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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2021-44

Le monde regarde le Liban s’effondrer

Par Emile Nakhleh, traduit par Jocelyne le Boulicaut

samedi 24 avril 2021, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Le monde regarde le Liban s’effondrer

Le 5 AVRIL 2021, par Emile Nakhleh https://responsiblestatecraft.org/2021/04/05/the-world-watches-as-lebanon-collapses/

Beyrouth, Liban, 30 Décembre 2019- Des manifestants se rejoignent en zone interdite (Karim Naamani/Shutterstock)

Économiquement, politiquement et socialement, le Liban est en plein effondrement Le gouvernement est paralysé et les institutions sont en déliquescence. Il en résulte que les politiciens libanais - tout particulièrement le président Michel Aoun, le premier ministre intérimaire Hassan Diab, le premier ministre désigné Saad Hariri, le secrétaire général du Hezbollah Hasan Nasrallah, et le chef d’Amal et président de la Chambre Nabih Berri - sont responsables de la débâcle actuelle du Liban et devraient tous en être tenus pour responsables.

Le Liban ne peut pas être sauvé en tant qu’État à moins que des acteurs extérieurs influents, collectivement et individuellement, décident de s’impliquer et de créer les conditions qui pourraient faire remonter le Liban des profondeurs abyssales. Est-il vraiment possible de sauver le Liban tant que ces politiciens sont aux commandes ? Pourquoi la plupart des Libanais en doutent-ils ?

Dans un article précédent, j’ai proposé d’établir un Conseil de tutelle temporaire des Nations Unies pour le Liban afin de remettre le pays sur pied. Il est plus urgent que jamais de s’engager dans cette voie. Un système de tutelle de l’ONU pour le Liban ne viserait pas un changement de régime, mais la création d’un système étatique fonctionnel qui soit en capacité de reconstruire les institutions nationales et l’économie.

Il permettrait de rétablir la confiance dans le gouvernement et rendrait les hauts fonctionnaires responsables de leurs actes. Un système judiciaire professionnel et indépendant est essentiel pour assurer la transparence et renforcer la confiance du public.

La politique sectaire au Liban a permis aux politiciens nationaux de poursuivre leurs intérêts mesquins aux dépens du pays. Des alliances ont été formées, par exemple entre le président maronite et le chef chiite du Hezbollah, Hasan Nasrallah, afin de maximiser leur contrôle sur le budget national, accroître leur richesse et maintenir un bon financement pour leurs milices armées.

La corruption au Liban est bien connue et largement répandue. Les modes de vie extravagants de l’élite politique illustrent cette corruption, et le peuple le sait. Si on laisse ces conditions perdurer, le Liban pourrait faire faillite dans les deux ans, ce qui permettrait aux États voisins et aux groupes terroristes d’exploiter l’instabilité du pays.

Parallèlement, dans le cadre d’une alliance vieille de plusieurs décennies avec l’Iran et la Syrie, le Hezbollah a utilisé les ressources militaires et financières que lui ont accordées ces deux pays pour faire plier les dirigeants des autres partis libanais et les soumettre à sa volonté, notamment en ce qui concerne la formation du gouvernement et les budgets.

En dépit des déclarations publiques de Hasan Nasrallah défendant la souveraineté nationale du Liban, ses manœuvres politiques ont conduit, par mégarde ou à dessein, à la dévolution du pays en tribus et fiefs séparés et potentiellement belligérants.

Pourquoi les libanais se révoltent-ils ?

Malgré le consensus de la population en faveur de la souveraineté du pays, les dirigeants actuels ont poursuivi des stratégies qui ont détérioré la vie économique de la population. La paralysie politique actuelle et l’incapacité à former un gouvernement poussent le Liban vers la désagrégation et l’effondrement.

Les citoyens n’ont pas d’argent pour faire leurs courses et lorsqu’ils en ont, la monnaie libanaise, la livre — qui a perdu plus de 80 % de sa valeur au cours de l’année écoulée — perd pratiquement toute valeur. Les esprits s’échauffent sur les marchés, dans les banques, dans les bureaux du gouvernement et dans les rues. La colère contre la classe politique et les principaux politiciens est motivée par des questions purement matérielles, et non par des visées idéologiques.

La pauvreté au Liban

Le récent rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) sur les points chauds de la faim met en évidence la situation catastrophique de la faim au Liban. Il inscrit désormais le Liban dans la liste des pays, qui comme le Yémen, risquent de connaître une « famine catastrophique ».

Le rapport de la FAO avertit que, dans le contexte de l’augmentation des prix des denrées alimentaires, de l’absence de croissance économique et de la hausse du chômage, « les troubles civils et les affrontements violents pourraient devenir plus fréquents ».

La fuite des cerveaux est une autre des conséquences inquiétantes de la détérioration de la situation économique du Liban. De nombreux professionnels - médecins, spécialistes médicaux, ingénieurs, professeurs, chercheurs, journalistes, producteurs de cinéma et hommes d’affaires - qui en ont les moyens ou qui possèdent une double nationalité avec des pays occidentaux et ont des parents proches vivant dans ces pays, partent en masse.

