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D’après Antoine Deltour, lanceur d’alerte

Des écologistes embarrassés par la décroissance

Par Bruno Bourgeon

mardi 28 septembre 2021, par JMT

Des écologistes embarrassés par la décroissance

« Ce n’est pas le sujet », « ça fait peur », c’est « un débat théorique ». Tels sont les mots des candidats de la Primaire écologiste sur la décroissance.Le moins qu’on puisse dire est que les candidats écologistes sont bien embarrassés par la proposition de Delphine Batho de mettre ce sujet au cœur de la primaire.

Pourtant, à défaut d’être mobilisatrice, la décroissance permet de marquer des différences, entre les prétendants écologistes, entre deux visions de l’avenir. La décroissance constitue en effet la borne, le point de divergence fondamental qui sépare les possibles.

D’un côté, une trajectoire, celle de l’écologie de droite, propose de parier encore et toujours sur des solutions technologiques hasardeuses, à la poursuite d’une croissance verte fantasmée. En guise de transition, on se contenterait de changer de carburant : remplacer les énergies fossiles par d’autres. On ne voit pourtant pas encore bien quelles énergies alternatives pourraient atteindre l’échelle nécessaire.

D’autant que l’effet-rebond n’est pris en compte par personne , alors que l’usage massif de technologies de ruptures, comme la voiture électrique, menace d’augmenter très significativement les impacts globaux. Plus inquiétant encore, les atteintes catastrophiques portées à la biodiversité ne seraient gérées que par la simple mise sous cloche de quelques aires protégées.

La crédibilité des scénarios climatiques mondiaux est sujette à caution, en particulier pour ceux qui font l’hypothèse d’un découplage absolu entre activité économique et consommation d’énergie. Shutterstock

De l’autre côté, un chemin alternatif, celui de l’écologie politique, propose de bifurquer pour renouer avec les limites planétaires auxquelles se confronte aujourd’hui l’humanité. Pour cela, il faut compenser nos nuisances en préservant quelques territoires, mais aussi réduire nos impacts, avec les technologies immédiatement disponibles tant la situation est urgente. Adopter comme priorité absolue la préservation d’une planète habitable implique de reléguer d’autres priorités. Le partage équitable des ressources, toujours souhaitable, devient par conséquent une nécessité absolue.

Revenons à la primaire écologiste. Les trois premiers débats ont offert la palette complète du rapport des écologistes à la décroissance : certains sont contre, d’autres sont pour mais ne l’assument pas, d’autres enfin y sont favorables mais en désaccord sur ce qu’elle signifie vraiment. Qu’en est-il ?

Le PIB, imparfait

Commençons par évacuer un point de consensus : le PIB est un indicateur très imparfait. Par exemple, il ne dit rien du stock de richesses (ni de son éventuelle destruction), ni de l’état du « capital naturel », ni des inégalités… On a pourtant longtemps eu tendance à faire dire au PIB ce qu’il ne dit pas et à en déduire gauloisement que « quand le PIB va, tout va ».

Mais le PIB ne synthétise pas à lui seul toute l’information économico-sociale… et encore moins environnementale. Il convient donc de ne pas faire du PIB l’unique boussole des politiques publiques.

D’ailleurs, Eric Piolle en rajoute un peu en listant les limites du PIB. Le maire de Grenoble s’indigne que « depuis 2018, le trafic de drogue compte dans la croissance du PIB, décision d’Emmanuel Macron ». En la matière, le Président ne décide rien du tout. C’est l’Insee, institut indépendant du pouvoir politique, qui a fait ce choix. Qui répondait à une demande non pas de l’Elysée mais d’Eurostat, l’institut européen des statistiques.

Ensuite, la décroissance ne consiste pas simplement à remplacer un indicateur. Il est certes largement souhaitable de compléter le PIB. Mais, en la matière, de nombreuses recommandations de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi ont déjà été mises en œuvre sans amener de chargement de société. Il serait naïf d’imaginer qu’on puisse se passer du PIB.

Le Bhoutan et son fameux Bonheur national brut (BNB) : les recettes publiques proviennent en grande partie, comme en France, de la TVA. Or, le montant de TVA collecté est déterminé par le niveau d’activité économique, donc par le PIB.

Le PIB est un indicateur imparfait mais incontournable. Il est corrélé à des grandeurs d’intérêt indiscutable, même dans une société décroissante, telles que les recettes publiques, les capacités d’investissement ou l’emploi.

L’enjeu est de s’organiser pour faire société avec moins de recettes publiques, moins d’investissements et moins d’emplois qui dépendent de la croissance. Il convient pour cela de quantifier précisément l’ampleur du défi, donc le niveau du PIB.

Une réalité arithmétique

Cette question est souvent esquivée en affirmant que « la décroissance, ce n’est pas la baisse du PIB ». Pas seulement en effet, mais quand même. Car derrière le « mot obus », il y a une réalité arithmétique.

Une réponse évasive vient alors parfois en renfort : « certaines activités doivent décroître, d’autres croître ». Faire la simple somme des deux apporterait pourtant la réponse à cette question fondamentale : le projet écologiste est-il décroissant ?

On pourrait penser qu’il serait tolérable de rester flou, dans le but de rassembler le plus possible. Au contraire, mépriser ce non-sujet (Sandrine Rousseau) ou ce débat théorique sans intérêt (Yannick Jadot) revient à tromper les électeurs sur le financement des politiques publiques proposées.

En 1972, le rapport Meadows montrait au Club de Rome que plus le PIB monte, plus la chute sera brutale. En 2021, nouveau constat : les politiques d’atténuation du changement climatique n’atteignent pas leurs objectifs, surtout quand elles font obstacle à la croissance. Nous sommes donc dans la situation de devoir accélérer les politiques d’adaptation. Mais quelle meilleure politique d’adaptation sinon celle de contrôler la chute ?

Epidémie d’écoanxiété

On le sait, les Français sont plus pessimistes que leurs voisins. Il y a il est vrai quantité de raisons pour porter un regard inquiet sur l’avenir. Ces dernières années, les mouvances collapsologue et survivaliste ont connu un fort engouement, au moins médiatique. La solastalgie se propage.

Au printemps 2020, au moment du premier confinement, les images de rayons vides et de rues désertées sont sorties de la fiction et ont rendu crédibles le collapse. L’épisode était cependant ponctuel. Mais c’est une réalité : l’effondrement de la société, du moins telle que nous la connaissons, est un scénario qu’une proportion insoupçonnée de l’opinion, tous clivages confondus, considère comme possible. Il devient urgent d’offrir un débouché politique à ce mouvement.

Il s’agit de construire un projet politique qui permettrait à de grands pans de la société de résister à une baisse prolongée du PIB. Le coronavirus nous a appris à concevoir dans l’urgence des plans de continuité, à préserver les approvisionnements essentiels et à maintenir une forme de solidarité. Mais il ne s’agissait que d’une adaptation temporaire à une situation que l’on savait exceptionnelle.

Ce qu’il faut maintenant, c’est construire un plan B à déployer pour le long terme, un survivalisme à l’échelle de la société. C’est autrement plus exigeant que de prévoir des créations d’emplois dans la rénovation thermique et l’agriculture bio, et cela ne formera peut-être pas un projet politique désirable.

Mais c’est bien plus important de pouvoir compter sur un projet lucide, réaliste et responsable. Certains disent que la décroissance fait peur. Mais faut-il avoir plus peur de la décroissance ou de projets politiques qui y seront confrontés sans y être préparés ?

Bruno Bourgeon, www.aid97400.re
d’après Antoine Deltour

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