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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2020-88

Ce qu’il en coûte de résister

Par Chris Hedges, traduit par Jocelyne le Boulicaut

lundi 26 octobre 2020, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Ce qu’il en coûte de résister

23 septembre 2020 Par Chris Hedges ScheerPost.com

Chris Hedges, lauréat du prix Pulitzer, a été pendant quinze ans correspondant à l’étranger pour le New York Times, où il a occupé les fonctions de chef du bureau Moyen-Orient et de chef du bureau Balkans du journal. Auparavant, il a travaillé à l’étranger pour le Dallas Morning News, le Christian Science Monitor et National Public Radio. Il est l’animateur de l’émission On Contact de Russia Today America, nommé pour un Emmy Award.

« Libérez Leonard Peltier » Detroit, 2009 (CC BY 2.0, WIkimedia Commons)

On peut mesurer l’efficacité de la résistance à la fureur qui anime la réaction des élites dirigeantes.

Deux des personnages rebelles que j’admire le plus, Julian Assange, l’éditeur de WikiLeaks, et Roger Hallam, le co-fondateur de Extinction Rebellion, sont en prison en Grande-Bretagne. On ne devrait pas trouver ça surprenant. On peut mesurer l’efficacité d’une résistance à la fureur de la réaction qu’elle engendre.

Julian a courageusement exposé les mensonges, la tromperie, les crimes de guerre et la corruption des élites impériales au pouvoir. Roger a aidé à organiser les plus grands actes de désobéissance civile de masse de l’histoire britannique, en bloquant des quartiers de Londres pendant des semaines, dans le but de priver de son pouvoir une classe dirigeante qui n’a rien fait, et ne fera rien, pour mettre fin à l’urgence climatique et à notre marche de la mort vers l’extinction massive.

Les élites dirigeantes, lorsqu’elles sont réellement menacées, transforment l’État de droit en farce. La dissidence devient une trahison. Elles utilisent tant les mécanismes de contrôle de l’État - agences de renseignement, police, tribunaux, propagande noire [La propagande noire est une propagande qui provient d’une source en apparence amicale, mais est en réalité hostile ; NdT].et une presse complaisante qui leur sert de chambre d’écho, que les prisons, non seulement pour marginaliser et isoler les rebelles, mais aussi pour les détruire psychologiquement et physiquement.

La liste des personnes rebelles réduites au silence ou tuées par les élites dirigeantes va de Socrate jusqu’au chef de la résistance haïtienne Toussaint Louverture, qui a mené la seule révolte d’esclaves réussie de l’histoire de l’humanité avant de mourir de malnutrition et d’épuisement, dans une cellule de prison française glaciale, sans oublier l’emprisonnement du socialiste Eugène V. Debs, dont la santé a également été brisée dans une prison fédérale.

Les chefs rebelles des années 1960, dont Mumia Abu Jamal, Sundiata Acoli, Kojo Bomani Sababu, Mutulu Shakur et Leonard Peltier, se trouvent toujours, des décennies plus tard, dans les prisons américaines. Des militants musulmans, dont ceux qui dirigeaient l’organisation caritative The Holy Land Foundation et Syed Fahad Hashmi, ont été arrêtés, souvent à la demande d’Israël, après l’hystérie qui a suivi le 11 Septembre, et ont été victimes de procès-spectacles de mauvais goût. Ils restent également incarcérés.

Julian Assange, photo ancienne (Twitter)

La résistance, une véritable résistance, a un prix très, très élevé. Ceux qui sont au pouvoir n’essaient même pas de prétendre qu’il s’agit de justice lorsqu’ils sont confrontés à une menace existentielle. La plupart des rebelles, comme Ernesto "Che" Guevara, et les dizaines de milliers de rebelles que les États-Unis ont fait enlever, disparaître, torturer et tuer brutalement tout au long de l’histoire américaine finissent en martyrs.

Une fois qu’un personnage rebelle est mis en cage, l’état se sert de son absolu contrôle et de sa panoplie de forces du mal pour le briser.

Julian, dont l’audience d’extradition est en cours à Londres, et qui a passé sept ans enfermé comme prisonnier politique à l’ambassade d’Équateur à Londres, est extrait de sa cellule dans la prison de haute sécurité de Belmarsh à 5 heures du matin.

Il est menotté, placé en cellule de détention provisoire, déshabillé et radiographié. Il est transporté pendant une heure et demie dans un fourgon de police qui ressemble à un chenil sur roues. Il est détenu dans une boîte en verre au fond du tribunal pendant la procédure, souvent sans pouvoir consulter ses avocats. Il a des difficultés à entendre les échanges. Il se voit régulièrement refuser l’accès aux documents de son dossier et est ouvertement raillé par le juge au tribunal.

