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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2021-100

Défaite totale pour les États Unis y compris diplomatiquement

Par Karen DeYoung, traduit par Jocelyne le Boulicaut

mercredi 22 septembre 2021, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Défaite totale pour les États Unis y compris diplomatiquement

Le 4 septembre 2021 par Karen DeYoung

Karen DeYoung est rédactrice en chef adjointe et correspondante principale pour la sécurité nationale au Post. En plus de trois décennies au sein du journal, elle a été chef de bureau en Amérique latine et à Londres et correspondante à la Maison Blanche, en politique étrangère américaine et dans le domaine du renseignement. Twitter

L’envoyé américain Zalmay Khalilzad et Abdul Ghani Baradar, le principal dirigeant politique du groupe taliban, se serrent la main après avoir signé un accord de paix entre les talibans et l’administration Trump à Doha, au Qatar, le 29 février 2020. (Hussein Sayed/AP)

Comme ils l’ont fait sur le champ de bataille, les talibans ont vaincu les États-Unis à la table des négociations.

Le jour où il devait entamer des pourparlers de paix avec l’administration Trump à l’automne 2018, le cofondateur et haut dirigeant taliban Abdul Ghani Baradar s’est retrouvé dans la villa de luxe d’un complexe touristique qatari. Ses fenêtres non occultées donnaient sur la piscine, où des femmes en bikini étaient allongées bronzant sous le soleil du golfe Persique.

Zalmay Khalilzad, diplomate américain d’origine afghane qui négociait pour l’administration, a remarqué la scène lorsqu’il a accueilli Baradar, récemment libéré après des années d’emprisonnement au Pakistan. C’était, a dit Khalilzad avec légèreté dans la langue pashto qui leur était commune, une vision de paradis. Baradar s’est rapidement dirigé vers les fenêtres et a fermé les rideaux. Il était temps de commencer.

Moins de 18 mois plus tard, après ce que le président Donald Trump a appelé des « négociations très fructueuses », Baradar et Khalilzad ont conclu un accord pour mettre fin à la guerre de 20 ans en Afghanistan en procédant à un retrait total des troupes américaines. Après une autre année et demie, selon le même accord mais un président américain différent, les dernières forces américaines ont effectué une retraite précipitée et chaotique, laissant les talibans en toute responsabilité dans le pays.

Ce n’est pas cette fin là que les États-Unis souhaitaient. Dans la foulée, des reproches politiques ont été lancés par-delà les lignes partisanes. Les démocrates, et le président Biden, accusent Trump de leur avoir imposé un mauvais accord. Les républicains, et Trump, accusent Biden de saboter l’accord et de précipiter le retrait. Les alliés internationaux sont contrariés, les adversaires font la grimace et de nombreux Afghans se sentent trahis.

Les Talibans ont pris le contrôle de l’aéroport de Kaboul le 31 août 2021, alors que des tirs de célébration et des feux d’artifice résonnaient dans toute la ville. (The Washington Post : https://wapo.st/3mPXxdp )

Beaucoup d’autres, alors même qu’ils observent avec angoisse le déroulement des événements dans un Afghanistan sous domination talibane, pensent que la fin de partie était inévitable. « Que nous ayons fait durer le calendrier ou que nous l’ayons condensé, je pense que la seule différence était le rythme des événements. Nous serions arrivés aux mêmes résultats », a déclaré une personne de la région connaissant bien la question.

Comme un certain nombre d’anciens et d’actuels responsables américains et étrangers étant très directement informés des événements et qui ont été interrogés pour cet article, cette personne a parlé sous couvert d’anonymat du caractère confidentiel de la diplomatie américaine avec les talibans qui a débuté il y a plus de dix ans.

« À mon sens, les erreurs ont été commises très, très tôt », lorsque les Américains essayaient de trouver des solutions qui « privaient les Afghans de leurs responsabilités », a déclaré Thomas Ruttig, spécialiste allemand des talibans et co-directeur de l’Afghan Analysts Network, un organisme de recherche indépendant basé à Kaboul.

Les talibans savaient depuis longtemps qu’ils jouaient un jeu d’attente qu’ils étaient vraisemblablement en train de gagner, a déclaré Ruttig. « Ce ne sont pas des super-Afghans », que ce soit sur le champ de bataille ou à la table de négociations, a-t-il dit. « Mais ils étaient beaucoup plus cohérents que quiconque », et ils avaient bien saisi la politique occidentale et la nécessité de « concrétiser » quelque chose.

