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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2021-12

Comment expliquer la saison cyclonique record de 2020

Par Jeff Berardelli, traduit par Jocelyne le Boulicaut

mercredi 27 janvier 2021, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Comment expliquer la saison cyclonique record de 2020

Le 20 Novembre 2020 par Jeff Berardelli

Jeff Berardelli est météorologue, il est spécialiste du climat pour CBS News.

Vidéo par CBS News : Les experts prédisent une saison cyclonique 2020 active 7 Août 2020

Comme pour tant d’autres aspects de l’année 2020, la saison des ouragans dans l’Atlantique a été marquée par une succession d’événements dramatiques, repoussant les limites de ce que les météorologues pensaient être possible. Même si les records de longue date tombaient et que les météorologues avaient l’impression d’avoir tout vu, 2020 avait d’autres tours dans son sac.

Depuis le nombre total de tempêtes jusqu’à l’intensification rapide et la multiplication des zones d’activité, les records établis en 2020 resteront probablement valables pendant un certain temps. Ce qui suit est un récapitulatif des événements les plus étonnants de la saison avec une explication des facteurs qui y ont conduit, au cours de cette saison sans précédent. Certains de ces facteurs sont des phénomènes naturels, tandis que d’autres sont le résultat de l’impact humain sur le climat.

Le plus grand nombre de tempêtes en une saison

Jusqu’à présent, la saison cyclonique de 2020 dans l’Atlantique a engendré 30 tempêtes tropicales, ce qui a obligé les prévisionnistes à fouiller l’alphabet grec pour trouver des noms, étant donné qu’ils étaient à cours à la mi-septembre. Cela bat l’ancien record établi en 2005 qui comptait 28 phénomènes nommés. Une saison typique ne produit que 12 systèmes nommés, de sorte que pour 2020 on en compte déjà deux fois et demie de plus que la moyenne. [Les lettres grecques sont utilisées lorsque les 21 noms de la liste de l’Organisation mondiale de la météorologie (OMM) sont épuisés,NdT]

TWEET : The 2020 Atlantic Hurricane Season to date :— Tomer Burg @burgwx November 17, 2020

Saison cyclonique Atlantique 2020

Et il reste encore du temps pour que d’autres tempêtes se produisent. La saison des ouragans se termine officiellement le 30 novembre, mais des systèmes peuvent se former et se forment effectivement en décembre. Il est donc probable que nous ajouterons encore quelques tempêtes au total de la saison avant que l’année ne soit terminée.

Dès le début, au printemps dernier, les prévisionnistes saisonniers ont été unanimes pour prévoir que 2020 serait une saison active. Le climatologue de premier plan, le Dr Michael Mann de Penn State, a publié les prévisions les plus audacieuses, prévoyant jusqu’à 24 tempêtes. Ce qui semblait être une prévision audacieuse à l’époque était loin d’être assez audacieux.

Les anticipations concordantes du printemps dernier montrent que toutes les variables qui indiquent une saison active ont semblé se manifester des mois à l’avance. En fait, non seulement elles sont apparues, mais elles se sont chevauchées.Tout est simplement arrivé.

Les températures de surface de l’Atlantique Nord étaient, et continuent d’être, bien supérieures à la normale dans tout le bassin, fournissant un carburant à fort indice d’octane qui alimente les tempêtes en développement. Par ailleurs, la mousson d’Afrique de l’Ouest a été exceptionnellement active cet été, or elle crée des perturbations tropicales dans l’Atlantique extrême-oriental, et certaines se transforment en ouragans.

Dans la principale région de développement de l’Atlantique tropical, les pressions de surface sont parmi les plus faibles de l’histoire ; une basse pression équivaut à une activité de tempête. Enfin, El Niño a été absent dans le Pacifique tropical. On sait pertinemment que les phénomènes dus à El Niño tendent à tuer les ouragans de l’Atlantique en raison des forts vents en altitude (cisaillement du vent) qu’ils produisent.

Cette année, l’opposé d’El Niño s’est développé - La Niña - créant un environnement calme avec moins de cisaillement du vent, ce qui a favorisé le développement de tempêtes.

Et puis il y a l’éléphant dans le magasin de porcelaine : le changement climatique causé par l’homme.

Depuis 1900, les températures de l’océan Atlantique tropical ont augmenté de 2 degrés Fahrenheit (1,11°C). S’il est clair que des températures océaniques plus chaudes renforcent les tempêtes, la question de savoir si des eaux plus chaudes entraînent un plus grand nombre de systèmes tropicaux fait toujours l’objet d’un débat passionné entre les meilleurs climatologues.

« Mes collègues et moi-même pensons que le comité est très ouvert concernant la fréquence des cyclones tropicaux », a déclaré Kerry Emanuel, du MIT, un chercheur de premier plan étudiant la façon dont le changement climatique affecte les ouragans. Bien que cette saison atlantique ait été extrême, il souligne que ce que nous voyons dans le bassin atlantique n’est pas représentatif du reste du globe. « Seulement environ 12 % des cyclones tropicaux du monde se produisent dans l’Atlantique, et à l’échelle mondiale, l’année n’a pas été très exceptionnelle".