Alors que les 60 % des gens les plus pauvres de la société libanaise luttent simplement pour pouvoir mettre à manger sur la table, la strate professionnelle de la société émigre et emporte avec elle toute son expertise. La classe politique reste embourbée dans de petites politiques de pouvoir, tandis que la classe professionnelle s’évanouit.

À mesure que le Liban perd ce précieux capital humain créatif, il commence lentement à ressembler à de nombreux États pauvres en déliquescence de la région du Moyen-Orient et au-delà. Les habitants des villages et des petites villes, comme les Druzes et les chrétiens dans les montagnes du nord et les chiites dans le sud, ont encore la possibilité de cultiver certains aliments de base, comme les fruits et les légumes, et d’élever des animaux de ferme. Mais les habitants de Beyrouth et de Tripoli n’ont pas ce luxe, et sont donc confrontés à la perspective de la faim et de la famine.

Le Liban au bord de l’effondrement

La célèbre vie urbaine animée de Beyrouth disparaît rapidement, à l’exception de la mince écorce supérieure de la ville. Les crimes contre la propriété sont en augmentation et la sécurité personnelle des citoyens devient problématique.

Le pays est en train de se transformer en une multitude de centres de pouvoir de type mafieux, délimités géographiquement, et ne disposant ni de ressources tangibles génératrices de richesses ni de dispositifs de création d’emplois. Avec la disparition du commerce dynamique et de la prospérité — qui caractérisaient le Liban au cours des décennies précédentes — le pays ressemble de plus en plus à une république bananière.

Si les puissances extérieures — notamment l’Union européenne, la Grande-Bretagne, les États-Unis, le Canada et l’Australie — estiment que la stabilité du Liban reste un ingrédient important dans le contexte géopolitique régional, elles devraient s’engager dans une stratégie courageuse pour empêcher le Liban de devenir un État défaillant.

Ces pays trouveraient un soutien à l’intérieur de leurs propres frontières auprès de leurs centaines de milliers d’immigrants libanais. Au cas où le Conseil de sécurité de l’ONU déciderait de ne pas créer un Conseil de tutelle temporaire pour le Liban, comme je l’ai suggéré précédemment, l’UE plus les 4 pays cités pourrait être un substitut efficace.

Mon gouvernement l’a fait

L’engagement envisagé par les États-Unis dans cette initiative multinationale repose sur l’hypothèse que l’effondrement du Liban aura un effet de déstabilisation dans toute la région.

Les groupes terroristes et leurs affiliés régionaux, ainsi que des acteurs étatiques potentiellement malfaisants dans le voisinage, se précipiteront pour combler le vide qui s’ensuivra, ce qui serait contraire aux intérêts des États-Unis dans la région. Coincé entre la Syrie au nord et à l’est et Israël au sud, le Liban pourrait être le fruit à portée de main de ces acteurs peu recommandables.

Pour être efficace, une stratégie de salut devrait présenter des composantes à court et à long terme. À court terme, le groupe de l’UE + les 4 devrait créer un fonds international de plusieurs milliards de dollars pour aider l’économie libanaise à se redresser.

Ce fonds serait déboursé par un Conseil économique spécial pour le Liban, qui serait créé par l’UE + les 4. Un Conseil de ce type serait composé de technocrates libanais apolitiques et de représentants du groupe UE + les 4. Le Conseil doit être rendu responsable des fonds qu’il reçoit, de leur distribution et de la façon dont ils sont dépensés.

Toujours à court terme, l’UE + les 4 devrait travailler avec les professionnels et les technocrates libanais pour former un nouveau gouvernement composé de technocrates, d’universitaires et d’hommes d’affaires éminents, dans le seul but de relancer l’économie et l’emploi. Le nouveau gouvernement peut également s’attacher à réduire la faim dans le pays en subventionnant l’alimentation et le carburant et en lançant des initiatives de création d’emplois.

Dans le cadre de la stratégie à long terme, l’UE + les 4 devra s’attaquer à la base confessionnelle ou sectaire de la gouvernance au Liban, qui a été une cause majeure de la corruption endémique du pays. L’émissaire pour le Liban désigné par l’UE + les 4 devrait entamer une série de réunions avec des représentants des différents centres de pouvoir et d’influence, des groupes professionnels, des organisations non gouvernementales, des chefs religieux, des experts universitaires et du monde économique, ainsi que des représentants des universités, des syndicats et des petites entreprises qui constituent l’épine dorsale de l’économie libanaise.

L’objectif de ces réunions serait d’explorer différentes modalités pour la future gouvernance du Liban. Au début de son histoire moderne, le système confessionnel a contribué à stabiliser le pays et à créer un système de gouvernement fonctionnel. Cependant, les changements économiques, démographiques et politiques de ces dernières décennies ont rendu le système confessionnel obsolète. Il doit être modifié si l’on veut sauver le Liban.

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