Cela, ainsi que le fait qu’ils ne considéraient pas qu’il était nécessaire de « demander à leurs propres gens si ils acceptaient d’être tués ou pas », a donné aux Talibans un énorme avantage, selon Ruttig.

Interprété comme une faiblesse

A partir du début de la guerre en 2001, les États-Unis ont mis près d’une décennie pour arriver à la conclusion qu’une fin négociée était beaucoup plus vraisemblable qu’une victoire militaire. Mais certains des alliés des États-Unis ont très tôt ouvert des canaux de communication avec les talibans. Les services de renseignement allemands, qui ont entamé de modestes pourparlers en 2005, ont aidé les Américains à enfin nouer des contacts cinq ans plus tard, lorsque Frank Ruggiero, fonctionnaire du département d’État, et Jeff Hayes, responsable du renseignement de la défense au Conseil national de sécurité, ont rencontré les rebelles.

Alors même qu’elle entamait ces timides avancées vers les négociations, l’administration du président Barack Obama avait déjà pris des mesures pour accroître la participation des États-Unis dans le conflit. À la fin de l’année 2009, après de longs débats internes, Obama annonçait une augmentation de troupes qui porterait le nombre total de forces américaines, qui était de 36 000 au début de son mandat, à plus de 100 000.

Obama a promis « qu’il mènerait cette guerre à bien » en renforçant non seulement la capacité des forces militaires propres à l’Afghanistan afin que ces forces assument le combat mais aussi celle de son gouvernement afin qu’il gère avec efficacité le pays. La présence américaine hypertrophiée n’est pas vouée à durer éternellement, a-t-il précisé. Le retrait des troupes américaines devait commencer en juillet 2011 et s’achever en 2014, avec le maintien d’une force non précisée chargée de la formation et de la lutte contre le terrorisme.

Comme pour beaucoup d’annonces américaines de ce genre, les talibans avaient leur propre analyse de ce que les Américains voulaient dire. « C’est un renforcement, mais on vous dit déjà quand on va partir », a déclaré Ruttig. « Ils ont interprété ça comme une faiblesse ».

Lors d’un discours prononcé à l’Asia Society en février 2011, la secrétaire d’État Hillary Clinton a donné plus de poids à ce qu’elle considérait comme une stratégie Obama à trois volets, chacun se renforçant mutuellement.

La présence militaire américaine élargie devait permettre d’écraser tant les terroristes d’Al-Qaïda qui avaient planifié les attentats du 11 septembre 2001 en Afghanistan que les talibans qui leur avaient fourni une base arrière. Une présence civile élargie du gouvernement américain « viendrait soutenir les gouvernements, les économies et les sociétés civiles de l’Afghanistan et du Pakistan afin de réduire l’influence de l’insurrection ». Il y aurait également « une intensification de la pression diplomatique afin de mettre un terme au conflit afghan ».

Le choix pour les Talibans, a-t-elle dit, était clair : rejeter Al-Qaïda et le terrorisme, ou « en payer les conséquences ».

« Ils ne peuvent pas nous avoir à l’usure », a dit Hillary Clinton. « Ils ne peuvent pas nous vaincre ». Mais surtout, Clinton a déclaré que si rompre tout lien avec Al-Qaïda restait la priorité des États-Unis, il n’existait aucune condition préalable pour entamer les manœuvres diplomatiques.

On a demandé à Marc Grossman, diplomate américain chevronné qui avait quitté le Foreign Service, de revenir pour diriger l’effort diplomatique. Quelques semaines après le discours de Clinton, il se trouvait à Doha, la capitale du Qatar, il serrait la main de Tayyab Agha chef de l’aile politique des talibans et proche collaborateur de leur chef suprême, Mohammad Omar et s’asseyait à la même table.

Le Qatar était considéré par les deux parties comme le lieu idéal pour les pourparlers. Cherchant à jouer un rôle de premier plan dans la politique étrangère régionale, on considérait également que le Qatar était peu concerné par le conflit afghan, même si il abrite la principale base aérienne américaine de la région.

