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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2021-03

Macron et les nababs : La lutte pour un "Fox News" à la française.

Par Michel Rose, Gwénaëlle Barzic, Mathieu Rosemain, traduit par Jocelyne le Boulicaut

mercredi 13 janvier 2021, par JMT

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Macron et les nababs : La lutte pour un "Fox News" à la française.

17 décembre 2020 Par Michel Rose, Gwénaëlle Barzic, Mathieu Rosemain

Reportage de Michel Rose, Gwenaelle Barzic, Mathieu Rosemain et Sarah White ; Rédaction de Mathieu Rosemain et Sarah White ; Montage de David Clarke

PARIS (Reuters) - Derrière la bataille des entreprises pour la société de médias française Lagardère, il y a un bras de fer politique impliquant l’homme le plus riche du pays, un magnat des médias et le président Emmanuel Macron.

PHOTO D’ARCHIVE : Le président français Emmanuel Macron s’entretient avec Bernard Arnault, PDG du groupe de luxe LVMH, lors du rassemblement des start-up et des technologies Viva Tech à Paris, France, le 24 mai 2018. Michel Euler/Pool via Reuters/File Photo

L’enjeu est le contrôle de l’une des radios privées les plus connues de France et sa capacité pour influencer les électeurs avant l’élection présidentielle française de 2022, celle qui pourrait voir un nouvel affrontement entre Macron et la leader d’extrême droite Marine Le Pen. Selon deux sources proches du dossier, la crainte de Macron est que si le magnat des médias Vincent Bolloré remporte Lagardère, il pourrait utiliser sa radio Europe 1 pour inonder les ondes de points de vue de droite et rendre la tentative de réélection du président encore plus difficile.

Alors, lorsque Vivendi, entreprise du groupe Bolloré a pris une participation dans le groupe Lagardère en avril, le cabinet de Macron a, selon les sources, fait part de ses préoccupations à Bernard Arnault, le fondateur milliardaire de l’empire du luxe LVMH et l’un des soutiens de la première heure du président. « La situation est suivie de très près depuis le sommet », a déclaré l’une des deux sources à Reuters. Quelques semaines plus tard, Arnault est entré dans le combat, soutenant financièrement la holding du directeur général Arnaud Lagardère et promettant son soutien au fils du fondateur défunt de la société, Jean-Luc, meilleur ami d’Arnault selon les dires de ce dernier.

Le cabinet de Macron et un porte-parole de Bolloré ont refusé de commenter. Au nom d’Arnault, LVMH n’a pas répondu aux demandes de commentaires. À l’époque, la décision d’Arnault était considérée comme une tentative pour renforcer ses défenses, en tandem avec Bolloré, contre le fonds spéculatif Amber Capital de Londres, ce dernier a également pris une participation dans le groupe Lagardère et a fait campagne pour changer la direction de la société. Une source proche de la vision d’Arnault a déclaré que son attachement à Jean-Luc Lagardère était sincère et l’avait incité à agir lorsque son fils a cherché de l’aide pour repousser Amber Capital.

Mais la manœuvre du milliardaire a laissé ses concurrents français perplexes.

UN FOX NEWS À LA FRANÇAISE ?

Jean-Luc Lagardère

Après une carrière bâtie sur une réputation basée sur la recherche de profits dans des affaires telles que le rachat du joaillier américain Tiffany par LVMH, ils se sont demandé si Arnault n’avait pas eu une autre motivation pour injecter des fonds dans le groupe Lagardère. Après son investissement initial de 80 millions d’euros (97 millions de dollars), Arnault a acheté une participation directe de 7,75% dans Lagardère, qui vaut maintenant 209 millions d’euros.

Les médias français s’interrogent de plus en plus sur l’aspect politique de la décision surprise d’Arnault d’investir dans une société qui accumule les pertes et les dettes alors que la pandémie de coronavirus frappe son réseau mondial de points de vente dans les aéroports. Le cercle restreint de Macron s’est inquiété du fait que, par le biais de Vivendi, devenu le plus grand actionnaire de Lagardère, Bolloré pourrait consolider ses actifs médiatiques et, aidé par Europe 1, construire une version française du réseau médiatique conservateur américain "Fox News", ont indiqué les sources.