Mann est du même avis, mais il préfère se concentrer sur ce qu’il estime être la recherche la plus convaincante dont il ait eu connaissance, qui indique des saisons plus actives en raison du réchauffement de l’Atlantique. Alors que certaines études ont trouvé le contraire - estimant qu’un réchauffement du climat pourrait entraîner une diminution du nombre de tempêtes - Mann pense que les modèles utilisés ne sont pas suffisants pour couvrir le spectre complet des tempêtes, ce qui a pu conduire à des résultats très peu réalistes. Selon Mann, en raison de la relation exponentielle entre le réchauffement et l’évaporation, la formation des systèmes tropicaux n’est pas linéaire. Se référant à la formation des tempêtes tropicales, il estime qu’elle est plutôt « de type seuil », et son opinion est qu’ « un monde plus chaud est susceptible d’engendrer une cyclogenèse tropicale bien plus importante ».

Pour que des tempêtes tropicales se forment, la température de la surface de la mer doit atteindre environ 80 degrés Fahrenheit (26,7°C). Comme le réchauffement climatique a fait augmenter la température de la surface de la mer de 2 degrés Farenheit (1,11°C) dans l’Atlantique tropical, il est logique de s’attendre à ce que ce seuil soit atteint plus souvent, dans un plus grand nombre de lieux géographiques et à des moments tant plus précoces que plus tardifs dans la saison, ce qui favorise la formation de nouvelles tempêtes.

La plupart des tempêtes devraient être à renforcement rapide

Si la première moitié de la saison 2020 a été marquée par des tempêtes répétées, celles-ci ont pour la plupart été de faible intensité. Cette tendance a toutefois été inversée pendant la haute saison, d’août à octobre, et surtout cet automne, sans doute en partie à cause du développement de La Niña dans le Pacifique et du fait que les tempêtes se sont développées dans les Caraïbes - ce qui se produit généralement à l’automne - là où se trouvent certaines des eaux les plus chaudes de cet hémisphère.

Six des sept derniers systèmes ont connu une intensification rapide - définie comme une augmentation des vents de 35 mph (56 km/h) en 24 heures. Ce qui serait inhabituel à n’importe quel moment de l’année, mais le fait qu’il s’agisse exclusivement de systèmes de l’alphabet grec, puisqu’ils se sont tous produits si tard dans la saison, rend la chose d’autant plus singulière. Au total, 10 systèmes ont répondu aux critères d’intensification rapide en 2020, égalant un record établi lors de la saison active de 1995.

Itinéraires de tempêtes à intensification rapide 2020

Plus impressionnant encore, un record de quatre systèmes s’est « rapidement creusé » en 2020, ce qui signifie que la pression a chuté de plus de 40 millibars en 24 heures. Les deux chutes de pression les plus rapides ont eu lieu à la fin de la saison en novembre, alors que c’est généralement le moment où l’activité diminue - il s’agit de l’ouragan Eta suivi de l’ouragan Iota. Pour dire les choses simplement, c’est sans précédent. Mais si vous fouillez les données, l’explication est limpide. Les Caraïbes occidentales sont déjà la région du monde où la teneur en chaleur des océans est la plus élevée. Mais le changement climatique fait rapidement passer cette chaleur au-delà de seuils rarement atteints par le passé. Or, plus l’eau est chaude, plus la probabilité que la tempête soit violente augmente.

Plus basses pressions atmosphériques quotidiennes par 24h dans l’Atlantique entre 1851 et 2019 (en hPa)

Cette tendance est clairement visible dans la ligne rouge ci-dessous, qui montre la tendance rapide à l’augmentation du nombre de jours de fin de saison où la température de la surface de la mer dépasse 83 degrés Fahrenheit (28°C)

Décompte en novembre et décembre des jours où l’eau de mer dépasse 26,5°C et 28,5°C à l’Est du Nicaragua

La science le confirme également. Dans son article de 2017, Kerry Emanuel constate qu’une tempête s’intensifiant à 70 mph (110 km/h) dans les 24 heures avant l’arrivée de l’ouragan - un exploit presque constaté lors du système Iota - ne se produisait qu’une fois par siècle vers la fin des années 1900, mais qu’à la fin de ce siècle, cela se produira une fois tous les 5 à 10 ans.

Et ce document de 2018 montre que l’intensification rapide a augmenté de 4,4 mph (7km/h) par décennie depuis les années 1980, ce qui signifie que si les vents lors d’un ouragan augmentaient de 40 mph (65 km/h) par jour en 1980, alors ils seraient susceptibles de s’intensifier de 60 mph (96km/h) par jour actuellement.

Sept tempêtes de catégorie 5 en 5 ans

Jusqu’à mi-novembre, une case n’a pas encore été cochée pour cette saison, c’est celle des ouragans de catégorie 5. Cela a changé lorsque les vents de l’ouragan Iota ont atteint 160 mph (260 km/h). C’est la tempête la plus violente jamais enregistrée à une date aussi tardive de la saison cyclonique dans l’Atlantique.

