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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2020-97

Plaidoyer en faveur d’un salaire maximum

Par Sam Pizzigati, traduit par Jocelyne le Boulicaut

mercredi 11 novembre 2020, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Plaidoyer en faveur d’un salaire maximum

27 octobre 2020, Par Sam Pizzigati, Inequality.org

Sam Pizzigati est co-éditeur de Inequality.org. Parmi ses derniers livres, citons The Case for a Maximum Wage et The Rich Don’t Always Win : The Forgotten Triumph over Plutocracy that Created the American Middle Class, 1900-1970. Suivez le sur @Too_Much_Online.

Le président sortant Herbert Hoover, à gauche, et Franklin D. Roosevelt le jour de la prestation de serment (Inauguration day), 1933. (Bibliothèque du Congrès, Wikimedia Commons)

Les soutiens britanniques en faveur d’un plafonnement des revenus pourraient-ils un jour s’enraciner aux États-Unis avec une même ampleur ? Selon Sam Pizzigati, l’idée ne serait pas aussi non américaine qu’elle semble le paraître.

Le 9 novembre 1932, au lendemain du jour des élections, des Américains à l’esprit progressiste se sont réveillés avec un sentiment de soulagement - et le sentiment qu’ils pourraient enfin avoir l’occasion de forger un véritable changement social. À ce moment là, au plus profond de la Grande Dépression, les progressistes pouvaient entrevoir un nouveau départ.

Franklin D. Roosevelt, le nouveau président, allait bientôt apporter un soulagement immédiat à l’approche impitoyable que l’administration Hoover précédente avait si souvent affichée concernant la misère généralisée . Les "100 premiers jours" de FDR en 1933 allaient être marqués par un torrent de mesures visant à arrêter la spirale effrayante de la chute de l’économie.

Mais ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de "New Deal" - la sécurité sociale, les droits des travailleurs et bien d’autres choses encore - ne commencerait à prendre forme que deux ans plus tard, après que des mobilisations de grande ampleur de travailleurs, de personnes âgées et de chômeurs aient redéfini le sens populaire de ce que le gouvernement pouvait et devrait faire.

Si Joe Biden sort vainqueur le jour des élections, sa nouvelle administration - comme celle de FDR - devra rapidement s’attacher à apporter une aide immédiate et indispensable, contre la pandémie cette fois, et pas seulement contre l’effondrement économique. Mais alors quoi ? Comment allons-nous pouvoir profiter de l’occasion d’un véritable changement social qu’une victoire de Biden mettrait sur la table ?

Pour quel type de changement fondamental les Américains devraient-ils se mobiliser ?

Le candidat à la présidence Joe Biden avec ses partisans à Henderson, Nevada, février 2020. (Gage Skidmore, Wikimedia Commons)

Voilà qu’une nouvelle suggestion audacieuse et courageuse nous arrive émanant de nos cousins britanniques. Au début de ce mois, deux groupes de recherche britanniques de premier plan - Autonomy, un groupe de réflexion qui se concentre sur l’avenir du travail et la planification économique, et le High Pay Centre, une association à but non lucratif qui met en lumière les rémunérations excessives des cadres d’entreprise britanniques - ont conjointement appelé à un "salaire maximum" dans toute l’économie britannique.

Selon un nouveau rapport conjoint de ces deux centres progressistes, les salaires des dirigeants d’entreprise « devraient être plafonnés et ce, afin d’augmenter les salaires des travailleurs les moins bien payés et d’aider à sauver des emplois ». « Il est à prévoir que,dans un avenir proche, l’économie britannique sera sans doute beaucoup plus faible que ce qui avait été prévu », explique Luke Hildyard du High Pay Centre, « nous devons de toute urgence réfléchir à un partage plus équitable des richesses dont nous disposons ».

Mais un plafond concernant les compensations directes ne serait-il pas une mesure trop extrême à prendre ?

« Tolérer les vastes écarts entre ceux qui sont au sommet et tous les autres dans ce pays », répond Hildyard, « serait une politique bien plus extrémiste que de plafonner les revenus annuels à 200 000 livres sterling - assez pour permettre un style de vie de luxe absolu par rapport à celui de la grande majorité de la population ». Aux États-Unis, un revenu équivalent à 200 000 livres sterling représenterait plus d’un quart de million de dollars.

Les cadres supérieurs des entreprises britanniques gagnent actuellement en moyenne 126 fois le salaire moyen des travailleurs britanniques, un écart nettement plus important que celui des salaires dans les entreprises du reste de l’Europe, mais bien inférieur à l’écart stupéfiant dans les entreprises américaines. Selon l’Economic Policy Institute, les PDG américains ont touché l’an dernier une rémunération moyenne 320 fois supérieure à celle des travailleurs moyens de leur secteur, contre 31,4 fois en 1978.

Des écarts de rémunération aussi importants soulèvent d’importantes questions morales.

Le nouveau rapport britannique demande « si une personne devrait avoir une valeur cent fois plus importante qu’une autre ». Les écarts salariaux importants soulèvent également une foule de questions additionnelles, balayant des sujets qui vont du niveau général d’empathie au sein des sociétés jusqu’à l’influence des grandes richesses sur les politiques publiques. Le nouveau rapport britannique, quant à lui, se concentre sur l’impact économique de la mauvaise répartition des revenus et des richesses - en période de crise de covid.

