équivalent nucléaire. Eh bien, cette arme a fait beaucoup moins de dégâts qu’une explosion nucléaire équivalente n’en aurait fait. Et la raison en est qu’une arme nucléaire de deux ou trois kilotonnes génère un flash de lumière, les explosions conventionnelles n’atteignent pas un degré aussi élevé de température, la température maximale d’une explosion conventionnelle est de 5000 Kelvin, soit 4727° Celsius, cet ordre d’idée de température.

Lors d’une explosion nucléaire, la température la plus élevée qui générerait une onde de choc similaire irait d’environ un million de Kelvin (999726.8 °C) jusqu’à peut-être 5 millions de Kelvin soit 4 999 727℃. Nous parlons de millions de degrés par rapport à des milliers de degrés. Or, si vous avez une source de libération d’énergie dont la température initiale est d’un million de Kelvin (999726.8 °C), elle va créer ce qu’on appelle une boule de feu. Cela n’existe que dans le cas d’un dispositif nucléaire, c’est tout à fait différent lorsqu’il s’agit d’un dispositif chimique.

Une boule de feu est une zone d’air extrêmement chaude qui est au départ, en son centre, une très petite région d’une température de quelques millions de Kelvin, elle est entourée d’air également extrêmement chaud qui petit à petit se dilate pour arriver à une boule d’air surchauffé qui finira de se dilater jusqu’à sa taille maximale lorsque la pression à l’intérieur de la boule de feu sera égale à la pression extérieure à la boule de feu. C’est comme un gros ballon dans l’atmosphère.

Dans le cas d’une explosion nucléaire de deux kilotonnes, la boule de feu aurait probablement un diamètre de soixante ou soixante-dix mètres. Vous auriez donc une boule d’air surchauffé de soixante ou soixante-dix mètres de diamètre associée à l’explosion. Et la boule d’air aurait à peu près la température de la surface du soleil. La température de la surface du soleil est d’environ 5726.85 degrés Celsius et la densité de l’air serait d’environ 1 % de celle de l’air normal, car il est si chaud qu’il se dilate vers l’extérieur et que la pression à l’intérieur est égale à la pression à l’extérieur, alors qu’il n’a en fait que que 1 % de la densité de l’air normal, et cela en raison de son extrême chaleur. C’est une masse chaude composée d’air.

Mais cette masse chaude d’air rayonne comme une source de chaleur. C’est comme avoir une boule de soixante mètres de diamètre composée de la surface du soleil qui se retrouve à la surface de la Terre. Et beaucoup de lumière et de chaleur s’en dégagent, ce qui ne se produit pas lors d’une explosion chimique. Cette lumière et cette chaleur ne génèrent pas seulement une onde de choc qui cause des dommages équivalents à ceux de l’explosion de Beyrouth, mais elles déclenchent des incendies sur de grandes distances. Dans le cas de l’explosion de Beyrouth, la portée en aurait été d’un huitième de mile, soit près de deux cents cinquante mètres.

Cela signifie donc qu’une zone de près d’un quart de kilomètre de diamètre, de rayon veuillez m’excuser. Peut-être 300 mètres ; 2 ou 3 dixièmes de kilomètre. C’est donc à mon sens une grande zone, qui serait embrasée, où tout serait incendié. Au départ, elle serait gravement détruite par le choc, exactement comme ce que nous avons vu au Liban, puis elle serait en feu et le bois brûlerait pendant des heures parce que tout dans ce rayon aurait pris feu.

Donc le nombre de morts n’aurait pas été de quelques centaines dues à l’onde de choc, des effets de l’onde de choc. Il y aurait eu des milliers, voire des dizaines de milliers de morts, parce que ces gens là auraient été piégés dans la fournaise de l’onde de choc et tout ce qui se trouvait autour aurait été en feu. Quelques uns auraient peut être pu sortir de la zone en feu s’ils se trouvaient en périphérie et s’ils avaient eu la chance de savoir dans quelle direction aller. Parce que si vous êtes dans la zone en feu, la fumée vous empêche de voir où vous êtes. Vous ne sauriez donc même pas dans quelle direction marcher, même si la direction ne se trouvait qu’à quelques centaines de mètres.

Dans ce cas bien précis, l’arme nucléaire causerait une destruction phénoménale et produirait d’énormes effets meurtriers.

Et on parle là de quelque chose de plus petit qu’Hiroshima. Donc transposez ça au centre-ville de Paris.

Il faut ajouter qu’une arme nucléaire moderne, disons une centaine de kilotonnes, qui va détruire, qui en plus de l’explosion mettra le feu, va détruire dans un rayon beaucoup plus important. Dans ce cas là, probablement 3 ou 4 miles, donc 5,5 ou 7,4 kilomètres, et il s’agit là d’une petite arme nucléaire d’une demi-mégatonne, ou une arme russe de 800 kilotonnes, vous savez, une arme standard sur un ICBM russe serait de 800 kilotonnes, nous pensons. Enfin c’est ce que nous croyons, nous n’avons aucune certitude.

Cela déclencherait des incendies à plusieurs kilomètres de distance, 8 ou 9 kilomètres, 7 ou 8 kilomètres seraient en feu. Les dégâts de l’explosion seraient très importants dans l’immédiate proximité, moins importants quand on s’éloigne. Ainsi, par exemple, à 6 ou 7 kilomètres de distance, l’explosion pourrait frapper les murs de façade d’un bâtiment en briques, ce qui fait qu’il ressemblerait tout à fait à ces bâtiments en briques du Moyen-Orient, dont on pourrait voir l’intérieur, à tous les étages et... mais la différence serait que l’intérieur du bâtiment en briques aurait été incendié. Il ne s’agirait donc pas seulement de murs en briques abattus, vous vous trouveriez devant une zone de Paris et de sa proche banlieue, totalement en feu. C’est donc une situation complètement différente. Si vous voulez vous faire une idée de la situation, il y a un petit article que j’ai écrit avec Lynn Eden et Steven Starr..... J’ai oublié son nom, dans le bulletin des scientifiques atomiques, sur l’explosion nucléaire, que je peux vous envoyer si vous voulez [lien en fin de texte, NdT].

Liens annexes postés par la transcriptrice qui les a utilisés afin de vérifier l’exactitude de la transcription et de sa traduction, ainsi que se rapportant à des personnes et/ou articles cités par Ted Postol.

William Perry sur Wikipedia

L’explosion du port de Beyrouth en 2020

Qu’arriverait-il si une ogive nucléaire de 800kT explosait sur Manhattan ?

Benoît Pelopidas Associate Professor

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