« En tant que petit État, le Qatar ne constitue une menace pour aucun des deux pays », a déclaré le ministre adjoint des Affaires étrangères, Lolwah al Khater, dans une récente interview. « Cela nous place dans une position de grande souplesse qui nous permet de manœuvrer entre les lignes de clivage ».

Grossman a commencé par préciser à Agha qu’il n’était pas là pour faire la paix avec les talibans, mais plutôt pour ouvrir la porte à des pourparlers directs entre les rebelles et le gouvernement afghan du président de l’époque, Hamid Karzai. Agha, qui parlait anglais, langue apprise dans une école de réfugiés au Pakistan mais préférait parler aux Américains par l’intermédiaire d’un interprète, a indiqué que les talibans ne souhaitaient pas discuter avec les « marionnettes » de Kaboul soutenues par les États-Unis, cela ne présentant aucun intérêt.

Globalement, les rebelles voulaient ouvrir un bureau politique à Doha depuis lequel ils pourraient s’adresser à la communauté internationale. Plus spécialement, ils voulaient la libération de cinq talibans de haut rang emprisonnés par l’armée américaine à Guantánamo Bay, à Cuba.

Bien que Grossman ait mis sur la table une série de gestes réciproques, les pourparlers se sont rapidement résumés à ce qui s’apparentait à un échange de prisonniers. En échange des cinq de Guantánamo, les Américains voulaient la libération du seul membre des services américains détenu par les talibans.

Soldat de l’armée déployé en Afghanistan au printemps 2009, Bowe Bergdahl, pour des raisons qui seront contestées des années plus tard lors de la cour martiale militaire qui devait le juger, s’était éloigné de son bataillon basé dans la province de Paktika, le long de la frontière afghane avec le Pakistan. Cinq mois après sa disparition, il est apparu dans une vidéo des talibans en tant que prisonnier.

Grossman et Agha ainsi que leurs équipes ont tenu quatre ou cinq réunions à Doha, en présence de médiateurs qataris. « La majorité des discussions n’étaient pas les méga discussions » concernant la façon de terminer la guerre, se souvient un haut fonctionnaire qatari. « Il s’agissait plutôt de discussions transactionnelles sur des sujets spécifiques [...].. on était dans la gestion de la situation plutôt que dans la résolution de celle-ci ».

Bien que l’accord ait été très proche, les négociations ont brusquement cessé après que Karzai, furieux que son gouvernement n’ait pas été invité à la table, a exigé en décembre 2011 qu’elles soient interrompues. Pour les talibans, avertis par le Qatar que les Américains ne reviendraient pas, l’épisode n’a rien fait pour renforcer la crédibilité des États-Unis.

À Doha, au Qatar, le secrétaire d’État de l’époque, Mike Pompeo, rencontre Abdul Ghani Baradar, le principal dirigeant politique des talibans, le 21 novembre 2020. (Patrick Semansky/AP)

Un cadeau pour les Talibans

Des contacts indirects et sporadiques entre les États-Unis et les talibans ont suivi, et les Américains ont fini par demander au Qatar de permettre aux talibans d’établir un bureau plus permanent à Doha. Karzai a finalement accepté, mais a explosé de rage le jour même où la mission était prête pour l’ouverture, à l’été 2013. Sous leur drapeau noir et blanc, les rebelles avaient accroché une bannière et fixé au mur une plaque sur laquelle on pouvait lire "Émirat islamique d’Afghanistan", ce qui, selon le président afghan en faisait en quelque sorte une ambassade parallèle.

Après que le secrétaire d’État de l’époque, John F. Kerry, se soit empressé de désamorcer la colère de Karzai et que les Qataris soient intervenus auprès des talibans, la plaque a été retirée et une déclaration a été publiée indiquant que le lieu serait connu officiellement sous le nom de "bureau politique des talibans afghans" dans l’État du golfe Persique.

Mais ce n’est qu’au printemps 2014, sous la houlette des nouveaux négociateurs américains James Dobbins du Département d’État et Douglas Lute du Conseil national de sécurité, qu’un accord d’échange de prisonniers a finalement été conclu. Selon ses termes, les cinq talibans ont été transférés de Guantánamo pour être placés sous la garde des qataris. Bergdahl, qui avait été détenu du côté pakistanais de la frontière, a été remis à une équipe d’opérations spéciales de la U.S. Delta Force près de Khost, juste à la frontière, côté Afghanistan.