Au cours de chacune des cinq dernières saisons cycloniques, nous avons observé au moins un ouragan de catégorie 5 - sept au total. C’est un record si on considère qu’au cours des 170 dernières années, le National Hurricane Center estime qu’il n’y a eu que 37 tempêtes de catégorie 5. Cela signifie que la probabilité qu’une année donnée produise un ouragan de catégorie 5 n’est historiquement que d’environ 20 %.

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Ce n’est pas une simple coïncidence, c’est cela le changement climatique. Au cours des 120 dernières années, l’Atlantique tropical s’est réchauffé de 2 degrés Fahrenheit (1,11°C). Théoriquement, pour chaque augmentation de 2 degrés Fahrenheit du réchauffement de l’océan, une tempête peut gagner près de 20 mph (30 km/h) en vitesse de pointe du vent.

Tempêtes plus violentes

Les dernières recherches confirment cette évolution vers des tempêtes plus violentes. Dans un article publié plus tôt cette année, le Dr James Kossin de la NOAA a constaté que les ouragans majeurs (catégories 3, 4 et 5) sont en effet en augmentation. Kossin a déclaré à CBS News : « Dans le monde, il y a environ 25 % de chances en plus pour qu’un ouragan soit d’une intensité plus importante qu’il y a quatre décennies. En ce qui concerne l’Atlantique, l’occurrence est multipliée par deux »

C’est quelque chose d’important parce que la puissance et les dégâts potentiels causés par un ouragan augmentent de façon exponentielle en fonction de l’augmentation des vents. En fait, 85 % des dommages causés par tous les ouragans sont dus aux ouragans majeurs. Donc, si on a des ouragans plus violents, on risque d’avoir des dégâts exponentiellement plus importants.

Record d’arrivées sur les côtes aux États-Unis

Jusqu’à présent, au cours de cette saison, il y a eu 12 arrivées sur les côtes des États-Unis, pulvérisant l’ancien record de neuf établi en 2016. Au cours d’une saison qui s’est révélée impitoyable pour les habitants du Golfe du Mexique, neuf des entrées sur le continent de cette année ont eu lieu le long de la côte américaine du Golfe et cinq d’entre elles se sont produites en Louisiane.

Principales zones d’atterrage des cyclones sur les côtes US en 2020

Et dans ce qui est peut-être le plus effrayant des cas, deux ouragans ont touché terre à quelques kilomètres l’un de l’autre à trois reprises : Laura et Delta en Louisiane, Delta et Zeta dans le Yucatan au Mexique, et Eta et Iota au Nicaragua.

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Quelles sont les chances que deux cyclones touchent terre au même endroit

Là où 2020 n’a pas été à la hauteur

Si l’année 2020 a été plus performante dans presque toutes les catégories, il y a une statistique surprenante qui n’est pas si étonnante que cela : L’énergie cyclonique accumulée (ECA). Il s’agit d’une mesure largement utilisée par les météorologues pour estimer l’intensité d’une saison cyclonique, car il s’agit d’une agrégation de la force et de la longévité de toutes les tempêtes.

Certes, l’ ECA a été bien supérieure à celle d’une saison normale, mais elle est restée bien en deçà de ce à quoi on pouvait s’attendre pour 30 tempêtes. À ce jour, le nombre total d’ouragans pour la saison 2020 est de 178, ce qui est loin du record de 245 établi en 2005. Cela s’explique par le fait qu’au cours de l’année 2005 on a également connu quatre ouragans de catégorie 5, contre un seul cette année ; plus d’ouragans dans l’ensemble qu’en 2020 ; et également des tempêtes de plus longue durée.

La saison 2004, marquée par les ouragans Charley et Ivan, n’a connu que la moitié du nombre de tempêtes de 2020, mais a produit plus d’ECA.

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Alors pourquoi l’année 2020 a-t-elle été moins performante en ce qui concerne l’ECA ? L’une des raisons est que la première moitié de la saison a en grande partie produit des systèmes de faible intensité. Et contrairement à 2005, où de nombreux ouragans étaient des tempêtes dont la trajectoire était longue, la plupart des tempêtes les plus fortes de 2020 se sont formées plus près des terres et n’ont donc pas duré aussi longtemps. Ceci a été particulièrement vrai pour les tempêtes de fin de saison ayant des noms tirés de l’alphabet grec, dont la plupart se sont formées dans les Caraïbes et ont touché terre peu de temps après. Elles n’ont tout simplement pas eu le temps d’accumuler autant d’ECA.

Si nombre des records établis en 2020 ne seront pas détrônés avant plusieurs années, une chose est sûre : tant que nos sociétés continueront d’émettre une pollution à effet de serre qui emprisonne la chaleur, le changement climatique continuera de favoriser des saisons cycloniques qui déjouent toutes les prévisions.

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