File d’attente devant un magasin à Londres au début de la pandémie, le 19 mars 2020. (Nickolay Romensky, CC BY 2.0, Wikimedia Commons)

« Au lendemain de la pandémie, de nombreuses entreprises fonctionneront à capacité réduite, il semble très probable que l’économie britannique sera beaucoup plus faible que prévu pendant un laps de temps considérable », note le rapport. « Il semble probable qu’on constatera des chutes importantes des revenus et du niveau de vie à moins que de meilleures méthodes de redistribution des ressources existantes ne soient trouvées ».

Cette redistribution, concèdent les auteurs, nécessitera de grands efforts politiques. « Si une augmentation de salaire sans douleur pouvait être envisagée pour les bas (et moyens) revenus sans aucun coût pour quiconque », comme le dit si bien le rapport , « elle aurait probablement déjà eu lieu ». « Les salaires et les revenus ne sont pas nécessairement un « jeu à somme nulle », où moins pour ceux qui sont au sommet signifie plus pour tous les autres », poursuit le rapport. « Mais il serait également naïf de penser qu’il n’y a pas de corrélation entre les deux ».

Quel est ce type de relation ?

Les chercheurs d’Autonomy et du High Pay Centre ont chiffré les coûts - pour montrer « les énormes avantages et les coûts minimaux que le plafonnement des salaires pourraient induire pour les plus hauts salaires ».

Un exemple : Le plafonnement des salaires des entreprises britanniques à 187 000 £ - soit près de 250 000 $ - permettrait de libérer suffisamment de liquidités pour faire passer le salaire minimum britannique de base des adultes de 8,72 £ actuellement à 10,50 £ de l’heure. Un plafond de 187 000 livres sterling ne toucherait que les 0,6 % des salariés les plus aisés du Royaume-Uni et "permettrait de donner des augmentations de salaire à plus de 3 millions de travailleurs".

« Si nous plafonnons les rémunérations excessives, nous pourrions mettre fin au problème des travailleurs pauvres », note Andrew Fisher, analyste et ancien conseiller politique principal du parti travailliste, impressionné par les chiffres de l’Autonomy-High Pay Centre.

Une mesure visant à plafonner les rémunérations excessives serait-elle politiquement viable au Royaume-Uni aujourd’hui ?

Dans le nouveau rapport de l’Autonomy-High Pay Centre on trouve les résultats des enquêtes menées par Survation, un enquêteur londonien à la réputation bien établie. Ce sondage a révélé que le public britannique serait "favorable à un salaire maximum" par une marge de 54 à 29 %, avec 17 % d’indécis.

Si le Royaume-Uni mettait en place un plafond de rémunération pour les cadres, 31 % du public souhaiterait que ce plafond soit fixé à 100 000 £, 24 % à 200 000 £ et 14 % à 300 000 £. Neuf pour cent supplémentaires placeraient le plafond à 1 million de livres, les 21 % restants étant incertains.

De tels niveaux de soutien en faveur d’un salaire maximum pourraient-ils un jour prendre racine aux États-Unis ?

John Bull et l’Oncle Sam (j4p4n, openclipart.org)

La notion de plafonnement des revenus a en fait des racines profondes de ce côté-ci de l’Atlantique. Si on remonte à 1880, le philosophe Félix Adler - plus tard co-fondateur du mouvement pour l’interdiction du travail des enfants - a proposé un taux d’imposition de 100 % sur les revenus supérieurs jusqu’à atteindre un niveau « où une certaine somme élevée et abondante a été atteinte, amplement suffisante pour tous les conforts et les vrais raffinements de la vie ». Un tel prélèvement, a déclaré Adler, permettrait de taxer « le prestige, la vanité et la puissance ».

C’est justement cela que Franklin Roosevelt a tenté en 1942 lorsqu’il a proposé une taxe de 100 % sur tous les revenus individuels supérieurs à 25 000 dollars, soit environ 400 000 dollars en dollars d’aujourd’hui.

FDR n’a pas obtenu ce plafonnement qu’il souhaitait, mais le Congrès a établi un taux d’imposition de 94 % sur les revenus supérieurs à 200 000 dollars, et le taux d’imposition marginal le plus élevé du pays se situera autour de 90 % pendant les deux décennies suivantes, années qui verront l’émergence d’une classe moyenne de masse aux États-Unis, la première de ce type dans le monde.

Cet esprit de plafonnement des revenus né du projet de FDR a refait surface aujourd’hui dans des propositions visant à pénaliser les entreprises qui rémunèrent leurs cadres supérieurs plus de 50 ou 100 fois ce qu’elles paient à leurs travailleurs les plus courants. Dans l’Oregon, la ville de Portland a déjà adopté une telle législation et une mesure similaire figurera sur le bulletin de vote de San Francisco le 3 novembre prochain.

Au Congrès, les sénateurs Bernie Sanders et Elizabeth Warren se sont joints aux représentants Barbara Lee et Rashida Tlaib et ont introduit une législation similaire au niveau fédéral. Dans une Amérique post-Trump, des propositions comme celles-ci pourraient commencer à progresser - mais seulement si nous, comme nos ancêtres progressistes des années 1930, commençons à vraiment faire pression.

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