Peu importe que Julian, poursuivi en vertu de la loi de 1917 sur l’espionnage, ne soit pas un citoyen américain. Il importe peu que WikiLeaks, qu’il a fondé et dont il est l’éditeur, ne soit pas une publication américaine.

Le message inquiétant que le gouvernement américain envoie est clair : peu importe qui et où vous êtes, si vous exposez les rouages de l’empire, vous serez traqué, kidnappé et amené aux États-Unis pour être jugé comme espion et emprisonné à vie. L’empire a l’intention de ne pas rendre de comptes, il veut être intouchable et ne pas être soumis à examen.

Dans le cadre de ce qu’ils appellent la "guerre contre le terrorisme", les États-Unis ont créé des codes juridiques et pénaux parallèles pour emprisonner les dissidents et les rebelles.

Julian et Roger, Illustration par M. Fish pour Scheerpost

Ces rebelles sont détenus en isolement prolongé, ce qui entraîne une profonde détresse psychologique. Ils sont poursuivis en vertu de mesures administratives d’exception, connues sous le nom de SAMs, pour empêcher ou restreindre sévèrement les échanges avec les autres prisonniers, les avocats, la famille, les médias et les personnes extérieures à la prison.

Ils se voient refuser l’accès aux informations et à tout document de lecture. Il leur est interdit de participer à des activités éducatives et religieuses dans la prison. Ils sont soumis à une surveillance électronique 24 heures sur 24 et à un confinement de 23 heures. Ils doivent prendre leur douche et aller aux toilettes sous l’œil d’une caméra. Ils sont autorisés à écrire une lettre par semaine à un seul membre de leur famille, mais ne peuvent utiliser plus de trois feuilles de papier. Ils n’ont souvent pas accès à l’air libre et doivent passer leur seule heure de récréation dans une cage qui ressemble à une roue de hamster géante.

"Gestion de la communication"

Les États-Unis ont mis en place une installation particulière à la prison fédérale de Terre Haute, dans l’Indiana, la Communication Management Unit. La quasi-totalité des détenus transférés à Terre Haute sont musulmans. Un deuxième établissement a été créé à Marion, dans l’Illinois, où les détenus sont à nouveau majoritairement musulmans, mais où on trouve également un petit nombre de défenseurs des droits des animaux et de l’environnement. Leurs peines sont arbitrairement rallongées par des "renforcements du terrorisme" dans le cadre du Patriot Act.

Jeremy Hammond (FreeJeremy.net / CC BY-SA 3.0)

Amnesty International a qualifié l’établissement pénitentiaire de Marion "d’inhumain". Tous les appels et le courrier – bien que ce qui relève de la communication ne soit pas dans le cadre du travail des responsables de la prison – sont surveillés dans ces deux unités de gestion de la communication.

Les échanges entre les prisonniers doivent se faire uniquement en anglais. Les "terroristes" qui sont au plus haut niveau sont logés dans l’établissement pénitentiaire administratif maximum, connu sous le nom de Supermax, à Florence, Colorado, un endroit dans lequel les prisonniers n’ont pratiquement aucune interaction humaine, aucun exercice physique ou stimulation mentale. C’est un peu comme à Guantánamo, mais sous un climat plus froid.

Assange est en détresse

Julian est très fragile. Sa détresse psychologique et physique se traduisent par une perte de poids spectaculaire, de graves problèmes respiratoires, des problèmes articulaires, des caries dentaires, une anxiété chronique, un stress intense et constant entraînant une incapacité à se détendre ou à se concentrer, et des épisodes de confusion mentale.

Ces symptômes indiquent, comme l’a déclaré Nils Melzer, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, qui a rencontré et examiné Julian en prison, qu’il souffre de tortures psychologiques prolongées.

L’extradition d’Assange vers les États-Unis pour faire face à 17 chefs d’accusation en vertu de la loi sur l’espionnage, chacun d’eux pouvant entraîner une peine de 10 ans, ce qui semble probable, n’arrêtera pas les sévices psychologiques et physiques conçus pour le briser.

Il sera jugé dans le burlesque d’une parodie de tribunal se servant de preuves "secrètes", dont sont familiers les radicaux noirs et musulmans ainsi que les rebelles tels que Jeremy Hammond, condamné à 10 ans de prison pour avoir piraté les ordinateurs et rendu publics les e-mails d’une société de sécurité privée qui travaille pour le gouvernement, dont le Département de la sécurité intérieure, et des sociétés telles que Dow Chemical.