Si la politique américaine à trois volets est restée en vigueur, il y a eu peu de négociations au-delà de l’échange de prisonniers, alors que la guerre faisait rage entre les talibans et les forces américaines renforcées, ainsi que des milliers d’autres troupes de l’OTAN et de forces de coalition non OTAN. Devant le peu de succès de cet effort, certains alliés ont commencé à se retirer et Obama, comme promis, a commencé à réduire la présence des troupes américaines et à confier les "opérations de combat" sur le terrain aux forces afghanes formées et équipées par les Occidentaux.

Lors d’une conférence de presse en juillet 2016, Barack Obama a déclaré que la présence américaine ne compterait plus que 8 400 hommes de troupe à la fin de sa présidence, soit à la fin de cette année-là. Mais les États-Unis continueraient de soutenir l’armée afghane, a-t-il précisé. « Il en va de notre intérêt national - après tout le sang et la masse d’argent que nous avons investis - que nous donnions à nos partenaires afghans tout le soutien nécessaire pour réussir », a-t-il déclaré.

Six mois après le début de sa présidence, Trump a annoncé sa propre vision de la guerre. Il ne serait plus question de « construction de la nation », le deuxième volet de la stratégie de Clinton, et il n’était pas question de négociations. Au lieu de cela, en dépit de ses promesses de campagne de retirer les forces américaines, il a approuvé un plan du Pentagone visant à augmenter à nouveau les niveaux de troupes. Les Américains, a-t-il dit, « se battront pour gagner ».

Hamdullah Mohib, ambassadeur d’Afghanistan à Washington sous le nouveau gouvernement du président Ashraf Ghani à Kaboul, a déclaré que le message de Trump était « exactement ce que nous voulions entendre ». Tout comme Karzai, Ghani s’est opposé à toute négociation directe des États-Unis avec les talibans dont son gouvernement serait exclu.

Lorsque le Qatar a fait l’objet d’une attaque diplomatique de la part de ses voisins du golfe Persique, menée par les alliés de Trump c’est à dire l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, Trump les a rejoints pour dénoncer le soutien qatari au terrorisme international, en citant comme exemple le bureau des talibans à Doha.

Ce n’est qu’en 2018 - tandis que les talibans étaient devenus plutôt plus puissants que plus faibles sur le terrain et que son objectif de retrait complet semblait plus éloigné - que Trump a été convaincu du bien fondé des négociations. Cet été-là, Khalilzad, ancien ambassadeur des États-Unis en Afghanistan, en Irak et aux Nations unies sous le gouvernement de George W. Bush, qui avait passé les années Obama sans faire partie du gouvernement, a été contacté par le secrétaire d’État de l’époque, Mike Pompeo.

Selon des responsables américains de l’époque, Pompeo a expliqué que le président était préoccupé par l’évolution de la situation en Afghanistan et qu’il souhaitait relancer les négociations. Parmi les priorités figurait l’engagement des talibans à rompre leurs liens avec Al-Qaïda, à entamer des pourparlers de paix avec le gouvernement afghan et à instaurer un cessez-le-feu.

Mais ce qui est apparu le plus clairement à Khalilzad, c’est que l’objectif premier de Trump - partagé par les talibans - était de faire dégager les forces américaines.

Ghani, qui connaissait Khalilzad depuis leur adolescence et le soupçonnait de briguer un poste de pouvoir dans leur patrie commune, ne se réjouissait pas de cette nomination, pas plus que du fait que le gouvernement afghan était à nouveau laissé de côté. Les Américains ne faisaient que tourner en rond lors des négociations, leur a-t-il dit, et les représentants des talibans qu’ils rencontraient - Agha avait démissionné de son poste de négociateur à la suite d’un conflit entre factions parmi les rebelles en 2015, et de la mort annoncée d’Omar - n’avaient jamais été représentatifs des véritables détenteurs du pouvoir dans le groupe qui résidaient au Pakistan.

Avant que Khalilzad ne commence, lui et Pompeo se sont rendus au Pakistan et ont demandé la libération de Baradar - arrêté là-bas en 2010, apparemment à la demande de Karzai - tout comme le ministre qatari des Affaires étrangères Mohammed al Thani. En novembre 2018, Baradar est arrivé à Doha.

