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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2021-08

Pauvreté ou richesse : laquelle est naturelle ?

Par Fred Foldvary, traduit par Jocelyne le Boulicaut

jeudi 21 janvier 2021, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Pauvreté ou richesse : laquelle est naturelle ?

15 mars 2020 par Fred Foldvary, Docteur en économie

Quartiers riches et quartiers pauvres

La pauvreté vient du fait que la production et la consommation sont soumises à des coûts et à des restrictions, et que les élites locales s’approprient les revenus de l’économie.

La condition naturelle de l’humanité, c’est la richesse et la prospérité, et non la pauvreté. Comme l’a déclaré Nelson Mandela : « Comme l’esclavage et l’apartheid, la pauvreté n’est pas naturelle. Elle est le fait de l’homme et peut être surmontée et éradiquée par les efforts des êtres humains. »

D’autres ont dit au contraire, que la pauvreté est naturelle. Dans un article paru dans Forbes, Tim Worstall a noté que le revenu moyen, depuis les temps anciens jusqu’aux années 1500, n’était que de 450 dollars par an. Steven Pinker, dans Enlightenment Now, affirme (p. 25) que la pauvreté « est l’état par défaut de l’humanité ». Cela, dit-il, est dû à l’entropie : les choses se volatilisent et sombrent dans le chaos, à moins que des mesures ne soient prises pour inverser cette tendance. L’état naturel, c’est se délabrer et mourir de faim.

Le sens du mot « naturel » doit ici être précisé afin de déterminer lequel, de la pauvreté ou de la prospérité, relève de l’état naturel. La frontière se situe entre la nature et l’action humaine. La « nature », c’est tout ce qui est en dehors de l’action humaine. Les actes délibérés des gens constituent l’action humaine. Par conséquent, toute culture et tout acte influencé par la culture et les choix personnels sont non naturels.

Dans ce cas, qu’entend-on par « pauvreté » ? Une personne est économiquement pauvre si elle ne dispose pas d’un revenu ou d’une richesse suffisants pour se nourrir, se loger, et obtenir les médicaments nécessaires à sa vie et sa santé, ainsi que pour celles des personnes à sa charge.

Une société est considérée comme très pauvre lorsque les gens ne sont pas en mesure d’obtenir des biens au-delà du seuil de pauvreté ou du niveau de subsistance. Les origines fondamentales des revenus sont le travail et la terre, et par conséquent, la prévalence de la pauvreté implique que pour beaucoup, un revenu foncier en plus d’un salaire ne suffisent pas à éviter la pauvreté économique.

Aucun être humain ne vit en dehors de la culture et des biens produits. Et donc, aucune personne ne peut avoir une existence purement naturelle. Selon la définition ci-dessus, les revenus ne sont pas naturels, puisqu’ils dépendent tant de l’action humaine que des ressources naturelles. Selon cette définition, la proposition selon laquelle la pauvreté est naturelle n’est ni vraie ni fausse, mais plutôt dénuée de sens.

Carrefour pauvreté richesse

Que voulait dire Mandela lorsqu’il a dit que la pauvreté n’est pas naturelle ? Il voulait dire que la pauvreté est causée par l’action humaine. Les gens pourraient s’élever au dessus du seuil de pauvreté si d’autres, par leurs actes coercitifs ne les en empêchaient.

Ces actes d’autrui génèrent la pauvreté par l’usage de la force, et celui qui peut appliquer la force au sens large est le gouvernement. La conséquence est que la pauvreté n’est généralement pas due à un manque de ressources naturelles, mais est plutôt causée par l’utilisation de la coercition pour empêcher la production.

Cette thèse a également été exprimée par Henry George dans son livre de 1883 intitulé Social Problems. George a écrit : « Dans la nature, il n’existe aucune raison d’être pauvre ». Il voulait dire que la pauvreté n’est généralement pas causée par un manque de ressources naturelles.