Roger Hallam en juillet 2020. (Jamie L. Lowe, CC BY-SA 4.0, Wikimedia Commons)

Roger est détenu dans la prison de Pentonville à Londres, construite en 1842 et en mauvais état. Il est accusé d’avoir enfreint les conditions de sa mise en liberté sous caution à la suite d’une action qui a vu des militants jeter de la peinture sur les murs des quatre grands partis politiques, ainsi que de conspiration visant à causer des dommages criminels.

Un membre du Parti Vert a divulgué à la police britannique une discussion enregistrée sur Zoom que Roger tenait avec trois autres membres de Burning Pink, un parti anti-politique organisé pour créer des assemblées de citoyens afin de remplacer les instances dirigeantes, alors qu’ils discutaient des actions à venir.

Les domiciles des quatre activistes de la réunion Zoom - Roger Hallam, Blyth Brentnall, Diana Warner, Ferhat Ulusu et le prêtre anglican Steven Nunn - ont été perquisitionnés le 25 août. Leurs appareils électroniques ont été confisqués par la police et ils ont été arrêtés.

Roger est enfermé dans une cellule sale, infestée de vermine, et se voit refuser livres et visites. Végétalien, il est forcé de vivre d’un régime de céréales froides et de pain. De manière fréquente, il n’y a pas de nourriture chaude servie au sein de la prison. Les altercations violentes y sont monnaie courante. Les cellules surpeuplées manquent souvent d’éclairage et de chaleur.

Il n’a pas de vêtements de rechange et il n’a pas pu laver les vêtements qu’il porte depuis des semaines. Il fourre des draps et du papier dans les fentes de la porte pour bloquer les souris et les cafards. Les toilettes de sa cellule n’ont pas de siège, sont recouvertes d’excréments et ne sont pas équipées d’une chasse d’eau.

Il passe des jours sans accès à l’extérieur. Ses lunettes de lecture sont cassées. Il attend la réponse à une demande de ruban adhésif pour les réparer. La pandémie de Covid-19 circule dans la prison. Deux membres du personnel sont morts du virus. Roger pourrait être incarcéré dans ces conditions jusqu’en février s’il se voit refuser sa liberté sous caution.

L’arrestation de Roger est intervenue alors que Extinction Rebellion planifiait le blocus des presses de l’imprimerie News Corps Printworks, qui imprime les journaux The Times, Sun on Sunday, Sunday Times, The Daily Mail et The London Evening Standard. Le blocus a eu lieu le 4 septembre pour protester contre l’incapacité des organes de presse à rendre compte avec précision de l’urgence climatique et écologique. Le blocus a retardé la distribution des journaux de plusieurs heures.

"Les jours où l’on s’opposait à la tyrannie sont depuis longtemps révolus", écrit Roger depuis la prison. "La lutte à mort contre Hitler et le fascisme est reléguée aux livres d’histoire. Les classes libérales d’aujourd’hui ne croient qu’en une seule chose : le maintien de leurs privilèges. Leur seule priorité est le pouvoir. La règle numéro un est : préserver nos carrières, nos institutions à tout prix. La règle historique numéro un dans la lutte contre le mal est d’accepter le risque de perdre sa carrière et de subir la fermeture de son organisation.

La perspective de la mort et de la destruction se perd dans un brouillard postmoderniste. Le pouvoir s’est désintégré, se limitant au fait de rester assis derrière un bureau, en obéissant à des protocoles de relations publiques (ce qu’on appelle aussi le mensonge). En première ligne, le premier à être allé en prison, Martin Luther King, est mort avec la fin de la génération de la Seconde Guerre mondiale".

"La partie est finie", a poursuivi Roger.

"La vieille alliance avec les classes libérales est morte. De nouvelles formes d’initiative et de gouvernance révolutionnaires se font jour. Les membres du nouveau parti politique "Burning Pink" ont lancé de la peinture sur les portes des ONG et des partis politiques, appelant à un dialogue ouvert et à un débat public. La réponse, fidèle à la forme, a été un silence mortel et assourdissant. Nous sommes maintenant en prison d’où j’écris cet article après qu’un membre du Parti Vert ait enregistré un appel Zoom et l’ait transmis à la police. Nous n’avons pas été autorisés à sortir pour faire de l’exercice pendant les cinq premiers jours. Nous n’avons pas de bouilloire, pas d’oreillers, pas de visites. Mais nous n’en avons rien à foutre. Nous faisons quelque chose contre le Mal".

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