Dans son discours sur l’état de l’Union devant le Congrès au mois de février suivant, Trump a déclaré que les négociations progressaient rapidement« , Khalilzad et Baradar étant parvenus à un accord préliminaire sur le retrait progressif de toutes les forces américaines - qui comptaient alors 14 000 hommes - en échange de la promesse des talibans de ne pas autoriser Al-Qaida ou d’autres groupes terroristes mondiaux à opérer sur le sol afghan. « La partie adverse est également très heureuse de négocier », a déclaré Trump.

Les pourparlers à Doha ont été ardus. À l’instar de l’Iran, dans ses négociations avec l’administration Obama au sujet d’un accord nucléaire, Baradar et son équipe ont fréquemment prononcé de longs discours passionnés sur la façon dont les Américains avaient détruit l’Afghanistan, tué des civils et détruit des maisons, installé un gouvernement fantoche et n’avaient rien fait de positif pour le pays, ont indiqué des personnes au fait des discussions.

Khalilzad a répondu en rappelant que les talibans avaient accueilli Al-Qaïda, qui a attaqué les États-Unis et tué près de 3 000 Américains le 11 septembre. Ils avaient dirigé un gouvernement brutal et cruel lorsqu’ils étaient à la tête de l’Afghanistan, et avaient tué plus d’Afghans que les Américains. Les rebelles ignoraient d’ailleurs tout de la réalité Afghane, a raillé Khalilzad à un moment donné, en invitant Baradar à une visite d’un Kaboul moderne qu’ils n’avaient pas vu depuis 20 ans.

Parfois, les séances devenaient si conflictuelles qu’elles étaient brutalement suspendues. Mais la plupart du temps, les négociateurs talibans étaient sérieux et minutieux, examinant méticuleusement chaque mot des documents proposés. Alors qu’ils débattaient entre eux du sens des mots, l’équipe américaine en a conclu que leur force résidait dans leur capacité à atteindre un consensus et à s’y tenir.

À la fin de l’été 2019, un projet complet était en place. Trump était satisfait, et après que Khalilzad ait fini de briefer l’équipe de la Maison Blanche par vidéo lors d’une réunion du Conseil national de sécurité, le président a annoncé qu’il voulait faire venir les dirigeants talibans à Camp David pour une séance solennelle de signature. Tout le monde est resté bouche bée en entendant cette proposition, que Trump a ensuite relayée sur Twitter.

Alors qu’aucun de ses conseillers ne pensait que Camp David était une bonne idée, ils étaient de plus loin d’être d’accord entre eux sur le projet d’accord. Pompeo - faisant écho à la détermination de Trump à faire sortir les troupes, notamment avant l’élection présidentielle de 2020 - était tout à fait pour, ont déclaré à l’époque des responsables américains. Le conseiller à la sécurité nationale John Bolton, et de nombreux membres du Pentagone, s’y opposaient.

Septembre 2020 Les pourparlers ont débuté à Doha samedi matin sous haute sécurité....(Ibraheem Al Omari / Reuters)

Début septembre, cependant, ces divisions ont été largement médiatisées lorsque Trump a annoncé que les négociations avec les talibans étaient terminées après une série d’attaques et d’attentats à la bombe perpétrés par les rebelles, dont une ayant tué un soldat américain.

« En ce qui me concerne, ils sont morts », a-t-il déclaré aux journalistes devant la Maison-Blanche. Interrogé par la suite sur la possibilité d’un retrait initial de 5 000 soldats au début de 2020, Pompeo a déclaré le lendemain aux présentateurs de talk-shows télévisés : « J’espère que non. . . . Je ne peux pas répondre à cette question. En fin de compte, c’est la décision du président ».

À Doha, les talibans se sont montrés peu enthousiastes. Ils avaient déjà rejeté l’idée de Camp David émise par Trump, du moins jusqu’à ce qu’un accord réel soit signé. Et pourquoi Trump était-il si contrarié par la mort d’un simple soldat américain ?

Les talibans avaient toujours refusé un cessez-le-feu, a déclaré Baradar à Khalilzad et au général Austin "Scott" Miller, le commandant américain en Afghanistan, lors d’une réunion au domicile du ministre qatari des Affaires étrangères. Les négociations avaient commencé il y a des années, a-t-il dit, et les combats n’avaient jamais cessé. Les frappes aériennes américaines, note Baradar, ont tué des centaines, voire des milliers de talibans depuis le supposé retrait des unités de combat en 2014

Mais en novembre, Khalilzad reprenait contact avec Baradar, lui demandant, lors d’une réunion au Pakistan, si les talibans accepteraient une brève « réduction de la violence » pour prouver à la fois leur bonne foi et la capacité des dirigeants à contrôler leurs forces sur le terrain.