Peu après qu’Arnault ait investi dans le groupe Lagardère, en juin, une première offre de 250 millions d’euros de Bolloré pour acheter Europe 1 a été refusée par la direction de Lagardère, selon une troisième source. Vivendi a refusé de commenter. La société possède déjà la plus grande chaîne de télévision payante de France, Canal Plus, dont la chaîne d’information en clair CNews a pris un virage conservateur depuis la prise de contrôle de Bolloré. Les commentaires anti-immigration et la ligne dure de défense du maintien de l’ordre formulés par certains de ses invités de talk-show enflamment régulièrement les médias sociaux, et tant l’audience de la chaîne que ses recettes publicitaires ont fait un bond en avant.

Le patron de la chaîne, Serge Nedjar, a reconnu que certains de ses commentateurs sont provocateurs mais a déclaré dans une récente interview que la priorité de CNews était d’organiser des débats ouverts sur tous les sujets et qu’il n’y avait pas de ligne politique. La station Europe 1 de Lagardère a dû se débattre pour faire face à des pertes et à une baisse d’audience, mais elle a conservé un public urbain, cultivé et plus conservateur.

« AUCUNE BARRIÈRE MORALE »

Alors que la structure de propriété opaque de Lagardère donne à son directeur général le droit d’opposer son veto à des décisions importantes, même si il ne détient que 7 % de la société, les analystes s’attendent toujours à ce que ses principaux investisseurs tentent de s’emparer de certains pans de l’entreprise.

Vivendi détient désormais 27% des parts et s’est associé à Amber pour 20% de plus afin de faire pression pour des changements au sein du conseil d’administration. Même le fonds souverain du Qatar, le troisième plus grand investisseur de Lagardère avec 13%, longtemps resté silencieux, a demandé une représentation équitable de tous les actionnaires.

Ces mesures ont mis la pression sur la direction du groupe Lagardère, en particulier sur les milliardaires, négociateurs de transactions, pour qu’elle gère la situation, tandis que Amber Capital a maintenu sa campagne en faveur d’une refonte visant à améliorer la performance du cours de l’action.

Quatre sources proches de la situation ont déclaré que les discussions sur la manière dont certaines parties du groupe Lagardère pourraient être filialisées avaient été entamées ces dernières semaines. L’une d’entre elles a déclaré qu’Arnault et Bolloré s’étaient rencontrés en tête à tête. Les deux hommes n’ont jamais été des rivaux commerciaux directs et ne sont pas particulièrement proches, mais aucun des deux n’est intéressé par une guerre totale concernant le groupe Lagardère, ont déclaré des personnes qui les connaissent.

Bolloré pourrait se satisfaire de reprendre certaines parties de la division édition de Lagardère, qui abrite Hachette, ou accepter de céder certains actifs médiatiques dans le cas où il lancerait une prise de contrôle totale, une option qui pourrait débloquer la saga complexe, ont déclaré des personnes proches des négociations. De tels scénarios sont encore pures spéculations, selon certains.

Laisser Arnault prendre les médias de Lagardère, dont les hebdomadaires Paris Match et le Journal du Dimanche, pourrait cependant poser problème. Le milliardaire contrôle déjà le quotidien financier Les Échos et le journal Le Parisien. Lagardère possède également une chaîne de magasins sur les lieux de transport, mais le secteur a été durement touché par le pilonnage du secteur des voyages par la pandémie, et Arnault connaît des problèmes similaires au sein de LVMH, qui possède la chaîne de magasins hors taxes DFS.

Mais pour ceux qui préparent la campagne de réélection de Macron, tenir Europe 1 à l’écart de Bolloré est une priorité, surtout compte tenu de la popularité croissante de CNews et de ses commentateurs de droite. Son audience a doublé en octobre par rapport à l’année dernière et, bien qu’elle soit toujours à la traîne du leader français BFM, elle devance la chaîne d’information LCI de TF1 - et sa transformation n’inquiète pas seulement ceux qui se trouvent dans les couloirs du pouvoir.

« L’idée générale est la suivante : au nom de la liberté d’expression, toute personne de droite est la bienvenue. Il n’y a pas de barrière morale », a déclaré Sébastien Cochelin, représentant syndical de la CFDT pour Canal Plus. « Nous jouons avec le feu ».

(1 $ = 0,8206 euros)

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