AID Association Initiatives Dionysiennes

Ouv zot zié !

Accueil > Politique > Pour Israël, la glace c’est la casse

Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2021-83

Pour Israël, la glace c’est la casse

Par Danny Sjursen, traduit par Jocelyne le Boulicaut

mercredi 11 août 2021, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Pour Israël, la glace c’est la casse

25 juillet 2021 Par le major Danny Sjursen / AntiWar

Danny Sjursen est officier de l’armée américaine en retraite, directeur du Eisenhower Media Network (EMN), chargé de recherche au Center for International Policy (CIP), collaborateur d’Antiwar.com et co-animateur du podcast "Fortress on a Hill". Ses travaux sont parus dans le NY Times, le LA Times, ScheerPost, The Nation, HuffPost, The Hill, Salon, Popular Resistance, Tom Dispatch, The American Conservative et Mother Jones, entre autres publications. Il a effectué des missions de combat avec des unités de reconnaissance en Irak et en Afghanistan et a enseigné l’histoire à West Point, son alma mater (université où il a étudié). Il est l’auteur de mémoires et d’une analyse critique de la guerre d’Irak, Ghostriders of Baghdad : Soldiers, Civilians, and the Myth of the Surge, Patriotic Dissent : America in the Age of Endless War, et plus récemment A True History of the United States. Sjursen a récemment été sélectionné comme lauréat 2019-20 de la Fondation Lannan pour la liberté culturelle. Vous pouvez le suivre sur Twitter @SkepticalVet. Vous trouverez sur son site Web professionnel des informations pour le contacter, pour programmer des exposés ou des apparitions dans les médias, ainsi que pour accéder à ses travaux antérieurs.

Pot de glace Ben & Jerry’s [Andy Melton / CC BY-SA 2.0]

Les menus détails et la folie d’une relation toxique : la réaction excessive des politiciens israéliens et de leurs soutiens transatlantiques à la décision de Ben & Jerry’s de mettre fin à ses ventes dans les territoires palestiniens (illégalement) occupés est aussi absurde qu’instructive.

Quelle que soit sa puissance ou son influence, le gouvernement d’une nation n’est en fin de compte qu’un groupe de personnes – une clique d’êtres humains imparfaits et faillibles. Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais d’après ma minuscule propre expérience, lorsqu’une personne réagit de façon excessive à propos d’une chose de peu d’intérêt – cela tend à masquer une grande insécurité, un point aveugle ou un profond sentiment de culpabilité.

En d’autres termes, leur venin verbal dirigé vers l’extérieur ne vise réellement en fait que leur propre comportement. Il en va de même pour les gouvernements. Prenons par exemple le cas le plus récent de l’affaire (qui devrait être) en cours contre la répression criminelle exercée par Israël sur les Palestiniens, et la relation toxique de co-dépendance entre Washington et Tel Aviv.

Lundi, la société Ben & Jerry’s Ice Cream a annoncé qu’elle mettait fin à ses ventes dans les territoires palestiniens occupés par Israël. La belle affaire et puis alors, pas vrai ? Faux.

Lorsque d’éminents politiciens israéliens et leurs ambassadeurs transnationaux ont appris la nouvelle qu’il n’y aurait plus de Chunky Monkey à Modi’in Illit, ni de Half Baked à Beitar Illit, la réaction a plutôt été la suivante : Mon Dieu ! Quelle horreur ! Trahison ! Oh quel malheur ! Aussi insensé que cela puisse paraître - et ça l’est - il y a beaucoup à tirer de la panique qui a suivi.

"Les gens dans des maisons de verre..."

[Traduit de l’anglais-"Ceux qui vivent dans des maisons de verre ne doivent pas jeter de pierres" est un proverbe qui signifie que « On ne doit pas causer de tort à autrui quand on est soi-même vulnérable »,NdT]

Alors allons regarder de plus près quelques-uns des « jeteurs de pierre » verbaux les plus en vue parmi les dirigeants israéliens. Prenons cela comme un exercice pour montrer l’hypocrisie. Pour commencer, le (tout juste) ancien premier ministre, le déchu "roi Bibi" Netanyahou, a tweeté « Maintenant, nous, Israéliens, savons quelle crème glacée NE PAS acheter ».

Eh bien, au-delà de l’excommunication de la franchise Ben&Jerry’s, Bibi sait aussi manifestement quelles personnes ne doivent pas être affranchies – dans la mesure où ses politiques ont essentiellement consisté à vouloir annihiler une culture entière, en même temps qu’une once de droit politique ou de droit de vote.

Après tout, Netanyahou est ce même phare moral qui, il y a deux ans, a tweeté qu’« Israël ne représente pas un État rassemblant tous ses citoyens. Selon la loi sur l’État-nation que nous avons adoptée, Israël est l’État-nation du peuple juif - et de lui seul. »

Lorsque d’éminents politiciens israéliens et leurs ambassadeurs transnationaux ont appris la nouvelle qu’il n’y aurait plus de Chunky Monkey à Modi’in Illit, ni de Half Baked à Beitar Illit, la réaction a plutôt été la suivante : Mon Dieu ! Quelle horreur ! Trahison ! Oh quel malheur ! Aussi insensé que cela puisse paraître - et ça l’est - il y a beaucoup à tirer de la panique qui a suivi.

Ensuite, nous avons eu droit à une autre leçon d’éthique de la part de l’actuel Premier ministre israélien Naftali Bennett, qui a qualifié la décision de l’entreprise de retirer ses produits de Cisjordanie de « moralement répréhensible » et a déclaré que « Ben & Jerry’s a décidé de se revendiquer comme la crème glacée anti-israélienne ».