Les talibans « veulent passer un accord. Et nous les rencontrons et nous disons qu’il doit y avoir un cessez-le-feu », a déclaré Trump aux troupes américaines en Afghanistan lors d’une visite le jour de Thanksgiving.

Les talibans se sont d’abord montrés peu enclins à s’engager, rappelant que le projet d’accord abandonné en septembre prévoyait un cessez-le-feu mais uniquement après que l’accord de retrait ait été satisfait. En février, cependant, l’accord abandonné au mois de septembre précédent était à nouveau prêt à être finalisé.

Trump avait accepté, à condition que la pause de sept jours dans les combats qui avaient été négociée ait effectivement eu lieu. La pause, largement respectée par les deux parties, a eu lieu la dernière semaine de février. Pompeo a annoncé que l’on était sorti de l’"impasse" et s’est rendu à Doha pour assister à la signature entre Khalilzad et Baradar le 29 février.

L’équipe des talibans sous les applaudissements s’est écriée "Allahu akbar".Trump, déclarant « qu’il n’y a jamais eu de moment comme celui-ci », a déclaré qu’il allait « rencontrer personnellement les dirigeants talibans dans un avenir pas trop lointain », peut-être même à Camp David.

Les termes de l’accord étaient loin de satisfaire tout le monde, en effet, la date de départ des dernières troupes américaines était fixée à mai 2021, en échange de la promesse des talibans de ne pas attaquer les forces américaines pendant leur retrait.

Tout le reste - l’engagement des talibans à empêcher Al-Qaïda de préparer ou de lancer des attaques contre les États-Unis et leurs alliés, un plan pour entamer des pourparlers entre les militants et le gouvernement de Kaboul, avec un cessez-le-feu en priorité sur leur agenda - n’était que vaguement stipulé. Sous la forte pression des États-Unis, Ghani a libéré 5 000 prisonniers talibans ; tandis que les talibans libéraient environ 1 000 soldats afghans capturés.

« L’accord était de toute évidence un cadeau pour les talibans », a déclaré Ruttig. « Et ils l’ont effectivement respecté à la lettre. Il ne leur était pas demandé grand-chose ». Il n’y a eu aucune attaque contre les Américains en partance, alors que le retrait commençait, Trump ayant publiquement promis à un moment donné, et ce jusqu’à ce qu’il soit rappelé à l’ordre par des conseillers militaires et de la Maison Blanche, qu’ils seraient tous rentrés chez eux pour Noël 2020. Trump n’a tiré que peu ou pas d’avantage politique de cet accord, car son adversaire démocrate cette année-là, Joe Biden, a également promis de retirer les troupes et de mettre fin à la guerre.

Les pourparlers avec le gouvernement de Ghani n’ont commencé qu’à l’automne, pour ensuite avorter sans résultat. Loin d’un cessez-le-feu, les talibans, comme si l’accord de retrait les avait libérés de toute contrainte, ont entamé au printemps une offensive massive contre les forces de sécurité afghanes. Lorsque Biden a terminé sa propre analyse politique, alors qu’il restait moins de 3 000 soldats américains, les rebelles avaient repris le contrôle d’une grande partie du pays et s’apprêtaient à lancer une dernière offensive.

Biden a décidé de maintenir Khalilzad en place et les pourparlers américano-talibans avec Baradar se sont poursuivis à Doha. Mais à la fin de la journée, les négociateurs américains se sont dit que les rebelles avaient eu raison des Américains et que tant Trump que Biden désiraient simplement partir.

En avril, après le refus de Ghani d’accéder à la demande de dernier recours des États Unis consistant à présenter sa démission et offrir aux talibans un gouvernement de cohabitation, Biden a annoncé le retrait complet des troupes américaines avant le 11 septembre, date du 20e anniversaire des attentats d’Al-Qaïda ayant déclenché la guerre.

Le 31 août, deux semaines après la fuite de Ghani et l’entrée triomphale des talibans dans la capitale, toutes les troupes étaient parties.

La fin de la présence US en Afghanistan

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