Par conséquent, ce sont bien les institutions humaines qui sont à l’origine de la pauvreté. Ce qui veut dire que si les institutions préjudiciables sont réformées pour devenir des institutions constructives, la pauvreté sera abolie. La pauvreté serait « extirpée », a dit George, arrachée à la racine, si les impôts ne pesaient plus sur le travail et l’entreprise, mais se reportaient plutôt sur la rente foncière. De cette façon, chaque travailleur recevrait son plein salaire et une part égale des bénéfices de la nature, comme dans le cas de la rente foncière.

La question de la pauvreté peut être analysée en examinant les sociétés primaires ou « primitives ». Supposons qu’il existe un village dont les habitants vivent dans une forêt tropicale humide non perturbée par des intrus. Il y a plein d’eau, et plein de nourriture comme les poissons et des arbres fruitiers. Les habitants développent aussi quelques cultures et construisent des maisons à partir du bois et d’autres matériaux qu’ils trouvent dans l’environnement. Ils disposent donc de suffisamment de nourriture et d’abri, et présumons également qu’ils sont capables de récolter des herbes et autres aides médicales dans la forêt. Ces gens ne sont pas pauvres. Ils tirent des revenus de leur travail et des bienfaits de la nature.

Si la pauvreté est causée par la nature, cela implique qu’il n’y a pas assez de ressources naturelles dans le monde pour maintenir tout le monde au-dessus du niveau de subsistance. Mais en fait, la pauvreté n’est pas causée par une telle carence, et ce n’était pas non plus le cas dans le passé.

Lorsqu’une société acquiert une meilleure technologie, elle est en mesure d’augmenter sa production et son revenu par habitant. Ainsi, si une société primaire n’est pas pauvre, pourquoi une économie plus développée connaîtrait-elle la pauvreté ?

Le contentement est une richesse naturelle, le luxe est une pauvreté artificielle

Un autre sens du mot « naturel », celui utilisé en économie désigne les résultats d’une pure économie de marché libre. Knut Wicksell a introduit le terme « taux d’intérêt naturel », comme étant le taux qui existerait dans une pure économie de marché. Ainsi, affirmer que la pauvreté est « naturelle » implique que le marché libre ne parvient pas à prévenir la pauvreté de masse.

Ceux qui prétendent que la pauvreté est naturelle le pensent peut-être parce que les bébés naissent pauvres. Mais les bébés naissent dans des familles qui fournissent à leur progéniture nourriture, abri et médicaments, donc ils ne sont pas pauvres.

Qu’en est-il du point soulevé par Worstall, selon lequel les revenus moyens n’étaient que de 450 dollars jusqu’aux derniers siècles ? Il y a deux réponses.

Premièrement, un revenu quotidien de 1,23 dollar par jour implique soit que ces personnes vivent sur des terres de faible valeur locative, soit que ce chiffre ne tient pas compte de la valeur locative de la terre sur laquelle ils vivent et travaillent.

Deuxièmement, il ne s’agissait pas de sociétés libres. En général, il y avait des serfs ou des esclaves qui travaillaient pour un propriétaire ou un maître, et une grande partie de leur production était destinée au propriétaire ou au maître. Et donc cet exemple n’est absolument pas pertinent pour déterminer si la pauvreté est naturelle.

Qu’en est-il de la question de l’entropie soulevée par Pinker ? Bien sûr, si quelqu’un reste allongé dans son lit et refuse de se lever et d’aller travailler, il devient pauvre et meurt de faim. Mais ce n’est pas la faute de la nature, puisque c’est le résultat de l’inaction humaine. De plus, l’entropie s’applique dans un système fermé, et la Terre, dans la mesure où elle bénéficie du rayonnement solaire, est un système ouvert.

Ainsi, à bien des égards, la pauvreté n’est pas quelque chose de naturel. Soit cette affirmation est dénuée de sens, soit elle concerne un manque de ressources naturelles totalement inexistant. La pauvreté est engendrée par le fait que les humains imposent des coûts et des restrictions en matière de production et de consommation et, tout comme c’était le cas du temps des serfs, elle vient du fait que les élites terriennes s’emparent de la majeure partie des revenus de l’économie.

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