Il faut aimer recevoir des leçons de vertu (ou s’agit-il de signaux ?) venant d’un type si bien qu’il a aussi offert des classiques du style « Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir, et pour toujours, afin d’ empêcher la création d’un État palestinien sur la terre d’Israël » et « Si vous attrapez des terroristes, vous n’avez qu’une chose à faire, les tuer... J’ai tué beaucoup d’Arabes dans ma vie – et cela ne pose aucun problème. »

Et il est certain que la droite israélienne sait comment jouer les grands tubes (hits) !

Le ministre des affaires étrangères, Yair Lapid, a qualifié la décision de l’entreprise de « capitulation honteuse en faveur de l’antisémitisme », tandis que l’Anti-Defamation League (ADL), un groupe de défense du gouvernement farouchement pro-israélien, a déclaré qu’elle alimentait « de dangereuses campagnes dangereuses qui cherchent à saper Israël »".

Naturellement, Lapid n’étend pas ses préoccupations en matière de discrimination aux Arabes locaux, puisqu’un temps,il a également déclaré : « Les Palestiniens doivent être amenés à comprendre que Jérusalem restera toujours sous souveraineté israélienne et qu’il est inutile pour eux d’ouvrir des négociations au sujet de Jérusalem. »

Et, euh ... cette même déclaration de l’ADL l’année dernière – déclarant que les appels à un seul État avec des droits égaux pour tous les habitants d’Israël et des territoires palestiniens « sont eux-mêmes antisémites » – est à lire comme une déclaration un tantinet, disons, anti-palestinienne. Mais là encore, jouer sur les deux tableaux sans une once de lucidité, c’est une véritable leçon d’hypocrisie.

Conflit israélo-palestinien par Ben & Jerry’s Photo Twitter

Un discours libre et une Palestine libre

La réaction de la direction israélienne, qui a fondu comme glace au soleil (jeu de mots - Ta Dam ....! - voulu), a été complètement disproportionnée et ce à plusieurs niveaux. Tout d’abord, l’entreprise a clairement et rigoureusement souligné qu’elle ne boycottait pas l’ensemble du pays – « nous resterons en Israël », dans une déclaration officielle – mais qu’elle se retirait simplement des marchés de la Cisjordanie (illégalement) occupée. En outre, la société britannique Unilever, propriétaire de Ben&Jerry’s depuis 2000, a déclaré qu’elle restait « fermement résolue » à maintenir une présence en Israël.

En outre, ce qui est réellement en jeu ici, c’est la liberté d’expression et la liberté d’un peuple – que les États-Unis permettent à Israël de bafouer depuis des décennies. Il n’est même pas nécessaire d’être pro-BDS – le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), destiné à faire pression économiquement sur Israël pour qu’il mette fin à son occupation illégale – pour être contre les lois anti-BDS.

C’est vrai, plus de la moitié des États américains ont adopté des lois anti-BDS qui pénalisent les entreprises qui décident de boycotter Israël. Et en parlant d’hypocrisie, beaucoup de ces États sont des États républicains radicaux censés soutenir fermement le désinvestissement du gouvernement dans le cadre d’une économie libre.

Les chaînes de supermarchés new-yorkaises cessent de vendre la crème glacée Ben & Jerry’s après une décision "honteuse" de boycotter Israël. (DailyAdvent)

Cette situation a ensuite conduit à l’absurdité des absurdités – un ministre des affaires étrangères (Lapid) demandant à des États américains en particulier de sanctionner une entreprise de crème glacée particulière. Le plus haut diplomate israélien a tweeté que « plus de 30 États américains ont adopté des lois anti-BDS ces dernières années » et « j’ai l’intention de demander à chacun d’entre eux d’appliquer ces lois contre Ben & Jerry’s. Ils ne pourront pas traiter l’État d’Israël comme ils le font sans qu’il y ait de réaction. »

Imaginez ce culot – sérieusement ! Un pays hyper-militariste, international et qui viole les droits humains de façon spectaculaire – ayant une population égale à celle de la ville de New York – osant dicter l’agenda des États fédérés d’une superpuissance.

Quelque chose déraille complètement, et ça vient de nous – tant Israël que l’Amérique – qui ensemble sommes tout simplement malsains. Toxiques. Pour nous-mêmes et pour le cortège de victimes que notre collaboration a laissé dans son sillage depuis plus de 50 ans.

Dans leurs réactions excessives et absurdes, le gouvernement israélien, ses dirigeants et de nombreux soutiens transatlantiques sortent de l’ombre plus vite que Cherry Garcia [arôme de crème glacée Ben and Jerry’s,NdT] ne sort de Jéricho.

Tout aussi (auto-) exposée est la relation " privilégiée " irrationnelle et immorale de Washington avec une Équipe de plus en plus à droite, religieuse et ethniquement chauvine à Tel Aviv.

Dans sa brève déclaration, Ben&Jerry’s a déclaré que, selon ses critères, continuer de vendre dans les territoires occupés serait « incompatible avec nos valeurs ». Si seulement le gouvernement américain respectait ses valeurs ne serait-ce qu’à moitié autant qu’une petite entreprise de crème glacée du Vermont...

Note : Dans un souci de transparence, l’auteur a travaillé avec Ben Cohen de Ben&Jerry’s sur un certain nombre de projets professionnels, notamment des interviews en podcast et le Eisenhower Media Network (EMN). Cela dit, ni Ben Cohen ni la société Ben&Jerry’s n’ont été impliqués de quelque manière que ce soit dans la rédaction ou l’orientation de cette chronique. Les opinions exprimées ici sont uniquement celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles des co-fondateurs ou de la direction actuelle de Ben&Jerry’s.

Copyright 2021 Danny Sjursen

Version imprimable :